Économie mondiale : ralentissement de la croissance et tentation protectionniste

Des nuages s’accumulent pour l’économie mondiale… Début 2018 l’économie mondiale tournait à plein régime, mais elle a ralenti durant l’année et les perspectives à venir sont plus incertaines. (Banque mondiale, Perspectives économiques mondiales, 8 janvier 2019)

Les prévisions de croissance mondiale pour 2019 et 2020 ont déjà été révisées à la baisse par la BM, le FMI, l’OCDE… pour des raisons structurelles tenant aux difficultés d’accumulation du capital, indépendantes de l’action des États, mais aussi pour des raisons de politique économique, notamment la guerre économique déclenchée par les États-Unis.

La crise de 2007-2009 n’a pas suffi à assurer une reprise vigoureuse

Certes, le capital s’accroit depuis 2009, grâce à sa destruction partielle et surtout grâce au renforcement de l’exploitation dont la justification a été fournie par les économistes néo-classiques (la branche libérale de l’économie bourgeoise). La reprise a permis, au bout de 9 ans, le retour à un taux de chômage mondial de 5 % selon l’OIT (soit 172 millions de personnes sans emploi).

Cependant, l’économie mondiale est incapable de retrouver le rythme de croissance qu’elle connaissait précédemment : de 4 % en moyenne entre 2000 et 2007, le taux de croissance annuel du PIB est passé à moins de 3 % entre 2010 et 2016. Cela traduit un renforcement des difficultés d’accumulation du capital en longue période et prend la forme d’un accroissement du capital fictif par rapport au capital productif.

Faible croissance, faibles investissements, faibles augmentations de salaires caractérisent la conjoncture. Cela tient notamment à l’insuffisante rentabilité du capital (mesurée par le taux de profit), à des gains de productivité réduits, à la surproduction, à une insuffisance de la demande (le revers de la compression des coûts salariaux)…

Pour les marxistes, les crises capitalistes sont inévitables. Pour les économistes bourgeois, une bonne politique peut les éviter, mais ils s’opposent vivement pour la définir.

Selon la branche keynésienne (la branche étatiste de l’économie bourgeoise), l’État national a la capacité d’empêcher les crises économiques ou, au pire, d’en sortir. Il disposerait pour cela de plusieurs instruments : ses frontières, sa monnaie et son budget. Or, la politique keynésienne est peu efficace. Le protectionnisme peut aider telle ou telle entreprise, mais pas le capitalisme mondial. Ni la baisse durable des taux directeurs des banques centrales (le taux auquel elles prêtent aux banques), ni les déficits budgétaires considérables de 2008-2009 (y compris aux États-Unis et en Allemagne) n’ont permis de retrouver une croissance mondiale analogue à celle d’après la 2e Guerre mondiale. En Italie, actuellement, la croissance ralentit malgré le creusement du déficit engendré par les promesses et les rivalités des deux partis « populistes » qui ont gagné les dernières élections.

La réalité est que le taux de profit mondial est insuffisant pour que le capital global élargisse massivement sa reproduction, investisse à grande échelle, augmente les salaires. Le sauvetage des groupes financiers en 2008-2009, le gonflement de la dette publique, la faiblesse des taux d’intérêt depuis, le rachat aux banques de titres financiers par les banques centrales n’ont pas stimulé l’investissement productif et provoqué « l’euthanasie des rentiers » (Keynes). Ils ont grossi le « capital fictif », dont l’hypertrophie est un trait de l’époque impérialiste. Ils ont relancé la spéculation sur les différents marchés financiers (marché des devises, actions, produits dérivés…) officiels (bourses) ou hors de tout contrôle (« finance de l’ombre »).

Même si les recettes keynésiennes étaient pertinentes, avec la faiblesse des taux d’intérêt directeurs actuels la marge est bien faible pour les banques centrales en cas de nouvelle récession. L’endettement public élevé limite aussi les possibilités de recours au déficit pour la plupart des États nationaux.

La dette publique a atteint son niveau record de l’après-guerre tant dans les économies avancées que dans les économies émergentes. Dans un contexte de repli des taux de croissance potentielle à long terme, ces niveaux d’endettement ont vraisemblablement réduit les marges de manoeuvre budgétaires. (BRI, Rapport économique annuel, juin 2018)

Dans la zone euro, où la limite est fixée selon les traités à 60 % du PIB, elle s’élève à 9 900 milliards d’euros en 2018, soit un peu plus de 86 % du PIB (Eurostat, 21 janvier 2019). Celle des EU se monte à 21 000 milliards de dollars (105 % du PIB, un tiers de la dette publique mondiale). Au Japon, c’est 253 % du PIB.

Des tensions croissantes entre impérialismes

De plus, l’économie mondiale doit faire face à la guerre commerciale et politique déclarée par Trump contre les impérialismes rivaux des États-Unis (Chine, Allemagne…).

Une escalade des tensions commerciales au-delà de celles déjà incorporées dans les prévisions demeure une importante source de risque pour les perspectives. (FMI, Perspectives de l’économie mondiale, 21 janvier 2019)

Aux États-Unis, à partir du 1er juin 2018, des surtaxes frappent l’aluminium (+10 %) et l’acier (+25 %) importés de l’Union européenne, du Canada et du Mexique ; un droit de 25 % frappe des importations chinoises d’une valeur de 50 milliards de dollars et un droit de 10 % frappe d’autres importations chinoises d’une valeur de 200 milliards, ce dernier droit passant à 25 % le 1er mars 2019. Pour l’UE, la réponse concerne surtout des produits agricoles américains. Pour la Chine, la riposte prévoit des droits de douane allant de 5 à 10 % sur 60 milliards de dollars d’importations en provenance des États-Unis.

La signature, le 30 novembre, de l’Accord de libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (ACEUM) qui remplace l’ALENA, l’annonce le 1er décembre d’une suspension de 90 jours des augmentations de droits de douane entre les États-Unis et la Chine et la réduction annoncée des droits chinois sur les importations de voitures américaines pourraient permettre de désamorcer temporairement les tensions commerciales. Mais le protectionnisme ne s’est jamais borné à sa face la plus visible, les droits de douane sur les importations de marchandises.

D’autres mesures qui faussent les investissements et les échanges comme les subventions, les quotas, les restrictions de sécurité nationale et les entreprises étatiques, sont aussi en vogue. (Aftershock, the pervasive effects of tariff hikes, The Economist Intelligence Unit, février 2019)

Pour le Forum économique mondial de Davos, « les gouvernements occidentaux en particulier ont renforcé leur pouvoir de bloquer les investissements dans des secteurs stratégiques » (The Global Risks Report, 15 janvier 2019). Les États-Unis, la France, l’Allemagne… interdisent la prise de contrôle de certaines de leurs entreprises par les firmes chinoises.

Le gouvernement allemand a adopté un décret lui donnant un droit de veto en cas d’OPA de groupes étrangers sur des sociétés allemandes. (Les Échos, 12 juillet 2017)

Les États-Unis emploient leur prépondérance pour utiliser leurs tribunaux comme une arme contre les groupes qui concurrencent leurs entreprises : ils leur infligent des amendes sous prétexte de corruption ou de violation de ses décisions de sanctions envers d’autres pays (Iran, Cuba, Russie…) ; la Commission européenne riposte en infligeant d’énormes pénalités aux GAFA pour avoir faussé la concurrence. Trump mène une campagne internationale contre Huawei et Trudeau a même fait arrêter une de ses dirigeantes au Canada. Le gouvernement américain a pris la décision d’évincer Maduro au Venezuela, au grand dam des gouvernements russe et chinois.

Au-delà des impacts directs sur les firmes directement concernées, la montée du protectionnisme et les craintes d’une escalade de représailles pèseraient sur l’investissement de l’ensemble des entreprises, perturberaient les chaînes d’approvisionnement et nuiraient à la productivité. La détérioration des perspectives de rentabilité des entreprises qui en résulterait pourrait ébranler les marchés financiers et freiner davantage la croissance.

Des trajectoires différenciées

La crise financière et immobilière est partie des États-Unis en 2007. Les grandes puissances impérialistes furent au centre de la crise économique de 2008-2009. Alors que les États-Unis connaissaient une reprise vigoureuse, les difficultés se sont prolongées pour l’UE avec la « crise de la dette » en 2010-2012 (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande, Chypre…). Puis les pays exportateurs de matières premières ont subi la double baisse des prix et des quantités exportées en 2014-2015, ce qui a joué un rôle dans les crises politiques du Brésil, du Venezuela, de l’Algérie… Depuis, le prix du pétrole et du gaz remonte mais pas celui des produits agricoles. La Turquie et l’Argentine ont plongé dans la crise économique en 2018.

À cause du ralentissement économique de la Chine, des incertitudes liées au Brexit et à la guerre commerciale, les marchés de capitaux sont instables. L’économie chinoise représente aujourd’hui 16 % du PIB mondial et surtout, elle a au cours des dix dernières années contribué à 30 % de la croissance mondiale. Or, ses marchés de capitaux ont chuté de 25 % en 2018 et il est probable que la croissance économique ralentisse à 6 % pour 2019. Les exportations ont chuté de 4,4 % fin 2018 (les importations de 7,6 %) en raison des mesures de rétorsion américaines.

Le Japon et l’Union européenne semblent de nouveau affaiblis. Au Japon, la croissance s’est réduite de 1,9 % en 2017 à 0,8 % en 2018.

Le taux de croissance annuel pour 2017 était de +2,4 % dans la zone euro ainsi que dans l’UE28. Sur l’ensemble de l’année 2018, le PIB a augmenté de 1,8 % dans la zone euro et de 1,9 % dans l’UE28. (Eurostat, 7 mars 2019)

La productivité du travail a cessé de croître dans les pays de la zone euro, elle a même diminué récemment en Allemagne. Le ralentissement allemand (une croissance limitée à 1 % prévue pour 2019) tient à la baisse de la production industrielle touchée par de moindres exportations et par les normes antipollution. En France, le mouvement des « gilets jaunes » a illustré la révolte des laissés pour-compte de la (faible) croissance. Le gouvernement Macron a répondu au prix d’une augmentation du déficit budgétaire. Surtout, l’incertitude est liée à la capacité de présenter un accord de sortie de l’Union européenne par le Royaume-Uni.

Même aux États-Unis, où la croissance a été artificiellement soutenue en 2018 par un nouvel allègement des impôts des riches, l’effet sera éphémère.

La croissance devrait retomber à 2,5 % en 2019 et diminuer encore pour s’établir à 1,8 % en 2020 avec la fin des mesures de relance budgétaire. (FMI, Perspectives de l’économie mondiale, 21 janvier 2019)

Socialisme ou barbarie

Ni les politiques interventionnistes et protectionnistes, ni les politiques libérales et le libre-échange ne permettent à l’État bourgeois de redynamiser le capitalisme en déclin. Faute de concession à octroyer aux masses, les gouvernements tendent à restreindre la protection sociale et les libertés là où la classe ouvrière en avaient arrachées, à devenir plus autoritaires et plus xénophobes partout. Le fascisme réapparaît sous différentes formes. Non seulement une partie de l’humanité vit dans la misère malgré l’accroissement prodigieux de la science et de la technique, mais l’environnement est détérioré de manière irréversible et les conflits se multiplient.

Ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute la civilisation, ou bien victoire du socialisme. (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie, avril 1915)

27 mars 2019