L’impérialisme américain déclare la guerre économique

Quand un pays (les États-Unis) perd des milliards de dollars en commerçant, potentiellement avec tous les pays avec lesquels il fait des affaires, les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner. Par exemple, quand on a un déficit de 100 milliards de dollars avec un pays et qu’il fait le malin, on arrête de faire des affaires et on gagne gros. C’est facile. (Trump, 2 mars 2018)

À contrepied de la doctrine officielle de ses prédécesseurs démocrates ou républicains, le président des États-Unis rejette les négociations et les accords multilatéraux, augmente unilatéralement les droits de douane. Avec son style de cowboy et ses solutions à l’emporte-pièce, Trump exprime pour autant l’impérieuse nécessité pour l’impérialisme américain de se sortir d’une situation qui le mine chaque jour un peu plus. [voir Révolution communiste n° 20 & n°28]. Et en même temps, il dévoile son impasse, sauf à marcher à la guerre, économique sans aucun doute, militaire à terme.

De 1944 à 2016, l’État américain s’est efforcé d’administrer le capitalisme mondial

La bourgeoisie américaine tient la première place depuis la première guerre mondiale.

Les forces productives créées par le capitalisme ne pouvaient plus tenir dans le cadre des forces sociales du capitalisme, y compris dans le cadre de celles de l’État national. De là, la guerre. Quel a été le résultat pour l’Europe ? Une aggravation considérable de la situation… L’Amérique est maintenant la force essentielle du monde capitaliste. (Trotsky, Europe et Amérique, 28 juillet 1924)

Après la seconde guerre mondiale, les États-Unis ont façonné le monde capitaliste en impulsant des traités multilatéraux et en bâtissant des institutions à vocation mondiale (ONU, FMI, BIRD-BM, AGETAC-OMC, OTAN, OTASE…), en poussant pendant 50 ans à la baisse des obstacles aux échanges économiques et en prônant l’égalité de traitement pour tous les pays (« clause de la nation la plus favorisée »).

L’impérialisme américain reste dominant. Il reste le premier producteur du monde avec un PIB de 19 300 milliards de dollars en 2017 (devant la Chine : 11 900). Les États-Unis sont le premier extracteur de pétrole et de gaz naturel du monde et le premier exportateur agricole. En matière industrielle, les groupes américains figurent dans de nombreux oligopoles internationaux : raffinage, automobile, aéronautique, armement, électronique, alimentation, pharmacie, produits d’hygiène, articles de sport… Ils sont prépondérants dans la finance et, ensemble, leurs bourses de produits financiers et de matières premières (NYSE, NASDAQ, AMEX…) l’emportent largement sur la place de Londres. Le dollar occupe de loin la première place devant l’euro dans les échanges de devises (et les produits dérivés des devises). La recherche et l’enseignement supérieur attirent des chercheurs et des étudiants du monde entier. Il en résulte que les États-Unis l’emportent toujours pour les dépôts de brevets. La culture étasunienne influence le monde entier. L’anglais, bien que moins parlé que le chinois, est la langue des échanges internationaux, d’autant qu’il était déjà celui de la puissance hégémonique lors du capitalisme ascendant au XIXe siècle. Sa puissance militaire est sans rivale, ce qui diffère tout affrontement direct.

Si un pays peut brutaliser le monde, c’est bien les États-Unis. Sa puissance militaire, diplomatique, scientifique, culturelle et son pouvoir économique sont inégalés. (The Economist, 9 juin 2018)

Cependant, en jouant le rôle de gendarme du monde, la puissance hégémonique a intégré plus que tout autre les contradictions du capitalisme en décadence.

À cause des victoires de l’armée de l’URSS, de la révolution chinoise et de ses risques d’extension en Asie de l’Est, de la montée révolutionnaire en Europe à partir de 1943 (Italie, France…), les gouvernements américains démocrates ou républicains ont ménagé les rivaux impérialistes (Grande-Bretagne, France, Pays-Bas…), voire les ont reconstruits (Japon, Allemagne, Italie…). Pour tenter de limiter sa suprématie économique, les bourgeoisies européennes ont mis en place l’Union européenne. Parallèlement, la guerre du Vietnam a facilité l’émergence de nouveaux capitalismes (Corée du Sud). La pression économique, militaire, politique et idéologique sur les bureaucraties parasitaires des États ouvriers dégénérés était surtout l’œuvre de l’impérialisme hégémonique, mais le rétablissement du capitalisme en Europe de l’Est et en Russie à partir de 1989 a bénéficié d’abord aux puissances impérialistes d’Europe de l’ouest qui subissaient moins le fardeau du militarisme, en particulier l’Allemagne. La supériorité militaire écrasante des États-Unis en matière nucléaire, conventionnelle et de renseignement n’a pas empêché la défaite à Cuba et au Vietnam puis des échecs humiliants en Afghanistan et en Irak.

Les raisons de la fuite en avant dans le protectionnisme

Tout montre aujourd’hui que la suprématie américaine est de plus en plus battue en brèche, non seulement par la montée en puissance de l’impérialisme chinois, mais aussi par les velléités de tous les autres impérialismes qui se glissent dans chaque interstice laissé vacant par l’impérialisme américain. Perdre sa rente de situation, voilà la hantise de la bourgeoisie américaine qui la pousse à accepter bon an mal an Trump comme démiurge, malgré toute l’horreur que ses mauvaises manières inspirent à ses élites.

Le maintien d’une classe dominante se révèle chaque jour davantage un obstacle au développement des forces productives industrielles, ainsi qu’à celui de la science, de l’art et en particulier des formes affinées de la vie sociale. Il n’y a jamais eu d’hommes plus grossiers que nos modernes bourgeois. (Engels, La Question du logement, 1872)

Dure réalité en effet pour l’impérialisme le plus puissant de la planète, et de loin, de se voir tailler des croupières par ses principaux concurrents. D’autant que l’affaiblissement économique relatif des États-Unis se double d’une perte d’influence politique relative, elle aussi, qui laisse de la place à des impérialismes moins puissants, voire des puissances régionales elles-mêmes plus ou moins instrumentalisées par d’autres impérialismes. Cette érosion ne peut durer sans conséquences autrement plus graves pour la bourgeoisie américaine.

Comme l’expliquait Hegel, le contingent réalise le nécessaire. En 2017, le déficit de la balance des échanges de biens et services des États-Unis s’est creusé de plus de 12 % pour atteindre 566 milliards de dollars, et même 796 milliards si on se limite aux biens (la différence étant l’excédent de la balance des services grâce aux dividendes et redevances). Cette situation date de 2012 et va en s’aggravant.

Même la reprise mondiale ne fait qu’accentuer la perte de compétitivité de l’économie américaine. L’excédent commercial de la Chine avec les États-Unis augmente de 10 % en 2017 pour un montant évalué par la Maison blanche à plus de 375 milliards de dollars (montant que les autorités chinoises contestent en le minorant de 100 milliards). Au premier trimestre 2018, cet excédent augmente encore de près de 20 % par rapport au premier trimestre 2017 ! Et ce n’est pas du côté de l’Europe que la bourgeoisie américaine pourra se consoler, avec un déficit commercial récurrent et en hausse constante depuis plusieurs années, notamment avec l’Allemagne, ce qui a fait dire à Trump à Davos que « l’Union européenne est injuste avec les États-Unis » (28 janvier 2018). Il l’accuse de maintenir des taxes frappant les exportations américaines plus élevées que celles appliquées aux États-Unis à l’encontre des produits européens. Dans le domaine aéronautique, électronique, militaire, agricole, etc., il n’y avait de libéralisme que pour se faire ouvrir les marchés étrangers. En réalité, chaque État impérialiste empêchait certaines prises de contrôle par l’étranger d’entreprises nationales et subventionnait ses entreprises par mille canaux. Il faut ajouter la guerre des normes, tant il est vrai que chaque impérialisme utilise depuis longtemps toutes les ficelles possibles pour faire des crocs-en-jambe à ses concurrents…

Le « patriotisme économique » se construit sur le dos des travailleurs

L’ennui est que les États-Unis sont en réalité commercialement déficitaires presqu’avec la Terre entière, du Canada au Japon, de l’Allemagne à la Corée du Sud etc. Quand l’étranger l’emporte au jeu de la compétition inhérente au capitalisme, c’est toujours déloyal.

Notre industrie a été la cible depuis des années, depuis des décennies même, d’attaques commerciales déloyales. Et ça a provoqué chez nous la fermeture d’usines, de hauts fourneaux, le licenciement de millions de travailleurs, avec des communautés décimées. Eh bien, ça, ça va s’arrêter ! (Trump, 9 mars 2018)

Même les plus ardents défenseurs des vertus du capitalisme, quand ils sont pris à leur propre piège, invoquent la défense des travailleurs pour verser dans le protectionnisme, le populisme et le nationalisme exacerbé. C’est aussi vrai aux États-Unis qu’en Italie, en Grande-Bretagne ou en France. Trump évidemment s’adresse à la « rust belt » (la ceinture de la rouille), toute cette zone sinistrée par la concurrence internationale mais aussi par les décisions des groupes industriels (dont les délocalisations vers le Mexique et aussi le Sud des États-Unis, moins syndiqué), dont il vise à nouveau les voix pour les prochaines élections (celles de « mi-mandat » en novembre 2018, la présidentielle de novembre 2020). La bureaucratie syndicale de la principale confédération américaine, l’AFL-CIO, aide cette mystification.

Le président Donald Trump, au lieu de se contenter de parler du problème, fait pour la première fois quelque chose pour le résoudre. C’est un premier pas et nous le trouvons positif. (Trumka, 6 mars 2018)

La bureaucratie de la confédération rivale, CtW (qui s’appuie sur le syndicat des camionneurs IBT), est tout autant sociale-chauvine.

Nous sommes prêts à collaborer avec la Maison blanche et les autres syndicats américains pour défendre ces droits de douane et vérifier leur application afin de protéger les travailleurs américains et notre bien-être national. (Hoffa, 8 mars 2018)

C’est une mystification. Aux États-Unis, le protectionnisme censé ramener les usines cause en réalité plus de dégâts qu’il ne crée des emplois. Par exemple, le groupe Ford qui avait renoncé à produire au Mexique un de ses modèles, ce dont Trump s’était grandement vanté, le fabriquera finalement en Chine pour échapper au renchérissement de l’acier qui est importé et donc taxé ! Les trois principaux constructeurs américains font eux-mêmes produire à l’extérieur, essentiellement au Canada et au Mexique, environ 15 % des automobiles qu’ils vendent sur le marché national. Quant aux constructeurs étrangers, ils ne se contentent pas d’exporter aux États-Unis leurs véhicules. Pour contourner les mesures protectionnistes (et le « patriotisme économique » allant jusqu’à la xénophobie dans le cas du Japon), les groupes Toyota, Honda, Hyundai, Nissan et Volkswagen y ont créé eux-mêmes des filiales qui produisent soit pour le marché intérieur, soit pour l’exportation : 17 usines et 65 000 salariés au total. En outre, Fiat a pris en 2010 le contrôle de l’un des trois groupes historiques, Chrysler.

Au bout du compte, d’après le cabinet Trade Partnership Worldwide, si les taxes sur l’acier et l’aluminium pourraient permettre la création de 92 000 emplois, elles devraient en même temps en détruire quelques 250 000 autres. Les travailleurs ne gagneront rien de la guerre économique qui s’annonce, au contraire. Ni aux États-Unis, ni ailleurs.

À défaut d’une amélioration quelconque de leur situation, la bourgeoisie leur vend du patriotisme et de la xénophobie. Le populisme et le nationalisme économique, qui prend le plus souvent la forme du protectionnisme, à l’œuvre aux États-Unis, mais aussi sous différentes formes en Grande-Bretagne, en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, etc. nourrissent la xénophobie et le racisme.

Vous ne pourriez pas croire à quel point ces gens sont mauvais. Ce ne sont pas des gens, ce sont des animaux. (Trump, 16 mai 2018)

Que les bourgeoisies utilisent ces vieilles ficelles pour tenter d’entrainer une partie de la population derrière elles n’a rien d’étonnant, c’est la marque de la putréfaction historique du mode de production capitaliste au stade impérialiste.

Le monde du capitalisme décadent est surpeuplé. La question de l’admission d’une centaine de réfugiés supplémentaire devient un problème majeur pour une puissance mondiale comme les États-Unis. (Trotsky, Manifeste de la 4e Internationale, mai 1940)

Mais c’est aussi la rançon des trahisons des combats révolutionnaires du prolétariat par ses vieilles et nouvelles directions réformistes et l’abandon de toute perspective communiste. La crise de direction du prolétariat mondial s’accentue. L’Internationale communiste, qui était une internationale révolutionnaire de masse, est devenue un instrument de la contre-révolution dans les années 1930 en passant sous le contrôle de la bureaucratie stalinienne de l’URSS. La 4e Internationale, fondée en 1938 pour la remplacer, a éclaté dans les années 1950 sous l’influence du stalinisme et du nationalisme bourgeois. On trouve même en France des organisations issues du « trotskysme » (POID, POI) qui renchérissent dans la défense de la nation avec les débris du stalinisme (PCF) et de la sociale-démocratie (LFI).

Défendre la « libération nationale » [dans un pays impérialiste] est une politique qui semble faite exprès pour détourner l’attention des travailleurs des problèmes fondamentaux, pour affaiblir la lutte contre le capitalisme et pour les contraindre à chercher l’ennemi principal et la cause première de leur misère hors des frontières. (Trotsky, La Seule voie, 14 septembre 1932)

Le socialisme petit-bourgeois ou bourgeois (du travaillisme au stalinisme) fait passer l’étatisme en général et le protectionnisme en particulier comme progressistes alors qu’ils sont portés au paroxysme par le fascisme. Par contre, l’aile communiste internationaliste du mouvement ouvrier a toujours combattu le protectionnisme, de la fondation de la Ligue des communistes en 1847 à la disparition de la 4e Internationale en 1951-1953.

Ne croyez pas qu’en faisant la critique de la liberté commerciale nous ayons l’intention de défendre le système protectionniste. On se dit ennemi du régime constitutionnel, on ne se dit pas pour cela ami de l’ancien régime. (Marx, Discours sur le libre-échange, 9 janvier 1848)

Chez les électeurs, il ne pouvait pas ne pas se manifester çà et là des tendances protectionnistes, mais fallait-il en tenir compte ? (Engels & Marx, Circulaire à la direction du SAPD, septembre 1879)

La sociale-démocratie lutte contre le militarisme, le colonialisme, le protectionnisme douanier tout comme elle combat tout l’appareil de base de l’État de classe existant, son administration, sa législation, son système scolaire, etc. (Luxemburg, L’État-nation et le prolétariat, 1908)

Ainsi, ceux qui dans le mouvement ouvrier contemporain condamnent les ravages de la mondialisation au lieu d’appeler au renversement du capitalisme et prônent comme Mélenchon, un protectionnisme solidaire [voir Révolution communiste n° 21 & n° 22], ou bien les partisans du Brexit en Grande-Bretagne du type CPB, SPEW et SWP, se rangent en réalité derrière les fractions les plus réactionnaires de leur bourgeoisie [voir Révolution communiste n° 18 & n° 19].

L’affrontement avec les autres impérialismes

Le premier abandon par la bourgeoisie étatsunienne de ses responsabilités dans l’ordre mondial date de 1971, quand Nixon a liquidé le système monétaire international mis en place par l’accord de Bretton Woods de 1944. La faculté de créer à volonté le dollar qui reste la première monnaie d’échange des transactions internationales et la capacité à faire financer ses déficits par les autres bourgeoisies qui achètent ses bons du Trésor ne dureront que tant que les rapports de forces entre les différents impérialismes ne peuvent être significativement remis en cause.

Le 31 mai, Trump confirme l’application de 25 % de taxes sur l’acier et 10 % sur l’aluminium européen, ce qui touchera essentiellement l’Allemagne et l’Italie. Sont également concernés le Canada et le Mexique, tandis que l’Argentine, le Brésil et l’Australie qui ont accepté de réduire leur production y échappent. Quant à l’acier chinois, c’est dès le mois de mars que ces taxes lui ont été appliquées. La Chine est la principale productrice mondiale d’acier et connaît même une crise de surproduction. En partie évincée du marché américain, la Chine cherchera nécessairement à écouler ailleurs sa production, d’où les craintes des groupes sidérurgistes implantés en Europe. Mais il n’y pas que l’acier chinois qui est dans le viseur américain.

Nous imposerons des droits de douane sur 50 milliards [de produits chinois], puis sur 100 milliards. Vous savez, à un certain point, ils manqueront de munitions. (Trump, 12 avril 2018)

Les États-Unis ont donc annoncé le 15 juin la taxation d’une liste de 1 102 produits chinois devant s’appliquer à partir du 6 juillet, la Chine ripostant par des mesures similaires à l’encontre de 659 produits américains. L’escalade est engagée puisque Trump menace désormais de taxer à 10 % quelques 200 milliards supplémentaires d’importations chinoises, Xi dénonçant le chantage américain et promettant des représailles.

Évidemment, les autres impérialismes, petits et grands, crient à la trahison des règles du commerce, annoncent des mesures de rétorsion en taxant à même hauteur les produits américains et veulent saisir l’OMC pour faire condamner ces pratiques. Problème : les États-Unis vouent désormais l’OMC aux gémonies, l’accusant de couvrir le dumping de ses concurrents, et bloque la nomination des juges de l’OMC statuant sur l’appel, le rendant ainsi impuissant… Trudeau considère qu’il s’agit « d’un affront pour le partenariat de sécurité existant de longue date entre le Canada et les Etats-Unis », Macron a, parait-il, téléphoné à Trump pour lui dire que sa décision était « une erreur et qu’elle était illégale », tandis que Merkel a dénoncé « une escalade qui nuira à tout le monde », ce d’autant que les exportations allemandes d’automobiles sont également désormais menacées d’être taxées par Trump. Au G7 du 3 juin 2017, tous ont condamné les États-Unis. Cet affrontement s’est confirmé lors du G7 des 8 et 9 juin 2018.

Si les États-Unis introduisent des sanctions commerciales, y compris en relevant leurs droits de douane, alors tous les fruits des négociations commerciales et économiques deviendront sans effet. (Chine nouvelle, 3 juin 2018)

Trump a refusé au bout du compte de signer le communiqué commun laborieusement négocié. Il a même précisé ses menaces à l’encontre des excédents commerciaux canadien et allemand. À cette occasion, les États qui ont affiché leur réprobation restent pourtant divisés par leurs intérêts propres selon qu’ils estiment avoir plus à perdre ou à gagner à s’engager dans un bras de fer avec les États-Unis. Les bourgeoisies européennes n’ont ainsi décidé que de légères mesures de rétorsion, emmenées par l’Allemagne qui est en première ligne des échanges avec les États-Unis. Cette réponse mesurée n’a pourtant pas calmé l’agressivité des États-Unis puisque Trump menace maintenant de taxer à 20 %, contre 2,5 % aujourd’hui, toutes les importations de voitures européennes, c’est-à-dire essentiellement l’industrie allemande !

Le pouvoir politique peut causer un grand dommage au développement économique et produire un gaspillage massif. (Engels, Lettre à Conrad Schmidt, 27 octobre 1890)

Un autre front aura aussi valeur de test pour la rivalité des États-Unis avec la Chine : la Corée du Nord. Soufflant le chaud et le froid, Trump a obtenu, en affermissant ses liens militaires et politiques avec le Japon et la Corée du Sud, que la clique stalinienne de Pyongyang gèle ses projets nucléaires. Un sommet entre le dictateur nord-coréen et le président élu américain s’est tenu le 12 juin à Singapour. Cette initiative de Trump a pour but de faire restaurer totalement le capitalisme en Corée du Nord et donc unifier le pays sous son influence [voir Révolution communiste n° 25]. Ainsi, Trump espère, avec l’aide du Japon qui se remilitarise, faire pression sur la Chine impérialiste dont les capitaux et le marché sont les premiers clients d’un Etat ouvrier bureaucratique qui se meurt sous la coupe de la bureaucratie stalinienne et de la dynastie Kim. Mais, au passage, il piétine ses partenaires traditionnels.

Un compromis de ce type est le cauchemar des alliés les plus proches de la région, la Corée du Sud et le Japon. (The Economist, 9 juin 2018)

Les États-Unis mobilisent contre l’Iran

Mais les menaces ne s’arrêtent pas là, elles se doublent d’une offensive de l’impérialisme américain pour retrouver le contrôle, ou au moins un rôle prépondérant, au Proche-Orient, où il a perdu du terrain. Le 8 mai, les États-Unis annoncent leur retrait de l’accord conclu en 2015 avec l’Iran instituant l’arrêt du programme nucléaire iranien contre une levée progressive des sanctions économiques. Cet accord était pourtant une concession de l’Iran [voir Révolution communiste n° 12] mais l’impérialisme américain en veut plus encore. Dans la nuit du 9 au 10 mai, 28 appareils de l’aviation israélienne attaquent des positions iraniennes en Syrie. Auparavant, Trump avait annoncé le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, donnant ainsi son plein appui à l’aggravation de la politique de colonisation d’Israël contre les Palestiniens qui ne s’est pas fait attendre, avec de nouveaux massacres de manifestants civils désarmés dans la bande de Gaza, une centaine de morts et des milliers de blessés [voir Révolution communiste n° 29]. Cyniquement l’administration américaine se calquant sur Netanyahou a accusé les manifestants d’être eux-mêmes responsables de la violence déchainée de l’armée israélienne ! Dans le même temps, les États-Unis ont apporté un soutien appuyé au prince ben Salmane, nouvel homme fort d’Arabie Saoudite, excellent client pour les contrats d’armes, ainsi qu’au dictateur égyptien, le maréchal Al Sissi, tous deux ennemis de l’Iran.

Le chef de la diplomatie américaine Pompeo a menacé l’Iran « des sanctions les plus fortes de l’Histoire », indiquant que « l’Iran n’aurait plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient » et qu’il s’apprêtait à « traquer les agents iraniens et leurs supplétifs du Hezbollah à travers le monde pour les écraser ». Pareilles menaces de guerre économique, mais aussi de guerre tout court, sont calculées pour pousser le régime réactionnaire iranien, qui ne peut capituler sans disparaître, à la fuite en avant et justifier d’autant mieux l’intervention militaire. Déjà, l’aile la plus conservatrice du régime iranien retrouve tout son l’élan et les infimes espaces de liberté conquis par la classe ouvrière et la jeunesse iraniennes sont à nouveau en ligne de mire. En effet, le desserrement espéré de l’étranglement économique par les tenants de l’accord part en fumée.

Non contents de menacer l’Iran, les États-Unis ont sans aucune ambigüité averti les autres pays signataires de l’accord avec l’Iran, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne que leurs entreprises s’exposeraient à de lourdes poursuites et sanctions financières si elles maintenaient des relations commerciales et financières avec l’Iran. Après avoir beaucoup mis en scène son amitié et sa proximité avec Trump, censées le retenir, Macron a dû déchanter. Aux côtés de Merkel, il a retrouvé de mâles accents pour s’opposer : « Ne soyons pas faibles, ne subissons pas ! Accepterons-nous la règle de l’autre ou sa tyrannie ? Qui doit décider de nos choix commerciaux ? » (10 mai 2018). Mais derrière les coups de menton, la réalité des affaires est cruelle, les bourgeoisies européennes n’ont pas –ou presque– les moyens de préserver leurs entreprises des sanctions américaines. Déjà le souvenir de la BNP condamnée à payer en 2015 quasi 9 milliards de dollars d’amendes, ce qu’elle a fait, pour violation d’embargos américains imposés à Cuba, au Soudan, à la Libye, revient comme un spectre. En effet, à partir du moment où les entreprises multinationales européennes font des affaires avec les États-Unis, et le marché américain est évidemment autrement plus conséquent pour elles que celui de l’Iran, elles ne peuvent échapper aux sanctions.

Les contradictions inextricables des gouvernements impérialistes

La commission européenne a beau avoir ressorti de la naphtaline un règlement de 1996 dite loi de blocage pour empêcher les poursuites américaines en Europe, le parapluie est bien dérisoire. Ainsi après Total, c’est Engie qui renonce à son tour à s’engager en Iran. L’Allemagne sera la plus touchée, avec notamment Siemens et Daimler, mais aussi l’Italie et la France avec PSA et Renault, sans parler des engagements de vente d’Airbus. Les places perdues par les impérialismes européens devraient être prises par les impérialismes russe et chinois, la Russie étant déjà sous le coup de sanctions américaines et la Chine n’étant pas décidée à céder aux injonctions américaines.

Pour Trump, l’échange international est ce que les économistes appellent « un jeu à somme nulle » : ce qui est gagné par un pays est forcément égal à ce que perd un autre. Cette vision archaïque relève du mercantilisme, une doctrine dépassée à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle avec les débuts de l’analyse scientifique du capitalisme. Les prédécesseurs de Marx, Smith et Ricardo, démontrèrent alors que les échanges internationaux stimulent le développement des forces productives : la richesse mondiale totale est plus élevée avec la division du travail que si chaque pays restait en autarcie. Évidemment, les « économistes classiques », liés à la bourgeoisie industrielle britannique, oubliaient que le capitalisme a émergé du pillage colonial et laissaient sans réponse la question de l’inégalité éventuelle de la répartition du gain.

Si les libre-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe. (Marx, Discours sur le libre-échange, 9 janvier 1848)

L’internationalisation des forces productives est un phénomène irréversible dont même l’économie nationale la plus vaste et la plus forte ne peut s’extraire.

Les entreprises de la métallurgie, constructeurs automobiles en tête, se plaignent des taxes sur l’acier, qui se traduisent par un renchérissement spectaculaire de leur matériau de base… Les annonces d’une possible restriction des investissements chinois dans la technologie américaine ont fait chuter cette semaine le NASDAQ. (Le Monde, 29 juin 2018)

Ainsi, en l’espace de quelques semaines, le monde se retrouve brutalement au bord d’une guerre commerciale généralisée, avec de nouvelles menaces d’affrontements militaires, manifestations du pourrissement du mode de production capitaliste, et au premier chef de celui de l’impérialisme le plus puissant, les États-Unis. Derrière l’Arabie saoudite et Israël, se tiennent les États-Unis ; mais derrière l’Iran, puissance régionale qui a le tort de leur faire de l’ombre, le soutien de la Russie et de la Chine est plus incertain, compte-tenu de l’énorme avantage militaire des États-Unis en cas de confrontation. La pression de l’impérialisme américain sur l’Iran, bien loin de faciliter la lutte des travailleurs et des jeunes iraniens, est un coup supplémentaire, comme elle est un coup supplémentaire porté aux Palestiniens par les encouragements et le soutien donné à la colonisation israélienne en échange de son engagement militaire contre l’Iran.

Pour les militants communistes internationalistes, le mot d’ordre d’à bas toute sanction économique et toute intervention militaire impérialiste contre l’Iran va de pair avec le soutien aux combats de la classe ouvrière et la jeunesse iraniennes pour renverser la dictature islamiste réactionnaire comme il va de pair avec le soutien aux combats des Palestiniens pour leurs droits contre l’État d’Israël.

Pour la révolution socialiste internationale

Ce n’est pas seulement Trump qui pose problème. Toutes les bourgeoisies coupent dans les dépenses qui améliorent la vie des travailleurs et dépensent de plus en plus dans l’appareil répressif de l’État (services secrets, armées, polices, prisons…).

Après 13 années consécutives de hausse de 1999 à 2013 et des dépenses relativement inchangées de 2012 à 2016, le total des dépenses militaires mondiales a encore augmenté en 2017. En 2017, les dépenses militaires représentent 2,2 % du produit intérieur brut mondial soit 230 dollars par personne… Les États-Unis continuent d’enregistrer les dépenses militaires les plus élevées au monde. En 2017, ils ont dépensé plus pour leurs forces armées que les sept pays les plus dépensiers suivants… La Chine a enregistré la plus forte augmentation absolue des dépenses en 2017 (12 milliards de dollars). (SIPRI, 2 mai 2018)

La classe ouvrière peut sauver l’humanité de la catastrophe économique, sociale, écologique et politique où mène le maintien de la bourgeoisie.

Avec le niveau actuel de technique et de qualification des travailleurs, il est parfaitement possible de créer des conditions adéquates pour le développement matériel et spirituel de l’humanité tout entière. Il faudrait seulement organiser la vie économique dans chaque pays et sur notre planète entière de façon juste, scientifiquement et rationnellement, conformément à un plan général. Aussi longtemps cependant que les principales forces productives de la société sont détenues par des groupe, c’est-à-dire des cliques capitalistes isolées et aussi longtemps que l’État national demeure un outil complaisant aux mains de ces cliques, la lutte pour les marchés, pour les sources de matières premières, pour la domination du monde, doit inévitablement assumer un caractère de plus en plus destructeur. Le pouvoir d’État et la domination de l’économie ne peuvent être arrachés des mains de ces cliques impérialistes rapaces que par la classe ouvrière révolutionnaire. (Trotsky, Manifeste de la 4e Internationale, mai 1940)

Tout dépend de la construction d’une nouvelle internationale ouvrière capable de relever le drapeau du communisme.

Collectif révolution permanente (Allemagne, Autriche, Canada, France)

PD/Turquie

TML/Brésil