En défense du droit à l’autodétermination de la Catalogne

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Dehors les forces de répression du gouvernement de la monarchie

Pour une République ouvrière

Le 1er octobre, le peuple catalan, malgré une formidable campagne de répression préventive de l’État espagnol, a imposé la tenue d’un référendum. Malgré les violences policières et la confiscation des urnes et des bulletins de votes, plus de deux millions de personnes (sur un total de cinq) se sont exprimées en votant oui à la question « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? ».

Le mandat des urnes quasi inaccessibles et de la rue est très clair : la population catalane s’est mobilisée principalement pour défendre son droit de décider démocratiquement de son propre destin, contre l’interdiction de la consultation et la répression de la monarchie espagnole.

Mais la question renfermait un piège. La seule possibilité pour voter contre la monarchie franquiste obligeait à voter pour « l’indépendance » sans autre nuance, sans aucun moyen de se prononcer sur le type de république qu’on souhaitait ni sur le type de relations immédiates et futures qu’on désirait entretenir avec les autres peuples actuellement sujets du Bourbon.

Le 27 octobre, la République catalane indépendante et souveraine fut finalement « plus ou moins proclamée » par la majorité du parlement. Cette majorité était constituée de deux coalitions :
Junts pel Sí [Ensemble pour le Oui] dominée par deux partis bourgeois : le Partit Democrata Europeu Catala PDeCat et l’Esquerra Republicana ERC ;
la Candidatura d’Unitat Popular CUP-CC qui jouit d’un grand écho dans la jeunesse, qui est issue de la petite bourgeoisie radicale et qui a le soutien de plusieurs organisations se réclamant de l’anticapitalisme et du socialisme.
Leur poids électoral respectif était en 2015 de 39,6 % et 8,2 %.

Entre le 1er octobre, jour du référendum, et le 27, s’est écoulé un long délai pendant lequel le président du gouvernement catalan, Carles Puigemont (PdeCat), n’a cessé de manœuvrer pour éviter de concrétiser la solution décidée en commun au parlement par Junts Pel Si et la CUP-CC. Et au fil du temps, l’impressionnante mobilisation des masses qui, pendant quatre jours (du 30 septembre au 3 octobre) avaient envahi les écoles, les places et les rues, pour défendre leur droit de vote et, qui s’étant exprimées, entendaient défendre la prise en compte du résultat.

La bourgeoisie républicaine et indépendante qui n’a jamais été ni l’une ni l’autre

Les manœuvres, les hésitations, la dissimulation, les retards injustifiés, les accords secrets, les trahisons, etc. ont été la note dominante de toute l’action politique de la bourgeoise indépendantiste face aux masses enrôlées sous sa bannière. Dans ce processus, l’ancien parti Convergencia i Unio CiU est mort financièrement détruit, divisé et impliqué dans de nombreuses affaires de corruption à grande échelle… et est ressuscité sous la forme du PDeCat. Dans une fuite en avant désespérée pour éviter sa disparition, le grand parti de la bourgeoisie catalane, qui a coexisté avec bonheur sous la monarchie et tous les gouvernements, a réussi à prendre les rênes du puissant sentiment d’oppression nationale, renforcée par les nombreuses et insultantes provocations anti-catalanes des derniers gouvernements du Partido Popular PP.

Le résultat est contradictoire : bien que le PDeCat soit, pour le moment, sorti relativement indemne de la plus grande crise politique interne qu’ait connu la bourgeoisie catalane depuis la mort de Franco, le prix à payer a été très élevé, et il a dû aller beaucoup plus loin qu’il était précédemment allé dans sa revendication nationaliste.

Le 27 octobre, Carles Puigdemont, à la tête de Junts pel Si, a finalement dû prendre une décision. Il était coincé entre l’engagement formel de respecter le résultat du référendum et la dynamique même de l’échec de ses négociations secrètes avec le gouvernement Rajoy pour désamorcer le dangereux jeu du « processus constituant ». Le 26 octobre, la trahison de sa propre feuille de route était déjà avérée, la dissolution du parlement rebelle et la convocation à de nouvelles élections, décidées. Le cabinet de la présidence de la Généralité l’avait déjà annoncé et cela avait été publié dans tous les médias. Mais à la dernière minute, il n’a pu ou n’a pas voulu ou (le plus probable) n’a pas obtenu toutes les conditions qu’il avait souhaitées pour être le fossoyeur direct de l’indépendance et il s’est trouvé contraint de proclamer du bout des lèvres la République catalane dans un parlement encerclé par des milliers de manifestants qui l’exigeaient. Proclamation faite en l’air, sans aucune mesure pour la rendre réelle, sans aucun appel à l’intervention des masses pour l’imposer, et par des dirigeants préparant leurs valises pour fuir le pays.

Le suivisme de la petite bourgeoisie indépendantiste

De son entrée au Parlement en 2013 jusqu’à aujourd’hui, la CUP-CC (8 % des voix) –avec son langage « anticapitaliste » et le poing levé – n’a fait que suivre le bloc bourgeois : son vote fut décisif pour la constitution du gouvernement bourgeois en Catalogne, identique à tous les précédents à l’exception de la promesse du référendum d’autodétermination. L’appui à maintes reprises de la CUP-CC au Parlement (dont le vote des budgets habituels en échange de miettes dérisoires pour les services sociaux) a permis au gouvernement catalan de survivre et, plus encore, son vote a été nécessaire pour approuver au parlement catalan la Loi de Transition provisoire, par laquelle la bourgeoisie catalane cherchait à garantir, pour elle-même tout comme ses amis de classe de l’État espagnol ou que ceux du reste du monde, toutes les lois espagnoles actuelles, tout l’arsenal juridique anti-ouvrier, tous les contrats commerciaux, tous les engagements internationaux, toutes les dettes, etc. Ils devaient rester en vigueur en attendant que « la nouvelle république adopte ses propres lois ».
La direction de la CUP s’est évertuée à cacher aux masses cette dure réalité que ses alliés bourgeois ne connaissent pas d’autres intérêts que les leurs, que pour eux la revendication nationale, même quand ils la radicalisent, n’est rien d’autre qu’un instrument de négociation pour augmenter leur part du gâteau. Elle l’a caché, mais elle le savait, parce qu’avec l’approbation de la Loi de transition, la capitulation a franchi un pas de plus : au cas où il y aurait finalement une « nouvelle république », il est certain qu’avec la loi que la CUP avait approuvée que pas un seul point ni une seule virgule des bases économiques, sociales et politiques de la domination actuelle du capital sur la classe ouvrière ne serait remis en question.

En résumé, la CUP a agité le chiffon rouge devant une voie sans issue dont aucune des deux classes sociales principales n’a besoin : la République bourgeoise catalane.

L’État espagnol

Le gouvernement responsable de la répression contre le peuple catalan est l’un des plus faibles de ces quarante dernières années. Après deux élections législatives en l’espace de six mois, le PP n’a obtenu l’investiture de Rajoy que grâce à l’abstention de la majorité des députés du Partido Socialista Obrero Español PSOE, laquelle a entraîné en retour une profonde crise dont ce parti se remet à peine.

Le gouvernement espagnol est aux mains d’un parti qui détient le record de la corruption en Europe. Le PP est impliqué dans une telle quantité d’affaires judiciaires de corruption qu’il a 900 accusations retenues contre lui. C’est le premier parti qui est accusé en tant que tel, pour la destruction de preuves décisives (disques durs) dans l’affaire Bárcenas, une affaire qui a révélé l’énorme revenu illégal (caja B, caisse parallèle) qui a transité par sa comptabilité nationale. Le président du gouvernement, miraculeusement, n’est pas accusé, mais il a dû témoigner devant le juge et son nom apparaît comme récepteur d’enveloppes d’argent de cette caja B. Rajoy prétend que « les catalans font certaines choses ». Mais ce qui est certain, c’est que dans l’Espagne des Bourbons, « il se passe des choses ». Par exemple, que jamais, les affaires de corruption ne se terminent par des peines fermes, que les juges et les procureurs sont dessaisis selon le désir des accusés, que les audiences s’embrasent, que la mortalité parmi les témoins de cas de corruption augmente…

Durant les évènements du « défi de l’indépendance catalane » (comme dit la presse espagnole), afin d’être sûr que le budget de l’État pour 2017 serait approuvé, le gouvernement minoritaire du PP a été obligé d’acheter la collaboration honteuse du Parti nationaliste basque PNV, au moyen d’une baisse de la contribution annuelle du Pays basque au budget de l’État espagnol. Aujourd’hui, la participation basque a encore été réduite, mais le budget 2018 n’a pas encore été adopté et il n’est pas certain qu’il le soit rapidement, car la mobilisation basque de solidarité contre la répression en Catalogne n’a pas permis au PNV de réitérer son petit jeu.

Grâce aux garanties parlementaires du PSOE et du PNV, Rajoy a pu profiter de toutes les occasions pour criminaliser le référendum et empêcher toute négociation avec le gouvernement catalan. Les seules réponses qu’il a apportées ont été l’asphyxie financière, une répression policière jamais vue et finalement le recours à l’article 155 de la Constitution, grâce auquel il a dissous manu militari un parlement démocratiquement élu par les Catalans, transformé l’administration régionale en une simple délégation ministérielle de Madrid et appelé à de nouvelles élections régionales pour le 21 décembre.

La tenue d’un référendum libre devrait être un acte démocratique comme ce fut le cas pour ceux qui ont eu lieu sans crise d’hystérie dans des pays plus civilisés (dans la province de Québec au Canada ou en Écosse au Royaume-Uni). Mais dans les mains des gérants de la monarchie héritière de « l’Espagne une, grande et libre », à la demande et à la décision d’organiser une consultation, l’État a répondu par l’occupation de la Catalogne avec des milliers de policiers et de gardes civils armés, plus de 1 000 blessés dans les charges de la police le 1er octobre, des centaines de manifestants en attente d’amendes ou de jugements, le Président de la Généralité et la moitié de son gouvernement en exil, l’incarcération des autres responsables du gouvernement et des dirigeants indépendantistes connus, la censure de la télévision publique, la persécution des enseignants…

Et tout cela a été possible grâce à la collaboration du PSOE sans laquelle le gouvernement Rajoy n’existerait pas et ne pourrait pas tenir un jour de plus. Le Pedro Sanchez d’aujourd’hui ne se souvient plus du coup de main interne qui l’a renversé il y a un an pour avoir refusé de permettre un nouveau gouvernement du PP. Ni ses promesses de ne jamais voter pour l’application de l’article 155 de la Constitution contre l’autonomie de la Catalogne. Maintenant, il respecte pleinement sa fonction de maintenir à flot l’État espagnol si vieux et si corrompu, expliquant à ses partisans qu’il le fait parce que « nous sommes une opposition responsable » qu’il « veillera » à ce qu’il y ait « une application limitée » de l’arsenal répressif contre la Catalogne.

La classe ouvrière

Quelques semaines à peine avant le référendum, la classe ouvrière catalane était encore dans l’expectative. Sa participation aux grandes mobilisations d’indépendance avait été partielle et noyée dans le « peuple » sous la direction de la bourgeoisie. Cette même dissolution s’est produite de manière générale au sein des Comités pour la défense du référendum (CDR), l’organisation de masse qui a pris en charge l’organisation clandestine effective du référendum, dans des conditions dignes d’un état d’exception (arrestations, perquisitions, interventions de la police et de la garde civile dans les entreprises, locaux administratifs et domiciles). Avec leurs mérites et leurs insuffisances et leurs compositions variables selon les quartiers ou les localités, les CDR (désormais transformés en Comités de défense de la république) ont organisé la colère croissante contre la répression venue de Madrid et ont été l’instrument clé dans la radicalisation du processus.

La première intervention de la classe ouvrière en tant que telle, avec ses propres méthodes d’action, a eu lieu dans les jours qui ont précédé le référendum, lorsque les assemblées des dockers des ports de Barcelone et de Tarragone ont décidé de ne pas prendre en charge les navires envoyés par le gouvernement de Madrid pour loger les renforts de la garde civile, envoyés pour interdire le référendum. L’étape suivante dans l’intervention indépendante comme classe, désormais à l’échelle de tout le territoire, fut l’appel à la grève générale du 3 octobre et sa tenue.

Jusqu’à la veille du referendum, une fraction importante de la classe est restée totalement indifférente à la revendication d’indépendance nationale conduite par ceux qui ont gouverné la Généralité, opéré de grandes coupes dans les budgets sociaux, privatisé les services publics, envoyés les Mossos d’Esquadra [police catalane] contre les manifestations sociales et qui se sont servi à pleine mains dans les caisses de la région. Profitant de cette saine défiance, les dirigeants des fédérations syndicales UGT et CCOO, majoritaires, mais très faibles et discréditées, ont tourné le dos à la défense du droit à l’autodétermination qui, naguère, faisait partie de leur programme- et laissé les mains libres à l’État espagnol pour réprimer et à la bourgeoisie catalane pour diriger les masses à son profit.

La fédération catalane Confederacio General del Traball CGT mérite une mention spéciale. Ce syndicat anarcho-syndicaliste édulcoré, dont le poids au sein de la classe ouvrière catalane est déjà important, semble en constante progression. L’idéologie anarchiste particulière de la direction de cette fédération, qui insiste constamment sur la défense de l’indépendance de classe, l’autorise à participer aux comités d’entreprise réglementés par l’Etat, mais l’empêche de défendre sans équivoque le droit des peuples (en particulier le peuple catalan) à son autodétermination. Cependant, la CGT n’a pas été en mesure d’échapper à l’énorme pression de sa base face au tour répressif des événements et a dû, quelques jours avant le referendum, appeler –avec d’autres petits syndicats strictement catalans : Coordinadora Obrera Sindical COS, Intersindical Alternativa de Catalunya IAC, Confederacio syndical de Catalunya-Confederacio Nacional del Trabajo CSC-CNT à une grève générale « à partir du 3 octobre ». L’appel a suscité un tel enthousiasme qu’à la dernière minute les CCOO et l’UGT s’y sont ralliées pour tenter de le transformer en une « grève régionale » d’un seul jour et sans contenu de classe, habilement soutenue par la Généralité elle-même. La vérité est que le 3, avec l’appel de ses syndicats de classe, la grève a été un tel cri contre la répression… qu’il fut rapidement étouffé par la direction de la CGT qui, unilatéralement et sans explication, annula son appel à poursuivre la grève les jours suivants.

D’autre part, en Catalogne, des deux grands partis ouvriers traditionnels (PSC-PSOE et PSUC-PCE), seul le premier continue d’intervenir sur la scène politique. Le PSC a peu de liens avec la classe ouvrière, reposant essentiellement sur le terrain électoral (entre 12 et 16 % des voix au cours des dernières années, la moitié de ce qu’il obtenait lors de la décennie précédente). Il a, en son sein, une importante composante fédéraliste qui, de temps en temps, défend publiquement le droit à l’autodétermination. Cette caractéristique lui permet de jouer un rôle équivoque de charnière entre l’espagnolisme monarchique de la direction du PSOE et le « catalanisme », bien que de toute façon il finisse toujours par se soumettre à Madrid.

Les vestiges de l’ancien PSUC, plusieurs groupes écologistes et la filiale de Podemos-Podem animent une coalition appelée Catalunya sí que es pot CSQP (La Catalogne oui c’est possible) (8,15 % des voix en 2015) qui gère actuellement la mairie de Barcelone. Cette coalition petite-bourgeoise s’est présentée aux élections avec le slogan de République catalane. Ses représentants ont adopté un profil totalement neutre, adapté à la gestion bourgeoise de la grande métropole et, à mesure que les événements se déroulaient, ils ont reculé sur leur revendication républicaine, jusqu’à voter ouvertement contre leur propre programme le 27 octobre, au parlement catalan. La CSQP a joué du oui, du non, du nous négocions, du je ne sais pas, du nous voterons mais seulement quand nous aurons quitté Madrid, pour devenir le premier naufrage politique catalán. Son chef Albano Dante Fachín a été exclu sans ménagement par Pablo Iglesias, qui l’a accusé de voter en faveur de la proclamation de la République catalane. La branche régionale de Podemos a été totalement détruite. Iglesias a tenté d’appliquer un article 155 à la section catalane, il a dissous la direction et a appelé à de nouvelles élections, mais le résultat a été la scission et la formation d’une nouvelle organisation. Malgré cela, la guerre reste ouverte chez ceux qui sont restés, au point qu’au moins dix cercles locaux de la province de Barcelone ont décidé en assemblée de ne pas participer à la campagne électorale en cours.

La convocation à de nouvelles élections et l’éclatement du front politique indépendantiste

Le 30 octobre fut le jour de vérité. Ce n’était pas un hasard si le vendredi 27 octobre personne n’était sorti sur le balcon pour proclamer la République, si personne n’avait ordonné de descendre les drapeaux espagnols du Palais du Parlement, si la résolution adoptée n’a jamais été publiée au Journal officiel de la Généralité de Catalogne. Le premier jour ouvrable suivant devait dévoiler la supercherie : le PDeCat et l’ERC acceptaient de participer à une élection dont le seul but était de démobiliser les masses et d’humilier la Catalogne dans un contexte d’intense répression policière. Les Mossos se soumettaient sans problème au changement de commandement, l’administration régionale devenait une vice-royauté… Les cinq années que le PDeCat et l’ERC s’étaient accordées pour « préparer les structures de la future République » était une arnaque. Rien n’avait été préparé. C’était de l’esbrouffe. Le désarroi saisit tous ceux qui avaient fini par croire que derrière les manœuvres secrètes de Junts pel Sí, il y avait quelque chose d’autre qu’une trahison. La CUP, l’ensemble de la gauche indépendantiste (Endavant, Arran, COS) qui avaient joué le jeu, sont restés sans voix, mais tout autant exposés à la répression et aux provocations fascistes. Le sentiment de trahison devint général.

Le seul forum de classe qui avait fonctionné jusqu’alors, le comité syndical qui avait appelé à la grève générale le 3 octobre (CGT-COS-IAC-CSC-CNT), s’est lui aussi disloqué. L’IAC, malgré l’engagement pris d’agir en commun avec ses partenaires, a décidé sans avertissement d’appeler unilatéralement à une nouvelle journée de grève le 8 novembre. Sachant que sa capacité de mobilisation l’empêchait de garantir un résultat significatif, cet appel bloquait la possibilité d’organiser une véritable grève générale illimitée contre la répression espagnole. Ni le gouvernement de Rajoy ni le front bourgeois PDeCat-ERC ne pouvaient rêver meilleur cadeau. La classe ouvrière organisée n’interviendrait pas massivement avec ses propres méthodes et ses propres revendications de classe dans les revendications démocratiques. La grève évitée, le retour dans le giron monarchique était en bonne voie avec des mobilisations « populaires » contrôlées qui permettaient de meilleures conditions de négociation sans autre interférence.

La CUP ne dresse pas le bilan de la débâcle

Le 12 novembre, une assemblée nationale extraordinaire de la CUP déclara que les élections convoquées par Madrid étaient illégitimes mais décida d’y pour participer sous sa propre bannière, étant donné que ses alliés indépendantistes s’étaient soumis à l’article 155, avec même un certain enthousiasme électoral. Le rapport politique approuvé, qui a servi de base au programme pour les élections du 21 décembre, est une véritable dentelle dans laquelle on peut trouver tout et son contraire mais aucun bilan de l’action réelle des membres de la CUP, de la raison pour laquelle ils ont été aussi surpris de la trahison de ce qu’ils appellent « le reste des forces politiques démocratiques et républicaines » (PDeCat et ERC), alors qu’on ne pouvait en attendre rien d’autre que ce qu’elles ont fait.

Dans ses deux documents, la CUP concentre son objectif sur l’Assemblée constituante, la « défense de la République du 1er octobre » et la résistance à la répression. Tout le reste y est subordonné. Certaines revendications de la classe ouvrière sont mentionnées pour « donner du contenu » et construire la République « par en bas ». Mais la République n’existe pas suspendue en l’air. C’est une forme d’État, une forme de pouvoir. Elle est aux mains d’une classe ou d’une autre. Après la débâcle du « procesismo » [le processus d’indépendance], après qu’ait été dilapidées la grande force et la détermination dont les masses ont fait preuve, les dirigeants de la CUP envoient la base se défouler et jouer à « construire d’en bas » une république de poupées. Pendant ce temps, les chefs continueront à faire des choses importantes et chercheront à reconstruire le front républicain dans lequel ils ont été si heureux. Dans ses points 85 et 86, le programme de la CUP le laisse clairement comprendre : elle postule à faire partie d’un « gouvernement républicain » avec un programme en 12 points tout à fait bourgeois, exactement la même ligne politique que celle qui a conduit à l’impasse actuelle. Nous nous trouvons face à un nouveau parti réformiste, basé sur la collaboration de classe, mais sans implantation chez les travailleurs.

Le programme d’un parti révolutionnaire internationaliste

Les élections du 21 décembre font partie du dispositif répressif exceptionnel contre le droit à l’autodétermination du peuple catalan et elles auraient dû être boycottées. Dans ces circonstances, quel que soit le résultat, rien d’important ne changera. Parce qu’il manque aujourd’hui en Catalogne, comme dans toutes les autres nationalités ou à l’échelle de l’État espagnol, une organisation de travailleurs capable de peser sur les événements, avec des positions claires sur l’indépendance et la défense des intérêts de classe, et de faire sienne la revendication démocratique du droit à disposer de lui-même pour chacun des peuples prisonniers de la monarchie héritée de Franco. Seul un véritable parti ouvrier révolutionnaire, organisé dans une internationale ouvrière révolutionnaire, peut la prendre en charge. Il faut le construire.

Un tel parti se battrait pour l’organisation de la classe sur la base de la démocratie ouvrière, dans les comités d’usine, de lieux de travail, de lieux d’étude ou des quartiers ouvriers, pour unifier les forces dispersées sur leurs véritables revendications, pour la fraternité de classe contre l’ennemi commun, indépendamment de la nationalité ou des frontières.

Un tel parti expliquerait, notamment aux jeunes réjouis par les mobilisations mais déçus par le résultat, que l’objectif de « l’indépendance » ou de « république indépendante » proposé par les organisations de la gauche indépendantiste n’a rien de particulièrement positif pour la classe ouvrière, qui doit rester indépendante de la bourgeoisie exploiteuse, et cela, quelle que soit sa langue. Mais il expliquerait aussi que seul un prolétariat puissant, organisé et luttant pour en finir avec la société capitaliste pourrait garantir à la Catalogne le droit de se déterminer démocratiquement et pacifiquement, avec toutes les options soumises à la discussion : séparation totale ou recréation de nouveaux liens sur un pied d’égalité.

Un tel parti expliquerait aux travailleurs que la défense contre les mesures répressives que le gouvernement de la monarchie développe en Catalogne est une tâche qui incombe non seulement aux masses catalanes, mais à l’ensemble de la classe ouvrière de l’État espagnol, sans la solidarité de laquelle ils finiront une fois de plus humiliés et trompés par leurs dirigeants nationalistes, comme cela est arrivé jusqu’à aujourd’hui.

Contre la répression :

  • Forces d’occupation, hors de la Catalogne.
  • Libération immédiate et sans poursuite judiciaire des prisonniers politiques et des militants sociaux. Abrogation de toutes les lois répressives spéciales. Démantèlement de la Cour nationale. Dissolution des corps répressifs, y compris des mossos et de l’erzaintza (police basque),
  • Constitution de comités contre la répression dans lieux de travail, d’études et les quartiers ouvriers.
  • Organisation de la solidarité de la classe ouvrière de l’État espagnol et de l’Europe pour faire cesser toutes les mesures répressives de la monarchie contre la Catalogne.

À bas « l’unité nationale » avec la bourgeoisie, en Catalogne ou dans l’État espagnol, unité de classe pour répondre aux besoins immédiats des masses

Un parti révolutionnaire mettrait en avant les revendications les plus urgentes, celles qui devraient être à la base d’un front de classe, pour rassembler dans la lutte immédiate toutes les organisations prêtes à défendre les travailleurs autour des mesures suivantes

Un programme ouvrier :

  • Travail ou allocation pour tous. Réduction de la journée de travail sans réduction de salaire jusqu’à extinction du chômage.
  • Pas une attaque de plus contre nos salaires, nos droits sociaux ou du travail. Récupération du pouvoir d’achat perdu pendant la crise.
  • Abrogation des réformes des retraites et du travail. Salaire minimum interprofessionnel de 1 500 euros, au niveau de la France, de la Belgique ou de l’Irlande. Pas de salaire inférieur au minimum interprofessionnel. Pas de contrat précaire. Plus de discrimination salariale contre les femmes dès aujourd’hui.
  • Logements bon marché et de qualité pour tous, garantis par l’État ! Plus une seule expulsion ! Gel immédiat des loyers au niveau d’avant la bulle immobilière. Abrogation de la loi hypothécaire ! Municipalisation des terrains urbains. Expropriation des grands propriétaires de logements avec mise à la disposition des familles de travailleurs.
  • Retour à l’indépendance syndicale vis-à-vis de l’État et de l’employeur
  • Légalisation de tous les immigrants. Abrogation de la loi sur les étrangers. Fermeture immédiate des Centres de rétention et d’internement des étrangers (CIES). Ouverture des frontières à tous les travailleurs. Droits égaux pour tous les travailleurs et travailleuses.
  • Défense de la santé publique pour tous de qualité et gratuite à tous les niveaux. Les intérêts privés hors de la santé publique.
  • Pas un euro des finances publiques pour les sectes religieuses ou pour l’enseignement privé. L’enseignement de la religion hors des écoles.
  • Système fiscal basé sur des impôts directs et progressifs pour que la plus grande partie de l’impôt retombe sur le revenu des capitalistes.
  • Nationalisation des banques sous contrôle ouvrier, sans indemnité ni rachat. Annulation de la dette extérieure.
  • Nationalisation sous contrôle ouvrier, sans indemnité ni rachat, des terrains urbains et des grandes entreprises immobilières ou de construction.
  • Nationalisation sous contrôle ouvrier, sans indemnité ni rachat, des grandes entreprises de l’énergie, des transports, des télécommunications.
  • Contrôle ouvrier pour empêcher la fuite des entreprises, des sièges sociaux et des capitaux.
  • Retour immédiat de toutes les troupes espagnoles à l’étranger. Fin des interventions impérialistes.
  • Pour un État bon marché, sans dépenses inutiles ni corruption : À bas la monarchie ! République !
  • Droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées.
  • Pour des gouvernements ouvriers fraternels, en Catalogne et dans tout l’État, pour mettre en œuvre ce programme et tous les moyens nécessaires pour initier la planification de l’économie en fonction des besoins des travailleurs.
  • Pour la République des travailleurs de Catalogne ! Pour la Fédération libre des Républiques ouvrières et socialistes de la péninsule ibérique ! Pour les États-Unis socialistes d’Europe !

17 décembre 2017

INTERNACIEMA KOLEKTIVISTA CIRKLO

(traduction par le GMI)