Sans De Gaulle et Paul Ricard, je ne serais pas ce que je suis. (Charles Pasqua)
Pasqua, orchestrateur des milices gaullistes et des réseaux de la Françafrique, ancien chef des flics en uniforme et de la police secrète, est mort le 29 juin à l’âge de 88 ans.
Les politiciens bourgeois, ceux qui dirigent des partis, qui sont maires, députés, sénateurs, qui passent à la télévision et qui s’exhibent au Salon de l’agriculture… ne seraient rien sans deux sortes de personnages qui restent dans l’ombre : l’état-major et les hauts fonctionnaires d’une part, les exécuteurs de basses œuvres d’autre part. Comme Jean-Marie Le Pen, Charles Pasqua a plus fréquenté, dans les années 1950 et 1960, les tortionnaires que les énarques. Tout en devenant un élu, un responsable national du parti gaulliste aux multiples appellations, un membre de deux gouvernements de la 5e République de la bourgeoisie française, il a passé sa vie à manigancer des coups fourrés, en lien avec des flics, des barbouzes et aussi des malfrats. Ceci expliquant cela.
Fils de policier corse, il s’engage dans la résistance gaulliste avec son père en 1942. Dans les années 1944-1947, De Gaulle parvient, avec l’aide du PCF et du PS-SFIO, à surmonter la crise révolutionnaire, à reconstruire l’État bourgeois et l’empire colonial. Pasqua étudie le droit à l’université. Quand De Gaulle est écarté du pouvoir et fonde le parti bourgeois RPF qui fait le coup de poing contre les militants du PCF, alors nombreux et actifs, Pasqua en est.
Mais ce n’est pas un métier, car le RPF est dans l’opposition. Heureusement pour lui, si les ouvriers et employés communistes (internationalistes ou staliniens) et syndicalistes (CGT) sont souvent licenciés par les patrons, les pétainistes et les gaullistes sont facilement recasés comme cadres par les groupes capitalistes. Dans le cas de Pasqua, Paul Ricard, patron d’une entreprise de boissons alcoolisées basée à Marseille, lui assure l’emploi et une carrière fulgurante puisqu’il est directeur général des ventes en 1962 puis numéro deux du groupe Pernod-Ricard en 1966.
Entretemps, en 1958, suite à un coup d’État militaire, le général De Gaulle revient au pouvoir avec l’aide du PS-SFIO. En 1960, l’UNR nomme sa milice « Service d’action civique » (SAC), avec à sa tête Foccart, Peretti et Pasqua.
Les amis de « Charles » concèdent alors qu’il est facilement séduit par les truands. (Le Monde, 1 juillet 2015)
Pour servir De Gaulle, le SAC rassemble barbouzes, policiers, gendarmes, mercenaires, délinquants de droit commun et même anciens membres français de la Gestapo.
Parlant publiquement devant les citoyens le langage officiel de l’ordre, de la religion, de la famille, de la propriété, Bonaparte a derrière lui la société secrète des escrocs et des voleurs, la société du désordre, de la prostitution et du vol. (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852)
Le SAC occupe alors la place des organisations fascistes (discréditées par leur collaboration avec l’impérialisme allemand de 1940 à 1944) pour agresser les militants ouvriers et les combattants algériens. En mai 1968, des membres du SAC déguisés en ambulanciers ramassent des manifestants pour aller les tabasser au sous-sol de leur siège, rue de Solférino. Le SAC fournit les troupes de choc aux CDR, milice contre-révolutionnaire des gaullistes.
Dès le 17 mai, un manifeste signé du Comité de défense de la République (CDR) dénonce à Marseille l’agitation entretenue par une minorité qui tente d’imposer sa loi… Le 22 mai, le CDR des Bouches-du-Rhône invite à une mobilisation « pour la patrie et pour la France ». Le lendemain, les locaux du PCF sont plastiqués. (Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, 68, une histoire collective, 2008)
Face à la crise révolutionnaire ouverte par le mouvement insurrectionnel de la jeunesse et par la grève générale, le vice-président du SAC Pasqua organise la manifestation réactionnaire du 30 mai aux Champs Élysées tandis que De Gaulle menace d’une intervention de l’armée et que le PCF et la bureaucratie syndicale de la CGT s’emploient à faire cesser la grève générale. Dans les jours qui suivent, les sbires du SAC attaquent, avec les fascistes d’Occident, des lieux occupés par les grévistes.
L’UDR donne à Pasqua, jusqu’alors homme de l’ombre, un visage présentable en le faisant élire député fin juin 1968. Il quitte alors le groupe Ricard. Le parti gaulliste, Pasqua et d’autres SAC lancent en 1969 l’UNI au sein des universités, richement dotée pour contrer l’influence des syndicats et des organisations révolutionnaires, recourant à la calomnie et à la violence physique. Libération publie un plan du SAC prévoyant l’internement de militants ouvriers dans des stades.
Chirac, ancien ministre UDR de l’Intérieur, puis premier ministre de Giscard, préside des réunions nationales du SAC. Après avoir fondé le RPR, Chirac s’appuie sur Foccart et Pasqua. Le ministre du travail de Giscard, Boulin, est « suicidé » en 1979 par le SAC qui fait disparaître ses archives. Chirac fait de Pasqua son chef de campagne présidentielle en 1981. Pasqua emploie tous les moyens pour discréditer le rival de Chirac, Giscard.
Après de nouveaux crimes crapuleux, Mitterrand dissout le SAC en 1982. Chirac nomme Pasqua ministre de l’Intérieur en 1986, son ami Marchiani est placé à la tête des espions (SDECE). Chirac, Pasqua et Pandraud répriment le mouvement étudiant et lycéen de 1986 contre la loi Devaquet : Malik Oussekine, un étudiant est assassiné par la police. Pasqua souhaite en 1988 une alliance du RPR avec le FN : « Le FN se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité ».
Pasqua se prononce contre le traité de Maastricht en 1992. Balladur le nomme à nouveau ministre de l’Intérieur en 1993. Il réprime le mouvement de la jeunesse contre les décrets Balladur instaurant un CIP en 1994, les décrets sont néanmoins retirés. Il est aussi l’auteur de plusieurs lois (9 septembre 1986, 24 août 1993, 24 avril 1997) anti-immigrés permettant de refouler des réfugiés et de précariser les étrangers sans papiers résidant sur le sol français.
Persécuteur de travailleurs venus d’Afrique depuis 1959, il est l’ami de chefs d’État africains.
Les connaisseurs de l’Afrique savent depuis longtemps comment les réseaux Pasqua ont peu à peu pris la place des anciens réseaux Foccart… Charles Pasqua mène en Afrique, notamment dans les pays pétroliers, sa propre diplomatie. Il essaie d’installer un homme à lui – souvent un Corse – chez la plupart des présidents africains. (Le Monde, 1 juillet 2015)
Adversaire depuis 1968 des étudiants de l’université publique, il fonde une université privée surnommée « fac Pasqua » dans le département dont il est président, les Hauts de Seine, le berceau politique des époux Balkany et du futur ministre de l’Intérieur et président de la République Sarkozy. En 1999, Pasqua mène pour les élections européennes une campagne souverainiste avec le vicomte de Villiers.
En 2002, Paqua rit beaucoup quand le PS, le PCF et la LCR appellent à voter, avec lui, pour le « républicain » Chirac au second tour de la présidentielle. En 2005, il fait campagne avec Seguin et de Villiers pour le « Non » au référendum sur le projet de constitution européenne.
Illustrant mieux que quiconque les dessous mafieux de la politique bourgeoise, il est nommé dans énormément d’affaires judiciaires, s’en tirant avec des peines de prison avec sursis.
Son dernier acte politique est de participer, le 30 mai 2015, au congrès de fondation de LR. Sarkozy l’embrasse publiquement ce jour-là.
Les défenseurs de l’État bourgeois et les nationalistes de tout bord se bousculent pour rendre hommage au vendeur d’alcool, au responsable des basses œuvres du gaullisme, au matraqueur d’étudiants, au persécuteur d’étrangers pauvres ou en danger… À l’annonce de son décès, Le Pen père salue « un patriote, un combattant national eurosceptique » ; Philippot, vice-président du FN, célèbre « un grand patriote » ; Hortefeux de LR, ancien ministre de l’Intérieur et grand expulseur d’immigrés regrette « une perte terrible » : «Il a eu le courage de mettre sur la table des sujets qui nous marquent encore aujourd’hui : terrorisme, immigration, sécurité ». Sarkozy estime que « la France perd l’un de ses plus grands serviteurs ». Manuel Valls, premier ministre PS et autre expulseur d’immigrés, évoque un « gaulliste et bon vivant admirateur de François Mitterrand ». Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre de la 5e République et fondateur du PdG, salue « un républicain qui n’avait pas peur ».
Quand on leur parle de « républicains » ou de « patriotes », les travailleurs doivent comprendre : héritiers des fossoyeurs de la Commune de Paris, des fauteurs de deux guerres mondiales, des oppresseurs des peuples coloniaux, des briseurs de grève, des préparateurs de listes de « rouges » à enfermer dans les stades…
Depuis le 29 juin, il s’en compte un de moins.
1 aout 2015