Gruppe Klassenkampf (Groupe lutte de classe) : Le Parti socialiste autrichien : « Aïe, un tabou brisé ! »

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Un gouvernement régional SPÖ-FPÖ qui fait scandale

« Le SPÖ a brisé un tabou ! », gémissent les dirigeants de SJÖ (Jeunes socialistes d’Autriche) et les centristes d’Autriche, en particulier ceux qui veulent construire, sans succès, « l’aile révolutionnaire de masse » du SPÖ depuis plus d’un quart de siècle. Même les éditorialistes de la presse « libérale » lancent l’accusation de « briser le tabou » envers les gros bonnets du SPÖ de la région du Burgenland (à l’est, à la frontière avec la Hongrie) et son président Hans Niessl.

Tout ce monde vise la coalition entre le SPÖ et le FPÖ xénophobe (Parti de la liberté d’Autriche) dans le Burgenland après les élections fin mai 2015. Le Gouverneur Niessl aurait ainsi violé une décision fédérale du SPÖ. Une violation d’une règle imaginaire, ce qui ne serait de toute façon pas notre problème, mais celui de la direction du Parti socialiste.

Par contre, la règle sociale-démocrate qui existe bel et bien est celle de 1969, dite « déclaration d’Eisenstadt » (la capitale de Burgenland), jamais abrogée. Contre le front unique ouvrier, elle exclut toute forme de coopération avec les « communistes », désignant par là le parti stalinien KPÖ et les organisations révolutionnaires. Dans la pratique, les SJÖ et les étudiants sociaux-démocrates ont à plusieurs reprises ignoré cette interdiction et ont ensuite été victimes d’intimidation par les bureaucrates du parti et menacés d’expulsion. Ce rappel prouve que les décisions de la direction du SPÖ dépendent toujours de considérants opportunistes et n’ont rien à voir avec la défense de principes…

Des décennies de bloc avec l’ÖVP ou le FPÖ

Rappelons aussi que, depuis 1945, le SPÖ n’a été dans l’opposition au niveau fédéral que 17 ans sur 70. Il a gouverné pendant 53 ans, la plupart du temps en coalition avec des partis bourgeois. Entre 1945 et 1964, de 1987 à 1999, de 2006 à 2015, le SPÖ s’est allié à l’ÖVP (Parti populaire autrichien) chrétien-démocrate pour former un gouvernement de coalition « rouge – noir » (le noir est la couleur de l’ÖVP). Entre 1983 et 1986, les sociaux-démocrates ont même constitué un gouvernement de coalition « rouge – bleu » avec le FPÖ xénophobe (le bleu est la couleur du FPÖ).

Bien sûr, il y a quelques différences idéologiques entre l’ÖVP et le FPÖ. Toutefois, la parenté est grande : l’ÖVP, qui est majoritaire dans la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et les paysans les plus riches, a ses origines dans les CS, le parti chrétien-social d’avant la Seconde Guerre mondiale devenu fasciste et dictatorial en 1933. Le FPÖ, basé sur les professions libérales, des éléments paysans, l’encadrement… a émergé après-guerre à partir du nazisme. L’ÖVP n’est pas un « bon » parti bourgeois, meilleur que le FPÖ. Et le FPÖ n’est pas non plus un « parti nazi », agressant les organisations ouvrières et préparant le renversement du parlement, comme le disaient les opportunistes pour couvrir leurs projets front-populistes.

Les communistes internationalistes ne rejoignent pas le chœur des jérémiades actuelles sur le « bris du tabou » par le SPÖ du Burgenland. L’alliance au niveau fédéral avec l’ÖVP est aussi condamnable que celle au niveau régional avec le FPÖ. L’une prépare l’autre.

On ne peut pas se lamenter sur Niessl et fermer les yeux devant la politique nationale du SPÖ. Le chef du gouvernement fédéral, l’éternellement souriant et discret chancelier social-démocrate Faymann, a dans son Conseil des ministres Mikl-Leitner, la ministre de l’Intérieur ÖVP qui fait déjà en pratique ce que demande le FPÖ pour l’avenir : mesures contre l’immigration, fermeture des frontières, expulsions… Dans le gouvernement « rouge »-« noir » figure aussi Kurz, le ministre ÖVP des Affaires étrangères, qui ressemble à une marionnette de la chancelière allemande Merkel sur l’Ukraine ou sur la Grèce, voire de Strache, le chef du FPÖ (« Réduction les dépenses sociales pour les immigrants des pays de l’UE »).

Le SPÖ est un parti traître depuis 1914

Le réel « bris de tabou » de la social-démocratie – si nous voulons vraiment utiliser ce mot moralisateur – date de 101 ans. En 1914, la plupart des partis ouvriers, dont le SPÖ, passèrent dans le camp de leur bourgeoisie dès l’ouverture de la Première Guerre mondiale. Le « burgfrieden » (union sacrée) a subordonné les intérêts des travailleurs à ceux des puissances impérialistes belligérantes.

Qu’a fait la sociale-démocratie dans cette guerre ? Exactement le contraire de ce qu’ordonnaient les congrès de Stuttgart et de Bâle [de l’Internationale ouvrière]. (Rosa Luxemburg, La Crise de la sociale-démocratie, mars-avril 1915, ch. 6)

Le social-patriotisme du SPD, du PS-SFIO, du LP, du POB… a été combattu par les marxistes internationalistes (Lénine, Zinoviev, Radek, Gorter, Pannekoek, Luxemburg, Liebknecht, Trotsky…) avec véhémence. Cette trahison des résolutions antérieures de la 2e Internationale était la victoire de l’opportunisme dans les organisations ouvrières politiques et syndicales de masse, exprimant la cristallisation de bureaucraties privilégiées échappant au contrôle de la base.

Des dizaines d’années de « paix » [au sein des pays impérialistes] ne se sont pas écoulées sans laisser de traces ; il était inévitable qu’elles donnent naissance à l’opportunisme dans tous les pays, en lui assurant la suprématie parmi les « chefs » parlementaires et syndicalistes, les dirigeants de la presse, etc. (Vladimir Lénine, Chauvinisme mort et socialisme vivant, décembre 1914)

Contre toute alliance avec la bourgeoisie

Les révolutionnaires de l’époque impérialiste rejettent toute forme de coalition avec les partis bourgeois. Ce n’est pas une question abstraite idéologique, un dogme. Cela ressort des considérations politiques claires et compréhensibles qui pourraient être prises sur la théorie mathématique des ensembles : chaque coalition doit être nécessairement une intersection des positions politiques communes de ses composants individuels. Donc, c’est automatiquement le programme le plus réactionnaire qui façonne la politique du gouvernement.

Celui qui rejette la coalition « rouge – bleu » dans le Burgenland, devrait également rejeter la coalition « rouge – noir » au niveau fédéral. Au lieu de désespérément appeler à une condamnation par le parti national du petit Machiavel du Burgenland, il faudrait exiger, de façon conséquente : « dehors les ministres ÖVP du gouvernement ! ».

Si nous proposons aujourd’hui dans les discussions avec des membres du Parti social-démocrate qu’ils doivent affrontent les dirigeants de leur parti avec cette exigence, nous ne le faisons pas parce que nous avons des illusions dans ce parti qui fait une politique bourgeoise depuis 1914. Nous le faisons pour aider les travailleurs qui voient encore dans le SPÖ (avec dégout croissant et sous forme déformée) « leur » parti, à comprendre son véritable caractère.

Pour un autre type de parti

À cause de son influence dans les syndicats, et donc dans les entreprises, le SPÖ se présente encore comme le parti des travailleurs. Cela lui confère également sa valeur pour la classe dirigeante. Tant que l’influence du SPÖ permet de canaliser les éventuelles protestations des travailleurs ou de les tuer dans l’œuf (avec le « partenariat social »), il est encore utile comme flanc-garde pour la bourgeoisie.

Avec sa politique bourgeoise, la bureaucratie du SPÖ mine cette influence politique de plus en plus, elle commet un suicide lent et douloureux. Malheureusement, faute d’organisation ouvrière révolutionnaire de taille suffisante, le réformisme jette aussi de nombreux travailleurs et jeunes dans l’impasse.

Son intégration dans l’État bourgeois, ses beaux discours sur un capitalisme humain, le discrédit qu’il jette sur le socialisme laissent la base et l’électorat du parti sans protection contre les attaques de la part des démagogues petits-bourgeois du FPÖ.

La seule défense contre les attaques de la bourgeoisie à tous les niveaux – salaires, temps de travail, discrimination, protection sociale, logement, santé, instruction…, face à l’emprise croissante de la réaction nationaliste, xénophobe, cléricale… sera uniquement une lutte de classe consciente, déterminée des exploités et des opprimés contre la classe dominante. Nous subissons tous les jours la lutte de classe des capitalistes. Pour riposter, pour mener la lutte de classe des salariés, nous avons besoin d’une alternative révolutionnaire : un parti ouvrier démocratique, révolutionnaire et internationaliste, section de la nouvelle internationale communiste.

26 juillet 2015
Gruppe Klassenkampf (Groupe lutte de classe)