La 1re Guerre mondiale (2)
L’Internationale ouvrière face au militarisme

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Les premières organisations prolétariennes internationales et la guerre

Avec l’affirmation du capitalisme comme mode de production dominant dans les sociétés européennes, américaine et japonaise, s’est développée au 19e siècle la classe des prolétaires modernes. La masse informe des exploités qui suait la plus-value – abrutie de travail, de misère, d’alcool et de religion ; réprimée violemment par la police, la justice et l’armée – s’est mue, par ses luttes, ses organisations, l’apport des intellectuels devenus communistes par contact avec l’avant-garde britannique et française de l’époque, en une classe ouvrière consciente. La forme la plus élevée de l’émergence de la nouvelle classe révolutionnaire est l’internationale : d’abord la Ligue des communistes (1847-1852) puis l’Association internationale des travailleurs (1e Internationale, 1864-1876), rassemblant tous les courants du mouvement ouvrier de l’époque.

La LC prône ouvertement la révolution dans son programme (Manifeste du parti communiste), soutient la guerre des Polonais et des Hongrois contre les empires autrichien et russe, participe à la guerre civile en Allemagne contre la monarchie prussienne durant la révolution européenne de 1848-49. L’AIT soutient Lincoln durant la guerre civile américaine de 1861-65, s’oppose à la guerre franco-prussienne de 1870 et soutient la Commune de Paris dans la guerre civile qui l’oppose au gouvernement de Versailles appuyé par la Prusse en 1871 (La Guerre civile en France).

La force du mouvement ouvrier européen à la veille de la 1e Guerre mondiale

Quand la classe ouvrière surmonte la défaite de la Commune de Paris, elle construit des organisations de masse en Grande-Bretagne, Allemagne, Australie, Belgique, Suède, Autriche, etc. Une nouvelle internationale naît à Paris en 1889.

Dans l’Internationale ouvrière, qui sera appelée plus tard « 2e Internationale », le parti central, par son effectif et par l’autorité de ses dirigeants, est le SAP (Parti socialiste des ouvriers allemands) qui résulte de la fusion en 1875 de l’ADAV (le parti des partisans de Lassalle) et du SDP (celui des marxistes) lors du Congrès de Gotha. Le problème est que l’héritage politique de Lassalle (qui avait négocié, secrètement, en 1863-64 avec le chancelier Bismarck) est la confiance dans l’État national et, par conséquent, l’hostilité à l’activité internationale du prolétariat et à la grève générale. En 1890, après une interdiction, il se renomme SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne). En 1911, le nombre de salariés syndiqués est de 2,5 millions. En mars 1912, le SPD obtient 4 millions de suffrages et 110 députés au Reichstag (sur 397), il a aussi 220 élus dans les différents Landtags provinciaux, 12 000 conseillers municipaux. En 1914 le nombre des adhérents du SPD dépasse le million (dont 175 000 femmes). Le parti publie 89 quotidiens.

En Autriche-Hongrie, le SDAP (Parti ouvrier social-démocrate) obtient plus d’un million de voix et 88 députés aux élections de 1907.

En Grande-Bretagne, le nombre de syndiqués est de 2,9 millions en 1911. Mécontents du Parti libéral qu’ils ont soutenu jusque-là, les dirigeants de la confédération syndicale (TUC) créent le LP (Parti travailliste) en 1906. En 1910, le LP totalise plus de 500 000 suffrages et obtient 40 députés à la Chambre des communes.

En France, la Confédération générale du travail est créée en 1895 par les anarchistes de la variante syndicaliste révolutionnaire. Leur théorie est simpliste : la grève générale suffirait à accomplir la révolution. La CGT compte plus de 700 000 syndiqués en 1910. Sous la pression de l’Internationale, les organisations socialistes fusionnent en 1904. Le Parti socialiste unifié, dominé par Jaurès, rassemble 63 000 adhérents en 1912. Il remporte plus d’un million de suffrages aux élections de 1910 et 76 élus à la Chambre des députés.

Dans la motion adressée aux socialistes français en 1904, le congrès d’Amsterdam de l’Internationale déclare : « Il ne doit y avoir qu’un Parti socialiste comme il n’y a qu’un prolétariat ». L’unité à tout prix a le mérite d’organiser les travailleurs en masse. Le revers est qu’elle se réalise sur le terrain électoral et pacifique, sur la base des illusions dans le parlementarisme et la démocratie bourgeoise.

Les dizaines d’années de l’époque dite pacifique ont accumulé dans tous les pays d’Europe une masse de fumier petit-bourgeois opportuniste à l’intérieur des partis socialistes… permanents des syndicats légaux, parlementaires et autres intellectuels, commodément installés dans le mouvement de masse légal… Le parti socialiste type de l’époque de la 2e Internationale était un parti tolérant en son sein l’opportunisme. (Vladimir Lénine, « Que faire maintenant ? », janvier 1915, Œuvres t. 21, p. 105-107)

L’Internationale ouvrière face aux menaces de guerre

Mais l’Internationale est plus que la somme de ses partis. Au congrès de Paris, en 1889, une résolution antimilitariste est prise. Revendication principale : la substitution des milices populaires aux armées permanentes.

En 1891, le congrès de Bruxelles, « considérant que la situation de l’Europe devient chaque année plus menaçante ; considérant les campagnes chauvines des classes dirigeantes, invite tous les travailleurs à protester, par une agitation incessante, contre toutes les tentatives de guerre et… déclare que la responsabilité des guerres retombe en tous cas sur les classes dirigeantes ».

En 1893, le congrès de Zurich déclare : « La social-démocratie révolutionnaire internationale doit s’insurger avec la plus grande énergie contre les aspirations chauvines des classes dirigeantes. Les représentants des partis ouvriers sont tenus de refuser tous les crédits militaires et de protester contre le maintien des armées permanentes ».

En 1896, le congrès de Londres déclare : « La classe ouvrière de tous les pays doit s’opposer à la violence provoquée par les guerres, tout comme elle s’oppose à toutes les violences des classes dirigeantes à son égard ».

En 1900, au congrès de Paris, l’Internationale décide catégoriquement que : « Les députés socialistes de tous les pays sont inconditionnellement tenus de voter contre toutes les dépenses militaires, navales, et contre les expéditions coloniales ».

En 1907, à Stuttgart, après avoir examiné la question sous tous les aspects, l’Internationale adopte une résolution circonstanciée, dont l’amendement de Lénine, Luxemburg et Martov : « si la guerre éclate pourtant, les socialistes ont pour devoir d’intervenir pour en hâter la fin et tirer de toute façon parti de la crise économique et politique, pour soulever le peuple et précipiter par là même la chute de la domination capitaliste ».

En 1910 à Copenhague, la résolution de Stuttgart est confirmée et l’Internationale déclare une fois de plus que c’est « le devoir invariable » des députés socialistes de refuser tous les crédits de guerre.

En novembre 1912, au congrès de Bâle, réuni pendant la guerre des Balkans, l’Internationale formule une claire menace de révolution si les gouvernements criminels vont jusqu’à la guerre mondiale. « Que les gouvernements n’oublient pas, déclare le congrès de Bâle, que la guerre franco-allemande a provoqué l’éruption révolutionnaire de la Commune, que la guerre russo-japonaise a mis en mouvement les forces révolutionnaires des peuples de la Russie. Les prolétaires considèrent comme un crime de se tirer les uns sur les autres pour les bénéfices capitalistes, les rivalités dynastiques et les traités diplomatiques secrets ».

De son côté, la CGT française mène une campagne antimilitariste permanente et essaie d’organiser les conscrits.

Confusions, hésitations et manœuvres à la veille de la guerre

À la suite du congrès de Bâle, en décembre 1912, de vigoureuses manifestations ouvrières contre la guerre ont lieu dans toute l’Europe ; le Parti socialiste SDAP, le plus directement concerné, s’oppose vigoureusement aux menées du gouvernement austro-hongrois.

Quand l’État français étend le service national à 3 ans en janvier 1914, le PS répond : « Nous prétendons que la loi de Trois ans compromet la défense nationale et qu’il sera plus urgent de l’abolir, que la situation extérieure sera plus inquiétante… » (L’Humanité, 7 juin). La ligne de Jaurès et de toute l’Internationale est de tenter de convaincre les gouvernements bourgeois qu’ils font fausse route, au lieu de les abattre.

Cette façon de voir vise à persuader la bourgeoisie que l’impérialisme et le militarisme lui sont nuisibles du point de vue de ses propres intérêts capitalistes, à isoler ainsi la soi-disant poignée de profiteurs de cet impérialisme et à former ainsi un bloc du prolétariat avec de larges couches de la bourgeoisie pour atténuer l’impérialisme… (Rosa Luxemburg, « Critique des critiques », 1913, Œuvres t. 4, p. 222)

Après l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, dans toute l’Europe, l’IO tient des meetings et des manifestations. Le 27 juillet, la CGT appelle à manifester à Paris ; la répression est sévère. Le 28 juillet, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Ce jour-là, des centaines de réunions publiques se tiennent dans toute l’Allemagne à l’appel du SPD. Le 28 juillet, la CGT appelle à un meeting le 29 à Paris.

Mais quand le gouvernement l’interdit, la CGT le décommande. Le 31 juillet, le secrétaire général « anarcho-syndicaliste » de la CGT, Jouhaux, reçoit une lettre du syndicaliste allemand Carl Legien, qu’il cache à tous. Le 31 juillet, Jaurès qui se démène pour empêcher la guerre, est assassiné. La direction du PS-SFIO annonce qu’elle n’appellera pas à manifester. La direction de la CGT commence à discuter, secrètement, avec le ministre de l’Intérieur Malvy. Le 1er août, les dirigeants socialistes et syndicalistes qui redoutaient leur arrestation (une liste, le « carnet B », est en effet prévue par en cas de guerre) obtiennent la garantie du gouvernement qu’ils ne seront pas emprisonnés.

À l’ouverture du conflit, la plupart des organisations ouvrières, en France comme ailleurs, vont se rallier à leur bourgeoisie et à la guerre.

[à suivre]