Brésil : Lula avec les Églises contre le droit à l’avortement

Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards. (Marx, 12 septembre 1847)

Face au très réactionnaire Bolsonaro, l’ex-président brésilien Lula, candidat pour la sixième fois à la tête de l’État, s’affiche de plus en plus clérical. Dans le but de capter une partie de l’électorat chrétien, notamment évangélique, acquis au président sortant, le candidat du PT (le principal parti réformiste) et du PSB (un parti bourgeois) multiplie les opérations séduction.



Le poids de la religion chrétienne et des cultes concurrents dans la société capitaliste brésilienne est important pour quiconque respecte le jeu démocratique bourgeois. Plus de 60 % de la population est catholique. Les évangéliques représentent, quant à eux, un quart de la population, mais leur proportion augmente aux dépends des premiers et les dépassent au milieu des années 2030. La capacité de mobilisation électorale du clergé est suffisamment importante pour lui permettre de jouer un rôle politique.

Le Monde, 6 octobre 2018


Dans leurs sermons, la plupart des pasteurs évangéliques présentent Lula comme l’incarnation du mal et de Satan. À la Chambre des députés, les parlementaires évangéliques rassemblés dans un front revendiquent plus d’un tiers des sièges. Ce front parlementaire, soutien de Bolsonaro et lié au grand patronat, fustigeait en 2018 le PT dans un manifeste nommé « Le Brésil aux Brésiliens ».

La tragédie qui a traversé le Brésil au cours des dernières décennies a, entre autres, eu pour cause l’utilisation par les partis politiques des écoles publiques et des universités, devenues des instruments idéologiques qui préparent la jeunesse à la révolution communiste, à la dictature totalitaire à l’instar de l’Union soviétique et d’autres régimes sanguinaires. (Front parlementaire évangélique, Manifeste à la nation – Le Brésil aux Brésiliens, 24 octobre 2018)

Bien que politiquement favorables au grand capital, les évangéliques recrutent principalement dans les populations les plus pauvres en dehors des villes, là où l’Église catholique est absente. Les croyants reversent en moyenne 10 % de leurs revenus aux différentes sectes évangéliques. Leur influence se traduit dans le corps électoral où elle peut représenter 20 % et apparait donc comme déterminante à ceux qui se proposent de diriger l’État bourgeois. Déjà, en octobre 2010, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, pour contrer les attaques du mouvement « pro vida » animé par les évangéliques contre elle, la candidate du PT Dilma Rousseff avait affirmé sa foi chrétienne et assuré ne pas vouloir modifier la législation sur l’avortement ni sur le mariage homosexuel.

Et c’est, cette fois encore, la raison du cléricalisme affiché du candidat du PT. D’abord en avril 2022, alors qu’une partie de sa base réclame au moins la dépénalisation de l’avortement (il n’est toléré qu’en cas de viol, de danger pour la mère ou de non-viabilité du foetus et constitue sinon un crime), Lula s’empresse de la rejeter.

Je suis contre l’avortement. J’ai cinq enfants, huit petits-enfants et une arrière-petite-fille. (Lula, Rádio Jangadeiro Bandnews, 7 avril 2022)

Il réaffirme que la loi actuelle sur l’avortement lui convient et qu’il n’y touchera pas.

La loi existe et la loi dit comment un avortement peut ou ne peut pas se produire. Ce n’est pas le rôle d’un Président de la République. C’est le rôle du pouvoir législatif. (Lula, conférence de presse à Guarulhos, 7 avril 2022)

Un mois avant le premier tour, il participe à une réunion évangélique, lors de laquelle des pasteurs bénissent un Lula pieux la main tendue vers leur dieu.

AP – Rodrigo Abd


Au lendemain du premier tour, le bon résultat réalisé par Bolsonaro le convainc d’accentuer encore dans l’obscurantisme. Il réitère sur l’avortement.

Non seulement je suis contre l’avortement, mais toutes les femmes que j’ai épousées sont contre l’avortement. Et je pense que presque tout le monde est contre l’avortement. Non seulement parce que nous sommes des défenseurs de la vie, mais aussi parce que ce doit être une chose très désagréable et douloureuse pour quelqu’un de se faire avorter. (Lula, O Estado de S. Paulo, 7 octobre 2022)

Puis il rédige une lettre spécifiquement à destination des évangéliques, dans laquelle il rappelle les engagements de ses deux mandats en faveur de la religion, notamment l’officialisation par décret de deux journées nationales religieuses (la « Marche pour Jésus » et la « journée nationale des évangéliques ») et l’expansion qu’ont connue les églises sous sa présidence.

Avec la prospérité que nous avons contribué à construire, c’est sous notre gouvernement que les Églises se sont le plus développées, surtout les Églises évangéliques, sans aucune entrave et elles ont même pu envoyer des missionnaires dans d’autres pays. (Lula, Lettre d’engagement aux évangéliques, 19 octobre 2022)

Il rassure ensuite les différents clergés sur les actions de son futur gouvernement, celui-ci « n’adoptera aucune attitude qui porte atteinte à la liberté de culte et de prédication ou qui crée des obstacles au libre fonctionnement des Églises ». Au contraire, le candidat du PT compte bien maintenir la classe ouvrière et la jeunesse sous la coupe des responsables religieux en stimulant « de plus en plus le partenariat avec les Églises dans la prise en charge de la vie du peuple et des familles brésiliennes », feignant de s’alarmer sur les difficultés de la population brésilienne il explique avoir « besoin de l’aide des Églises pour inverser cette situation ».

Loin de vouloir diminuer le poids de cet opium sur les travailleurs, le champion de la gauche confesse son respect et son admiration pour la foi des évangéliques, explique qu’il sera élu avec « les bénédictions de Dieu » et réaffirme sa position réactionnaire sur la question de l’avortement.

Pour moi, la vie est sacrée, elle est l’œuvre des mains du Créateur, et mon engagement a toujours été et sera toujours de la protéger. Je suis personnellement contre l’avortement et je rappelle à tous que ce n’est pas une question qui doit être décidée par le Président de la République, mais par le Congrès national. (Lula, Lettre d’engagement aux évangéliques, 19 octobre 2022)

25 octobre 2022