Vague de vandalisme après l’arrestation d’un ancien président
De violentes émeutes se sont déroulées en Afrique du Sud entre le 7 juillet et le 12 juillet, après l’arrestation de l’ancien président Jacob Zuma (deux mandats successifs, de 2009 à 2017) pour purger une peine de 15 mois d’emprisonnement. Ce dernier avait été condamné par la Cour constitutionnelle le 29 juin, pour avoir refusé de comparaitre devant l’enquête judiciaire pour des affaires de corruption durant sa présidence. Il avait aussi été inculpé pour viol en 2005.
Durant 5 jours, 1 200 magasins, 1 400 distributeurs de billets, 200 centres commerciaux ont été pillés et saccagés dans de grandes villes comme Durban, Johannesburg et Pretoria. Les pilleurs parfois armés de fusils et de cocktails Molotov se sont emparés de vêtements, nourriture, appareils électriques face à une police débordée et souvent spectatrice. La principale artère du pays, reliant les deux provinces les plus peuplées, celles du KwaZulu Natal et du Gauteng, a dû être fermée après les incendies de camions. Des infrastructures de télécommunications ont été attaquées, ainsi que des entrepôts industriels, obligeant la principale raffinerie du pays à fermer, tout comme le port de Durban, le plus grand d’Afrique subsaharienne. De longues files d’attente se sont formées devant les stations-service et les magasins de Durban et de Johannesburg.
Des voyous ont même bloqué les routes permettant aux personnels soignants et aux médecins de se rendre dans les hôpitaux, attaqué des ambulances, perturbé la distribution des vaccins alors que la population subie une troisième vague de la pandémie de Covid-19.
Le bilan humain était à la mi-juillet de 337 morts, dont de nombreuses personnes piétinées lors des scènes de chaos ou d’affrontements, victimes de tirs d’agents de sécurité ou de groupes d’autodéfense. Une période de troubles qui fait suite aux pogroms récurrents contre des travailleurs immigrés du Bengladesh, de Somalie, d’Éthiopie…
Les règlements de compte entre les affairistes de l’ANC
Il n’est pas anodin que les troubles ont affecté particulièrement la province du KwaZulu-Natal, fief du clan de Zuma. Jacob Zuma, 79 ans, est un cacique du vieux parti nationaliste bourgeois (African National Congress, ANC) au pouvoir depuis 1992 avec le Parti communiste (SACP) et la principale confédération syndicale (COSATU). Il était, à l’époque de l’apartheid, aussi dirigeant du SACP stalinien.
Le prestige de l’ANC s’est peu à peu érodé, si bien qu’en 2018, une clique de l’ANC, autour de Cyril Ramaphosa, a sacrifié Zuma. Ramaphosa a joué la carte de la lutte contre la corruption pour le remplacer.
Zuma aurait pillé 30 milliards d’euros (au total 10 % du PIB) sur plusieurs années, selon le State Capture Report (2016). Ce document a établi l’influence de la famille Gupta, conglomérat industriel d’origine indienne, aidés par l’un des fils du président, dans les opérations d’attribution de juteux contrats publics (dont le groupe capitaliste français Thales). Sa famille et ses partisans ont diffusé des mensonges sur les motifs de son arrestation, en qualifiant les troubles de « colère juste du peuple », son fils, Edward, prévenant qu’il y aurait « du sang sur le sol » si son père était envoyé en prison.
En 2011, Zuma s’était déjà débarrassé de deux ministres au nom de l’éthique. En mai 2021, Ramaphosa a écarté de la même manière Ace Magashule, qui était secrétaire du parti, après son arrestation en 2020 pour accusation de corruption lors de son mandat de premier ministre de la province de l’État-Libre.
Ramaphosa ne vaut pas mieux que Zuma. Devenu rapidement multimillionnaire comme actionnaire, entre autres, des mines Lonmin à Marikana, il a appelé en 2012 les autorités à intervenir contre les mineurs en grève. Cela a donné le feu vert aux forces de sécurité pour tirer sur les grévistes, tuant 34 personnes et en blessant 78 autres.
Zuma détient encore des soutiens forts au sein de l’appareil d’État et du parti majoritaire. Nombre de ses partisans, qu’il avait nommés, occupent encore des postes, en particulier dans sa province natale. Cette clique le considère comme sa meilleure chance d’enrichissement.
Ramaphosa a déclaré le 13 juillet : « Que les choses soient claires : nous allons prendre des mesures pour protéger chaque personne dans ce pays contre la menace de violence, d’intimidation, de vol et de pillage ». Sous-entendu, l’armée agirait pour protéger les grandes entreprises et la bourgeoisie sud-africaine des masses furieuses. Il a déployé l’armée (25 000 soldats) pour aider la police. Car la priorité du gouvernement de Ramaphosa était de rétablir l’ordre pour redynamiser un capitalisme fragilisé par la pandémie, en annonçant des « réformes structurelles » pour doper la croissance.
La bourgeoisie et les couches supérieures de la petite bourgeoisie n’ont pas attendu le recours aux forces publiques pour se protéger. Dans une station balnéaire de luxe de Durban, tous les accès avaient été bloqués par des habitants en armes. Le pays compte de très nombreuses sociétés privées de sécurité, soit deux à trois fois plus de gardes que d’agents de police, des milices patrouillent dans les banlieues huppées et défendent les sièges sociaux des entreprises capitalistes.
Le bilan partagé de toutes les cliques de l’ANC et du SACP
Les émeutes étaient nourries de la situation économique et sociale et de l’existence de nombreux déclassés. L’Afrique du Sud est d’ailleurs parmi les pires États du monde en matière de criminalité (meurtres, viols, etc.). Le calme est revenu en partie parce que Zuma a quitté la prison pour l’hôpital. Mais les clans de l’ANC et les partis bourgeois d’opposition (DA, EFF…) rivalisent toujours dans la démagogie face à la situation sanitaire, économique et sociale catastrophique.
De 1989 à 1994, l’État bourgeois a été sauvegardé lors du processus de transition, sur l’instigation de l’impérialisme américain et de la bureaucratie de l’URSS, faisant pression sur le NP au pouvoir et l’ANC alors illégale, alors que la mondialisation de la production mettait en cause le régime autarcique et que la classe ouvrière noire tendait à prendre la tête de la lutte contre l’oppression coloniale et raciste.
Pour cela, Mandela est célébré par les médias bourgeois et reçoit le prix Nobel. L’ANC est alors portée aux nues par tous les partis sociaux-démocrates et staliniens (pro-Moscou ou pro-Pékin), suivis par bon nombre d’organisations révisionnistes du trotskysme. Mais c’est bien l’ANC, avec sa politique de la main tendue à la bourgeoisie raciste blanche, derrière le mythe de la nation arc-en-ciel, qui sauve l’essentiel pour la bourgeoisie sud-africaine, même si celle-ci est contrainte d’abandonner l’apartheid et de faire d’importantes concessions démocratiques. En effet, le but de la direction de l’ANC n’a jamais été celui d’un gouvernement ouvrier, mais de prendre une part déterminante dans le capitalisme sud-africain.
Depuis 1994, l’alliance tripartite ANC-SACP-COSATU a défendu le capitalisme sud-africain. Le seul changement social a été l’intégration d’une couche de dirigeants politiques et syndicaux à la bourgeoisie. En 2005, l’ANC a même fusionné avec le NP (l’ancien parti de l’apartheid).
Le pays est parmi les plus inégalitaires au monde : 1 % de la population accapare 40,8 % du patrimoine national (Crédit suisse, Global Wealth Report, juin 2021). Le secteur public de santé couvre 84 % de la population mais ne regroupe que 30 % des médecins du pays, tandis que le secteur privé au service des 16 % restants de la population peut compter sur 70 % des médecins (Oxfam, Le Virus des inégalités, janvier 2021).
À la crise économique s’est rajoutée celle de la pandémie de la Covid-19. En 2020, le PIB a fléchi de 17 % et le confinement a aggravé la précarisation et la misère. La reprise de 2021 est jusqu’à présent insuffisante pour ramener la production et l’emploi au niveau antérieur. Le chômage frappe officiellement 7,2 millions de travailleurs, soit 32 % de la population active (Stats SA, Quarterly Labour Force Survey, 1 juin 2021).
La maladie a fait officiellement 65 000 victimes parmi les 60 millions d’habitants, bien que les chiffres de surmortalité indiquent que 100 000 autres personnes, sinon plus, sont mortes directement ou indirectement à cause de la pandémie. Plus de 2 millions d’emplois ont disparu en 2020.
Dans certaines zones, les privations de nourriture, d’eau, d’électricité sont régulières, et le prix des aliments a augmenté en même temps que le chômage. L’État accorde une aumône Covid de 350 rands mensuels aux personnes les plus démunies (cela représente 20 euros par mois alors que le seuil de pauvreté est à l’équivalent de 35 euros).
Pour la rupture avec la bourgeoisie, pour un gouvernement ouvrier et paysan
Les travailleurs sud-africains, noirs, blancs, métis, indiens… n’ont rien à attendre des rivalités et des promesses creuses de l’une ou de l’autre des factions de l’ANC ni des autres partis bourgeois (DA, EFF) qui se situent tous dans le cadre de maintien du capitalisme sud-africain. Les organisations apparues à la gauche du SACP (WASP, SRWP) végètent faute d’un programme vraiment prolétarien.
Les travailleurs doivent exiger la rupture des syndicats (COSATU, SAFTU…) et du parti de masse existant (SACP) avec l’État bourgeois et l’ANC. Leur avant-garde doit se constituer en un parti ouvrier de type bolchevik pour tracer une voie révolutionnaire et internationaliste.
- Front unique pour la vaccination gratuite et généralisée, l’expropriation des groupes pharmaceutiques et des cliniques privées, des moyens massifs pour les hôpitaux publics !
- Front unique ouvrier pour le partage du travail entre tous et toutes et pour l’augmentation des salaires, avec un minimum de 12 500 rands par mois !
- Front unique ouvrier pour l’autodéfense des grèves et des manifestations, face à l’armée, à la police, aux milices privées et aux groupes fascistes !
- Ainsi, la classe ouvrière pourra lutter efficacement contre les exploiteurs de toutes les couleurs, prendre le pouvoir, impulser la révolution permanente dans toute l’Afrique, ouvrir la voie des États-Unis socialistes d’Afrique sur tout le continent.