Depuis le 28 avril, des centaines de milliers de travailleurs des villes, d’étudiants et de paysans pauvres, dont beaucoup appartiennent à des peuples indigènes, ont abandonné le travail, paralysé les villes, bloqué les routes principales, affronté les forces de police militarisées, pris d’assaut les postes de police pour libérer les détenus. À ce jour, le gouvernement reconnait que 42 manifestants ont été tués, que des milliers ont été blessés et des associations recensent plus de 70 personnes disparues. Le gouvernement a retiré le projet de loi fiscale qui visait à introduire une taxe sur les denrées alimentaires, les biens et les services de première nécessité et à accroitre le fardeau fiscal des classes populaires. Mais ni la répression ni ce retrait n’ont mis fin aux grèves et à la mobilisation.
Le signal de départ a été le 28 avril une des innombrables « grèves nationales » d’une journée appelées par le Commandement national de la grève, composé des directions des trois principales confédérations syndicales (CUT, CTC et CGT), du syndicat des enseignants (FECODE) et d’organisations de défense des peuples indigènes.
La grève a été étendue, les manifestations turbulentes. Elles ne se sont pas terminées à la fin de la journée, comme l’exigeaient les dirigeants syndicaux, mais ont continué, même lorsque, le 1er mai, le président a ordonné l’état de siège. Elles se sont poursuivies le 2 mai, malgré le retrait du projet de réforme fiscale, et elles se poursuivent quinze jours plus tard, ignorant les « négociations » du Commandement national de la grève avec Duque et les appels au retour à la « normalité ».
L’explication est simple. La mobilisation ne répondait pas seulement au projet fiscal. Elle ne se réduisait pas à une simple secousse sociale provoquée par la crise sanitaire et l’aggravation du chômage et de la pauvreté. Les mobilisations actuelles aussi sont le prolongement de celles de fin 2019, paralysées par la pandémie et l’enfermement. Comme à l’époque, les objectifs répondent à la lutte contre le projet gouvernemental qui vise à :
- éliminer les pensions de retraite en tant que droit des travailleurs et les privatiser complètement,
- supprimer le salaire minimum unique pour l’ensemble du territoire national (en régionalisant son montant) et pour tous les travailleurs (les jeunes ne recevraient que 75 %),
- privatiser de nombreuses entreprises publiques,
- renforcer la législation répressive et l’armement de la police militarisée.
Comme en 2019, les syndicalistes, les militants sociaux et les paysans pauvres exigent également « le respect des accords de paix de 2016 », c’est-à-dire la fin des exécutions paramilitaires dans les villes et les campagnes. Rappelons que rien qu’en 2020, plus de 300 militants de toutes sortes d’organisations sociales ont été assassinés. Les accords de paix comprenaient également des clauses (non respectées) promettant de restituer aux paysans une grande partie des terres dont ils avaient été expulsés pendant la guerre civile et qui se sont retrouvées entre les mains de propriétaires terriens ou de sociétés pétrolières et minières.
En plus de ces revendications, la crise pandémique a mis les demandes de soins de santé à l’ordre du jour. En 2008, Uribe avait complètement privatisé l’Institut de sécurité sociale, l’organisme public qui gérait les soins de santé publics. Aujourd’hui, la santé est gérée par un réseau très complexe d’entreprises, dont la part du lion est détenue par des capitaux américains. Le système s’est effondré en 2013, avec des non-paiements généralisés et le refus des entreprises de fournir des services de santé à la population sans ressources. Le système de santé ne s’est jamais remis de cet effondrement (les dettes et les litiges avec les entreprises se poursuivent) et s’est trouvé, lors de la pandémie, sans volonté ni capacité de faire face aux besoins urgents en matière de personnel, d’installations et d’approvisionnement en médicaments. En 2020-2021, des dizaines de milliers de décès évitables – dus au Covid-19 et à de nombreuses autres maladies – ont résulté de la privatisation des soins de santé.
En outre, la crise économique qui s’est combinée à la pandémie a fait grimper le chômage au niveau le plus élevé enregistré au cours des 20 dernières années, multipliant le travail informel et l’insécurité alimentaire. Les dernières données du Departamento Nacional de Estadística estiment qu’en 2020, 3,6 millions de personnes supplémentaires sont passées sous le seuil de pauvreté, pour atteindre 42,5 % de la population. La même agence estime que 1,7 million de familles colombiennes n’ont pas accès à 3 repas par jour.
Cependant, les bureaucrates du Commandement national de la grève n’y voient aucune raison pour renverser le président et son gouvernement. Comme en 2019, ils maintiennent la politique de convocation des journées de grève (28 avril, 5 mai, 12 mai…) comme simple moyen de pression pour engager des négociations qui n’aboutissent jamais, mais qui démobilisent les masses par épuisement. Voici le bilan de certains des protagonistes de la réunion de négociation du 10 mai 2021 :
« Il n’y a pas eu d’empathie du gouvernement pour les motifs, les revendications qui nous ont conduits à cette grève nationale, il n’y a pas eu d’empathie avec les victimes de la violence qui a été exercée de manière disproportionnée contre les manifestants qui ont agi de manière pacifique », dit Francisco Maltés, président de la Centrale des travailleurs unitaires (CUT). Pour sa part et à l’issue de la réunion, le haut-commissaire pour la paix, Miguel Ceballos, a déclaré que « il y a une coïncidence dans le rejet de la violence et une tolérance zéro pour toute conduite des forces de sécurité qui va à l’encontre de la Constitution et de la loi »… « Dans ce contexte de consultation, nous avons demandé aux membres du Comité national de grève s’ils étaient d’accord avec le gouvernement pour créer un cadre de discussion avec la présence et la garantie des Nations unies et de l’Église catholique, ce à quoi ils ont répondu par l’affirmative, ce que nous apprécions », a déclaré le fonctionnaire. (CNN en espagnol, 10 mai 2021)
Alors que les masses, à Cali et dans le reste du pays, sont déterminées à en finir avec Duque et ses projets de famine et de privatisation, alors que chaque jour il y a des affrontements avec la police qui produisent un mort après l’autre, les dirigeants syndicaux pleurnichent parce que le gouvernement n’a aucune empathie ! Comme si ce n’était pas le gouvernement qui veut faire porter le poids de la crise sur les travailleurs et qui a militarisé les villes et envoyé les forces spéciales de la police pour assassiner les manifestants.
Au plan politique, les héritiers du stalinisme version Moscou, Pékin ou La Havane (Colombia Humana, Polo Democrático Alternativo, FARC-Comunes) s’inclinent tous devant le capitalisme et l’État bourgeois. Aucun ne se prononce pour la rupture des négociations et l’autodéfense des masses.
La classe ouvrière, les paysans pauvres, la jeunesse issue des classes laborieuses ne peuvent attendre de ces dirigeants rien de nouveau ou de différent de la trahison systématique des intérêts des masses. Ils doivent organiser des assemblées générales et élire des comités dans les entreprises et les administrations, créer des conseils dans les quartiers, dans les villages, dans les universités, centraliser les organes de base régionaux et nationaux pour constituer la direction politique des ouvriers, des employés, des paysans, des étudiants et des peuples indigènes. Ils doivent créer leurs propres milices d’autodéfense face aux attaques de la police et des paramilitaires.
Pour gagner et mettre un terme définitif à tant de misère et d’oppression, ils doivent s’organiser en un parti ouvrier révolutionnaire pour renverser le gouvernement bourgeois et le remplacer par leur propre gouvernement.
- À bas Duque et tous ses projets de famine et de misère ! Non aux négociations du Commandement national de la grève avec le gouvernement ! Grève générale ! Rupture de toutes les organisations de travailleurs et d’opprimés avec Duque et l’État bourgeois ! Une seule confédération syndicale démocratique et de lutte de classe !
- Libération des disparus ! Désarmement et dissolution de la police, des milices paramilitaires et de l’armée ! Milices ouvrières et paysannes pour les remplacer !
- Assemblées et conseils dans les entreprises, les universités, les quartiers et les administrations pour constituer la direction politique des ouvriers, des employés, des paysans, des étudiants et des peuples indigènes !
- Vaccins gratuits pour tous ! Annulation sans compensation de toutes les privatisations, en commençant par les soins de santé publics ! Des soins de santé publics universels, gratuits et de qualité !
- Un enseignement public universel, laïc et gratuit à tous les niveaux !
- Diminution du temps de travail sans réduction de salaire, jusqu’à la fin du chômage !
- Expropriation des banques, des grands groupes énergétiques, miniers, industriels, agroalimentaires, de transport, de communication, etc., sous contrôle ouvrier !
- Expropriation des grands domaines sans compensation ! Socialisation de la terre et remise aux paysans !
- Respect des peuples autochtones et des minorités nationales !
- Expulsion des bases américaines de toute l’Amérique latine !
- Pour un gouvernement des travailleurs de Colombie ! Pour les États-Unis d’Amérique latine !