En mars 2020, sa propagation a précipité la nouvelle crise économique mondiale qui se préparait [voir Révolution communiste n° 39].
Le PIB mondial plonge de 4,6 % en 2020. Des milliards de travailleurs exploités ou formellement indépendants prennent des risques pour faire vivre la société. D’autres sont mis au chômage, appauvris, affamés. Le 7 octobre, la Banque mondiale estime qu’entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires sont soumises à une extrême pauvreté (moins de 1,90 $ par jour) : 43,6 % de la population mondiale vit avec moins de 5,50 $ par jour.
La gestion de la pandémie actuelle est menée État par État, pour préserver les intérêts des capitalistes de chaque pays et garantir l’ordre social ; les grandes puissances rivalisent pour sauver leurs groupes au détriment du reste du monde.
Ouvrant un espoir immense, les travailleurs de la recherche conçoivent des dizaines de vaccins. Mais une poignée de grandes entreprises en sont propriétaires et en escomptent des profits gigantesques.
L’incurie des États bourgeois
Rapidement, la collaboration mondiale entre scientifiques et médecins dévoile les caractéristiques du Sras-CoV-2. La science avait déjà identifié quatre coronavirus sources de simples rhumes : 229E, NL63, OC43 et HKU1, ainsi que deux causant aussi des pneumonies : Sras-CoV-1 et Mers-CoV. Ces derniers avaient provoqué des épidémies, finalement endiguées, respectivement en Asie de l’est (2003) et en Asie de l’ouest (2012) [voir Révolution communiste n° 40].
Alors, l’oligopole international des grands groupes pharmaceutiques (les « Big Pharma ») abandonne la recherche sur des médicaments devenus non rentables. La soif du profit et l’anarchie capitaliste interdisent à l’humanité de disposer rapidement de traitements et de vaccins contre ce type de virus, puis à la pénurie.
Le gouvernement chinois met longtemps avant de comprendre qu’il a affaire à une épidémie et préfère persécuter les lanceurs d’alerte. Pendant tout un temps, les États ne disposent que du confinement, des « mesures barrières » (distanciation, masques, nettoyage répété) pour préserver la population. Certains dirigeants « populistes » (aux États-Unis, au Brésil, en Grande-Bretagne…), voire de respectables sociaux-démocrates (en Suède), croient stupidement pouvoir sacrifier les vieux et les pauvres pour atteindre l’immunité collective.
Jusqu’au développement de l’hygiène, des vaccins, et des antibiotiques, quand nos seules armes contre les microbes étaient nos défenses naturelles, elles permettaient généreusement à l’humanité une espérance de vie moyenne d’environ vingt-cinq ans, qui n’a que peu augmenté depuis le Paléolithique jusqu’à l’aube de la révolution industrielle. Les maladies infectieuses étaient la première cause de mortalité jusqu’à la « révolution pastorienne » (au sens large) ; en Europe 35 % de la population atteignait l’âge de 40 ans à la fin du XIXe siècle, alors que l’espérance de vie y atteint 80 ans environ actuellement. Des chercheurs ont bien montré que cette augmentation récente de l’espérance de vie reflète d’avantage le développement de l’hygiène, des vaccins et des médicaments anti-infectieux que l’ajustement par sélection naturelle de notre système immunitaire à des microbes en coévolution avec l’homme. (Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax, la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Vendémiaire, 2019, p. 211-212)
Tous les États dissimulent l’impact et le surcroit de mortalité. Le confinement est dramatique pour certaines activités (tourisme, restauration, spectacles…) et frappe inégalement les classes sociales : les travailleurs du secteur informel, les étudiants pauvres, etc. sont particulièrement touchés. En France, des statistiques officielles confirment que ce sont les travailleurs en première et deuxième ligne, les mal-logés, ceux vivant dans des quartiers populaires, souvent issus de l’immigration, qui sont les plus touchés (Insee Première n° 1822, octobre 2020).
Certes, les tests mis au point au début de l’épidémie mondiale permettent d’améliorer le dépistage. Cependant, au printemps, même en Europe occidentale, les populations payent le prix des politiques d’austérité qu’ont subies depuis des décennies les systèmes de santé publique, et de l’impréparation des gouvernements malgré l’avertissement de l’épidémie en Chine. Même les hôpitaux manquent de protections et de produits. Chaque État, chaque collectivité locale, achète des masques sur le marché mondial, un produit simple que la spéculation rend 100 fois plus cher ! En France, le ministre de la Santé, Véran, assure le 6 mars que « l’usage du masque en population générale n’est pas utile ». Partout, le manque de lits et de personnels impose aux hôpitaux de repousser des opérations et des examens. Les maisons de retraite sont particulièrement touchées. De nombreuses personnes âgées meurent sans leurs proches, parfois sans soins. Au paroxysme de l’épidémie, l’austérité dont sont victimes les hôpitaux publics depuis des décennies conduit les responsables médicaux au tri des malades, les plus faibles n’accédant pas aux soins de réanimation.
Enfin, c’est l’occasion d’escroqueries juteuses de la part de grands groupes capitalistes. Certains fournissent sciemment aux hôpitaux et aux laboratoires d’analyse du monde entier des automates de tests qui ne fonctionnent pas, comme l’Alinity du groupe américain Abbott. D’autres vendent aux États ou aux hôpitaux des traitements inefficaces contre le covid-19, comme la chloroquine (qui est dans le domaine public) et le Remdésivir du groupe américain Gilead,
Un contrat a été passé avec la Commission, alors même que le laboratoire Gilead connaissait les résultats négatifs d’un essai clinique de l’OMS. (Le Monde, 27 novembre 2020)
La vaccination, un progrès pour l’humanité
Dès le début de la pandémie, la Chine a communiqué le génome du virus et les centres de recherche biologiques des universités et des groupes capitalistes concernés se sont lancés dans la course aux vaccins. Un vaccin est une substance d’origine microbienne (microbes vivants atténués ou tués, substances solubles) qui, administrée à un individu ou à un animal, lui confère l’immunité à l’égard de l’infection déterminée par ce microbe (bactérie, virus).
En 1796, constatant que les fermières qui traient les vaches ne sont pas touchées par la variole, un médecin anglais, Jenner, utilise le pus produit par la variole du bovin, la vaccine, pour la transmettre à l’homme par incision et contact direct. Pasteur met au point en 1880 des remèdes contre d’autres maladies bactériennes (maladie du charbon, rage…) en laissant ses cultures vieillir puis en cherchant à les atténuer. En hommage à Jenner, il nomme sa technique « vaccin ». La pratique préventive consistant à inoculer le microbe atténué à des sujets sains s’impose. Elle permet au corps humain de disposer des défenses immunitaires contre la véritable maladie. La vaccination se développe tout au long du XXe siècle contre la tuberculose, le choléra, la rage, la variole, la rougeole, les oreillons, la rubéole, la varicelle, la poliomyélite, la grippe, le papillomavirus, les hépatites, le tétanos, la fièvre jaune… Ainsi, en 1979 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonce l’éradication de la variole qui a tué des millions d’humains.
Les premiers vaccins à ARN messager
En temps ordinaire, il faut du temps pour mettre au point un vaccin grâce à une collaboration entre firmes et État.
Le cycle de développement d’un vaccin est estimé à douze ans en moyenne, pour un coût global de plus de 500 millions d’euros, et des opérations de contrôle qualité qui représente 70 % du temps de production. Par ailleurs l’industrie des vaccins ne peut se développer sans coopération rapprochée avec les États et leurs diverses autorités de santé : en plus des interventions multiples qui concernent tous les médicaments, de l’AMM (Autorisation de mise sur le marché) à la négociation des tarifs, les États passent commande des vaccins. Ce marché est donc programmable, assuré, évitant les stocks d’invendus vite périmés, ce qui constitue un confort et une sécurité pour les laboratoires producteurs, mais pour des tarifs très négociés et des marges souvent faibles par rapport à beaucoup d’autres médicaments. (Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax, la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Vendémiaire, 2019, p. 274)
Face au Sras-CoV-2, 70 vaccins sont développés en 2020 dans le monde selon trois méthodes, deux éprouvées et une nouvelle.
Le rôle de l’ARN est identifié par le biologiste français François Gros, à 31 ans, en 1956. Une chercheuse de 23 ans, Katalin Kariko, quitte la Hongrie en 1985 et poursuit ses recherches sur l’ADN et l’ARN aux États-Unis, sans financement ni titularisation professorale. Finalement, de 2005 à 2008, avec Drew Weissman, immunologiste et chercheur d’un vaccin contre le sida, elle met au point un ARN modifié capable de produire dix fois plus de protéines que l’ARN naturel. L’Université de Pennsylvanie vend le brevet en 2018 à trois jeunes pousses. Ces sociétés signent des accords avec les géants du secteur : CureVac avec Bayer en 2020, Moderna avec AstraZeneca et Merck, BioNTech avec Pfizer dès 2018.
En janvier 2020, CureVac (Allemagne), BioNTech (Allemagne) et Moderna (États-Unis) développent un procédé vaccinal inédit appelé « à ARN messager » qui utilise les molécules qui produisent les protéines au sein des cellules de tout organisme vivant.
Pour la première fois de l’histoire de la vaccination, l’antigène inoculé n’est pas une protéine virale ou un virus atténué, mais des brins d’acide ribonucléique « messagers » (ARNm) qui codent génétiquement cette protéine… Objectif : « forcer » la machinerie cellulaire à fabriquer la protéine virale contre laquelle l’organisme devra apprendre à se défendre. Une quasi-thérapie génique, à ceci près que l’ARN messager vaccinal n’interagit pas avec le génome dans le noyau des cellules et se dégrade rapidement. (Sciences et avenir, janvier 2021)
Si l’on programme l’ARN astucieusement, il n’y a plus besoin d’atténuer le virus. Cette méthode permet d’élaborer rapidement un vaccin mais sa conservation nécessite une température très froide. Même si les essais n’intègrent pas assez de personnes de plus de 75 ans, ni de femmes enceintes ou de bébés, les résultats sont là : en deux injections, l’immunité est efficace à plus de 90 %. La campagne de vaccination contre le covid-19 peut débuter.
Fonds publics, brevets privés
L’invention et la production des vaccins se fait dans le cadre du capitalisme : concurrence entre entreprises, utilisation de la recherche publique par les grandes entreprises privées, financement direct par l’État de ses grands groupes, brevet pour assurer un monopole temporaire. La vaccination elle-même, qui dépend de l’autorisation d’agences nationales (régionale dans le cas de l’UE), est aussi affectée : tarifs prohibitifs facturés aux États par les groupes capitalistes, priorité aux États impérialistes au détriment des pays dominés.
Les monopoles [on dirait aujourd’hui « groupes »] privés et les monopoles d’État s’interpénètrent à l’époque du capital financier, les uns et les autres n’étant que des chaînons de la lutte impérialiste entre les plus grands monopoles pour le partage du monde. (Lénine, L’Impérialisme, 1916, ch. 5)
Le Forum social de Davos lance la fondation CEPI en 2017, avec l’aide des époux Gates et de l’UE pour associer « privé » et « public » en matière de vaccins. Parmi les 9 bénéficiaires des subventions de la CEPI, on retrouve l’allemand CureVac.
La recherche de base sur les vaccins, dont bénéficient les groupes capitalistes Pfizer et Moderna, est menée aux États-Unis par les NIH (Instituts nationaux de la santé), l’armée et les laboratoires universitaires (dont l’Université de Pennsylvanie) financés à partir des impôts.
Gamaleïa est officiellement un institut public russe qui collabore avec l’agence de la santé Rospotrebnadzor et l’armée. Le concurrent russe, Vektor, est carrément un organisme militaire en charge de la guerre bactériologique.
Le groupe chinois Sinopharm est une filiale commune d’un groupe public et d’un groupe privé. CanSino collabore avec l’armée ; il est coté à la bourse de Hongkong et compte parmi ses actionnaires une entreprise pharmaceutique américaine (Lilly) ainsi qu’une société d’investissement publique chinoise (SDIC). SinoVac est un groupe chinois privé coté à la seconde bourse de New-York (NASDAQ) ; Sino Biopharmaceutical, une entreprise chinoise qui mêle capitaux publics et privés, y injecte l’équivalent de 500 millions de dollars.
Un des actionnaires de CureVac est la banque publique allemande KfW.
En outre, l’État américain verse 10 milliards de dollars entre mars et décembre 2020 à Moderna (2,48 milliards), Johnson and Johnson (1,46 milliard), AstraZeneca-Oxford (1,2 milliard), Novavax (1,6 milliard), Sanofi-GSK (2,1 milliards). Le fonds souverain russe RDIF finance Gamaleïa pour un montant inconnu. L’État allemand donne 375 millions d’euros à BioNTech. Chaque année, Sanofi perçoit entre 110 et 150 millions d’euros de l’État français au titre du « crédit impôt recherche », ce qui ne l’empêche pas de réduire le nombre de chercheurs.
Vaccins et rivalités impérialistes
La fin de la pandémie exige, selon les épidémiologistes, que 70 % de la population mondiale soit immunisée. Pour un potentiel de 8 milliards d’humains, il faut, à raison de 2 injections par personne, produire 16 milliards de doses.
Les détails financiers de nombreux contrats d’achat sont entourés de secret. La CEPI, le Royaume-Uni et les États-Unis ont payé les vaccins et financé la recherche pour les développer. (Ewen Callaway, Pour la science, 31 aout 2020)
Grâce à une erreur sur Twitter d’Eva De Bleeker, secrétaire d’État belge, les prix négociés par la Commission européenne ont été dévoilés le 17 décembre : 1,78 euro l’unité pour AstraZeneca, 6,93 pour Johnson and Johnson, 7,56 pour Sanofi/GSK, 10 pour Curevac, 14 pour Pfizer-BioNTech, 14,68 pour Moderna.
Les contrats connus montrent que certains États ont réservé de quoi vacciner plusieurs fois leur population alors que les pays pauvres ne sont pas sûrs d’accéder au sésame. Plus de 50 % des doses ont déjà été réservées pour seulement 15% de la population mondiale. Le Canada disposera, de 9,5 doses par habitant ! L’UE de 3,1 doses/habitant, comme l’Australie et les États-Unis. L’Inde a passé commande de 1,2 milliard de doses pour 1,4 milliard d’habitants… Le Brésil se retrouve pour l’instant avec 0,7 dose/habitant.
L’OMS et certains États financent la Covax, une alliance humanitaire créée pour diffuser les vaccins aux 92 pays les plus pauvres. Mais la Covax ne dispose pas encore de tous les fonds (2 milliards de dollars sur les 4,6 promis).
Cela laisse le champ libre à la Russie et la Chine qui se disputent les États défavorisés avec des vaccins peut-être moins efficaces pour certains, mais souvent moins chers (à part celui d’Astra Zeneca) et plus simples à acheminer.
Le capital financier a engendré les monopoles. Or, les monopoles introduisent partout leurs méthodes : l’utilisation des « relations » pour des transactions avantageuses se substitue, sur le marché public, à la concurrence. Rien de plus ordinaire que d’exiger, avant d’accorder un emprunt, qu’il soit affecté en partie à des achats de produits dans le pays prêteur, surtout à des commandes d’armements… (Lénine, L’Impérialisme, 1916, ch. 4)
Lors du sommet Chine-Afrique le 18 juin, en présence notamment des présidents égyptien, kenyan, algérien, sud-africain, Xi a promis un « accès prioritaire » au vaccin comme son premier ministre l’a fait le 24 aout pour les pays du Mékong. Parallèlement, il rappelle sa volonté de « renforcer la coopération dans le cadre des nouvelles routes de la soie » (Le Monde, 20 décembre).
La Russie impose son vaccin en Argentine, en Biélorussie, en Bolivie, en Guinée, au Kazakhstan, en Serbie… L’Algérie le choisit aussi : le président se fait soigner en Allemagne mais adopte Spoutnik V pour sa population, tandis que Poutine s’est bien gardé de se faire vacciner avec celui-ci. La Chine exporte ses vaccins au Brésil, au Cambodge, en Égypte, aux EAU, au Kenya, au Maroc, aux Seychelles, en Ukraine…
Pour le partage et la gratuité des vaccins et des traitements
Le capitalisme conduit l’humanité à sa perte, mais apporte aussi les moyens de le dépasser : le développement scientifique et technique, l’immense armée des producteurs salariés.
Le monopole accapare la main-d’oeuvre spécialisée, les meilleurs ingénieurs ; il met la main sur les voies et moyens de communication… Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production ; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale. La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus. Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable. (Lénine, L’Impérialisme, 1916, ch. 1)
Devant la pandémie, la classe ouvrière, main-d’oeuvre décisive de la production et des soins, doit lutter pour rendre l’accès gratuit et sûr à la santé . L’obstacle sur ce chemin est la propriété privée des moyens de production.
Celle-ci fait de produits essentiels pour la santé comme les vaccins, les masques, les tests, les réanimateurs, les automates d’analyse… des marchandises. Mais on peut en dire autant du logement, de la nourriture, du transport, de l’énergie, de la culture… pourquoi devraient-ils rester, à notre époque, des marchandises ? Pourquoi la force de travail de la majorité des travailleurs du monde doit-elle encore prendre la forme d’une marchandise dont l’exploitation permet aux détenteurs des moyens de production de contrôler la production, les produits du travail et de s’approprier la survaleur, source du profit ?
Le préalable de la socialisation intégrale de la production est la collaboration internationale sans souci du gain, la levée du secret sur les contrats, le partage des brevets, l’expropriation des groupes pharmaceutiques et médicaux sous le contrôle de leurs salariés et de la population laborieuse. Cela ne peut aboutir qu’avec une révolution socialiste planétaire menée par la classe ouvrière avec tous les exploités et tous les opprimés.