Dans les pays industriels les plus avancés, nous avons dompté les forces de la nature et les avons contraintes au service des hommes ; nous avons ainsi multiplié la production à l’infini, si bien qu’actuellement un enfant produit plus qu’autrefois cent adultes. Et quelle en est la conséquence ? Surtravail toujours croissant et misère de plus en plus grande des masses, avec, tous les dix ans, une grande débâcle. (Friedrich Engels, « Introduction », 1876, Dialectique de la nature, ES, p. 42)
Les virus SRAS
La pandémie du virus SRAS-CoV-2 a touché 6,4 millions d’humains dans le monde, 3,2 millions ont guéri et 381 000 en sont morts, selon les informations communiquées par les États qui en sous-estiment probablement l’ampleur. Partie de la ville de Wuhan en Chine en décembre 2019, elle s’est propagée à toute la planète. Le nouveau virus déclenche la maladie appelée Covid-19 qui peut engendrer un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS en français, SARS en anglais) qui peut conduire jusqu’au décès, notamment chez les sujets les plus vieux et ceux déjà malades (cancer, diabète…).
Le SRAS-CoV-2 fait partie de la famille des coronavirus qui produit généralement sur notre espèce des grippes. Les virologues en dénombrent des centaines chez les volailles et les mammifères : félins, rongeurs, porcs, chauve-souris, 7 chez les humains. Si 4 d’entre d’eux conduisent à des rhumes habituellement sans conséquence, 3 peuvent être mortels.
Le virus SRAS-CoV-1 contamine de novembre 2002 à l’été 2003 plus de 8 000 personnes et en tue 800 dans 29 pays, principalement en Chine et à Hongkong.
Le SRAS, au départ nommé pneumopathie atypique, est caractérisé par une fièvre élevée (>38°C), associée à un ou plusieurs symptômes respiratoires : toux sèche, essoufflement, difficultés respiratoires. D’autres symptômes peuvent être constatés comme des maux de tête, des douleurs musculaires, des diarrhées et un malaise général. La durée d’incubation ne dépasse généralement pas 10 jours. L’OMS considère que le taux de létalité global est de 15 % et peut dépasser 50 % chez les personnes de plus de 65 ans. Le SRAS s’est vite avéré être transmis d’homme à homme par l’air, probablement par des gouttelettes de salive contaminées. Il s’est rapidement propagé au niveau mondial à la faveur des transports aériens, les flambées les plus importantes s’étant concentrées dans les plaques tournantes aéroportuaires ou dans des zones à fortes densités de population. (Institut Pasteur, SRAS, 9 avril 2020)
Les autorités compétentes comprennent qu’il y a un danger pour l’humanité entière.
SRAS apparaît d’une manière qui suggère un grand potentiel pour une extension rapide de la maladie du fait d’un monde mobile et intimement interconnecté. Les données indiquent une période d’incubation de 2 à 10 jours (en moyenne 2 à 7 jours), permettant à l’agent infectieux d’être transporté sans être suspecté ni détecté par un passager asymptomatique d’une ville du monde à une autre ville ayant un aéroport international. La transmission de personne à personne par proche contact avec les sécrétions respiratoires a été démontrée… La concentration de cas parmi le personnel soignant qui était jusqu’alors en bonne santé et la proportion de patients nécessitant des soins intensifs sont particulièrement inquiétantes. Cette « maladie du 21e siècle » pourrait avoir également d’autres conséquences. Si SRAS devaient s’étendre, les conséquences économiques,– déjà estimées à environ 30 milliards $US – pourraient s’avérer énormes dans un monde si interconnecté et interdépendant. (Organisation mondiale de la santé, Un mois d’épidémie mondiale de SRAS, 11 avril 2003)
Autre signal d’alarme, le MERS-CoV sévit de 2012 à 2015 en restant cantonné par contre au Proche-Orient. Pourtant, quand le SRAS-CoV-2 apparait et se répand, même la Chine n’est pas préparée (sauf Hongkong). Font exception la Corée du sud et Taiwan.
Les épidémies d’avant le capitalisme
Des virus et des bactéries ont précédé les formes de vie pluricellulaires et ont interagi avec les formes de vie ultérieures plus complexes, dont les mammifères. Depuis leur apparition, il y a plus d’un milliard d’années, ils ont évolué au contact des autres êtres vivants sur notre planète. La plupart ne sont ni nocifs, ni favorables aux humains. Certains lui sont utiles depuis leur apparition : nous sommes porteurs de ce type d’organismes invisibles à l’oeil nu et cette symbiose procède au bon fonctionnement de notre corps. D’autres, plus tard, ont été utilisés par les sociétés humaines (pour la fermentation, par exemple, qui donne le pain, des produits laitiers et des boissons alcoolisées).
Mais il arrive aussi que notre espèce subisse l’agression d’un agent pathogène qui vit et se multiplie à ses dépens. Les maladies infectieuses sont inséparables de l’humanité. Inhérentes aux relations entre la nature et notre espèce, ces infections proviennent de bactéries, de virus, de levures ou de parasites pluricellulaires.
En règle générale, un virus donné ne passe pas d’une espèce à l’autre. Mais, par mutation, il arrive qu’un virus modifié y parvienne. Une partie des germes pathogènes pour les humains sont d’origine animale, sauvage ou domestique, on parle alors d’une zoonose. Par exemple le bacille de la peste a pour origine les rongeurs et est transmis par le rat à l’homme. Réciproquement, l’homme est la cause d’épizooties (épidémies chez les animaux) comme la bactérie responsable de la tuberculose bovine qui est plus « jeune » par son génome que celle de l’homme.
Les maladies contagieuses les plus létales sont la tuberculose, la peste, le choléra, le typhus, la variole, la malaria (le paludisme), la grippe, la fièvre jaune…
On en trouve trace dès l’Antiquité : une fièvre typhoïde venant d’Éthiopie frappe la Grèce, en pleine guerre du Péloponnèse, faisant environ 70 000 morts sur une population qu’on peut estimer autour de 200 000 habitants. Périclès n’en réchappe pas et la civilisation grecque décline. Cinq siècles plus tard, la peste antonine, qu’on suppose être la variole ou une fièvre hémorragique, ravage et déstabilise l’Empire romain, et fait disparaître un tiers de la population de Rome. Puis c’est la peste dite de Justinien, au VIe siècle, qui atteint tout le bassin méditerranéen et provoque le décès de 20 millions à 25 millions de personnes, stoppant toute tentative de consolidation de l’Empire romain face aux Barbares. Racontée par Grégoire de Tours, elle fournit le récit classique d’une épidémie de peste bubonique telle qu’elle frappera désormais périodiquement l’Occident jusqu’au XVIIIe siècle. Elle prend en quelque sorte la suite de la lèpre, qui décroît au XIVe siècle. (Françoise Hildesheimer, « Cette mondialisation de masse des phénomènes épidémiques, c’est du jamais vu », Le Monde, 16 mai 2020)
Les superstitions et les croyances battent alors leur plein. Si les savants de la Grèce antique décrivent avec pertinence des cas cliniques, ils ne connaissent pas l’explication rationnelle et ne proposent guère de remède. C’est toujours le cas de la médecine traditionnelle chinoise. Une telle ignorance face aux fléaux fut largement exploitée par les clergés qui assuraient être en lien avec les divinités responsables et se nourrissaient des craintes et même du désastre.
Le début de la science
Avec l’apparition du capitalisme, la rationalité progresse, les sciences et les techniques font un bond en avant. Cela vaut pour les sciences biologiques et les techniques médicales. On découvre la cause microbienne des épidémies : Yersin (peste, 1894), Koch (tuberculose, 1882 ; choléra, 1883), Pasteur (rage, 1885), Laveran (paludisme, 1880). Ils identifient l’agent pathogène et parfois découvrent un vaccin.
Il faut dire haut et fort que c’est grâce aux vaccins que la mortalité due aux maladies infectieuses (en particulier chez les jeunes enfants mais aussi les personnes âgées) a diminué de manière spectaculaire dans tous les pays développés. On meurt encore de maladie infectieuse même dans ces régions, mais ces infections (souvent nosocomiales) sont causées principalement par des germes multirésistants aux antibiotiques et contre lesquels il n’existe pas encore de vaccin. Pour la même raison, on y meurt aussi du sida. En revanche, c’est l’insuffisance souvent dramatique de politiques de vaccination qui est à la base des pathologies infectieuses multiples (représentant la principale cause de morbidité et de mortalité) sévissant dans les pays sous-développés, s’ajoutant au fait qu’il n’existe pas encore de vaccin efficace contre plusieurs maladies endémiques dans ces régions (malaria, dengue, sida). (Georges Werner, « Histoire de certaines maladies infectieuses : leur éradication est-elle utopique ? », Revue d’histoire de la pharmacie n° 362, 2009)
Les conditions sociales facilitant la contagion
Les guerres sont toujours propices aux épidémies. Avec le déclin du capitalisme, elles sont bien plus amples. La première guerre mondiale est arrêtée par la victoire de la révolution en Russie (1917) et son début en Allemagne (1918) et en Hongrie (1919). Entretemps, le conflit facilite les épidémies qui se moquent des frontières (choléra, typhus…) à cause des conditions de vie des soldats sur le front, des prisonniers de guerre dans les camps, des réfugiés qui fuient les combats ou sont expulsés pour leur ethnie, des civils mal nourris. À la fin de la guerre, une épidémie mondiale de grippe cause 50 millions de morts de 1918 à 1920, sans que l’agent pathogène soit identifié. Partie de Boston en septembre 1918, elle se propage à partir de soldats américains à l’Europe puis en Afrique et en Asie. Elle est dite à tort « espagnole ».
Les belligérants de la première guerre mondiale comptaient déjà des milliers de victimes de la grippe quand elle arriva dans notre pays. Mais les moyens de communication y taisaient la catastrophe pour ne pas saper le moral de la population et des soldats. L’Espagne était neutre et, oui, elle rendit publique la virulence de la maladie. C’est pourquoi elle fut nommée « grippe espagnole ». (Fátima Uribarri, « La gripe español, la gran pandemia mundial », El Semanial, 6 février 2018)
Aujourd’hui, si des maladies sont en régression notable (peste, rage) ou totale (variole), d’autres perdurent. Les maladies infectieuses font actuellement 20 millions de morts chaque année (sur 56 millions de décès) : le sida (1 million), le paludisme (1,2 million), la tuberculose (1,4 million) sont avec les pneumonies (2 millions) les plus meurtrières en 2020. Le manque de vaccinations, de médicaments, d’accès à l’eau saine et à l’électricité sont les causes de ces morts évitables, le plus souvent ignorées par les groupes pharmaceutiques, les gouvernements des puissances impérialistes et les médias capitalistes.
L’élevage capitaliste de masse
Parfois, le virus est issu de l’élevage intensif domestique (la grippe porcine H1N1 en 2009, la grippe aviaire H5N1 en 1997…).
Une analyse de réseau (comme ceux utilisés largement en épidémiologie) permet de déterminer les espèces domestiques qui contribuent le plus au partage (et à l’échange) de pathogènes entre les humains et l’ensemble des animaux domestiques. Ces espèces centrales dans le réseau sont infectées par de nombreux agents pathogènes qui infectent également de nombreuses autres espèces du réseau. Les espèces les plus anciennement domestiquées sont les plus riches en agents zoonotiques, agents qu’elles partagent avec les humains et avec les espèces domestiquées plus récemment. (Serge Morand, Émergence de maladies infectieuses, Quae, 2016, p. 23)
Le mouvement de concentration capitaliste se produit au début du XXe siècle dans l’élevage permettant involontairement de diffuser en leur sein des maladies et, parfois, de les transmettre aux humains. La concentration des animaux domestiques conduit à l’affaiblissement de leur système immunitaire. L’ethnologue Mike Davis, le biologiste Robert Wallace et bien d’autres chercheurs établissent la relation entre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses et le mode de production actuel.
En 1965, il y avait aux États-Unis 53 millions de porcs, répartis dans plus d’1 million de fermes. Aujourd’hui, 65 millions de porcs sont concentrés dans 65 000 exploitations, dont la moitié dans des exploitations géantes comptant plus de 5000 animaux. On a assisté à un changement de nature des exploitations, qui a transformé les anciens enclos de l’élevage traditionnel en de vastes enfers saturés d’excréments, concentrant des dizaines, voire des centaines de milliers d’animaux aux systèmes immunitaires affaiblis, réduits à suffoquer dans la chaleur et le lisier tout en échangeant à grande vitesse leurs agents pathogènes avec leurs compagnons d’infortune et leur pathétique progéniture. (Mike Davis, « Le capitalisme et la grippe porcine », avril 2009, site Contretemps)
La concentration d’animaux incite à l’utilisation préventive et massive d’antibiotiques qui rend des souches de bactéries pathogènes résistantes aux traitements dont disposent l’humanité pour se soigner.
Le brouillage de la frontière entre humanité et faune
La limite entre animaux est bouleversée. La déforestation massive, l’exploitation minière, le braconnage disloquent des écosystèmes entiers et multiplient les points de contact avec les autres espèces, domestiques ou sauvages.
Le capital est le fer de lance de l’accaparement des dernières forêts primaires et des terres agricoles détenues par les petits exploitants dans le monde. Ces investissements favorisent la déforestation et le développement, ce qui entraîne l’apparition de maladies. La diversité et la complexité fonctionnelles que représentent ces immenses étendues de terre sont rationalisées de telle sorte que des agents pathogènes auparavant enfermés se répandent dans le bétail local et les communautés humaines. En bref, les métropoles centrales, comme Londres, New-York et Hongkong, devraient être considérées comme nos principaux foyers de maladies… Il n’y a pas d’agents pathogènes indépendants du capital à ce stade. Même les populations les plus éloignées géographiquement finissent par être touchées, fut-ce de manière distale. Les virus Ebola et Zika, le coronavirus, la fièvre jaune, diverses formes de grippe aviaire et la peste porcine africaine chez les porcs comptent parmi les nombreux agents pathogènes qui quittent les arrière-pays les plus reculés pour se diriger vers les boucles périurbaines, les capitales régionales et, finalement, vers le réseau mondial de transport. On passe de chauves-souris frugivores du Congo à la mort de bronzeurs de Miami en quelques semaines. (Rob Wallace, « Agrobusiness & épidémie », 13 mars 2020, site Acta.zone)
Issu d’une modification d’un virus du chimpanzé, la forme mutée du VIH qui cause le sida humain (une grave maladie immunodéficitaire) tue 1 million de personnes chaque année et touche 40 millions d’humains à ce jour.
Les SRAS-CoV ne sont pas issus d’un laboratoire comme l’insinuent les complotistes Trump et Le Pen. Le réservoir animal contagieux est la chauve-souris. Le virus est passé au pangolin, puis du pangolin à l’humain.
Dès le 9 janvier, alors que la Chine déplore officiellement le premier mort du SRAS-CoV-2, plusieurs équipes, essentiellement de l’Université Fudan à Shanghai, mais aussi une de l’institut de virologie de Wuhan, dévoilent les séquences génétiques du tueur. Publiés depuis par Nature, leurs travaux décrivent un génome possédant 80 % de séquences en commun avec le Sars et 96 % avec des coronavirus de la chauve-souris… Deux chercheurs de l’université agricole de Chine du sud, à Guangzhou, révélaient le 7 février que le virus présente 99 % de similarité avec un virus circulant chez le pangolin, mammifère à écailles apprécié des gourmets en Asie. (Anne Debroise, « Coronavirus : les virologues montent au front », La Recherche, mars 2020)
Le pangolin est une espèce protégée de mammifère, en voie de disparition en Asie. Mais sa chair comme ses écailles (dans la superstition de la « médecine » archaïque) sont tellement prisées qu’il est braconné à l’échelle internationale et se vend plusieurs centaines d’euros le kilo. C’est suffisamment profitable pour que ce fourmilier soit capturé en Afrique, exporté vivant en Chine, puis parqué sans précaution sanitaire avec la complicité évidente d’un régime policier qui surveille tout. La multiplication des contacts des chauve-souris et des pangolins africains avec des zones de population dense chinoises facilite la recombinaison génétique de virus jusqu’à l’apparition de souches transmissibles.
Que faire ?
La solution n’est pas dans le retour en arrière, que ce soit le rejet de la science et de la technique (prières contre soins, refus des vaccinations, « décroissance »…) ou le repli sur les frontières nationales (protectionnisme, généralisation illusoire des « circuits courts »…).
L’humanité sera toujours la proie de maladies transmissibles, mais il est possible de :
- diminuer le risque d’apparition de nouveaux agents pathogènes en réorganisant le rapport à la nature, en rompant avec la concurrence et le règne du profit ;
- préparer médicalement et industriellement la société humaine par la recherche scientifique, la collaboration internationale et la planification.
Les travailleurs de la santé et les chercheurs en biologie et en médecine tracent la voie de la solidarité, de l’internationalisme et du progrès. Cet avenir, c’est le communisme.