Macron & Philippe : le choix du profit au détriment des travailleurs

L’économie capitaliste plonge

Sur le premier trimestre de l’année –dont seules les deux dernières semaines ont fait l’objet d’un confinement-, le PIB a diminué de 5,8 % –il touche à la fois la consommation et l’investissement–, et il pourrait baisser de 20 % au deuxième trimestre, ce qui tient d’abord aux incertitudes pour les capitalistes qui ont peu de visibilité sur l’avenir, notamment avec un risque de reconfinement, d’autant que les mesures internationales de confinement ont provoqué une rupture des chaînes d’approvisionnement et donc une réduction de la capacité productive des entreprises. L’INSEE prévoit, dans l’hypothèse pour le moins incertaine où l’activité reviendrait en juillet à son niveau d’avant-crise, une baisse de 8 % du PIB sur l’année. Il s’agit de la récession la plus violente depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Avec la grève générale de mai-juin 1968, le PIB trimestriel a reculé de 5,3 % (deuxième trimestre 1968) ; avec la récession qui a suivi la crise financière américaine et européenne de 2007-2008, il a chuté de 1,3 % (premier trimestre 2009). C’est dire l’ampleur des difficultés auxquelles est confronté le capitalisme français, d’autant que le risque est important que de nombreuses entreprises fassent faillite.

La montée du chômage

L’emploi salarié a déjà diminué de 2,3 %. Même si le phénomène a été limité et différé en Europe par les mesures d’« activité partielle », le chômage a augmenté sensiblement puisque la destruction nette d’emplois sur le premier trimestre 2020 s’élève à 453 800. Elle touche principalement les travailleurs des services marchands (437 900), qui pour beaucoup ne bénéficient pas des mesures « d’activité réduite », en particulier les intérimaires (300 000) qui ont toujours constitué une variable d’ajustement, puisque leur licenciement ne coûte rien au patronat. Le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté en mars de 7,1 % (246 100) et de 22.6 % en avril (840 000), soit ses plus importantes hausses depuis le début de cette série statistique en 1996. La précédente hausse la plus forte, en avril 2009, était de 86 300. Si l’on s’en tient à ces chiffres, l’aggravation du chômage est bien supérieure à celle qu’avait entraînée la récession de 2008-2009.

La béquille du capital toujours prête à l’usage

L’État n’est absolument pas un adversaire du capital (du « marché » comme le nomment pudiquement les économistes bourgeois). Au contraire, il vient à son soutien dès que le besoin se fait sentir. Lors d’une crise, face à l’interruption de l’accumulation du capital, l’État agit pour restaurer sa rentabilité. L’État français a réagi immédiatement en venant en aide aux patrons, en particulier les gros. Il a mis en oeuvre des programmes « d’activité partielle », des fonds de soutien aux indépendants, a garanti les prêts aux entreprises et a octroyé des subventions.

Alors que le patronat se plaignait il y a peu que l’État était trop dispendieux et pénalisait la croissance, il a immédiatement demandé –et obtenu– son aide. Au total, l’État versera ou avancera 450 milliards d’euros, à comparer aux 39 millions d’aide alimentaire. Les plus précaires, quant à eux, touchent quelques miettes, une prime exceptionnelle pour ceux qui perçoivent le RSA et l’ASS, une aide de 200 euros pour les moins de 25 ans.

Les travailleurs n’ont pas le choix. La ministre du travail Muriel Pénicaud menace les parents n’envoyant pas leurs enfants à l’école de ne plus toucher le chômage partiel.

S’ils veulent continuer à bénéficier de l’activité partielle, il sera alors demandé aux parents une attestation de l’école disant qu’elle ne peut pas accueillir les enfants et qui justifie que les parents restent à la maison. (Le Parisien, 4 mai)

Attaques en cours et à prévoir

Ceux qui comptent sur l’État capitaliste et son gouvernement Macron-Philippe ou un autre pour mettre fin à l’évasion fiscale, pour mettre en oeuvre une politique respectueuse de l’environnement… se trompent lourdement. Ce qui attend les travailleurs, c’est la poursuite des attaques. Si le gouvernement n’a aucune intention de rétablir l’ISF ni de revenir sur le CICE, sur le CIR… il en appelle à la charité, soit en mettant en place une « plateforme de dons » (Gérald Darmanin, ministre du budget, Le Figaro, 30 mars) soit en appuyant la proposition de députés LREM de demander aux travailleurs de « faire don d’une partie de leurs congés payés » (Le Parisien, 12 mai).

Cela s’inscrit dans la stratégie du gouvernement, qui envisage un « appauvrissement général » (Édouard Philippe, 7 mai). Il faut comprendre un renforcement des attaques contre les travailleurs, déjà engagées avec le rallongement, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, de la durée maximale de temps de travail hebdomadaire de 48 à 60 heures. Le patronat et ses relais disent vouloir en finir avec le « carcan des 35 heures » (Christian Jacob, président des députés LR, 12 mai). À vrai dire, il ne s’agit pas de mettre fin à la souplesse accrue procurée au patronat par les lois Aubry, mais de voir disparaître toute fixation légale du temps de travail. Dès l’ouverture du « Ségur de la santé », le premier ministre annonce qu’il veut allonger le temps de travail des salariés des hôpitaux : « Il faut lever les contraintes de toute nature, le temps de travail doit être regardé de la même façon » (Édouard Philippe, 25 mai). Le ministre de la santé confirme : « le temps de travail n’est pas tabou » (Olivier Véran, 25 mai). Des patrons commencent à demander des baisses de salaires à leurs exploités pour « sauver l’entreprise ».

La surveillance policière du confinement n’a pas été la même pour les riches et pour les pauvres. Des travailleurs qui affichaient des banderoles contre le gouvernement ont été inculpés. Le 1er mai, les tentatives de manifester dans la rue ont été réprimées, sauf celle d’une dizaine de membres de l’état-major de la CGT. La police a aussi verbalisé, après la manifestation de l’hôpital Debré le 21 mai, une cinquantaine de personnes et en a placé trois en garde à vue. Le 23 mai, parce qu’elle avait dénoncé à la télévision les violences racistes commises par la police, qui ne sont pas une exclusivité américaine, la chanteuse Camélia Jordana a été l’objet d’attaques massives, sur les réseaux sociaux, des partisans du RN, de LR et de LREM (inclus le ministre de la police Castaner).

Le site StreetPress a mis à jour l’existence d’un groupe Facebook composé de 7 760 membres des forces de l’ordre, sur lequel des messages à caractère raciste, sexiste, homophobes étaient régulièrement publiés. (Le Monde, 7 juin)

La manifestation du 30 mai organisée par la Marche des libertés en défense des migrants est interdite, tout comme la manifestation en mémoire d’Adama Traoré trois jours plus tard. Néanmoins, elles regroupent respectivement 10 000 et 20 000 personnes.

L’intérêt national façon CGT et version CFDT

Le 19 mars, la « loi de finance rectificative » nécessaire pour ratifier l’aide du gouvernement aux capitalistes a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale avec les voix des députés du PS, du PCF et de LFI. La collaboration de classe, au nom de « la défense de la Nation », « de la France », est plus que jamais à l’oeuvre au détriment des exploités, tant de la part des appareils syndicaux que des partis « réformistes ».

Il pourrait se trouver que ce soit le coup qui renvoie la France à terre… Il faudrait réunir autour d’une table d’un côté le patronat, qui a un ton plutôt coopératif ces temps-ci, de l’autre côté les syndicats de salariés, qui ont tous également intérêt à ce que ça tourne. (Jean-Luc Mélenchon, LCI, 17 mai)

En fait, les chefs des confédérations syndicales (CFDT, CGT, FO….) se sont concertés chaque semaine, depuis le début de la pandémie, avec le gouvernement et le patronat.

Dès le début du confinement, les responsables syndicaux et patronaux ont obtenu des rendez-vous téléphoniques ou par visioconférence, chaque semaine, en présence de plusieurs membres du gouvernement, y compris avec le premier ministre. Des temps d’échange ont même été organisés avec le président de la République. (Le Monde, 29 mai)

La palme de la servilité revient comme d’habitude à Berger qui se démène littéralement pour Macron.

Le Gouvernement français a pris des mesures pour limiter au maximum la progression de l’épidémie et atténuer ses conséquences économiques et sociales… il est essentiel que la vie économique et sociale de la Nation soit progressivement restaurée, dans des conditions de sécurité optimales pour les salariés qui l’exercent. (CFDT, CFTC, MEDEF, Déclaration commune, 30 avril)

Mais la CFTC et la CFDT sont suivies de près par les bureaucrates de la CGT, de la FSU et de Solidaires qui s’en remettent aussi au gouvernement et au capitalisme national. Tous nient la lutte des classes : la CFDT s’associe sans honte au MEDEF ; la CGT et SUD-Solidaires signent avec diverses organisations caritatives, pacifistes, protectionnistes ou « décroissantes », qui n’ont rien à voir avec la classe ouvrière, un texte qui propage les pires illusions sur le capitalisme français et l’État bourgeois.

Le gouvernement doit urgemment changer de logiciel… La crise doit conduire l’État, les branches professionnelles et les entreprises à prendre de nouveaux engagements… (Amis de la Terre, ATTAC, CGT, FSU, Greenpeace, Oxfam, Solidaires… Plan de sortie de crise, 25 mai)

Les Amis de la Terre ont déjà fourni deux ministres à la 5e République (Lalonde, Voynet). Quand Greenpeace commente le 30 avril les aides publiques à Renault et à Air France, elle n’a pas un mot sur leurs plans de licenciement, ni pour les travailleurs concernés. Quant à Oxfam, elle annonce quelques jours avant, le 22 mai, sa décision de licencier 1 450 salariés dans 18 pays. La coalition prépare un sauvetage du capitalisme national qui se heurte à l’ambition des sauveurs suprêmes, à la multiplicité des candidats « de gauche » à l’élection présidentielle (y compris, au sein de LFI, entre Ruffin et Mélenchon).

Les initiateurs ont convié, mercredi 20 mai, toutes les organisations de gauche et écologistes à une réunion. Elles ont toutes répondu présent : PS, EELV, LFI, Générations, PP, NPA… au total onze mouvements. (Le Monde, 27 mai)

Parce qu’elles défendent le capitalisme français, les deux initiatives (celle de type « union sacrée » et celle de type « front populaire ») sont en phase avec les vues du gouvernement bourgeois.

Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe. (Emmanuel Macron, Discours, 13 avril)

Toutes les fédérations de la santé (CGT, FO et SUD compris) participent, depuis le 25 janvier, au « Ségur de la santé » convoqué par le gouvernement et présidé par Notat, ancienne responsable de la CFDT de triste mémoire. Elles collaborent avec l’État contre les soignants comme elles ont collaboré contre les retraites.

Pour la rupture avec l’État bourgeois

L’intérêt des travailleurs est d’exiger que leurs organisations de masse rompent avec l’État bourgeois pour défendre véritablement leurs intérêts :

  • Interdiction des licenciements ! Paiement intégral et inconditionnel des salaires de tous les travailleurs ! Annulation des loyers de la période de confinement à hauteur de la perte de revenu !
  • Gratuité des masques et des tests ! Réquisition des hôtels et des logements vacants afin d’héberger les sans-abri, les réfugiés, les détenus libérés et les malades bénins !
  • Collaboration internationale pour la recherche de vaccins et de médicaments antiviraux !
  • Augmentation des salaires des soignants et recrutement dans les hôpitaux publics et les maisons de retraite sans but lucratif ! Expropriation des groupes pharmaceutiques, des EHPAD capitalistes et des cliniques privées !
  • Gratuité des soins ! Fin du CIR et des exemptions de cotisations sociales patronales ! Remplacement du prélèvement forfaitaire unique par la création d’un véritable impôt sur le capital prenant en compte tout le patrimoine des riches ! Impôt direct fortement progressif ! Suppression des cotisations sociales des salariés et de la CSG-CRDS ! Suppression de la TVA sur les produits de consommation courante !
  • Fermeture des centres de rétention, droits égaux pour les travailleurs étrangers, libre circulation pour les travailleurs et les étudiants !
  • Échelle mobile des salaires et des heures de travail jusqu’à l’embauche de tous les travailleurs !
  • Gouvernement ouvrier ! États-Unis socialistes d’Europe !

La dépression capitaliste et les reculs sociaux ne sont pas causés par des erreurs d’un gouvernement national qu’il suffirait de changer. La classe ouvrière de ce pays a fait l’expérience du PCF et du PS au gouvernement. LFI n’a pas été testée mais son caudillo a déjà été ministre et ses partis frères ont trahi (Syriza en Grèce) ou trahissent présentement (Podemos en Espagne).

La prévention et la gestion des pandémies, la lutte contre le réchauffement climatique, l’extinction du militarisme et des guerres récurrentes, la fin de l’exploitation et des crises économiques ne sont pas des problèmes qui peuvent être résolus en se repliant dans les frontières archaïques. La solution n’est pas d’avoir un illusoire capitalisme plus national, d’avoir un capitalisme moins « libéral et productiviste », il est d’en finir avec le capitalisme et de faire dépérir les frontières. La révolution sociale peut commencer en France, en s’inspirant de la Commune de Paris de 1871, mais ne sera victorieuse qu’à l’échelle internationale.

La nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l’emporter la révolution sociale. (Karl Marx, Les Luttes de classes en France, 1850)

3 juin 2020