« Au cours des dix dernières années, les conditions de travail des travailleuses et travailleurs des postes se sont détériorées parce que Postes Canada n’a pas su s’adapter à la forte augmentation du volume de colis ni régler les problèmes qui en résultent », a exprimé le STTP, lors du dépôt du préavis de grève. (La Presse, 21 octobre 2018)
La direction du syndicat a adopté la tactique des grèves tournantes plutôt que celle d’une grève générale jusqu’à satisfaction en prétextant que le droit de grève est très difficile à exercer dans le secteur public au Canada et que son exercice est restreint par différentes lois, soi-disant au nom de « l’intérêt public ». L’attitude de la bureaucratie s’explique par sa volonté de passer pour un syndicat « responsable » ne cherchant pas à nuire trop « durement » au déroulement de de l’économie capitaliste. Au Canada, il y a eu la grève générale de Winnipeg en 1919 dont nous commérons le centième anniversaire cette année et la grève générale du Front commun syndical au Québec en 1972, mais ce temps-là semble bien lointain de nos jours. Le syndicalisme de concertation et de coopération avec le patronat l’emporte au détriment des intérêts de la classe ouvrière.
Les grèves tournantes devaient débuter initialement le 26 septembre 2018, mais les chefs syndicaux se sont laissé convaincre de poursuivre les négociations interminables, qui n’ont abouti à rien sans aucune surprise.
« Nous avons de nos membres un mandat de grève clair si Postes Canada refuse de régler les principaux enjeux, comme la santé et la sécurité, l’égalité hommes-femmes et le maintien d’emplois à plein temps de la classe moyenne », affirme Mike Palecek, président national du STTP. « Notre objectif est toujours de négocier des conventions collectives sans avoir recours à la grève. Postes Canada a l’occasion cette semaine de faire ce qui s’impose pour y parvenir. » (Vingt55, 16 octobre 2018)
Les dirigeants syndicaux entretiennent l’illusion qu’il est possible d’en appeler à la « bonne foi » des capitalistes et font tout leur possible pour éviter la tenue d’une grève.
Lise-Lyne Gélineau, présidente de la section montréalaise du STTP, explique que les membres ne souhaitent pas débrayer, mais que « la balle est dans le camp » de l’employeur ». (Le Devoir, 22 octobre 2018)
Les patrons, qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé, sont déterminés à faire payer le coût du maintien du capitalisme aux travailleurs et travailleuses et à réduire leurs conditions de travail. Les négociations ne sont que de la poudre aux yeux pour mieux dissimuler les véritables intentions des capitalistes et le syndicalisme « réformiste » est tombé tout droit dans le panneau.
Finalement, les grèves tournantes débutèrent le 22 octobre dans quatre villes, Halifax, Windsor, Edmonton et Victoria. Elles durèrent 24 heures et, la journée suivante, elles se déplacèrent dans d’autres villes et ainsi de suite. Chaque matin, le STTP-CPUW annonçait sur son site quelles villes seraient concernées. La métropole canadienne, Toronto, où se trouve le plus important centre de tri et de distribution postal au Canada a été touché par le mouvement de grève à trois reprises. Au total, les grèves tournantes se sont déroulées dans plus de 150 villes à travers le Canada, dont plusieurs au Québec. Après quelques semaines de débrayages les associations patronales dont la FCEI (Fédération canadienne des entreprises indépendantes) / CFIB commencèrent à s’impatienter et à réclamer que le gouvernement canadien mette fin au mouvement.
Ces mouvements de grève créent de l’incertitude qui conduit certains clients fidèles vers d’autres alternatives. Or, ces clients risquent de ne jamais revenir et cela devrait aussi préoccuper les syndicats dans le contexte actuel. Évidemment, les PME souhaitent que les parties en arrivent à une entente pour que Postes Canada recommence rapidement à offrir un service de livraison fiable à un coût raisonnable, mais à défaut d’y parvenir, le gouvernement devra sans doute adopter, d’ici la fin de la semaine, une loi spéciale. (FCEI / CFIB, Communiqué de presse, 20 novembre 2018)
Le gouvernement bourgeois de Justin Trudeau (Parti libéral du Canada / Liberal Party of Canada) n’a pas eu besoin de se faire prier longtemps avant d’adopter une loi spéciale forçant le retour des facteurs au travail. Le 23 novembre 2018, les députés de la Chambre des communes ont adopté le projet de loi spécial visant à briser la grève des postiers dans une proportion de 166 en faveur, 43 contre. La presque totalité des élus libéraux l’ont appuyé, les conservateurs (Parti conservateur du Canada / Conservative Party of Canada) étaient absents au moment du vote et les députés sociaux-démocrates (Nouveau Parti démocratique / New Democratic Party basé sur les syndicats anglophones) votèrent contre. Lors de la précédente grève des postiers en 2011, le PL avait critiqué fort hypocritement l’adoption d’une loi spéciale antigrève par le gouvernement CP de Stephen Harper. Rien de nouveau dans le cirque parlementaire.
Le projet de loi spéciale a ensuite été soumis au Sénat (chambre législative non élue) où 53 sénateurs ont voté pour et 25 contre. La loi spéciale fut finalement adoptée le 26 novembre.
Lundi soir, la ministre du Travail, Patty Hajdu, a déclaré par communiqué que la loi spéciale était nécessaire, après avoir épuisé toutes les autres options, afin « de protéger l’intérêt public et d’éviter de nuire davantage à l’économie canadienne ». (La Presse, 26 novembre 2018)
L’adoption de la loi C-89 a contraint les travailleurs et travailleuses des postes à rentrer au travail aux conditions de l’ancienne convention collective. La ministre Hajdu a renvoyé Postes Canada et le syndicat dans un processus de médiation qui a commencé le 16 janvier.
Le choix par le STTP / CPUW des grèves tournantes en lieu et place d’une grève générale illimitée a été un échec pour la lutte des postier-ères. Elle les a privés d’un rapport de force et les a laissés à la merci de l’État capitaliste. La grève générale jusqu’à satisfaction aurait permis aux postiers de sentir leur force collective, de faciliter le contrôle de leur mouvement par la base (avec des assemblées générales de grévistes ayant le pouvoir de décider), de paralyser le service postal au complet et aurait mis une pression beaucoup plus forte sur l’État capitaliste pour qu’il fasse des concessions sérieuses. Une extension de la grève générale à l’ensemble du secteur public fédéral canadien en appui aux postiers aurait également eu un effet bénéfique pour le développement de la lutte. Une revendication commune à tous les salariés est d’abolir toutes les lois antigrèves.
Ce mouvement a néanmoins permis de démontrer qu’une lutte de classe unifiée à l’échelle pancanadienne est possible malgré les obstacles et les difficultés et qu’elle peut transcender les barrières ethniques, linguistiques et nationales. Un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste représente le seul instrument permettant d’unifier durablement la classe ouvrière multiethnique au Canada et partout dans le monde. Un parti ouvrier révolutionnaire mènerait la lutte en tant que parti d’avant-garde prolétarien jusqu’au renversement du capitalisme et la création d’un État ouvrier en tant que phase de transition jusqu’au socialisme. C’est le but que s’est fixé le Collectif révolution permanente qui s’appuie sur l’expérience historique du Parti bolchevik de Lénine et Trotsky et de la Révolution russe de 1917.