Le rêve de Macron de reconstruire l’Union européenne autour du capitalisme français sombre pour la plus grande joie de Trump, Salvini, Wilders, Obradovic…
Pourtant, au sommet de la crise politique, début décembre, le président bénéficie de l’incapacité des « gilets jaunes » à rallier les masses derrière eux et de l’aide directe des partis réformistes et des chefs syndicaux. Il n’en réprime que plus violemment tout en misant, avec l’appui de LR, de la CFDT et du PS, sur le défouloir du prétendu grand débat.
Les « réformistes » à la rescousse de Macron
Le fait que la classe ouvrière reste dirigée par des agents de la bourgeoisie française explique que le mécontentement populaire ait pris la forme d’un mouvement interclassiste et incohérent.
Le PS et auparavant le PS et le PCF, ont gouverné pour la bourgeoisie, contre les travailleurs. Les partis « réformistes » (PCF, PS, Générations) et des directions syndicales (CGT, CFDT, FSU, UNSA…) ont voté Macron en 2017. Tous les chefs syndicaux ont négocié les attaques de Macron contre les droits des travailleurs des entreprises privées et de la SNCF. Les organisations centristes (LO, NPA, POID, AL…) et les partis sociaux-impérialistes (PS, PCF, LFI, Générations) ont soutenu les « journées d’action » et les « grèves intermittentes » décrétées par les bureaucrates syndicaux.
Les directions de la CGT, de FO, de l’UNSA, de la CFDT ont soutenu les mouvements de policiers. Le PS, le PCF, Générations et LFI réclament le renforcement de la police et de l’armée.
LFI fonctionne comme LREM, autour d’un « sauveur suprême », Mélenchon, qui se vautre dans le tricolore, qui a remplacé la lutte des classes par la défense de la « nation », qui converge dangereusement avec le RN dans sa dénonciation de l’Union européenne et de l’Allemagne, qui est de plus en plus ambigu sur l’immigration.
L’imbécilité des anarchistes qui visent des « symboles » (vitrines de magasins, scooters en libre-service, distributeurs de billets…) alimente aussi la désorientation politique.
L’incapacité des principales organisations ouvrières à prendre la tête de la protestation et à opérer la jonction du prolétariat des petites villes avec celui des grandes explique l’impuissance du mouvement à se structurer, la persistance du drapeau tricolore et de La Marseillaise, son enfermement dans les blocages de ronds-points, la répétition des manifestions chaque samedi dans la capitale et les métropoles régionales.
Macron peut donc manoeuvrer. Il convoque le 3 décembre les partis politiques, qui se rendent tous à la convocation, y compris le PS, le PCF et LFI. Les appareils syndicaux, sauf celui de Solidaires, viennent aussi au secours de l’ordre bourgeois : « le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays… Nos organisations dénoncent toutes formes de violence » (CFDT, CGT, FO, UNSA, FSU, Communiqué intersyndical, 7 décembre). Alors qu’une partie des gilets jaunes est prête à en découdre, les bureaucrates appellent, avec le PCF, LFI, le NPA, « à manifester pacifiquement » puisque « le gouvernement a enfin ouvert les portes du dialogue ». Le texte syndical ne comporte aucune revendication ! Le 10 décembre, les chefs syndicaux se rendent chez Philippe, à Matignon.
Les appareils syndicaux et le PS dénoncent les « gilets jaunes » et préfèrent les conciliabules avec Macron et ses ministres, qu’ils soient officiels ou confidentiels.
Le patron de Benalla brandit l’épouvantail de la violence
Après le discours du 10 décembre, les gilets jaunes ont du mal à rentrer les mains vides, d’autant que la majorité des travailleurs, des chômeurs, des retraités et des lycéens leur restent favorables. Alors, le gouvernement cherche à les discréditer : « foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels » (Macron, 31 décembre).
Cette défense des étrangers serait touchante si on oublie que Macron a fait renvoyer des dizaines de milliers de migrants. Il s’aligne sur Wauquiez et Le Pen pour désigner les étrangers comme cible quand ils sont pauvres. Les riches sont, eux, reçus à Versailles.
De même l’invocation des journalistes n’empêche pas le pouvoir d’essayer de museler la presse.
Comme tout pouvoir aux abois, pour rallier les couches sociales effrayées par le désordre que le capital et l’État ont engendré, le porte-parole du gouvernement attribue la poursuite du mouvement à des « agitateurs qui veulent l’insurrection et, au fond, renverser le gouvernement » (Griveaux, 4 janvier). Pour rallier toutes les classes possédantes, il affirme vouloir poursuivre son action anti-ouvrière : « Il est nécessaire que nous allions plus fort, plus loin et plus radicalement dans la transformation du pays » (Griveaux, 4 janvier).
En imitation de la manifestation gaulliste-fasciste du 30 mai 1968, LREM conçoit une contre-manifestation réactionnaire de soutien à peine masqué au gouvernement qui réunit moins de 10 000 personnes le 27 janvier. Entretemps, le gouvernement a entamé son « grand débat national » dont le succès rend superflue la présence dans la rue des membres de LREM.
Le pouvoir déchaîne la répression policière
Les victimes ordinaires de la violence du capital, ceux qui ont du mal à survivre, n’ont pas, pour la bourgeoisie exploiteuse et privilégiée, son gouvernement, ses partis, ses médias et les clergés, le droit de se révolter. Le ministre de l’intérieur tente de les intimider.
La ministre de la Justice demande aux juges « une réponse pénale extrêmement ferme » (Belloubet, Le Figaro, 3 décembre). Au 17 décembre, 4 570 personnes ont été placées en garde à vue, dont de nombreuses de façon préventive, accusées « de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens », infraction introduite en 2010 sous Sarkozy. Des peines de prison ferme sont souvent prononcées.
Le gouvernement Macron-Philippe reprend début janvier une proposition de LR pour une nouvelle loi « anti-casseurs », en termes clairs, de quoi restreindre davantage le droit de manifester qui est une liberté fondamentale. L’Assemblée la vote le 5 février.
Les méthodes de répression envers les écologistes et les étudiants, comme notre bulletin l’a dit et répété, menacent toute la population. Contre les « gilets jaunes », le gouvernement recourt aux canons à eau, aux « lanceurs de balles de défense » (LBD), aux hélicoptères, à la police montée, au tabassage de manifestants désarmés façon Benalla. Pour la première fois, des blindés de la gendarmerie sont employés dans les villes après avoir été expérimentés contre les zadistes. Les États iranien, vénézuélien, turc se permettent même d’appeler le gouvernement français à « la retenue ».
Des lycéens sont humiliés et matraqués. Plusieurs milliers de manifestants ou de passants sont blessés, presque une centaine d’entre eux sont même estropiés à vie (perte d’un oeil, d’une main…). Malgré les protestations des syndicats, des partis réformistes, des organisations des droits de l’homme et même de l’officiel « défenseur des droits », le gouvernement justifie l’usage des balles en caoutchouc. Pour les naïfs, il parle de quelques caméras filmant… quand les flics voudront.
Le gouvernement lance parallèlement la commande de nouveaux lanceurs de balles. La police abat les baraques des « gilets jaunes » sur les ronds-points comme elle détruit les caravanes des Roms et les abris de survie des migrants. Un philosophe obscurantiste, ancien ministre de l’Éducation de Chirac, réclame plus de répression.
Des nazis, pour compléter le sale boulot accompli par les flics sur ordre du gouvernement, agressent les militants du NPA le samedi 26 janvier à Paris.
Le mouvement décline. Celui des lycéens n’a pas repris à la rentrée scolaire, sentant que la classe ouvrière ne s’est pas engagée.
Macron relève la tête, d’abord lors de rencontres avec des maires, peu risquées. Ensuite, il réapparait en public, à partir du 24 janvier, multipliant les réunions. Il confirme qu’il continuera sa politique contre les travailleurs. La seule mesure qu’il reporte est l’interdiction du glyphosate et la seule qu’il envisage d’annuler est la limitation de la vitesse à 80 km/h sur le réseau routier ordinaire, deux rares mesures d’intérêt général.
L’impasse des concertations et des journées d’action
Certains gilets jaunes et des syndiqués de la CGT et de SUD cherchent à converger. Mais LFI et le NPA, aidés par LO et le PCF, dévoient cette saine aspiration. Dans les réunions de « gilets jaunes » qu’ils convoquent, ils reproduisent les méthodes anti-démocratiques des bureaucrates syndicaux (certains d’entre eux en sont, d’ailleurs) et ils refusent de mettre en cause leur pratique de collaboration de classe qui a laissé passer toutes les attaques, qui a dégoûté et éloigné de l’action organisée.
Les organisations centristes (NPA, LO, AL, POID…) confondent délibérément les « journées d’action » répétées (qui ont permis à Macron de battre les cheminots en 2018) et la véritable grève générale (comme celle de 1936 qui a arraché des revendications qui n’étaient pas au programme du PS ni du PCF, comme celle qui a défié De Gaulle en 1968, comme celle des cheminots qui a fait reculer le gouvernement Chirac-Juppé en 1995).
D’ailleurs, PCF, LFI, LO, NPA se rallient à la « journée d’action » que la bureaucratie de la CGT a décrétée le 5 février alors que les négociations entre le gouvernement et « les partenaires sociaux » (dont la CFDT, la CGT, FO…) se déroulent depuis le 21 janvier contre les retraites.
Le patronat est si peu effrayé qu’il se permet de quitter le 28 janvier la négociation de l’assurance-chômage pour obtenir de nouvelles reculades des chefs syndicaux.
La révolution n’est pas une utopie
Les néo-réformistes n’ont à proposer que le replâtrage de l’État bourgeois (« Assemblée constituante ») ou l’économisme (les « luttes » sans horizon politique).
Tous les opportunistes sont d’accord pour considérer que la révolution sociale n’est pas d’actualité, soit qu’elle serait dépassée (PS, PCF, LFI…), soit qu’ils la remettent à un avenir lointain, très lointain (LO, NPA…).
Passons sur le fait que, dans la lutte de classes réelle, les masses, quand elles se lèvent, débutent toujours en s’en prenant au régime « en place » et à son sommet, à ceux qui incarnent la défense de l’exploitation et de l’oppression. Surtout, il est impossible au capitalisme actuel d’accorder des « mesures vitales nécessaires au monde du travail ».
La perspective politique (« changer le monde ») est non seulement vague mais une étape tout à fait distincte, renvoyée « pour demain ». Cet étapisme s’oppose complètement à la stratégie de la révolution permanente. Quand on sait que, pour la direction de LO, la situation n’était pas révolutionnaire en mai 1968, le « demain » annoncé à ses militants et aux travailleurs ressemble beaucoup à la consolation du paradis promis par les clergés chrétiens ou musulmans.
Or, l’autodéfense des travailleurs, la constitution d’organes de type soviets, la lutte pour le pouvoir, l’insurrection, le démantèlement de l’État bourgeois, l’expropriation du capital, sont nécessaires dès maintenant si la classe ouvrière veut sauver les acquis sociaux et politiques, arracher « des mesures vitales » et empêcher les prochaines guerres.
Dans un moment autrement défavorable qu’aujourd’hui, les communistes-révolutionnaires liaient les questions vitales à la révolution sociale.
Pour un gouvernement des travailleurs
La seule chance de renvoyer Macron se cacher, de l’empêcher de nuire, de le chasser et de ne pas le voir remplacé par d’autres ennemis des travailleurs (Wauquiez, Le Pen…) est la jonction de l’aile prolétarienne des gilets jaunes et du gros de la classe ouvrière autour d’un programme social, de la préparation de la grève générale et de la perspective d’un gouvernement ouvrier.
À cette condition, la classe ouvrière pourra organiser sa défense contre la police et les fascistes, rallier les autres travailleurs (ceux qui restent formellement indépendants ou qui sont « cadres »), ouvrir la voie d’une démocratie supérieure à celle de la 5e République, celle de la Commune de Paris de 1871 et des soviets russes de 1917.
Pour vaincre Macron, il faut que les travailleurs imposent aux partis d’origine ouvrière et aux organisations syndicales de salariés de boycotter le « grand débat » et de rompre les négociations des plans contre les fonctionnaires, contre les chômeurs, contre les retraites.
- À bas la violence policière ! Front unique des organisations ouvrières pour la libération des militants emprisonnés ! Aucune poursuite contre les manifestants ! Auto-défense contre les forces armées de l’État et contre les fascistes ! Dissolution des corps de répression !
- Suppression de la présidence de la République et du Sénat ! Députés, maires, ministres… rémunérés au salaire ouvrier médian et révocables à tout moment !
- SMIC à 1 800 euros bruts ! Augmentation des salaires des travailleurs du privé et du public ! Échelle mobile des salaires et des heures de travail ! Aucune retraite par points ! Retraite à 60 ans avec 37,5 annuités !
- Création de postes dans l’enseignement public, les hôpitaux et les EPHAD à hauteur des besoins ! Construction de logements sociaux de qualité !
- Abrogation du CICE ! Suppression de la TVA et de tous les autres impôts qui pèsent sur la consommation populaire (TICPE, CTA, CSPE, TCFE, TICGN…) ! Véritable ISF sur l’entièreté du patrimoine ! Renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu !
- Expropriation des sociétés d’autoroute, des banques et des groupes automobiles !
- Abolition du statut de « travailleur détaché » ! Des papiers pour tous les sans-papiers ! Mêmes droits pour tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité ! Libre entrée pour les réfugiés, les travailleurs et leurs familles, les étudiants !
- Aucune négociation des projets de Macron contre les travailleurs de la fonction publique, les chômeurs, les retraites ! Aucune participation au « grand débat national » !
- Une seule confédération syndicale, démocratique et de lutte de classe ! Grève générale pour l’annulation de toutes les mesures antisociales et anti-démocratiques, pour la satisfaction des revendications ! Pour des assemblées générales de travailleurs dans chaque ville avec élections de délégués et centralisation à l’échelle départementale et nationale ! Gouvernement ouvrier ! États-Unis socialistes d’Europe !