L’économie française portée par la conjoncture internationale
Le gouvernement s’attribue les mérites de la phase d’expansion qui a commencé avant son accession au pouvoir. Le capitalisme français connaît une croissance économique relativement forte : 1,1 % en 2016, 1,9 % en 2017. Il faut remonter à 2011 pour retrouver un niveau aussi élevé. Si le capital profite des mesures pro-capitalistes du gouvernement précédent, le principal déterminant est surtout l’environnement mondial. L’économie européenne confirme sa reprise de 2016 (le PIB de l’UE a augmenté de 2,6 % en 2017, celui de la zone euro de 2,7 %), de grands pays (Brésil, Russie…) sortent de la dépression causée par la baisse des prix des matières premières de 2014, le PIB mondial a progressé de 3 % en 2017.
Toutefois, cela ne doit pas faire oublier l’instabilité structurelle du capitalisme. Le regain de protectionnisme risque de précipiter la crise économique et un certain nombre d’éléments font peser un risque de krach financier. La planche à billets n’a pas cessé de fonctionner de 2008 à 2017. Les banques chinoises sont notoirement fragiles à cause de crédits douteux. Les banques centrales américaine et britannique (Fed, BoE) commencent à relever leurs taux directeurs, et la banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait réduire ses achats d’actifs financiers. Auparavant, en 10 ans, 6 000 milliards de dollars ont été injectés par chacune des banques centrales de la Chine, des États-Unis, du Japon et de la zone euro. Au total, cela faisait l’équivalent de 200 milliards de dollars chaque mois. Le ratio de la dette au PIB mondial est donc passé d’environ 180 % en 2007, avant la crise capitaliste mondiale, à plus de 240 % en décembre 2017, selon la BRI.
La coïncidence de l’abondance de crédit et d’un investissement productif modéré a conduit au renouveau de la spéculation. Une bulle boursière, en particulier aux États-Unis s’est constituée, non seulement sur les actions – ce que montre l’indice Dow Jones – mais aussi sur les obligations, sur l’immobilier, sur les cartes de crédit. Les crédits américains à risque (« subprime ») pour les automobiles s’élèvent à 23 millions de dollars, les prêts non remboursés à 7 millions de dollars. Les pratiques sont similaires à celles qui avaient cours avant la crise de 2007-2008. La titrisation a repris, avec un renforcement de l’opacité des titres.
Reste que l’économie française crée des emplois. 60 000 emplois marchands ont été créés au second semestre 2017, ils sont en partie annulés par la baisse de 38 000 emplois non-marchands, principalement en raison de la suppression des « contrats aidés ». L’INSEE a prévu que l’emploi total augmente de 72 000 au premier semestre 2018. Le taux de profit, si on l’estime à l’aide du taux de marge, seul disponible à l’INSEE (le taux de profit est le rapport entre le profit dégagé et le capital investi, alors que le taux de marge est le rapport entre le profit dégagé et la richesse créée), se situe entre 31,5 et 32 % depuis 2016. Ce chiffre est plus faible que la moyenne entre 1987 et 2007 (33 %), mais il est plus élevé qu’entre 1970 et 1985 (entre 24 et 32 %). Si le taux de marge n’a pas retrouvé son niveau d’avant 2007, c’est exclusivement dû aux services marchands, pour lesquels la concurrence est plus forte, alors que l’industrie a conservé sa rentabilité en raison notamment des baisses d’impôt et de la diminution du prix des matières premières.
Macron multiplie les voyages et les initiatives diplomatiques, en tentant de profiter de la méfiance que suscite dans le monde l’infléchissement de la politique extérieure américaine, de la paralysie temporaire du gouvernement allemand à la recherche d’un nouveau bloc parlementaire (même si le SPD est prêt à sauver Merkel) et de celle, plus durable, du gouvernement britannique coincé par la négociation du Brexit.
Toutefois, ses atouts sont restreints par les fragilités spécifiques de l’économie française notamment en termes d’endettement, de commerce extérieur, de perte des fleurons industriels.
Le taux d’endettement des entreprises françaises s’élevait à 70 % en 2007, il était en 2016 de 90 %. L’endettement n’est pas en soi un signe de faiblesse, mais il servait peu, jusqu’à fin 2016, à l’investissement productif. Durant la même période, le taux d’endettement des entreprises allemandes, italiennes et espagnoles a baissé.
Le commerce extérieur est déficitaire depuis 2003, car les exportations ont crû moins vite que les importations. Le déficit était de plus de 62 milliards d’euros en 2017 et l’excédent des échanges de services ne suffit pas à le compenser. La part des exportations françaises dans les échanges de biens mondiaux diminue constamment : en 2017, les exportations françaises de biens représentaient 12,9 % des exportations de la zone euro contre 17 % en 2000.
Des firmes étrangères ont pris le contrôle de Lafarge en 2015 et d’Alstom en 2015 et en 2017. D’autres groupes industriels comme Orano (ex-Areva), EdF, Engie (ex-GdF-Suez)… sont en difficulté.
En août 2016, Macron avait démissionné du gouvernement Hollande et avait postulé à la présidence afin de renforcer le grand capital au détriment de la classe ouvrière. Il s’y emploie depuis mai 2017.
Un gouvernement de la bourgeoisie au service de la bourgeoisie
Outre un président ancien banquier d’affaires, le pouvoir exécutif compte dans ses rangs pas moins de sept millionnaires. Certes, c’est loin du gouvernement Trump qui comprend plusieurs milliardaires et il n’est pas nécessaire d’être riche pour être au service politique de la bourgeoisie ; toutefois, c’est porteur d’une forte violence symbolique et surtout révélateur de la proximité toujours plus grande entre la classe sociale dominante et le personnel politique de l’État. L’un d’entre eux est Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique, propriétaire à lui seul de sept véhicules. La championne, la ministre du Travail Murielle Pénicaud, est non seulement la plus riche des ministres (un patrimoine de 7,5 millions d’euros) mais l’entreprise qu’elle dirigeait (Business France) a commis 671 infractions au code du travail durant son mandat.
Reste que le premier gouvernement de Macron est similaire à celui des gouvernements bourgeois à travers le monde, révélateurs que « l’histoire de l’économie politique au cours des quatre dernières décennies est celle d’une guerre de classe entre le capital et le travail, que jusqu’à présent la bourgeoisie gagne les doigts dans le nez » (The Guardian, 4 décembre 2017). Qu’il s’agisse de Trump, Macron, May, Abe, Merkel, Rajoy… le discours est le même, autour de la fumeuse « théorie du ruissellement », qui est avant tout une idéologie, très en vogue dans les milieux de la réaction et déjà utilisée par Reagan et Thatcher, visant à légitimer l’enrichissement sans limite de la bourgeoisie. C’est le discours sur la « libération des énergies », comme si l’énergie que déploient les capitalistes servait à autre chose qu’à exploiter la classe ouvrière. C’est aussi le besoin d’attirer les capitaux du monde entier ; tous les gouvernements bourgeois encouragent la fraude fiscale et les paradis fiscaux…
Il est frappant à ce titre de comparer la politique économique de Macron à celle de Trump. Quand le président américain diminue l’impôt sur le revenu, le gouvernement français diminue l’impôt sur le capital en instaurant une imposition unique à 30 % (la « flat tax ») alors qu’elle pouvait atteindre 60 % auparavant. Quand Trump favorise la rente immobilière, Macron supprime l’ISF sur les valeurs mobilières (titres financiers). Alors qu’aux États-Unis 1 % les plus riches profitent de 83 % des allègements fiscaux, ils profitent en France de 46 %. Quand l’impôt sur les sociétés diminue aux États-Unis de 40 à 21 %, il diminue en France de 33 à 25 %, à quoi il faut ajouter la transformation du CICE en une baisse permanente de cotisations. La différence n’est vraiment qu’une question de nuance… De l’autre côté de l’échelle des revenus, entre 2005 et 2015, le nombre de pauvres en France (au sens relatif, soit moins de 60 % du revenu médian) a augmenté d’un million, et le taux de pauvreté est passé de 13,3 à 14,2 %. Un tiers des enfants, près de 35 % des ouvriers, 36 % des jeunes de moins de vingt ans vivent dans des ménages pauvres.
Les attaques du gouvernement Macron-Philippe et de la majorité de députés LREM vont nécessairement accentuer ce phénomène.
Contre les travailleurs, surtout les plus précaires
Il compte mener une guerre sans merci à tous les travailleurs, mais d’abord à ceux qui sont le plus en difficulté, notamment les chômeurs et les smicards. Les premiers, quand ils ne prouvent pas qu’ils cherchent du travail, sont traités par la ministre du Travail qui s’enrichissait en violant le droit du travail de « fraudeurs, qui n’ont pas de difficultés mais qui profitent d’un système d’assurance chômage sans faire d’effort » (Muriel Pénicaud, ministre du travail, Europe 1, 7 janvier 2018). L’ancienne DRH de Danone a empoché plus d’un million d’euros le 30 avril 2013 en vendant des stock-options, à peine quelques semaines après que l’entreprise a annoncé de nombreux licenciements, plus de 900 dans toute l’Europe dont 230 en France.
La plupart des chômeurs ont versé des cotisations chômage ; pourtant, il est question de les priver d’allocation, sachant déjà que la moitié d’entre eux n’en perçoit pas. C’est ainsi que le gouvernement envisage de durcir, dès l’été, les sanctions. En d’autres termes, si l’État (par le biais de Pôle emploi) estime qu’un chômeur ne recherche pas assez activement du travail, c’est-à-dire qu’il refuse une formation ou deux offres d’emploi jugées « raisonnables », ses allocations pourraient être immédiatement réduites de moitié (contre 20 % aujourd’hui) pour une durée de deux mois. S’il récidive, elles pourraient être supprimées pour la même durée.
Le gouvernement est bien aidé à cet égard par les appareils syndicaux (CGT, FO, CFDT) qui viennent de signer avec trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) un texte de quinze pages intitulé « Socle de réflexion pour une concertation utile ». La presse (Challenges, Mediapart…) se réjouit du « front commun syndicat-patronat ». Les bureaucraties syndicales travaillent main dans la main avec le patronat, voulant partager un « socle de réflexion pour une concertation utile », voulant « que les décisions qui seraient prises le soient sur la base d’un diagnostic et d’objectifs élaborés conjointement avec l’État, dans le cadre de réunions multilatérales rassemblant l’ensemble des acteurs »… comme des serviteurs zélés du capitalisme ouvrant la voie au gouvernement.
Les salariés les plus mal payés, ceux qui touchent le SMIC, sont également la cible du gouvernement. Un « groupe d’experts », composé d’une poignée d’économistes bourgeois soigneusement sélectionnés par le pouvoir –dont le sinistre André Zylberberg qui traite ses opposants de négationnistes [voir Révolution communiste n° 24]–, a émis dans un rapport remis le 1er décembre dernier plusieurs propositions visant tout simplement à démanteler le SMIC : supprimer l’indexation et le « coup de pouce ». L’indexation est double, la loi oblige le gouvernement à revaloriser le SMIC au rythme de l’inflation et de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire moyen ouvrier et employé. Le « coup de pouce » correspond à un choix du gouvernement d’augmenter davantage, ce que la loi l’autorise à faire. La dernière fois remonte à 2012. Le salaire minimum en France est le sixième plus élevé d’Europe, il est aussi celui qui a le moins augmenté aux cours des dernières décennies (à l’exception de la Grèce). La France est, parmi les pays avancés, celui pour lequel les salaires sont le plus concentrés à proximité du SMIC, ce qui s’explique par les baisses massives de cotisations sociales patronales depuis une trentaine d’années. La France est ainsi le pays pour lequel l’écart entre le taux de cotisations patronales du salaire médian (37 %) et du SMIC (7 %) est le plus élevé. Les entreprises sont incitées à créer des emplois moins bien payés et dissuadées d’augmenter les salaires pour éviter une hausse des cotisations, un phénomène que des économistes qualifient de « trappe à bas salaires ».
L’application des lois de flexibilité et de précarisation du travail
Toutes les directions syndicales avaient accepté de discuter des ordonnances avec Macron, Philippe et Pénicaud [voir Révolution communiste n° 23, 24]. Certaines les ont approuvées (CFDT, FO…), d’autres ont refusé d’appeler à la grève générale (CGT, Solidaires…), n’y opposant que des journées d’action symboliques et démoralisantes, avec l’aide de LFI, du PCF, de LO, du NPA, du POID… [voir Révolution communiste n° 25, 26].
Le nouveau droit du travail sert l’offensive patronale, puisque la loi travail Hollande-Valls-El Khomri de 2016, ainsi que les ordonnances de 2017 se mettent en oeuvre. Le référendum d’entreprise qui autorise des syndicats minoritaires à faire valider un accord refusé par des syndicats majoritaires est maintenu. Les appareils syndicaux font à peine semblant de s’opposer. La CGT compte sur la justice bourgeoise (le Conseil d’État) pour « suspendre » les ordonnances (Communiqué, 9 novembre). FO fait moins semblant encore : « nous préférons attendre les décrets… mettre en cause les ordonnances alors qu’elles n’ont, pour l’heure, qu’une valeur réglementaire, risque de permettre au Conseil d’État de botter en touche » (Mediapart, 9 décembre 2017).
Les CHSCT commencent à disparaître. La « rupture conventionnelle collective » s’applique également, et les entreprises capitalistes profitent de l’aubaine qui leur est offerte de pouvoir licencier à peu de frais. Chez PSA, la première grande entreprise à la mettre en application, seulement quelques années après la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, 1 300 postes pourraient être supprimés, tandis que l’entreprise annonce un record historique de ventes. Un accord a été signé par cinq des six organisations syndicales de l’entreprise, dont FO. Alors que Jean-Claude Mailly se dit « un peu étonné que PSA puisse avoir recours ou ait recours à ce type de dispositif » (Reuters, 28 décembre 2017), un délégué FO ne s’offusque pas : « c’est blanc bonnet et bonnet blanc », et il se dit même « globalement satisfait » (Christian Lafaye, Europe 1, 10 janvier 2018). Le représentant de la CGT s’offusque mais pas tant en refusant les licenciements qu’en se plaignant que les autres syndicats « sont pas foutus d’obtenir en échange un plan d’embauche massif en CDI » (Jean-Pierre Mercier, France Bleu, 19 janvier).
À cela s’ajoutent la menace de liquidation du régime spécial de la SNCF en contrepartie d’une annulation partielle de la dette, la responsabilité des capitalistes de Lactalis dans l’empoisonnement de nourrissons par du lait contaminé (ce qu’ils savaient) et la complaisance à leur égard de l’État, la réduction prévue de 10 à 15 % des budgets des accidents du travail et des maladies professionnelles…
Contre les étrangers quand ils sont pauvres
L’État français, depuis la crise économique mondiale de 1973-1974, a cessé d’inciter à l’immigration économique et a restreint l’accueil des réfugiés. Le résultat n’est pas la fin de l’immigration, qui est impossible, mais la terreur permanente pour les travailleurs qui sont sans papier, leur surexploitation, ainsi que la division et l’affaiblissement de l’ensemble de la classe ouvrière.
La décennie 2000 a marqué un durcissement, incarné notamment par l’arrivée de Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002. Dès 2003 est instaurée une « politique du chiffre », avec à la fois un durcissement des conditions d’obtention d’un titre de séjour –par exemple en 2003 et en 2006, le Code civil a été modifié pour complexifier l’accès à la nationalité française– et un objectif de nombre d’expulsions. Les services de police se sont alors mis à chasser plus activement les étrangers sans-papiers, dans les centres d’hébergement, mais aussi aux guichets des préfectures et jusque dans les écoles. Puis ce fut la libération de la parole raciste avec le ministère de l’identité nationale d’Hortefeux (« Quand y en a un ça va, c’est quand y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ») et de Besson, puis Guéant (« je pense que toutes les civilisations ne se valent pas… nous devons protéger notre civilisation »), le racisme à peine plus masqué de Valls (« tu mets plus de Whites »).
Macron, qui avait été présenté par le PCF et le PS comme un barrage contre le FN, demande plus de rendement : « Nous sommes inefficaces dans l’expulsion, la reconduite aux frontières de celles et ceux qui, in fine, n’ont pas l’accès au titre. Nous reconduisons beaucoup trop peu ! » (Discours aux préfets, 5 septembre 2017). Là aussi, la différence avec le discours de Trump qualifiant de « trous à rat » les pays d’où viennent les migrants n’est qu’une question de ton.
Les députés LREM et LR « constructifs » ont adopté le 8 décembre une proposition de loi « permettant une bonne application du régime d’asile européen » qui, en s’attachant à « sécuriser le placement en rétention administrative des étrangers relevant du règlement Dublin », instaure le droit à l’emprisonnement préventif des migrants, sous le prétexte raciste et éculé qu’« on ne peut pas prendre l’entièreté des migrants économiques du monde » (Marie Gueveoux, députée LREM, Mediapart, 8 décembre), comme si la bourgeoisie française ne portait pas une lourde responsabilité dans les conditions poussant des populations à fuir leur pays. Une nouvelle loi de restriction de l’émigration est prévue pour le début du printemps, présentée par le ministre de l’Intérieur comme « la première pierre de la refondation de notre politique d’immigration et d’asile » (Gérard Collomb, 7 décembre 2017).
Le ministre de l’Intérieur, ancien maire PS de Lyon convient qu’il est en train de « passer pour le facho de service » (Mediapart, 27 décembre 2017). Et pour cause… Heureux de proclamer que « la lutte contre l’immigration irrégulière est une priorité gouvernementale » (Libération, 5 décembre 2017), Collomb n’a pas attendu pour envoyer sa police déchirer les tentes et confisquer les biens dans plusieurs dizaines de camps de fortune. Il ne se sent plus, il est pressé d’expulser : « il est nécessaire d’agir rapidement, à droit constant » (Le Monde, 4 décembre 2017). C’est la raison pour laquelle il fait paraître deux circulaires, le 20 novembre et le 12 décembre.
La première (« Objectifs et priorités en matière de lutte contre l’immigration irrégulière ») exige « que… les demandeurs d’asile déboutés fassent systématiquement l’objet d’une décision portant OQTF dès que possible… que les personnes faisant l’objet d’une procédure de détermination de l’État responsable [procédure Dublin] soient assignés à résidence… dès la présentation au guichet unique ». Il annonce la création de 200 places supplémentaires en rétention. Même Jacques Toubon, co-fondateur du RPR et ministre dans le même gouvernement que Charles Pasqua, propulsé par Hollande « Défenseur des droits » –un poste fantôme en vue de placer des hommes politiques en fin de carrière– s’indigne, dénonçant un texte qui « conduirait à banaliser l’enfermement des étrangers, y compris ceux ayant un droit au maintien sur le territoire et un besoin de protection internationale, au mépris du respect des droits fondamentaux les plus élémentaires » (Communiqué, 7 décembre 2017).
La seconde circulaire (« Examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence ») instaure la possibilité pour les préfectures de pénétrer dans les centres d’hébergement en vue d’en expulser les sans-papiers, voire de demander à des travailleurs sociaux ou à des associations d’accomplir la basse besogne. Mettre fin à l’hébergement inconditionnel, pourtant déjà défaillant, est un coup violent porté aux libertés démocratiques : Pasqua, Hortefeux, Guéant n’avaient pas osé aller si loin. Le FN, quant à lui, « se félicite que le problème majeur de l’immigration soit posé. Il y voit une victoire politique » (Communiqué, 18 décembre 2017).
Le résultat est plus de souffrance pour ceux qui fuient la misère et la guerre (elles-mêmes liées à l’impérialisme et aux interventions néocoloniales), l’emprise des mafieux (passeurs, esclavagistes…) et plus de morts (3 100 noyés en Méditerranée en 2017).
Contre la jeunesse en formation
Le gouvernement s’en prend aux travailleurs, français ou étrangers, mais aussi à la jeunesse en formation. Dans l’enseignement primaire, la scolarisation avant trois ans est largement remise en cause, les classes de CP à 12 élèves dans les REP+ se sont constituées à moyens constants, c’est-à-dire par un redéploiement des autres postes. Un « Conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale » vient d’être nommé, avec un risque évident d’islamophobie. À l’autre pôle, l’accès à l’université est en danger. C’est un vieux rêve du patronat, que la main-d’oeuvre puisse être à sa merci. Les jeunes qui veulent faire des études sont plus nombreux que jamais. Pourtant, le budget de l’enseignement supérieur public est resté stable. En 2016, était instaurée la sélection en master, avec l’aide des appareils de la FAGE, de l’UNEF, du SNESUP-FSU, de la CFDT, etc. En 2017, la loi Vidal mettait fin de fait au statut du bac comme premier grade universitaire, à quoi s’ajoute la contre-réforme du bac à venir, avec la fin des séries, la diminution drastique du nombre d’épreuves, une place accrue au contrôle continu, la suppression des épreuves de rattrapage, la mise en concurrence des lycées…
Pour Macron, les patrons ont le droit à l’erreur, mais pas les étudiants. Il insulte la jeunesse : « Nous ferons en sorte que l’on arrête de faire croire à tout le monde que l’université est la solution pour tout le monde » (Le Monde, 11 septembre 2017). L’instauration d’une sélection supplémentaire à l’entrée de l’université coïncide, comme un ironique passage de relais, avec le mort de Devaquet le 19 janvier, tant le projet de loi « relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants » comporte des similitudes avec celui qui avait provoqué une riposte massive et victorieuse de la jeunesse étudiante en novembre-décembre 1986. Le gouvernement a déjà demandé aux universités d’instaurer les modalités de la sélection, sur un mode local, à l’encontre du cadre national. Elles seront autorisées à refuser des bacheliers si elles jugent que leur « projet » –comme s’il est infâme qu’un jeune de moins de 20 ans puisse ne pas avoir de plan de carrière– n’est pas cohérent avec son niveau et sa formation. Des « compétences » spécifiques à chaque licence –les « attendus », dont seuls les ingénus peuvent sérieusement prétendre qu’il s’agit d’autre chose que de la sélection– seront donc jugées nécessaires pour accéder à l’université. Le projet de loi adopté en première lecture en décembre par l’Assemblée leur attribuerait un caractère très général, qui laisse à chaque université la possibilité de les adapter, les durcir ou les assouplir.
Non seulement les bacheliers se voient interdire un accès à l’université – à commencer par les enfants de la classe ouvrière –, mais c’est aussi une opportunité de profit. La classe capitaliste étant attirée par le profit comme le vautour par la charogne, des officines privées proposent déjà leurs services de remise à niveau pour les bacheliers qui craignent de ne pas réunir les « attendus ». Les mesures suscitent la résistance par les étudiants et les travailleurs de l’enseignement supérieur. Ils sont pour l’instant entravés par les directions de l’UNEF, de la FSU, des SUD, de FO, qui non seulement proposent une lutte locale, université par université, loin d’une lutte nationale seule à même de faire reculer le gouvernement, mais cherchent moins à mobiliser les étudiants qu’à faire pression sur les directions d’université via les conseils de cogestion dans lesquels ils sont élus.
Briser la collaboration de classe
Le gouvernement a rencontré jusqu’ici peu de résistance. Ses rivaux politiques bourgeois (LR, FN) sont pour l’instant en reconstruction après leurs défaites électorales de la présidentielle et des législatives de 2017. Le parti traditionnel de la bourgeoisie (LR) est déstabilisé par Macron, qui parvient à faire ce dont Sarkozy rêvait. Il vient d’élire à 75 % son nouveau chef, Laurent Wauquiez, qui cherche à rallier la bourgeoisie et la petite bourgeoisie traditionnelle en portant un discours particulièrement réactionnaire contre la protection sociale et le « cancer de l’assistanat », contre les homosexuels, en soutenant les bigots arriérés de la Manif pour tous, contre les étrangers et la « folie migratoire ». Le président des « Jeunes avec Wauquiez », pressenti futur président des Jeunes républicains va jusqu’à prêter à Marine Le Pen « un discours de gauche » et la qualifie de « soixante-huitarde » (Marianne, 3 décembre 2017).
Les partis issus de la classe ouvrière semblent également hors course : LFI a bien du mal à exister en dehors des campagnes électorales (contrairement au PCF d’autrefois), le PS est mort, du moins dans sa forme actuelle, le PCF poursuit sa longue agonie… Surtout, les appareils syndicaux se sont positionnés en soutien, à peine masqué, du gouvernement parce qu’ils ont participé tout l’été 2017 à l’élaboration des ordonnances, parce qu’ils ont écrit avec le Medef une lettre accompagnant les attaques contre les chômeurs…
Le nombre de grèves a tendance à diminuer (712 en 2017, contre 801 en 2016, 966 en 2015…). Le ministère du Travail décompte, pour 2015, 69 journées de grève pour 1 000 salariés, contre 164 en 2005.
La classe ouvrière semble cadenassée, mais elle n’est pas écrasée. L’agressivité de la police, le délabrement de quartiers populaires, l’étranglement des hôpitaux, l’insuffisance des transports publics, les licenciements, les baisses de salaires, la sélection à l’université, le sort des réfugiés, l’échec des expéditions militaires… nourrissent un mécontentement souterrain qui peut exploser malgré les partis « réformistes » réduits aux gesticulations parlementaires et les chefs syndicaux tenus en laisse. Il faut préparer ce moment par l’unification des révolutionnaires, par la mise sur pied des fractions de lutte de classe dans les syndicats pour la rupture avec le gouvernement, pour les revendications :
Pas touche aux chômeurs ! Des allocations pour tous les chômeurs ! Échelle mobile du temps de travail !
Pas touche au SMIC ! Revalorisation massive du SMIC ! Augmentation généralisée des salaires ! Échelle mobile des salaires !
Des logements pour tous ! Réquisition des immeubles vides !
Des papiers pour tous ! Régularisation de tous les sans-papiers ! Retrait du projet de loi sur l’immigration ! Abrogation des circulaires Collomb et de toutes les lois xénophobes !
Pour le droit aux études ! Retrait du projet de loi sur l’université ! Maintien du baccalauréat comme premier grade universitaire ! Revalorisation massive des bourses ! Construction de logements par le CROUS ! Des moyens pour les universités à hauteur du nombre d’étudiants !