Gouverner sous le capitalisme, c’est gouverner pour le capitalisme
Dans le cadre du capitalisme, il est possible de participer aux élections et même aux organes législatifs, mais le parti ouvrier, s’il est fidèle à ses principes, est un parti d’opposition. Participer au pouvoir exécutif se fait toujours au compte de la classe dominante.
Il y a une différence essentielle entre les corps législatifs et le gouvernement d’un État bourgeois. Lorsque, au parlement, les élus ouvriers ne réussissent pas à faire triompher leurs revendications, ils peuvent, tout au moins, continuer la lutte en persistant dans une attitude d’opposition. Le gouvernement, par contre, qui a pour tâche l’exécution des lois, l’action, n’a pas de place, dans ses cadres, pour une opposition de principes ; il doit agir constamment et par chacun de ses organes ; il doit, par conséquent, même lorsqu’il est formé de membres de différents partis, comme le sont en France depuis quelques années les ministères mixtes, avoir constamment une base de principes communs qui lui donne la possibilité d’agir, c’est-à-dire la base de l’ordre existant, autrement dit, la base de l’État bourgeois… (Rosa Luxemburg, Question de tactique, juillet 1899)
Depuis 1914, le PS-SFIO participe à des gouvernements bourgeois ; depuis 1944, le PCF en fait autant. Ils sont devenus des « partis ouvriers bourgeois ». En 2012, le PS a la présidence, détient une majorité à l’Assemblée nationale et forme les gouvernements (d’abord avec EELV et le PRG, maintenant avec le seul PRG). Il vit du vote des travailleurs mais se tient entièrement au service des capitalistes. En témoignent les expéditions militaires, le renforcement de l’appareil répressif de l’État, la poursuite des licenciements collectifs patronaux et des sanctions patronales (comme les 4 licenciés d’Air France et tant d’autres dans les petites et moyennes entreprises), les cadeaux fiscaux et sociaux aux patrons, les attaques contre la retraite et la limitation du temps de travail. En 2012, le président PS, le gouvernement PS-EELV-PRG et la majorité PS à l’Assemblée ne touchèrent pas aux mesures qui avaient déjà mis en cause la protection que donnaient aux travailleurs les accords interprofessionnels et les conventions collectives :
- les lois Aubry des 13 juin 1998 et 19 janvier 2000 qui permettent des accords « dérogatoires » sur le temps de travail ;
- la loi Fillon du 4 mai 2004 qui autonomise l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche.
- la loi Bertrand du 20 août 2008 qui donne à l’accord d’entreprise la compétence de principe pour élaborer certaines règles : contingent d’heures supplémentaires, répartition et aménagement des horaires.
Hollande et le gouvernement Valls viennent, avec la loi El Khomri du 21 juillet 2016 de diminuer encore les droits des travailleurs salariés. Contrairement au gouvernement grec, contraint d’emprunter à l’UE et au FMI pour financer le budget de l’État, les organismes capitalistes internationaux n’imposent rien au gouvernement français. Celui-ci agit, volontairement, au compte de la classe capitaliste française. Mais son succès dépend largement de l’attitude des directions syndicales.
Un projet conçu en concertation avec les directions confédérales
Or, la dégénérescence du mouvement ouvrier n’a pas touché que les partis politiques. Elle concerne tout autant son aile syndicale. La direction de la CGT a soutenu, comme la majorité du PS-SFIO, l’union sacrée en 1914 parce que l’appareil de la centrale était devenu une bureaucratie, tout aussi vendue à sa bourgeoisie que les partis sociaux-impérialistes [voir Révolution communiste n° 8].
La bourgeoisie d’une grande puissance impérialiste peut, économiquement, soudoyer les couches supérieures de ses travailleurs… La question de savoir comment cette petite aumône est partagée entre ministres « ouvriers », députés « ouvriers », « ouvriers » membres des comités des industries de guerre, permanents… n’est qu’une question secondaire. (Vladimir Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, novembre 1916)
Cent ans après, il faut remplacer « membres des comités des industries de guerre » par membres des conseils d’administration des groupes capitalistes, du Conseil économique, social et de l’environnement, du Conseil d’orientation des retraites, etc. bref toute une couche de responsables de la CGT, de la CFDT, de FO, de Solidaires, de l’UNSA… En 2006, un rapport officiel estimait à 36 % la part des cotisations dans le budget de la CGT. L’appareil qui la contrôle jouit d’une série d’avantages par rapport aux salariés ordinaires, comme l’a montré l’affaire de Lepaon, blanchi par Martinez [voir Révolution communiste n° 10]. Voilà pourquoi, pour ne plus parler des classes, il préfère désormais parler du « monde du travail » (suivi par ses adjoints de LO).
La CGT l’emporte de peu sur la CFDT par le nombre d’adhérents et les voix aux élections professionnelles. L’origine de la CFDT est différente puisqu’elle est née des efforts de l’Église catholique pour contrer la CGT qui, à l’origine, se réclamait de la révolution sociale. L’appareil de la troisième centrale, FO, né d’une scission de la CGT au moment de la « guerre froide », n’est qu’une variante de la CGT maintenue [voir Révolution communiste n° 10]. Le gouvernement, en même temps qu’il faisait adopter une nouvelle loi contre le travail et pour le capital, récompensait deux bureaucrates : Lepaon, ancien secrétaire général de la CGT fut nommé en juillet directeur de la future Agence de la langue française ; Stéphane Lardy, ancien secrétaire confédéral FO, fut nommé en avril à l’Inspection générale des affaires sociales. Par contre, le gouvernement a ratifié le licenciement du délégué CGT d’Air France qui avait participé à la bousculade du DRH du groupe en octobre 2015.
Toutes les directions syndicales ont, d’une manière ou d’une autre, protégé le gouvernement Hollande-Valls-Macron et, surtout, les intérêts de la bourgeoisie française qu’une grève générale aurait pu mettre en danger.
Le 19 octobre 2015, le gouvernement convoque une « conférence sociale » pour préparer le projet de loi sur le travail. La CGT, Solidaires et la FSU, qui avaient participé aux trois précédentes, la boycottent. Pas FO. Le 4 novembre, le Premier ministre Valls et la ministre du Travail El Khomri confirment leur orientation au compte de la classe capitaliste française.
Nous voulons améliorer la compétitivité des entreprises. (Myriam El Khomri, Les Échos, 17 février)
Le 25 février 2016, l’avant-projet de loi est soumis pour avis à toutes les confédérations syndicales. Du 7 au 11 mars, une première concertation a lien avec le gouvernement. Tous les chefs syndicaux se rendent aux convocations. Le PS, le PdG, le PCF, LO, le NPA, le POID, le POI… approuvent à l’intérieur des appareils syndicaux et camouflent dans leur presse l’aide apportée ainsi à l’attaque annoncée du gouvernement contre les protections que comporte encore le Code du travail qui a d’autant plus grossi que ses dispositions devenaient, à partir 1981, de plus en plus favorables aux patrons.
Dix organisations syndicales se réunissent le 23 février. Elles ne se prononcent pas pour le retrait du projet de loi Hollande-Valls-El Khomri.
Les organisations signataires ne sont pas satisfaites de ce projet… Les organisations signataires, conscientes des enjeux et des responsabilités du mouvement syndical sont porteuses de propositions et sont disponibles pour engager le dialogue… (CFDT, CFE-CGC, CGT, FIDL, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, UNSA,Communiqué, 23 février)
Une pétition pour le retrait recueille 1 million de signatures. Les 7 et 8 mars, toutes les confédérations syndicales et organisations patronales sont convoquées par le gouvernement pour discuter de son projet anti-ouvrier. Toutes s’y rendent, y compris CGT, Solidaires et FO. La CGT fait au Premier ministre des « propositions ».
Les numéros un des syndicats CFTC, FO, CGT, CFDT, et côté patronal CGPME, se sont succédés à Matignon pour des entretiens avec le chef du gouvernement, entouré des ministres Myriam El Khomri (Travail) et Emmanuel Macron (Économie). Les concertations se poursuivront mardi avec la CFE-CGC (cadres) et le Medef, et mercredi avec l’UPA (artisans) et l’Unsa, avant une réunion plénière le 14 mars. (Les Échos, 7 mars)
Le 9 mars 2016, des manifestations contre le projet de loi à l’appel de la CGT, de la FIDL de FO, de la FSU, de Solidaires (les SUD), de l’UNEF et de l’UNL rassemblent 500 000 personnes, dont de nombreux étudiants et lycéens. Le gouvernement remanie le texte et le soumet le 14 mars à l’ensemble des « partenaires sociaux ». Solidaires, FO et la CGT se rendent à sa convocation pour discuter, une fois de plus, de son projet.
Cette réforme, préparée depuis l’automne 2015, a été élaborée en étroite concertation avec les partenaires sociaux, conformément à la méthode de dialogue social que le gouvernement met en œuvre depuis le début du quinquennat. Elle a fait l’objet de débats vifs et nourris, mais constructifs, qui ont permis d’aboutir à un texte équilibré, sans renoncer à son ambition. Le projet contient les ajustements annoncés lors de la conférence tenue le 14 mars dernier avec les organisations syndicales de salariés, les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations de jeunesse. (Gouvernement, Communiqué, 24 mars)
De nouveau, aucun des partis politiques du mouvement ouvrier, naturellement présents dans les organisations syndicales, ne s’y oppose.
Le résultat du « dialogue social »
À l’occasion de la concertation du 14 mars, le gouvernement PS-PRG met en avant une disposition pour « une plus grande sécurisation des parcours professionnels ». Cela permet à la CFDT, à l’UNSA, à la CFE-CGC et à la CFTC de l’approuver globalement. En fait, le projet reste favorable au capital contre le travail, ce qui explique le soutien d’une partie de LR (Benoist Apparu, Alain Juppé, Bruno Le Maire, François Fillon…) pendant que le Medef en demande plus au gouvernement. La loi permettrait aux accords d’entreprise de l’emporter sur les conventions collectives de branche et les accords interprofessionnels dans plusieurs domaines.
Plus de flexibilité du temps de travail :
- Les patrons auront désormais la possibilité de décider par accord d’entreprise de l’organisation du temps de travail. Le temps de travail hebdomadaire pourra passer à 46 heures – contre 44 heures – pendant 12 semaines.
- Le temps de travail pourra être calculé sur trois ans, contre un an aujourd’hui.
Plus de flexibilité des salaires :
- Un accord d’entreprise permettra de décider du seuil de déclenchement des heures supplémentaires et de la majoration de leur taux (qui pourra être abaissé jusqu’à 10 %).
- Les patrons, sans même prétexter de difficulté économique, pourront faire adopter des « accords offensifs » sous couvert de « préserver ou développer l’emploi ». Ils pourront ainsi diminuer ou supprimer complètement les primes.
Plus de flexibilité de l’emploi :
- Les salariés qui refuseraient les baisses de salaire prévues par l’accord d’entreprise (par les primes) s’exposeront à un licenciement pour « motif spécifique », avec la procédure d’un licenciement individuel pour motif économique mais sans les mesures de reclassement.
- Les patrons peuvent licencier plus largement pour des « raisons économiques » : en cas de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant 4 trimestres consécutifs pour les entreprises de 300 salariés et plus, 3 trimestres consécutifs pour celles de 50 à 300 salariés, 2 pour celles de 11 à 50 et 1 pour celles de moins de 11 salariés.
Les directions syndicales s’opposent à la grève générale
Après avoir participé au « dialogue social » qui a débouché sur le projet de loi contre le travail, les directions de la CGT, de FO, de Solidaires, de la FSU et de l’UNEF refusent durant quatre mois d’appeler à la grève générale. Elles prétendent que c’est par souci démocratique, qu’elles ne veulent pas l’imposer aux travailleurs. Mais jamais les dirigeants ne proposent aux assemblées générales de se prononcer pour ou contre la grève générale. Ils ne consultent pas les assemblées générales avant d’imposer aux travailleurs la sempiternelle panoplie des simulacres qui ont conduit à l’échec en 2010 : une douzaine de « journées d’action », des « grèves reconductibles », une « votation citoyenne »… Ils ne consultent pas non plus les assemblées générales avant de continuer à rencontrer le gouvernement alors qu’il maintient son projet de loi.
La grève générale est le mouvement de toute la classe ouvrière qui lui permet de sentir sa force, qui la pousse à s’organiser démocratiquement et à poser la question du pouvoir.
La grève en masse n’est que la forme revêtue par la lutte révolutionnaire et toute modification dans les rapports des forces aux prises, dans le développement du parti et dans la séparation des classes, dans la position de la contre‑révolution, agit immédiatement, par mille voies invisibles et incontrôlables, sur l’action de la grève. Mais avec cela cette action même ne cesse presque pas un instant. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son plus puissant ressort. En un mot, la grève en masse… n’est pas un moyen ingénieux, inventé pour donner plus de force à la lutte prolétarienne; elle est le mode de mouvement de la masse prolétarienne, la forme de manifestation de la lutte prolétarienne dans la révolution. (Rosa Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicats, 1906, ch. 4)
Le gouvernement, isolé et discrédité, n’aurait pas maintenu son projet de loi s’il avait été confronté à la grève générale. Une telle victoire des travailleurs aurait permis d’avancer les revendications : réintégration des licenciés pour lutte collective, arrêt des licenciements, hausse des salaires, baisse du temps de travail sans baisse de salaire et avec embauche, abrogation de toutes les lois anti-ouvrières, expropriation du grand capital…
Tous les défenseurs du capitalisme, de la bourgeoisie française, de son État, se sont ligués pour empêcher la grève générale parce qu’elle aurait liquidé le gouvernement Hollande-Valls, non au profit de LR ou du FN mais de la possibilité d’un gouvernement issu des masses mobilisées, d’un gouvernement ouvrier.
Les soviets sont toujours nés des grèves. La grève de masse est le milieu naturel de la révolution prolétarienne. (Lev Trotsky, L’Étape décisive, 5 juin 1936)
Les directions syndicales multiplient les « journées d’action »
Le 17 mars 2016, 150 000 jeunes défilent. Après quelques hésitations et avoir parlé de « premier recul du gouvernement » (qui ne recule pas du tout, comme la suite va le prouver), les directions de FO, de Solidaires et de la CGT finissent par se prononcer pour le retrait du projet, tout en laissant la porte ouverte à de « vraies négociations », remettant « tout sur la table » et préservant la possibilité de « réécrire » le projet. Elle refusentpar là de rompre avec le gouvernement, de le vaincre.
Le 24 mars, un policier frappe violemment au visage un lycéen du 19e arrondissement de Paris qui n’agressait personne. Le 31 mars, 1,2 million de travailleurs et de jeunes manifestent à l’appel de la CGT, de la FIDL de FO, de la FSU, de Solidaires, de l’UNEF et de l’UNL. Ce sera l’apogée des manifestations.
Le soir du 31, le mouvement Nuit debout (ND) occupe la place de la République à Paris. Il s’étend à d’autres villes. Patronné en fait par des chefs d’ATTAC (l’antenne française du FSM anti-mondialisation) et des membres d’EELV (qui a participé aux attaques gouvernementales pendant la moitié du mandat de Hollande), des responsables syndicaux SUD ou FSU, des cadres du PdG (dont Chaïbi, Monségu…), du NPA et d’AL, il s’inspire des Indignados et d’Occupy Wall Street. Ses dirigeants, qui dissimulent leur appartenance politique, se verraient bien à la tête d’un parti politique du type des réformistes de Syriza ou des petits bourgeois de Podemos.
Jamais ND ne se départira du pacifisme et du légalisme ; jamais elle ne tentera d’affronter et de déborder les bureaucraties syndicales, en appelant à des comités élus par les assemblées générales et à la grève générale. Après un certain succès, les réunions de ND s’essoufflent en mai et agonisent en juin. Si l’occupation de la Puertadel Sol avait été suivie de mobilisations dans les quartiers populaires d’Espagne pour empêcher les saisies de logement, ND s’est cantonnée à une tribune pour des bonimenteurs comme l’économiste chauvin Lordon. Elle n’a été, pour les jeunes et les travailleurs qui cherchaient une issue, qu’une diversion complétant celles des bureaucraties syndicales.
Le 4 avril, le gouvernement, confiant dans la capacité des bureaucraties syndicales à contenir le mouvement par la diversion des « journées d’action », soumet le texte au parlement. Les directions syndicales CGT, FO et Solidaires refusent toujours de se prononcer pour la grève générale, avec l’aide du PS, du PCF, de LO, du NPA, du POID, du POI, d’AL, etc. Renouant avec le sabotage du mouvement de 2010, elles contraignent le mouvement au piétinement sur place, aux défilés qui n’ont d’autre objectif que d’appeler au suivant : 9 mars, 5 avril, 9 avril, 28 avril, 19 mai, 26 mai, 14 juin, 23 juin, 5 juillet, 15 septembre.
Martinez défend les flics
Du 18 au 22 avril, la CGT tient son congrès. Celui-ci n’est pas avare de phrases ronflantes mais creuses, aucune fraction n’y combattant pour la grève générale [voir Révolution communiste n° 17]. Le gouvernement, les partis bourgeois et les principaux médias montent en épingle une affiche d’un petit syndicat CGT qui prétend pourtant que la police peut être au service de toutes les classes (« la police doit protéger les citoyens et non les frapper »). La direction confédérale explique que la police n’est pas en cause et que seul le gouvernement est responsable.
La polémique sur l’affiche d’Info’Com-CGT – avec en fond une matraque, un écusson de CRS et une tâche de sang – s’est invitée au congrès de Marseille… Interpellé directement par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a tenu un point presse où il a d’abord botté en touche : « Cette affiche est une affiche d’un syndicat de la CGT et elle n’apparaît pas, vous l’avez noté, sur le site de la confédération. » « Ceux que nous montrons du doigt, a-t-il ajouté, ce sont ceux qui donnent l’ordre de frapper sur les manifestants, et non pas ceux qui appliquent les ordres. » (Le Monde, 19 avril)
Les dizaines de journalistes systématiquement agressés verbalement et physiquement par les policiers, les milliers de manifestants et de grévistes arrêtés, gazés et matraqués apprécient certainement. Le gouvernement et la police ne sont en réalité que deux faces de l’État bourgeois. S’il n’y avait pas de tribunaux, de prisons, de police et d’armée, tout gouvernement ne serait qu’un Pokémon. D’ailleurs, les gouvernements bourgeois passent et la police bourgeoise demeure.
L’État, dans toutes les périodes normales, est exclusivement l’État de la classe dominante et il reste essentiellement, dans tous les cas, une machine destinée à maintenir dans la sujétion la classe opprimée, exploitée. (Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884, ch. 7)
Le congrès de la CGT, qui comprend comme la CFDT, FO, l’UNSA et Solidaires un syndicat de policiers, s’achève en appelant à des grèves reconductibles. Lors de la journée d’action du 28 avril, la participation aux défilés baisse, tout en restant importante : 500 000 personnes dans toute la France. À Paris, à Rennes et dans d’autres villes, les « autonomes » et des anarchistes affrontent la police et s’en prennent, de manière dérisoire, aux agences bancaires, pillent des magasins, voire détruisent des équipements collectifs. Cela permet à la police de justifier une violence tournée contre la jeunesse : ce jour-là, à Rennes, un étudiant perd un œil à la suite d’un tir de flash-ball. Par la suite, dans plusieurs villes, le service d’ordre de la CGT manœuvrera de manière à isoler les cortèges de la jeunesse face à la police, alors que Solidaires essaie de les protéger.
Le PCF vote avec LR et le FN
Une minorité de la fraction parlementaire du PS, qui craint une déroute aux prochaines élections législatives, demande plus de concessions pour pouvoir voter le projet Hollande-Valls-El Khomri. Faute d’une majorité suffisante à l’Assemblée, le gouvernement recourt une première fois le 10 mai à l’article 49.3 de la Constitution (celle du général De Gaulle, reconduite par Mitterrand, le gouvernement Union de la gauche comprenant le PS et le PCF, la majorité PS et PCF de l’Assemblée). Il oblige les députés à accepter le projet, sauf à renverser le gouvernement par une « motion de censure ».
Le 11 mai, les députés « Front de gauche » (en fait PCF, car le PdG n’a pas de député) votent le lendemain avec le FN la motion de censure déposée par LR et l’UDI, lesquels reprochent au projet de ne pas satisfaire le Medef et la CGMPE, de ne pas aller assez loin dans les attaques contre les travailleurs. Les anciens staliniens se transforment en béquille des partis politiques de la bourgeoisie. Cette ignominie du PCF complète le sabotage par la bureaucratie CGT de la possibilité de la grève générale, bouche toute perspective de classe et prépare le retour au pouvoir de LR (ou la venue au pouvoir du FN).
Pour leur part, les secrétaires généraux de la CGT et de FO, tout en persistant à refuser d’appeler à la grève générale, prennent la défense des mercenaires de la classe capitaliste (dont la moitié vote FN).
« Bien sûr que oui, nous condamnons toutes les violences », a déclaré le numéro un de la CGT sur France 2, invité à dire s’il condamnait celles visant les forces de l’ordre… « En même temps, il y a eu des violences policières », a-t-il souligné, tout en ajoutant qu’elles « peuvent s’expliquer ». Il a évoqué l’absence d’ordres donnés aux policiers pour contenir les débordements et les sous-effectifs. « C’est pour cela que la CGT police manifestera aussi mercredi » avec les gardiens de la paix, appelés par l’ensemble de leurs organisations à se rassembler à Paris pour dénoncer la haine anti-flic. (AFP, 12 mai)
« Moi je ne remets pas en cause les policiers », a déclaré Mailly sur RTL, rappelant qu’il avait condamné l’affiche controversée d’un syndicat… « ils font un métier pas facile avec parfois ordres, contre-ordres pas faciles à suivre sur le terrain », a expliqué le leader de FO. « Ils sont un peu en burn-out, faut bien comprendre aussi, entre l’état d’urgence, les manifs aujourd’hui, l’Euro 2016 demain », a-t-il ajouté… « Donc je n’incrimine pas les policiers », a insisté M. Mailly, assurant que des membres de FO participeraient à la manifestation prévue mercredi à l’appel notamment d’Alliance (syndicat majoritaire) contre la haine anti-flic. (AFP, 16 mai)
Le 18 mai, les chefs de la CGT approuvent le bloc du PCF avec LR et le FN lors des prises de parole, sans un mot contre la répression policière.
La direction de la CGT éparpille les grèves
Les quelques grèves étudiantes s’éteignent : si des dizaines de milliers de jeunes continueront à manifester et à défier la police, la masse des jeunes en formation prépare les examens, ne voyant pas se dessiner la possibilité d’une victoire contre le gouvernement. Le 19 mai, les manifestations regroupent 400 000 travailleurs et jeunes. C’est le début de grèves et de piquets sporadiques dans plusieurs entreprises. La classe ouvrière montre sa force dans les raffineries, les ports, le transport ferroviaire… Mais ces grèves éparses restent sous le contrôle de la CGT et de ses comparses FO ou SUD, avec l’aide du PCF, du PdG, de LO, du NPA, d’AL, etc. Il y a des grèves, mais il n’y a pas la grève !
Or, les principaux médias dénoncent vigoureusement ces quelques blocages et le gouvernement répond par la répression : la police brise un par un les piquets des raffineries et de ramassage d’ordures. À plusieurs reprises, la direction de la CGT freine les dockers qui voulaient en découdre avec la police. Les bureaucrates syndicaux n’organisent pas la riposte.
LR réclame l’interdiction des manifestations, en invoquant « l’état d’urgence » approuvé en janvier 2015 par le PS, le PdG et le PCF, ainsi que par toutes les bureaucraties syndicales [voir Révolution communiste n° 9]. Le 31 mai, Gattaz, le président du Medef (dont tous les membres ont licencié des travailleurs), prétend que ce sont les grèves qui causent le chômage et que les piquets de grève se comportent comme des voyous.
Le 2 juin, les 7 organisations syndicales refusent toujours d’appeler à la grève générale, elles mendient un rendez-vous avec Hollande pour lui soumettre « des propositions » et appellent les travailleurs à une farce, la « votation citoyenne ».
Depuis le début du conflit, la lutte paie… Depuis le 20 mai, les organisations syndicales et de jeunesse ont demandé à être reçues par le Président de la République. Cette requête est restée à ce jour sans réponse alors que depuis trois mois, les organisations ont des propositions à faire valoir et sont prêtes à discuter. Dès aujourd’hui, les organisations appellent à poursuivre et à amplifier les mobilisations : en multipliant, en participant et en soutenant les actions décidées par les salarié-es en assemblées générales, y compris par des grèves ; en travaillant à des temps forts de convergence de luttes interprofessionnelles par la grève et les manifestations, en organisant ou en renforçant les journées déjà engagées du 6 au 13 juin dans les secteurs professionnels et sur tout le territoire ; en assurant le succès de la votation organisée dans toutes les entreprises, services, lieux d’études, dont les résultats seront remis lors d’une grande mobilisation fin juin. (CGT, FIDL, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, Communiqué, 2 juin)
Le 12 juin, a lieu la dernière élection législative partielle : dans l’Ain, au second tour, la candidate LR l’emporte sur celui du FN. Les trahisons du PS conduisent son électorat à s’abstenir. Au fil des 22 partielles depuis 2012, le PS a perdu 4 sièges de députés et LR en a gagné autant.
Le 14 juin, 1 million de personnes manifestent. À Paris, alors que la tête du cortège est bloquée par la police devant l’hôpital Necker, un homme isolé essaye de casser des vitres de la façade sans aucune intervention de la police. Cela déclenche une offensive du gouvernement, de LR et du FN contre la CGT et le droit de manifester. L’assurance du gouvernement, la pression médiatique et policière aboutissent à la démoralisation et à la reprise site par site, faute de grève générale.
L’appareil de la CGT met fin aux grèves et aux blocages
Le Pen attribue le projet de loi aux « recommandations européennes » alors que c’est d’abord la classe capitaliste française, dont le FN et LR sont deux expressions politiques, qui dicte la conduite du gouvernement. Les sénateurs FN Rachline et Ravier déposent des amendements au projet de loi pour supprimer le compte pénibilité et le doublement des seuils sociaux. Le vice-président du FN, Aliot, déclare au Journal du Centre que « la grève est un système archaïque ».
Le 17 juin, le secrétaire général de la CGT rencontre, sans les autres organisations syndicales, la ministre du Travail.
Ce matin, Myriam El Khomri a confirmé l’invitation devant la presse, se disant «prête à recevoir Philippe Martinez dans la minute si cela peut permettre de lever tous les blocages dans le pays». Dans la foulée, Philippe Martinez a déclaré, lui aussi, être «disposé», face à l’«urgence», à rencontrer la ministre, «même ce week-end». (Libération, 10 juin)
Quand la compétition européenne de football organisée en France débute, les quelques grèves s’éteignent, d’autant que le gouvernement fait reporter au patron de la SNCF l’essentiel de l’offensive prévue de longue date contre les cheminots. La CGT ne signe pas l’accord à la SNCF, mais n’empêche pas son application.
La CGT-Cheminots a décidé jeudi de ne pas exercer son droit d’opposition à l’encontre de l’accord sur le temps de travail à la SNCF signé par l’Unsa et la CFDT, ce qui valide de facto ce texte… «La stratégie de la terre brûlée n’est pas la conception qu’a la CGT du syndicalisme», ajoute la fédération en se présentant comme un «syndicat de lutte honnête et responsable». La CGT précise qu’elle n’exercera pas non plus son droit d’opposition à la convention collective négociée au niveau de la branche et signée par trois syndicats (Unsa, CFDT, CFTC). La validité de ces deux accords reposait sur la décision de la CGT : la fédération SUD-rail, qui a dénoncé les deux textes, ne disposait pas à elle seule des 50 % de voix nécessaires pour les faire invalider. (Le Figaro, 23 juin)
Mais le sursis risque d’être de courte durée pour les travailleurs de la SNCF. Si la classe ouvrière dans son ensemble continue à reculer face à la bourgeoisie française, le patron de l’entreprise remettra le couvert, cette fois adossé au gouvernement (qui risque fort d’être encore plus réactionnaire et revanchard).
Dans la foulée, le gouvernement Hollande-Valls-Cazeneuve interdit la manifestation du 23 juin à Paris avant de la tolérer sur un parcours réduit, sous un contrôle policier étroit. Le 28 juin, les chefs syndicaux prétendent que « la mobilisation » grandit et qu’elle se poursuivra pendant l’été. Il n’y a plus que 200 000 manifestants. Le même jour, ils remettent leur votation citoyenne à un sous-fifre de l’Élysée, Hollande ne se dérangeant pas pour si peu.
Ce mardi matin, l’intersyndicale opposée à la loi travail a remis à l’Élysée des résultats partiels de sa votation citoyenne contre la loi travail à laquelle plus de 700 000 personnes ont participé… Les représentants syndicaux sont arrivés peu avant 10 h à l’hôtel de Marigny, annexe de l’Élysée, avec plusieurs cartons « votation loi Travail » posés sur des diables, et en sont ressortis au bout de dix minutes. « Ce sont les premiers résultats. Cette votation continue », a indiqué Virginie Gensel, membre du bureau de la CGT, après un « rendez-vous très court » avec Michel Yahiel, le conseiller social de François Hollande. (L’Humanité, 29 juin)
Le 29 juin, les directions de la CGT et de FO rencontrent de nouveau le gouvernement et lui suggèrent poliment de modifier le projet. Le ministère qualifie ces entretiens de « sérieux et constructifs » (Le Monde, 1 juillet). La CGT refait des propositions, FO attribue la responsabilité de la loi travail à l’étranger.
Nous avons suggéré au Premier ministre de réunir sur une journée, en contacts bilatéraux, les interlocuteurs sociaux. Bien entendu, cette proposition ne vaut que si un véritable dialogue s’instaure. Abandonner le projet de loi Travail tel qu’il est relève aussi du bon sens au regard du référendum qui vient de se dérouler au Royaume-Uni sur le Brexit… Or des projets de loi comme celui sur le travail en France, ou ailleurs, font partie des engagements européens qui salissent l’idée européenne et qui la discréditent aux yeux des travailleurs. (Jean-Claude Mailly, FO Hebdo, 29 juin)
Gagner le Code du travail digne du 21e siècle protecteur pour les salariés, évitant le dumping entre les droits des salariés et entre entreprises nécessite de réécrire les articles du projet de loi qui structurent à eux seuls l’intégralité du texte : les articles fixant la primauté de l’accord d’entreprise, la réforme de la négociation d’entreprise (référendums, accords de groupes, accords d’une durée de cinq ans…) , les accords dits de préservation et de développement de l’emploi, les licenciements économiques, la médecine du travail, le remboursement des indus par les privés d’emplois. (CGT, Propositions exprimées au Premier ministre et à la ministre du Travail, 29 juin)
Comme si des « propositions » pouvaient convaincre ce gouvernement, qui n’a pas cessé de porter des coups aux travailleurs, de tourner casaque et de devenir le « protecteur des salariés » ! Martinez, en sortant de la convocation de Valls et El Khomri, affirme aux journalistes qu’il faut retirer certains articles « pour les réécrire ». C’est, de manière hypocrite, renier le mot d’ordre de retrait pur et simple, celui des travailleurs et des jeunes qui se sont mobilisés pendant 4 mois.
Le 5 juillet, les défilés regroupent moins de 200 000 personnes ; le gouvernement engage de nouveau sa responsabilité en recourant à l’article 49.3. La loi est votée le 11 juillet.
Sans combat contre la bureaucratie syndicale, il ne peut y avoir de lutte efficace contre le capital
La défaite n’est pas de la faute de la classe ouvrière, elle est de la responsabilité de ses chefs actuels. Une fois de plus, à cause du bloc des bureaucraties syndicales (CGT, FO, FSU, Solidaires…), des partis sociaux-patriotes (PS, PCF, PdG) et des organisations centristes (LO, NPA, POID…), les masses ne sont pas parvenues, alors qu’elles en avaient la force et le désir, à défaire l’attaque du gouvernement bourgeois, à déborder le cadre du « dialogue social », des « votations citoyennes », des « journées d’action » symboliques et des blocages dispersés. Tel est le prix à payer pour l’absence d’une internationale ouvrière révolutionnaire dans le monde et d’un parti ouvrier révolutionnaire dans ce pays.
Le Groupe marxiste internationaliste, malgré sa taille réduite, a tenté de montrer la responsabilité des agents de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse dans l’organisation de la défaite du mouvement contre la loi Hollande-El Khomri : refus de rompre le soutien au gouvernement, la concertation avec lui, refus d’appeler à la grève générale. Il a vendu des centaines d’exemplaires de son bulletin dont la couverture appelait à la grève générale. Le GMI s’est adressé le 30 mai aux rares organisations qui s’étaient prononcé pour la grève générale. Seule la plus petite, le groupe Révoltes, a répondu pour dire qu’il s’agissait d’une méprise, qu’il ne combattait pas pour la grève générale… : une orientation qui permet, au GR comme au GCPOR, au POI, au POID, de mener une vie tranquille à l’ombre des bureaucraties. La tendance CLAIRE du NPA et le groupe La Commune n’ont pas daigné répondre.
Il faut d’urgence regrouper les communistes internationalistes dans ce pays pour constituer, en lien avec les travailleurs avancés du monde entier, une organisation communiste révolutionnaire d’envergure nationale. Ainsi, l’avant-garde pourra :
- organiser des fractions lutte de classe dans les différents syndicats ;
- défendre les revendications des salariés au lieu de faire « des propositions » aux capitalistes et à leur État ;
- unifier les syndicats en une seule centrale démocratique et revendicative ;
- imposer que les assemblées générales des lieux de travail, d’étude, de vie décident ;
- faire élire dans chaque ville et coordonner dans tout le pays des organes de lutte ;
- défendre les manifestations et les grèves contre les nervis patronaux et les policiers ;
- empêcher les licenciements, contrôler l’embauche, la production et la distribution.
Ainsi, à la lutte de classe de la bourgeoisie, répondra la lutte de classe du prolétariat. Ainsi, la classe ouvrière ouvrira la voie du renversement du pouvoir des exploiteurs, au gouvernement des travailleurs, à l’expropriation du grand capital, à la planification décidée par les producteurs, aux États-Unis socialistes d’Europe.
La bureaucratie syndicale est l’instrument le plus formidable de l’oppression des travailleurs par l’État bourgeois. Il faut arracher le pouvoir des mains de la bourgeoisie et, pour cela, il faut renverser son principal agent : la bureaucratie syndicale. (Lev Trotsky, Les fautes fondamentales du syndicalisme, octobre 1929)
8 août 2016