La déroute du PS et du PCF
Les élections régionales se sont tenues les 6 et 13 décembre, soit après les attentats, et elles ont confirmé le tournant réactionnaire que l’événement a entraîné, amplifié par la réponse sécuritaire du gouvernement PS-PRG et par l’union nationale du PCF-PdG-PS-MoDem-UDI-DlF-FN pour instaurer l’état d’urgence.
Si les attentats ont eu un effet sur la mobilisation des électeurs, c’est d’abord au profit du FN… C’est l’extrême-droite qui semble profiter du spectaculaire changement dans l’ordre des priorités citées par les Français. Le chômage qui figurait systématiquement en tête de ces priorités depuis de nombreuses années est dépassé par la sécurité. Près de 40 % des personnes interrogées le citent en premier, moins de 30 % mentionnant en premier lieu le chômage. Or, le parti de Marine Le Pen est jugé le plus apte à traiter ce sujet de la sécurité pour 23,2 % des personnes interrogées contre 15,5 % à la droite. (Le Monde, 4 décembre 2015).
19 % des patrons d’entreprises de moins de 20 salariés déclarent vouloir voter FN en octobre, selon l’IFOP. Tandis que le responsable du Medef de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur affiche sa neutralité, le président du Medef Gattaz prend position le 1er décembre contre le FN. Si le grand capital, mieux armé pour affronter ses concurrents, est majoritairement attaché à l’ouverture des frontières, à l’UE et à l’euro, le petit capital se réfugie de plus en plus dans l’illusion du repli sur les frontières françaises, du protectionnisme et du retour au franc qui précipiteraient la crise du capitalisme français.
Au premier tour, le 6 décembre, les abstentions s’élèvent à 49,9 % des inscrits, moins qu’aux précédentes régionales : 53,6 % en 2010. En outre, les bulletins blancs ou nuls constituent 4 % des votes. L’abstention touche surtout les jeunes et les habitants des quartiers populaires qui avaient majoritairement voté pour Hollande à l’élection présidentielle en 2012. Les 18-25 ans qui se sont inscrits sur les listes électorales ont boudé les urnes pour 65-66 % d’entre eux (premier pourcentage : Ipsos, 6 décembre 2015 ; deuxième : Opinion Way, 6 décembre 2015). Les inscrits des « professions intermédiaires » se sont abstenus entre 45 et 55 % (respectivement Opinion Way, Ipsos) ; les « employés » de 58 à 63 % (Ipsos, Opinion Way) ; les « ouvriers » de 51 à 61 % (Opinion Way, Ipsos).
Les listes constituées par des partis d’origine ouvrière (Parti socialiste, Parti communiste français, Parti de gauche, Lutte ouvrière) totalisent à peine 36,5 % des suffrages exprimés (moins de 19 % des inscrits). Toutes les élections (municipales de 2014, européennes de 2014, départementales de 2015, régionales de 2015) confirment qu’il n’y a pas de majorité PS-PCF-PdG dans les urnes.
Si les Français avaient élu leurs députés et non leurs conseillers régionaux, à quoi aurait ressemblé l’Assemblée nationale ?… Le Parti socialiste n’aurait pu se qualifier au second tour dans 256 circonscriptions, c’est-à-dire près de la moitié d’entre elles… La droite l’aurait emporté dans 284 circonscriptions, la gauche dans 221 et le FN dans 47. (Le Figaro, 5 janvier 2016)
Le PS, qui a la présidence et la majorité à l’Assemblée nationale, qui s’est employé à multiplier les cadeaux aux capitalistes, a mené des guerres impérialistes, a fermé les frontières aux réfugiés et a repris le programme sécuritaire de LR et du FN, ne limite ses pertes que par l’hostilité de son électorat traditionnel au FN. Ainsi, la coalition du PS et du parti bourgeois radical (PRG) reçoit 23,4 % des suffrages exprimés.
Mélenchon, qui s’est déjà déclaré candidat à la prochaine présidentielle, ne s’est pas beaucoup dépensé pour les régionales. Pour le PCF, les régionales sont « un revers électoral important » (Laurent, Déclaration, 13 décembre), pour le PdG, « le PS entraîne toute la gauche dans sa chute » (PdG, Analyse des résultats, 19 décembre), mais ils n’expliquent pas pourquoi. Le PCF et le PdG, qui cultivent en permanence le nationalisme, qui ont participé à l’union nationale en janvier et en décembre 2015, qui se présentaient généralement divisés entre eux mais unis comme le PS à divers débris bourgeois (MRC, EELV…), totalisent 4,1 %. LO, qui sert d’auxiliaire à la bureaucratie de la CGT et qui n’ouvre pas la perspective de la révolution, n’obtient que 1,5 % des suffrages exprimés.
Le succès du FN
Les listes constituées par des partis bourgeois (Front national, Les Républicains, Europe écologie les Verts, Debout la France…) totalisent presque les deux tiers des votes. Le parti fascisant l’emporte sur l’alliance des représentations politiques traditionnelles de la bourgeoisie : le parti post-gaulliste (LR) et les héritiers de la démocratie-chrétienne (MoDem, UDI).
Son nouveau succès s’inscrit dans le renforcement des partis xénophobes et fascistes à travers toute l’Europe : SD en Suède avec 13 % des voix en 2014, PIS en Pologne avec 37,6 % en 2015, PW aux Pays-Bas avec 13,3 % en 2014, AfD en Allemagne avec 7 % en 2014, LdN et FN en Italie avec respectivement 4,1 % et 2,4 % en 2014, FPO en Autriche avec 19,7 % en 2014, UKIP en Grande-Bretagne avec 12,6 % en 2015, XA en Grèce avec 7 % en 2015, Jobblik en Hongrie avec 14,7 % en 2014…
Le FN obtient à lui tout seul 6 millions de voix, soit 28,4 % des suffrages exprimés en « métropole » (l’État français dans le continent européen). Il est au 1er tour en tête dans 6 régions sur 13 de métropole (avec plus de 40 % dans deux d’entre elles : Provence-Alpes-Côte d’Azur et Nord-Pas de Calais-Picardie). En outre, l’autre parti xénophobe, DlF, lui aussi anti-immigrés et anti-UE, fait un bon score : 3,8 %. Le FN progresse chez les jeunes (+7 % des électeurs de moins de 35 ans selon l’IFOP, soit 33 % des suffrages en décembre contre 26 % aux départementales de mars), les femmes (+4 %), les « catholiques pratiquants » (+9 %), les « artisans, commerçants, chefs d’entreprise » (+12 %)…
Le score est préoccupant dans les principales composantes de la classe ouvrière : 43 % des électeurs « ouvriers » qui se sont déplacés ont choisi le FN selon l’Ipsos et même 55 % selon Opinion Way ; 36-37 % des « employés » ; 25 % des « professions intermédiaires ». Les « sympathisants des syndicats », même s’ils sont un peu moins réceptifs à la propagande des partis bourgeois, sont touchés par la montée du FN.
Selon l’IFOP, 29 % des salariés se déclarant proches d’un syndicat ont voté Front national contre 32 % pour l’ensemble des salariés… L’organisation syndicale à voter le plus pour la formation de Marine Le Pen reste Force ouvrière, avec près de 34 % des sympathisants… Les sympathisants CGT sont 27 % à avoir voté FN contre 22 % aux européennes… C’est en revanche chez les proches de la CFDT avec 26 % contre 17 % en 2014 que le parti d’extrême droite réalise sa plus forte progression. (L’Humanité, 8 décembre 2015)
Il faut tenir compte qu’une partie significative des travailleurs ne vote pas, soit qu’ils en sont empêchés par « la République » qui les estime bons à exploiter mais pas dignes de voter (étrangers, mineurs), soit qu’ils s’en désintéressent (pas d’inscription sur les listes électorales, abstention). Les non-inscrits qui auraient pu l’être représentent de 7 à 10 % de la population (3 millions de personnes) dont presque la moitié (43 %) aurait entre 18 et 24 ans.
En prenant les estimations les plus favorables au FN (7 % de non-inscrits, 51 % d’abstentions, 55 % des suffrages exprimés), la proportion des « ouvriers » ayant voté FN est de 25 % (93/100*49/100*55/100). En prenant les estimations les plus défavorables au FN (10 % de non-inscrits, 61 % d’abstentions, 41 % des suffrages exprimés) mais toujours sans tenir compte des étrangers (ce qui surestime la proportion d’électeurs FN), on tombe à moins de 15 % des ouvriers (90/100*39/100*41/100). 15 à 25 %, c’est trop mais cela ne fait pas du FN le grand parti ouvrier comme les médias le répètent. D’autant que les « ouvriers » sont la catégorie la plus contaminée, les « employés » et les « professions intermédiaires » étant moins touchés.
La coalition entre LR, l’UDI et le Modem obtient 27 % des suffrages exprimés, plus que celle du PS et du PRG mais un peu moins que le FN tout seul. Elle n’est en tête au 1er tour que dans 4 régions de métropole. La ligne de Sarkozy –réaliser une alliance avec l’UDI et le Modem, calquer la campagne sur le FN– n’est guère tenable. Une partie de l’électorat LR passe au FN : selon l’IFOP, 18 % des électeurs de Sarkozy du premier tour de 2012 qui sont allés voter au premier tour des régionales de 2015 l’ont fait pour le FN.
Les listes constituées par EELV (parfois avec tout le Front de gauche, parfois avec le seul PdG) ont obtenu seulement 6,8 % des voix (en 2010, 12,2 %). La tenue de la conférence internationale sur le climat en novembre-décembre a moins pesé que les attentats de novembre. Quand les rapports politiques et sociaux se tendent, la mouvance écologiste tend à disparaître.
LR l’emporte grâce au PS
Le PS, fidèle en trahison, a pendant 3 ans de gouvernement capitulé devant toutes les exigences de la bourgeoisie. Il achève de brouiller les frontières de classe en se désistant pour LR dans les 3 régions où les listes PS-PRG arrivent en troisième position. La résistance est minime : seule la tête de liste, en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Jean-Pierre Masseret, maintient sa liste contre LR et le FN malgré les pressions de la direction nationale du PS (Cambadélis), des caciques PS régionaux (Filipetti, Ries, Klein) et du gouvernement (Valls). Le PS fusionne les listes PS-PRG avec EELV, le PCF et le PdG dans les 9 autres régions, sauf en Bretagne.
Au second tour, l’abstention diminue (41,4 %), les bulletins blancs ou nuls sont un peu plus nombreux (4,9 %). Le FN obtient plus de voix (6,8 millions) mais ne dirige aucune région, même si les 358 conseillers régionaux FN le renforcent politiquement et financièrement. Le « désistement républicain » −une répétition du soutien à Chirac du PS, du PCF et de la LCR en 2002− a permis à la coalition LR-UDI-MoDem de diriger 7 régions en métropole (plus la Réunion et la Guyane) et d’obtenir 789 sièges de conseillers régionaux, ce qui satisfait le président de LR, Sarkozy. Le PS sauve 5 régions en métropole, il a 520 conseillers régionaux (0 en Provence-Alpes–Côte d’Azur et 0 en Nord-Pas de Calais-Picardie). En Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Masseret obtient plus de voix au second tour (339 749) qu’au premier (286 390).
En Corse, la coalition nationaliste Femu a Corsica (Faisons la Corse) l’emporte avec 35,3 % des suffrages exprimés. Dans les régions hors d’Europe, une coalition de partis bourgeois (GUSR, UDI) gagne la Guadeloupe avec 57,4 % des voix, une coalition de nationalistes (MIM…) et de LR l’emporte avec 54,1 % en Martinique.
Aux Antilles françaises, un séisme s’est produit… Alors qu’ils partaient favoris, deux barons ont lourdement chuté : Victorin Lunel, le président sortant (PS) de la région Guadeloupe, et son homologue martiniquais, Serge Letchimy, par ailleurs député (apparenté PS). (Le Monde, 16 décembre 2015)
En guise de bilan, le PCF et le PdG n’ont à proposer que des boniments électoralistes (« un nouveau projet progressiste », PCF, 13 décembre), la poursuite de la défense de « la France », le soutien honteux aux interventions impérialistes, la réédition des trahisons gouvernementales répétées (1936, 1944, 1981, 1997…) par un nouveau bloc avec des partis bourgeois pour gérer le capitalisme.
Face à la défaite des régionales (recul du PS, montée du FN), Hollande estime qu’il ne faut rien changer à l’orientation du gouvernement et qu’il faut y associer l’UDI et le MoDem (le seul problème est que ces derniers sont visiblement réticents à monter dans un bateau qui coule). Le premier secrétaire Cambadélis et le premier ministre estiment qu’il est temps d’en finir avec le PS au profit d’un parti ouvertement bourgeois.
Une partie des socialistes, proches de M. Valls notamment, vont pousser dans le sens d’une « recomposition » de la gauche… Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, ne dit pas autre chose, quand il plaide dès lundi matin pour la création d’un « grand parti réformateur » qui dépasse de PS qui « ne fait plus envie aujourd’hui ». (Le Monde, 16 décembre 2015)
Le principal atout du FN est que la classe ouvrière ne dispose que de partis traîtres. Il est temps d’avancer un programme radical qui liquide le chômage, qui ose s’en prendre aux licencieurs qui sont aussi les véritables nantis, qui démantèle l’État bourgeois que le PS et le Front de gauche renforcent avec l’état d’urgence. Il est temps de regrouper l’avant-garde des travailleuses et des travailleurs pour construire un nouveau parti, révolutionnaire et internationaliste. C’est pourquoi le Groupe marxiste internationaliste invite les groupes et noyaux révolutionnaires à sa 3e conférence, les 26 et 27 mars.