Août 1914 : une puissance européenne qui se tient à l’écart de l’affrontement entre bourgeoisies de la région
L’Italie de 1914 est une puissance capitaliste de second plan malgré l’unification de la péninsule en 1871 puis l’annexion de la Tripolitaine (aujourd’hui Libye) en 1911, en dépit de l’émergence de grands groupes de l’industrie (Ansaldo, Fiat, Ilva…) et de la finance (Credito Italiano, Banca Commerciale…).
Le développement du capitalisme entraîne la création d’une classe ouvrière. Elle s’organise dans le Partito Socialista Italiano (PSI, Parti socialiste italien), affilié à l’Internationale ouvrière, qui a construit le syndicalisme et qui obtient des succès électoraux ; dans la Confederazione Generale del Lavoro (CGL, Confédération générale du travail), liée au PSI, et dans une moindre mesure dans l’Unione Sindacale Italiana (USI, Union syndicale italienne), anarcho-syndicaliste.
La guerre coloniale menée en Libye, de 1912 à 1913, entraîne une mobilisation antimilitariste de la part du mouvement ouvrier révolutionnaire. Le 7 juin 1914, se déroule une manifestation à Ancôme contre la répression qui continue à punir les antimilitaristes (bataillon disciplinaire, asile d’aliénés). La troupe ouvre le feu contre les manifestants. C’est le début de la Semaine rouge. L’insurrection populaire se propage aux principales villes : Turin, Parme, Milan, Florence, Naples… Le 12 juin, la direction de la confédération syndicale (CGL) ordonne la fin de la grève générale.
Pendant près d’un demi-siècle, les gouvernements et les classes dirigeantes d’Angleterre, de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche et de Russie ont pratiqué une politique de pillage des colonies, d’oppression de nations étrangères, d’écrasement du mouvement ouvrier. (Lénine, Le Socialisme et la guerre, 1915)
Membre de l’Entente constituée par la France, la Grande-Bretagne et la Russie, le gouvernement italien ne déclare pourtant pas la guerre en août 1914 à la Triplice formée par l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie.
La bourgeoisie libérale (au sens de démocratique) et son chef de file le plus influent (Giovanni Giolitti) estime que le fragile équilibre qu’elle a réussi à préserver malgré la montée des luttes ouvrières, risque d’être compromis par les bouleversements qu’amènera inévitablement le conflit européen et que la classe dominante doit rester neutre.
L’Église catholique dont l’influence réactionnaire est considérable, s’oppose aussi à la participation de l’Italie au conflit. C’est une internationale, mais pas pour autant émancipée de considérations nationales et géostratégiques. Le Pape craint par-dessus tout l’effondrement de l’Empire austro-hongrois. Le plus grand État catholique d’Europe est entouré de pays où cette variante du christianisme n’était pas la religion d’État : la Russie orthodoxe, l’Allemagne majoritairement protestante, la France républicaine, la Grande-Bretagne anglicane.
Le mouvement ouvrier est majoritairement pacifiste, ce qui reflète non seulement les aspirations de la base, mais les choix d’une fraction de la bourgeoisie. En effet, les appareils « réformistes » de la CGL et du PSI s’alignent sur la bourgeoisie « démocratique ».
La convergence de fait entre la réaction cléricale, la bourgeoisie libérale et le mouvement ouvrier écarte temporairement le pays de la déflagration d’août 1914.
Mai 1915 : la bourgeoisie italienne jette ses jeunes hommes dans le massacre pour participer au partage du butin
La tentation est grande, pour d’autres fractions de la bourgeoisie, d’éteindre le mouvement ouvrier et d’étendre l’Italie au détriment des futurs vaincus.
Pour la guerre, il n’y a au départ que des éléments disparates : des capitalistes à la tête de groupes industriels (Agnelli, Perrone…), des partis nationalistes bourgeois (l’Association nationale italienne, des éléments de la démocratie chrétienne…), des sociaux-patriotes (reflétant l’influence de cette fraction de la bourgeoisie sur le mouvement ouvrier : ils fréquentent la même franc-maçonnerie), une grande partie de l’intelligentzia (dont les futuristes)…
En novembre 1914, leur camp se renforce de façon inattendue et spectaculaire par le ralliement d’un des principaux dirigeants du PSI, rien moins que Benito Mussolini, le directeur de l’organe central du parti (Avanti !). On sait aujourd’hui que cette défection est le résultat de la corruption par la bourgeoisie impérialiste française, par le biais de son agent Marcel Cachin, dirigeant du PS-SFIO, le parti social-patriote qui a trahi la classe ouvrière et qui participe au gouvernement d’union sacrée [voir Révolution communiste n °8].
Alors, le gouvernement italien négocie avec l’Entente dans le plus grand secret et, en particulier, dans le dos du parlement. Il signe le 26 avril 1915 le Pacte de Londres qui lui promet d’importantes concessions territoriales dans les Alpes, dans les Balkans, en Turquie.
La guerre menée par l’Entente ne l’est pas pour la Belgique ; cela est parfaitement connu, et seuls les hypocrites le dissimulent. L’Angleterre pille les colonies de l’Allemagne et la Turquie ; la Russie pille la Galicie et la Turquie ; la France réclame l’Alsace Lorraine et même la rive gauche du Rhin ; un traité a été conclu avec l’Italie sur le partage du butin (Albanie et Asie Mineure). (Lénine, Le Socialisme et la guerre, 1915)
Les nationalistes bourgeois et petits-bourgeois déclenchent une campagne de presse (en particulier avec le torchon belliciste Il Popolo d’Italia de Mussolini, payé par le gouvernement français) et organisent des manifestations spectaculaires et à caractère quasi insurrectionnel. Le 23 mai 1915, l’Italie rejoint l’Entente et entre en guerre contre la Triplice. Le peuple italien paiera les appétits sordides de sa clique impérialiste, d’ailleurs non satisfaits par l’Entente à la fin de la guerre, de 600 000 morts, 900 000 blessés et mutilés.