Michael Brown, une victime de plus
Les manifestations et affrontements de rue violents qui se sont produits à plusieurs reprises à Ferguson (banlieue populaire de Saint-Louis dans le Missouri) après le meurtre d’un jeune Noir de 18 ans le 9 août, s’inscrivent dans un contexte mettant aux prises la police et les Noirs sur tout le territoire des États-Unis depuis des décennies.
L’assassinat odieux de Ferguson et le déni de justice qui a suivi (le policier n’a pas été poursuivi), par le retentissement qu’ils ont eu partout aux États-Unis, modifie les rapports politiques entre l’État bourgeois qui ne cesse de renforcer les forces de répression et une partie des travailleurs.
La nuit du 10 août est marquée par les premiers affrontements entre la population, noire en majorité dans cette banlieue, et la police ainsi que par le pillage de magasins. La violence monte à un tel degré les nuits suivantes que le président Barack Obama, le 12 août, de sa luxueuse villégiature de Wineyard, lance un appel au calme. Lequel reste sans effet. Le déploiement massif de forces de sécurité du comté (véhicules blindés de l’armée, tireurs d’élite, arrestations de journalistes) conduit Obama à reprendre la parole le 14 août. Sans plus de succès. La police municipale, en tentant de faire passer le jeune Brown pour un voleur, indigne la population. Des manifestants arborent des casquettes de policiers sur lesquelles on peut lire : « Assassins ! ».
Le gouverneur démocrate du Missouri décrète alors l’état d’urgence et envoie la Garde nationale (des militaires réservistes). Lors des combats de rue, le mouvement s’est trouvé un slogan : « Les mains en l’air ! Ne tirez pas ! ». Le 18 août, Obama s’exprime pour la 3e fois sur Ferguson et promet qu’une enquête indépendante sera diligentée par son ministre de la Justice, un Afro-américain du nom de Eric Holder.
L’impunité des flics tueurs de Noirs
Malgré la militarisation de la police, les arrestations massives, la tension ne retombe pas jusqu’à la seconde explosion sociale fin novembre.
Tout au long de l’automne, les meurtres, principalement, de jeunes travailleurs noirs par des policiers et des vigiles, chaque fois avec acquittement de ces policiers sans procès, se succèdent, accentuant la rage des jeunes et de la classe ouvrière. Notamment un nouveau meurtre d’adolescent noir, non loin de Ferguson, le 9 octobre, provoque une série de rassemblements. La mobilisation culmine dans l’occupation de l’hôtel de ville de Saint-Louis.
Le grand jury de Ferguson annonce qu’il ne poursuivra pas le policier Darren Wilson en justice. Les manifestations s’étendent alors à tout le territoire, malgré l’appel d’Obama à « accepter la décision qui revient au grand jury de Ferguson car nous sommes, dit-il, une nation bâtie sur l’État de droit », ce qui revient à couvrir la politique réactionnaire du gouvernement et des deux partis impérialistes qui alternent au pouvoir, le Parti républicain (désormais majoritaire dans les deux chambres du Parlement) et le Parti démocrate (celui du président).
À Cleveland, un garçon noir de 12 ans est tué par un policier alors qu’il manipulait une arme factice. À Los Angeles, un jeune noir autiste meurt sous les coups de policiers.
L’épuisement des illusions envers Obama
En 2008, la première élection d’un Noir à la présidence avait pu être vécue comme un dépassement des clivages ethniques et de l’oppression des populations noire et afro-américaine, le résultat des luttes de celles-ci pour la reconnaissance de leurs droits et qui ont émaillé, marqué l’histoire des États-Unis d’Amérique. Au lieu d’avertir les travailleurs et les Noirs contre un politicien bourgeois, le principal débris du stalinisme (le Parti communiste des États-Unis d’Amérique CPUSA) et la principale fraction de la sociale-démocratie (les Socialistes démocrates d’Amérique DSA) ont fait campagne, en 2008 et de nouveau en 2012, pour le candidat du parti bourgeois.
Mais les deux mandatures d’Obama ont fait litière des illusions sur le caractère progressiste. Ce qui s’est passé à Ferguson et se généralise partout, manifeste d’ailleurs la volonté politique de la Maison Blanche de doter les forces de répression qui agissent de manière sanglante en Irak et en Afghanistan, de moyens visant à museler, en interne, toute protestation des masses à la politique de la grande bourgeoisie.
À qui profite la reprise économique ?
La colère sociale qui s’exprime aujourd’hui dans toutes les villes américaines contre la violence policière, ne peut être séparée de l’apparition d’un chômage de longue durée apparu avec la crise capitaliste mondiale de 2007-2009 et qui touche spécialement les minorités afro-américaine et hispanique. Depuis 2009, le taux de chômage baisse, mais c’est en partie du fait du retrait du « marché du travail » des chômeurs découragés. La reprise de l’économie américaine, qui contraste avec la faible croissance au Japon et en Europe, n’a guère profité aux travailleurs alors que la fortune des couches les plus riches de la bourgeoisie a doublé depuis 2009.
Sur l’ensemble de 2014, le salaire horaire moyen a augmenté de 1,7 %… Ce chiffre doit également être mis en perspective avec l’inflation qui est à 1,3 %, ce qui veut dire qu’en réalité les salaires font quasiment du surplace en termes de pouvoir d’achat. (Le Monde, 9 janvier)
L’élection d’Obama en 2008 et sa réélection en 2012 n’ont rien changé. Non seulement la police est restée aussi violente envers les Noirs et les Chicanos, mais la santé publique s’est dégradée, les coupons alimentaires ont été restreints alors qu’un enfant sur cinq ne mange pas à sa faim, les expulsions de logements se sont poursuivies (100 000 habitants concernés dans la seule ville de Detroit en 2014), marquant un assaut croissant des nantis contre la classe ouvrière.
Obama renforce la police
La politique intérieure ne peut être totalement à l’opposé de sa politique extérieure. L’emploi des drones par l’armée américaine et le recours à la torture par la CIA contaminent la NSA et la police.
Fin 2014, dans une série de réunions avec des responsables politiques, de la police et des dirigeants de « droits civiques », Obama s’est fermement prononcé contre toute mesure mettant un frein à la militarisation des forces policières locales. Dans un rapport publié début décembre sur les transferts d’équipements militaires à la police, la Maison blanche conclut :
Dans l’ensemble, ces programmes ont été utiles et ont offert aux forces de l’ordre d’État et locales de l’assistance pour poursuivre leurs missions importantes pour aider à maintenir la sécurité du peuple américain.
Concrètement, le programme fédéral d’armement des polices locales se monte à plus de 4,3 milliards de dollars en fusils d’assaut, véhicules blindés, usage d’équipes « de choc » (SWAT), garde nationale, hélicoptères et drones militaires… Tous ces moyens ont été utilisés (voire testés) lors des affrontements d’août à Ferguson. Obama, maniant comme tout politicien démocrate le mensonge à grande échelle, présente l’augmentation des moyens de l’État policier comme des initiatives… pour les « droits civiques ».
Unir la lutte des Noirs et des travailleurs
Mais les masses les plus opprimées, qui regimbent la plupart du temps pacifiquement et qui parfois s’insurgent, ne sont pas dupes. Des modifications s’opèrent dans la conscience des travailleurs dont la presse bourgeoise intelligente s’inquiète.
Les rues secouées de Saint-Louis, et l’indignation qui résonne toujours dans le reste du pays… nous montrent une fois de plus que la méfiance envers l’application de la loi pose un grave danger au tissu civique des États-Unis, danger aggravé par la décision de ne pas poursuivre Wilson. (New-York Times, 25 novembre)
Les succès électoraux de 2013 de partis réformistes qui osent se réclamer du mot tabou « socialisme » [voir Révolution communiste n°4] et l’émeute de Ferguson de 2014 sont peut-être des signes précurseurs : le régime politique américain est miné par sa propre pourriture économique et sociale et ne peut que courir à sa perte.
Les éditorialistes, en mettant l’accent sur le « grave danger » menaçant le « tissu civique » font référence à de possibles troubles sociaux incontrôlables. Cela explique en partie la préparation de la grande bourgeoisie à la guerre civile, les développements actuels risquant d’ouvrir la voie à des luttes sociales comme le pays n’en a pas connues depuis les grèves ouvrières des années 1930 et le mouvement des Noirs des années 1960-1970.
Le frein est que les principales organisations « communistes » ou « socialistes » entretiennent toujours des illusions dans le Parti démocrate, que les confédérations syndicales (AFL-CIO, Change to Win…) refusent de rompre avec le Parti démocrate et de s’engager dans la formation d’un parti ouvrier, que la 4e Internationale a été détruite et que son ancienne section (SWP) est devenue une secte castriste insignifiante, qu’aucune organisation communiste révolutionnaire ne les a remplacées dans le monde et dans le pays.
Il faut renouer avec la tradition de l’Internationale communiste qui avait tourné sa section étasunienne vers les Noirs, avec les efforts de la 4e Internationale pour construire le parti ouvrer révolutionnaire des travailleurs et des Noirs sur la base du bolchevisme.
Un parti ouvrier honnête de la nouvelle génération reconnaîtra le potentiel révolutionnaire de la lutte des Noirs et appellera à une alliance de combat de la lutte noire et du mouvement ouvrier dans une lutte révolutionnaire commune contre le système social actuel. (James Cannon, International Socialist Review, été 1959)