Formé en février dernier, le gouvernement que dirige Renzi est une coalition du Parti démocrate (PD), du Nouveau centre droit (NCD, chez Berlusconi jusqu’en 2013), de l’Union du centre (UdC, chrétiens démocrates) et du Choix civique pour l’Italie (SC, autour de Monti, champion de l’austérité et de la « réforme du marché du travail » en 2011).
Dans le but d’asseoir cette continuité de défense des intérêts des capitalistes sur une stabilité des institutions, Renzi vient de signer, le 12 novembre, un pacte avec Berlusconi pour une réforme électorale. Il prévoit un nouveau mode de scrutin qui donnerait une prime au vainqueur du premier tour, afin d’aboutir à un système à deux partis, qui alterneraient au pouvoir.
« Redresser l’Italie »
Diminution de 10 % de l’impôt sur la valeur ajoutée des entreprises accompagnée de 3 milliards d’autres cadeaux fiscaux, 13 milliards d’euros pour les patrons créanciers des administrations, suppression de 85 000 postes de fonctionnaires sur 3 ans, privatisation totale des Postes et de l’Autorité de l’aviation civile, 900 millions d’euros de coupes dans les budgets de l’enseignement public… : le gouvernement Renzi prend en charge les intérêts des capitalistes, veut faire porter le fardeau de leurs dettes au prolétariat (135 % du PIB, 2 200 milliards d’euros).
La « réforme du marché du travail »
Le Jobs act (« loi du travail » en anglais, c’est plus mode) a été préparé pendant des mois, avant même la nomination de Renzi comme Président du conseil.
Principal élément innovateur du « Jobs Act » clairement d’inspiration blairiste : la création d’un nouveau contrat unique d’insertion à durée indéterminée « à protection croissante » pour les nouveaux entrants (avec une dose de flexibilité pendant trois ans). (Les Échos, 16 janvier 2014)
Traduction : pas de droit ou presque pendant trois ans, considérés comme « période d’essai » au bout de laquelle le patron peut légalement licencier sans que cela ne lui coûte rien. C’est un contrat « indéterminé » en termes de garanties pour le salarié et « déterminé » à assurer tous les droits au patronat.
Parallèlement, le plan prévoit la création d’un nouveau dispositif d’indemnisation chômage (baptisé « chèque universel »), avec impossibilité de refuser plus d’une proposition d’emploi. Au chapitre de la réglementation, il propose d’élaborer un projet de simplification drastique du Code du travail, dans un délai de huit mois, et la participation des élus des salariés aux conseils d’administration des grandes entreprises, sur le modèle allemand. Outre la partie réglementaire, le « plan Renzi » prévoit un volet fiscal sur la baisse des charges des entreprises qui embauchent. (Les Échos, 16 janvier 2014)
Le patronat italien, on s’en doute, a applaudi des deux mains. Mais il n’a pas été le seul :
Le plan a déjà reçu un accueil favorable des syndicats. « Cela va dans la bonne direction », a reconnu la secrétaire générale de la CGIL (la CGT italienne), Susanna Camusso. (Les Échos, 16 janvier 2014)
Depuis, le plan est devenu un projet de loi qui vise à précariser massivement, en supprimant les dispositions légales antérieures quand elles limitaient l’exploitation : les patrons n’auront plus à justifier l’embauche en contrat à durée déterminée plutôt qu’en contrat à durée indéterminée et ce, jusqu’à 20 % des effectifs. Ils pourront remplacer un travailleur précaire par un autre, après trois ans dans l’entreprise, sans qu’il s’agisse d’un licenciement. Ils n’ont plus aucune obligation en matière de salaire ou d’embauche concernant les apprentis, sous prétexte qu’ils les « forment ». Ils obtiennent le droit de modifier le poste de travail sans tenir compte des qualifications, au titre de la « réorganisation » ou d’une « restructuration ».
Après les échecs de Monti et de Berlusconi qui avaient déjà essayé de supprimer l’article 18 du Code du travail, le gouvernement Renzi remet le couvert pour tenter d’effacer ce symbole des grèves des années 1970 : la réintégration avec indemnités de tout travailleur dont le licenciement était reconnu abusif.
Poletti, le ministre du Travail, ne ménage pas sa salive pour expliquer que cette « réforme » s’inscrit dans « la lutte pour l’emploi ». Il a fait carrière au Parti « communiste » italien, c’est donc un menteur hautement qualifié.
L’aile gauche du Parti démocrate (PD) s’est longuement opposée à ce projet de loi, estimant qu’il ne protégeait pas suffisamment les travailleurs mais elle a suivi la consigne du parti et voté la confiance. (Le Figaro, 9 octobre 2014)
En réalité, les dispositions contenues dans la « réforme du marché du travail » et dans les décrets annoncés démantèlent le droit du travail italien. Le projet de loi aggrave la situation de tous les prolétaires, qu’ils aient un emploi ou qu’ils en soient privés (13 % de la population active, 44 % des jeunes).
Le prolétariat et la jeunesse veulent se défendre
Renzi et son gouvernement ont frappé vite et fort, pendant neuf mois, comptant sur la mollesse complice de leurs opposants « de gauche », et surtout sur les appareils des syndicats pour paralyser le prolétariat. Mais le Président du conseil a enterré trop vite la capacité des exploités à réagir. Sa « réforme du marché du travail » ne passe pas, les travailleurs rejettent massivement les attaques contre les conditions d’embauche et de travail.
La direction de la CGIL (qui ressemble à la CGT française) ne peut ignorer cette colère, au risque d’être totalement désavouée et de ne plus jouer son rôle de protection du gouvernement de « déblocage de l’Italie ». Sa secrétaire générale Camusso (membre du PD de Renzi) n’est plus à même aujourd’hui de dire en public tout le bien qu’elle pense de la « réforme du marché du travail » ; elle conseille au gouvernement de ralentir la cadence, de discuter pour endormir les masses. Mais Renzi considère qu’il a une meilleure méthode, lui qui a demandé et obtenu onze fois la confiance au parlement.
Cependant, les manifestations se succèdent dans le pays, en septembre et octobre, dénonçant le « Jobs act » et plus largement la politique du gouvernement ; ainsi le 10 octobre, des dizaines de milliers d’enseignants, d’étudiants et de lycéens ont fait grève et manifesté dans 90 villes italiennes contre le budget d’austérité, contre les contrats d’intérim de 35 mois dans la fonction publique.
La direction de la CGIL décide d’appeler à une journée nationale d’action le 25 octobre, avec défilé à Rome. Aucune exigence du retrait, l’hymne national pour cadrer la tête du cortège. Des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes déferlent dans la capitale, montrant leur volonté d’infliger au gouvernement une cinglante défaite en abattant sa loi pro-capitaliste, tandis que la direction syndicale continue à jouer la montre, maintient le « dialogue » avec le gouvernement. Le dirigeant de la FIOM, la fédération de la métallurgie, présenté comme « la gauche » de la centrale ce qui en dit long sur « la droite et le centre », déclare :
Renzi doit savoir que pour changer le pays, il a besoin de nous, ceux qui sont dans les rues de Rome aujourd’hui. (Landini, AFP, 25 octobre)
Le chef syndical apporte son aval à l’objectif martelé par le Président du conseil de « changer le pays », c’est-à-dire de faire passer sa politique anti-ouvrière contre laquelle, par centaines de milliers, les travailleurs manifestent sous son nez. Alors que les manifestants veulent affronter le gouvernement et le vaincre, Landini prêche la collaboration de classes. Pour empêcher le prolétariat de dresser sa force unie, il appelle à « des grèves générales régionales ».
Le 8 novembre, 100 000 fonctionnaires à Rome dénoncent le gel des salaires et la « réforme du marché du travail ». Le 12 novembre, à Rome, Milan, Turin, nouvelles manifestations de masse. La direction de la CGIL, sans même cibler la « réforme du marché du travail » dans l’appel, lance alors un mot d’ordre de « grève générale de 8 heures, pour le 5 décembre » : elle affiche le caractère limité qu’elle entend donner à la riposte et escompte que le projet de loi, à cette date, aura déjà été voté par la Chambre des députés.
Mais le prolétariat et la jeunesse ne sont pas prêts pour l’enterrement : le 14 novembre, un immense cortège est réuni à Palerme, le 17 novembre, dans 25 villes, étudiants et lycéens défilent par milliers.
La direction de la CGIL estime qu’elle ne parviendra pas seule à faire refluer cette vague qui grossit ; elle s’adresse à la CISL (qui ressemble à la CFDT française) et à l’UIL (qui ressemble à l’UNSA) pour qu’elles aident à cadenasser les masses.
La CISL donne son accord à une journée d’action seulement dans la fonction publique, l’UIL obtient le report de la « grève générale de 8 heures » au 12 décembre. Autant dire que les bureaucraties syndicales se sont unies pour diviser le prolétariat et s’entendent pour tenter de lui interdire de vaincre.
Grève générale pour arracher le retrait du projet de loi Renzi !
Il manque au prolétariat et à la jeunesse qui luttent en Italie une internationale ouvrière, un parti révolutionnaire qui traduise en mots d’ordre et en actions leur aspiration à défaire la politique anti-ouvrière de l’équipe Renzi, à commencer par le « Jobs act », à chasser ce gouvernement bourgeois et à instaurer le gouvernement issu du combat contre l’État des capitalistes. Regrouper pour le construire est une tâche urgente, inséparable de la participation à la mobilisation actuelle, sur une ligne de combat classe contre classe :
Dirigeants des syndicats et des partis qui disent parler en notre nom, rompez avec le gouvernement Renzi et sa politique ! Front unique ouvrier pour le retrait du projet de « réforme du marché du travail » ! Grève générale jusqu’au succès ! Comités de grève élus par les assemblées de grévistes, centralisés pour assurer la représentation de ceux qui produisent toutes les richesses, par qui fonctionnent tous les services utiles à la population laborieuse ! Baisse du temps de travail pour donner un emploi à tous ceux qui en cherchent ! Augmentation générale des salaires ! Mêmes droits pour tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité !