Des élections locales de mai aux législatives de juillet
Les élections municipales et régionales du 28 mai ont marqué un véritable tournant politique dans l’État espagnol. Leur résultat a été la perte presque entière du pouvoir territorial du PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol, un vieux parti social-impérialiste]. Podemos [Nous pouvons, un parti réformiste plus récent adulé par le NPA et LFI] s’est effondré. Concrètement, le PP [Parti populaire, le principal parti bourgeois issu du franquisme], en alliance avec Vox [Voix, parti fascisant] qu’il décalque, contrôle désormais la plus grande partie des grandes villes et des communautés autonomes.
En toile de fond, un niveau d’abstention très élevé (36,08 %), en lien avec la déception des classes laborieuses envers le gouvernement PSOE-PCE-Podemos. Particulièrement, le désenchantement de l’électorat de Podemos qui, après avoir promis de « monter à l’assaut du ciel », s’est retrouvé à enjoliver un honteux gouvernement social-démocrate dévoué corps et âme à l’Union européenne et à l’OTAN.
Élections | Participation | Abstention |
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Législatives 2023 | 70,4 % | 29,6 % |
Locales 2023 | 63,92 % | 36,08 % |
Législatives 2019 | 66,23 % | 33,77 % |
Locales 2019 | 65,19 % | 34,81 |
Législatives juillet 2023 | ||||
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Votes | Part des votes exprimés | Députés | Évolution des voix depuis 2019 | PP | 8 091 840 | 33,10 % | 137 | +3 044 800 |
Ciudadanos | — | — | — | -1 650 318 |
Vox | 3 033 744 | 12,40 % | 33 | -623 235 |
PP+Cs+VOX | 11 125 584 | 45,50 % | 170 | +771 247 |
PSOE | 7 760 970 | 31,70 % | 121 | +968 771 |
Sumar/Podemos+IU | 3 014 006 | 12,30 % | 31 | -893 324 |
EH Bildu | 333 362 | 1,40 % | 6 | 55 741 |
CUP | 98 794 | 0,40 % | 0 | -148 177 |
BNG | 152 327 | 0,60 % | 1 | 31 871 |
ERC | 462 883 | 1,90 % | 7 | -411 976 |
Junts | 392 634 | 1,60 % | 7 | -137 591 |
PNV | 275 782 | 1,10 % | 5 | -103 220 |
Coalición Canaria | 114 718 | 0,50 % | 1 | -9 571 |
UPN | 51 764 | 0,20 % | 1 | -47 314 |
Total | 24 743 612 | 350 |
Dans ces conditions, la décision de Pedro Sanchez [Président PSOE du gouvernement] de convoquer des élections anticipées le 23 juillet était une fuite en avant à haut risque qui s’est révélée bien calculée, grâce au repoussoir de l’alliance PP-Vox. La volonté de bloquer le programme de réaction noire de Vox a suscité une mobilisation des classes laborieuses pour le « vote utile », en particulier en faveur du PSOE qui a gagné presque un million de voix par rapport à la consultation de mai, un million et demi depuis les législatives de 2019. Mais c’est seulement 75 000 suffrages de plus que la perte subie par Sumar [Monter, voir ci-dessous] en 2023 par rapport aux résultats de 2019 de Podemos et IU [Gauche unie, la coalition « éco-socialiste » du PCE].
Après l’abstention historique aux élections locales, la participation a remonté aux législatives de 6,5 points (et de 4 points par rapport à celles de 2019). Cela reflète aussi la mobilisation symétrique du « vote utile de droite » pour le PP, le seul parti bourgeois qui augmente notablement ses votes et son pourcentage, aux dépends de Vox (à qui restent néanmoins 3 millions de votes, soit 12,4 % des suffrages, ce qui n’est pas à sous-estimer).
Sumar
Face à l’effondrement de Podemos, une monstruosité a été fabriquée au ministère du travail (et probablement à la tête du gouvernement lui-même), en moins de trois mois, autour de la personne de la vice-présidente du gouvernement, Yolanda Diaz, membre du PCE [Parti communiste espagnol, le parti réformiste héritier du stalinisme] et chef de longue date d’IU directement coupable du refus d’abroger les réformes du travail du PP, alors qu’elle ait promis de le faire en 2019.
La candidature à la députation sous l’étiquette Sumar a été la propriété privée de Yolanda Díaz, comme l’équipe électorale et le programme inconsistant qui peut se résumer ainsi : rassembler tous les votes possibles à la gauche du PSOE afin de permettre au PSOE de gouverner. Ce projet a été soutenu –de manière plus ou moins négociée ou contrainte- par les multiples formations issues de Podemos et d’IU.
Il faut souligner que Sumar n’est pas à proprement parler un front ou une coalition. Personne n’a élu Yolanda Diíaz. Elle s’est proclamée elle-même chef de toute « la gauche ». Aucune organisation politique démocratique n’a élaboré et négocié avec d’autres le programme électoral. Yolanda Diaz et son équipe de marketing électoral ont dicté des conditions, opposé leur véto et fait ou non des concessions aux organisations réelles qui lui ont apporté leur soutien. Jamais, dans l’expérience politique des organisations qui se réclament de la classe ouvrière ou d’autres organisations du même type, on avait assisté à une telle dégradation antidémocratique, à une telle soumission à une manœuvre artificielle élaborée par un gouvernement et soutenue par certains médias.
Au bout du compte, Sumar a obtenu trois millions de voix en 2023 (12,30 %). Une perte nette de 900 000 par rapport aux résultats en 2019 des organisations qui ont rejoint depuis le petit monstre. De quoi faciliter une nouvelle investiture de Pedro Sanchez, mais pas assez pour éviter la remise en cause immédiate de l’autoproclamation de Yolanda Diaz et de son projet fantasmatique.
Bildu [Se réunir, parti petit-bourgeois du Pays basque] et BNG [Bloc nationaliste gallicien, parti petit-bourgeois de Galice] ont maintenu leur indépendance par rapport à Sumar et confirmé leur audience électorale. Dans le cas de Bildu, il rejoint son parti bourgeois de référence, le PNV [Parti nationaliste basque].
Il convient de noter que, une fois de plus, les campagnes féroces des médias espagnolistes [chauvins espagnols opposés à l’autonomie des régions opprimées] contre le parti social-démocratisé Bildu continuent à le favoriser, malgré son adaptation au PNV et le fait qu’il est devenu l’une des béquilles qui ont stabilisé et approuvé la politique du gouvernement espagnol ces derniers temps.
Enfin, la CUP [Candidature d’unité populaire, un mouvement petit-bourgeois en Catalogne et en Valence] a perdu 60 % de ses voix de 2019 et ses deux députés, la plongeant dans un nouvel état de perplexité qui la caractérise depuis la débâcle du processus [la tentative, en octobre 2017, par le gouvernement régional de référendum pour l’indépendance de la Catalogne, empêchée et réprimée par le gouvernement PP de l’État espagnol].
Ni majorité absolue PP-Vox, ni gouvernement facile à former
La transformation des scores en députés a tourné en dérision la campagne électorale du binôme PP-Vox, qui comptait sur une majorité absolue incontestée et sur le retour de la patrie sous le manteau sacré de Santiago Matamoros [Saint Jacques le tueur de Maures]. Le PP, pourtant le premier parti en voix, après une campagne de guerre civile contre le PSOE, contre le gouvernement de coalition et contre l’indépendantisme catalan, n’a pratiquement plus aucune possibilité de parvenir à un accord de gouvernement. Pas même avec ses vieux amis des bourgeoisies basque et catalane, qui ont soutenu tant de gouvernements du PP.
La crise est servie. Car toute coalition parlementaire et gouvernementale autre que celle du PP avec le PSOE nécessite la collaboration (au moins l’abstention) de Junts, le parti de l’exilé Puigdemont [Ensemble, un parti indépendantiste de Catalogne, l’autre parti nationaliste bourgeois est l’ERC]. Tout un marché de votes parlementaires a été mis en branle, tandis que le parti supposé vainqueur se déchire publiquement en disant chaque jour une chose et son contraire. Affaire à suivre.