Le patriotisme est précisément l’idéologie qui lie le plus étroitement la sociale-démocratie à sa bourgeoisie nationale. (Lev Trotsky, « Sur le congrès contre la guerre », 13 juin 1932, Contre le fascisme, Syllepses, p. 223)
Du 7 au 10 avril, le Parti communiste français (PCF) tient son « 39e congrès » à Marseille avec 710 délégués.
Le dilemme du PCF
Il y a en France trois partis issus du mouvement ouvrier présents au parlement :
le PS (issu de la minorité du PS-SFIO qui a refusé de rejoindre l’Internationale communiste),
le PCF (lointain héritier de la majorité du congrès de Tours),
LFI (une scission d’un ancien ministre du PS renforcée de transfuges du PCF, de l’ex-PT et de l’ex-LCR).
Tous sont plus exactement des partis sociaux impérialistes ou des partis ouvriers bourgeois : « ouvriers » ou « sociaux » par leur origine historique, leurs liens avec les syndicats de salariés, leur électorat populaire ; « bourgeois » ou « impérialistes » par leur programme de défense du capitalisme français et de renforcement de son État.
Depuis que la bureaucratie stalinienne de l’ex-URSS a restauré le capitalisme, plus rien de significatif ne sépare le PS et le PCF. Leur convergence est illustrée en pratique par leur appartenance commune au front électoral Nupes (qui comprend aussi le principal parti bourgeois écologiste), comme par leur refus de la grève générale en défense des retraites, leurs amendements au parlement d’un projet inamendable, leur confiance stupide dans le Conseil constitutionnel, le leurre d’un référendum (en lien avec les confédérations syndicales dont ils sont partie prenante).
Nous ferons tout pour obtenir ce référendum, en allant chercher ces 4,8 millions de signatures comme le propose RIP inscrit dans la Constitution. (Fabien Roussel, Discours de clôture, 10 avril)
Bien qu’unis sur l’essentiel, les trois partis sont en concurrence acharnée pour obtenir les votes et les places qui en découlent, comme le PSOE, Podemos et le PCE-IU entre eux en Espagne. Tel est le véritable enjeu du congrès.
En janvier, lors de sa préparation, 40 000 cotisants officiels sont consultés. 29 000 votent. Ils optent, en janvier, à 81 % pour le texte soumis par le secrétaire national sortant, Fabien Roussel. Le texte alternatif de Pierre Laurent (qui l’avait précédé à ce poste de 2010 à 2018) n’obtient que 18 %. La divergence tient à ce que la fraction de Roussel veut essayer de desserrer l’étreinte jugée mortifère de LFI. Celle de Laurent ne voit pas comment sauver le PCF hors de la Nupes qui lui a donné un sursis aux législatives et mesure le risque d’apparaitre comme le « diviseur de la gauche » (les mêmes facteurs qui déterminent l’attitude l’Olivier Faure au PS).
Roussel a un avantage sur Laurent, il a plus de présence médiatique. Il joue « le monde du travail » (un terme emprunté aux papes de la fin du 19e siècle pour contrer le vocabulaire de « classe ouvrière ») contre « le peuple » de Mélenchon. Mais c’est une façade qui cache le même genre de populisme que LFI et qui patauge dans des eaux troubles où prospère le RN.
Ils ont transformé nos frontières en passoires et ouvert la France aux quatre vents, et ils reviennent la bouche en coeur en nous parlant de souveraineté. (Fabien Roussel, Discours de clôture, 10 avril)
Le congrès confirme la suprématie de Roussel sur Laurent. Pour remplacer la Nupes (pour la « dépasser » comme on dit au PCF pour faire hégélien et marxiste), il faut un autre bloc électoral, évidemment du même type que la Nupes, mais en changeant la place du PCF et l’étiquette : « construisons un nouveau front populaire pour une France libre, heureuse et forte » (Motion du 39e congrès). Il est réélu par plus de 80 % des délégués.
La lutte de places
En dehors des élus à plein temps et des salariés rétribués par d’autres structures (syndicats, associations…), le PCF dispose lui-même de 165 permanents.
Les cotisations et dons représentent 40 % des 28 millions d’euros des recettes en 2022. Mais le nombre d’adhérents baisse constamment.
En 2018, le nombre de camarades cotisants communiqué par les associations départementales de financement était de 42 056, en 2022 il est de 37 737. (Denis Rondepierre, Rapport financier, 19 avril)
Le reversement d’une partie des indemnités des « 7 500 élus » (dont 14 sénateurs et 12 députés) représente 22 % des ressources. Il faut y ajouter l’aide publique directe qui découle des scores électoraux obtenus. Pour 2021, elle se monte à 9 % du budget (2,16 millions d’euros).
Selon le rapport financier au 39e congrès « 25 % des ressources proviennent des activités et de la gestion des biens du Parti » (Denis Rondepierre, Rapport financier, 19 avril, pcf.fr). Pas un mot pour expliquer en quoi elles consistent. C’est aussi le contrôle de ce patrimoine que se disputent les différents clans de l’appareil.
En 2021, les élections régionales et départementales se soldent par un recul avec la perte du Conseil départemental du Val-de-Marne et de ses prébendes. Lors des européennes la liste de Ian Brossat, « Pour l’Europe des gens, contre l’Europe de l’argent », ne fait que 2,5 % et le congrès regrette amèrement la perte des sièges de députés : « Notre absence du Parlement européen est un handicap. » (p. 9).
Bien sûr, on se gargarise du « souffle nouveau » et du « talent » de la candidature à la présidentielle Roussel en 2022. Le score de 2,3 % (802 000 voix) est « décevant » mais ce serait un « projet de société nouveau » dont le but est une « République sociale et démocratique, laïque et universaliste pour rendre au peuple sa souveraineté » (p. 10). En guise de nouveauté, on repassera !
Aux élections législatives de 2022, si la Nupes permet au PCF d’avoir 2 députés de plus , les gains bien supérieurs de LFI font grincer des dents.
La formation de cette coalition, dans les conditions imposées par La France insoumise, en ne tenant pas compte de la réalité des rapports de force locaux, aura interdit au PCF de reconquérir des sièges dans des circonscriptions où il est pourtant influent, handicapant la progression de toute la gauche. (p. 11)
« Anthropocène » et « biens communs »
S’ils cherchent une analyse scientifique du capitalisme et un programme révolutionnaire, les travailleurs et les étudiants peuvent s’abstenir de lire la suite du document du PCF. On nage dans l’impressionnisme et le recyclage des théories en vogue au sein de la bourgeoisie : « une ère nouvelle, l’Anthropocène, où l’activité humaine devient une source majeure de changements de la planète » (p. 12). Ainsi, chaque humain est rendu coupable de la crise climatique… et le capitalisme n’est pas mis en cause. Si la question est bien « globale », la perspective n’est pas la révolution mondiale mais une issue lointaine et surtout nébuleuse : « Des potentialités et des contradictions existent pour arracher ces biens à la domination du capital et en faire des biens communs » (p. 13). Les autres biens doivent donc rester soumis à la domination du capital ?
Aucune expropriation des capitalistes, aucun pouvoir ouvrier n’est nécessaire. Refusant de partir de la lutte des classes, on retrouve la formule « dépasser le capitalisme » tout en parlant vaguement « du besoin urgent de communisme » (p. 12). Comment dépasser le capitalisme sans révolution sociale, sans armement des travailleurs, sans destruction de l’État bourgeois, sans expropriation du capital ? Comment satisfaire le besoin de communisme sans dictature du prolétariat et sans États-Unis socialistes d’Europe, sans suppression de l’exploitation et planification consciente par les producteurs à l’échelle mondiale ?
Le capitalisme français n’est jamais caractérisé comme un impérialisme. Il semble que le seul impérialisme au monde est les États-Unis.
Miser sur l’ONU et le FMI ?
Pour contrer l’inflation et « continuer à combattre l’hégémonie du dollar » (p. 14), le PCF mise sur le FMI avec l’« émission massive des droits de tirage spéciaux (DTS) par le FMI, pour aller vers une monnaie commune mondiale » (p. 15), puisque « de grands pays comme la Chine ou l’Inde, ont aussi formulé une proposition similaire » (p. 15). Une affirmation qui a dû plaire à la petite délégation du Parti communiste chinois, le parti unique de la bourgeoisie chinoise, le deuxième impérialisme mondial, n’en doutons pas.
De même, pour l’invasion de l’Ukraine par l’impérialisme russe, le « règlement » doit se faire dans le cadre de l’ONU, avec une « sortie de l’OTAN » et l’« appel des dirigeants chinois à la désescalade et à une nouvelle sécurité collective peut être un point d’appui précieux pour la paix » (p. 16).
Pas question de révolution mondiale et de liquidation, au passage, des organismes de coopération entre puissances impérialistes qui subsistent : « les instances internationales multilatérales sont à remodeler » (p. 19) car l’ONU pourrait réformer l’OMC, le FMI…
Changer simplement de gouvernement ?
Aujourd’hui, le PCF donne des bons points aux coalitions de partis réformistes gérant leur capitalisme : « le PCF salue l’action des communistes espagnols dans le gouvernement de coalition de gauche » et aux blocs avec des partis bourgeois qui préservent le capital : « les gouvernements de gauche au Chili, en Colombie, en Bolivie, au Brésil sont des points d’appui » (p. 21).
De la même manière, il avait vanté en 2015 la coalition gouvernementale en Grève de Syriza et d’ANEL (un parti du type Debout la France, avec qui il avait des relations). Le gouvernement Tsipras avait évidemment défendu le capitalisme grec, respecté les privilèges de l’Église orthodoxe, capitulé devant les impérialismes français et allemand qui contrôlent l’Union européenne, infligé l’austérité à sa classe ouvrière. La Nupes ou un hypothétique Front populaire ne feraient pas mieux.
Malgré l’expérience grecque, le PCF prétend toujours qu’une bonne UE est possible : « une Europe qui rompe avec la logique néolibérale des traités européens actuels » (p. 24).
En France, le pays vit « un moment d’une gravité exceptionnelle » (p. 27) et « une crise systémique du capitalisme monopoliste d’État » (p. 28). Pour y mettre fin, rien de plus simple. Il suffit de bien voter, alors on pourra « imposer une autre intervention de l’État » qui est « un enjeu de classe qui mûrit dans la crise » (p. 29) et accorder plus de place dans les groupes capitalistes (les monopoles) aux « représentants des salariés », en fait les bureaucrates syndicaux.
En laissant la propriété des entreprises aux mains d’une minorité exploiteuse, en laissant intact son appareil d’État, prétendre que « les salariés doivent pouvoir opposer leur veto suspensif aux projets de restructuration et de licenciements » (p. 47), c’est dormir debout. Jamais les nombreux gouvernements auxquels le PCF a participé n’ont accordé un tel droit. Le gouvernement espagnol actuel ne leur donne évidemment pas. Un gouvernement de la Nupes ou d’un « nouveau Front populaire » ne le fera pas davantage.
Pour le PCF, la police et l’armée françaises doivent rester armées et le peuple désarmé
Je ne suis pas de ceux qui soutiennent la violence ni la cautionnent ou la justifient. Et les communistes ont toujours respecté les institutions et en même temps voulu les transformer radicalement, de manière démocratique. Je me situe dans le camp républicain. (Fabien Roussel, L’Express, 3 avril 2023)
Le secrétaire général du PCF s’affiche le 19 mai 2021 au rassemblement réactionnaire de policiers contre le prétendu laxisme de la justice et pour plus de moyens pour intimider et réprimer, comme les travailleurs et les étudiants qui défendaient les retraites viennent de l’expérimenter.
Selon le congrès, l’appareil de répression doit juste être aménagé et en fait renforcé, avec « plus de moyens » pour la police bourgeoise et pour la justice bourgeoise.
La tranquillité publique nécessite de refonder l’organisation, la formation des forces de police et la redéfinition de leurs missions, pour passer d’un objectif de maintien de l’ordre social à celui de maintien de l’ordre public et de protection des citoyen·nes. Il est également urgent d’agir et de redonner des moyens humains et financiers pour sauver du naufrage les institutions judiciaire et carcérale. (p. 47)
Quant à l’armée française, ses bases à l’étranger et ses interventions contre des pays dominés, pas un mot dans le projet du PCF. En coulisse, les députés et sénateurs PCF réclament aussi « plus de moyens » pour l’armée impérialiste française.
J’ai eu rendez-vous avec le préfet maritime. J’ai ensuite fait la visite d’un sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire. Ce que j’ai découvert à cette occasion, c’est le grand âge de notre équipement. On prend conscience comme ça de la nécessité de mettre à niveau notre équipement militaire. (André Chassaigne, député PCF, Var-Matin, 2 février 2018)
La loi de programmation militaire est la colonne vertébrale du budget de donc de l’action de l’armée, mais cette loi manque sa cible car améliorer les conditions de vie et de travail de nos soldats ne peut se faire à moitié… Je suis dubitatif sur le fait que la loi de programmation militaire permette de rattraper, à la hauteur des besoins, les retards pris depuis plusieurs décennies. (Jean-Paul Lecoq, député PCF, Journal officiel, 22 juin 2021, p. 6584-6585)
Démasquer la contrefaçon, revenir au communisme
Nous n’avons pas d’autre intérêt que celui de servir la France. J’ai confiance. Parce que j’aime mon pays et que je sais ce dont il est capable. Vive le Parti communiste français ! Vive la France ! Vive la République ! (Fabien Roussel, Discours de clôture, 10 avril)
Ce parti est devenu chauvin en 1934, il a basculé dans l’alliance avec les partis bourgeois (le premier « Front populaire ») en 1935, il a applaudi à l’arrestation, au procès et à l’exécution de la plupart des dirigeants du Parti bolchevik de 1936 à 1938, il a fourni des ministres à de Gaulle en 1944, il a désarmé les travailleurs et dénoncé les grèves en 1945, il a soutenu l’écrasement des conseils ouvriers en Hongrie en 1956, il a mis fin à la grève générale en juin 1968 sous prétexte d’élections appelées par de Gaulle, il a renié la dictature du prolétariat en 1976, il était au gouvernement qui a décidé l’austérité en 1982, il était au gouvernement qui a privatisé à tour de bras de 1997 à 2002… Il ne garde le nom de communiste que pour abuser le prolétariat.
Toute son orientation est en réalité en défense de la bourgeoisie française, de son État. Il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire contre tous les partis sociaux-chauvins. Alors, la révolution prolétarienne détruira l’État bourgeois, en s’inspirant de la Commune de Paris.
C’est ne pas être un socialiste qu’espérer la réalisation du socialisme en dehors de la révolution sociale et de la dictature du prolétariat. (Vladimir Lénine, « À propos du mot d’ordre de désarmement », octobre 1916, Oeuvres, t. 23, Progrès, p. 105)