La population de 45 millions est majoritairement musulmane. Les langues officielles sont l’arabe et l’anglais. Quasi en guerre permanente depuis 50 ans, il est l’un des pays capitalistes les plus pauvres du monde. La guerre civile qui le ravage depuis 2023 n’a fait qu’approfondir le désastre.
La naissance d’un État artificiel
Entre 1950 et les années 1960, les anciennes colonies et les anciens protectorats de l’Angleterre, des Pays-Bas, de la France et de la Belgique sont devenus des États dotés de la « souveraineté nationale ». Ce changement provenait de l’énorme vague révolutionnaire ayant déferlé sur le monde depuis 1943 et de la participation des masses des pays dominés à ce déferlement. Ainsi, la soumission à un État impérialiste particulier était remplacée par une « indépendance » qui camouflait le maintien de la domination partagée des puissances impérialistes utilisant les bourgeoisies coloniales comme relais. L’existence d’États ouvriers, quoique bureaucratisés (URSS, Chine, Cuba…), donne aux bourgeoisies africaines et asiatiques, jusqu’à la fin du 20e siècle, une marge de manœuvre.

Les limites géographiques du nouvel État soudanais sont héritées du partage de l’Afrique par les États coloniaux d’Europe. Les 1 000 km de frontières dont une avec le Tchad coupent artificiellement des peuples identiques.
- Dans la première période du Soudan indépendant, dirigé par le colonel Gaafar Nimeiry qui prend le pouvoir à la suite d’un coup militaire en 1969, la bourgeoisie émergente se rallie globalement au panarabisme (tentative d’industrialisation pour échapper à la domination impérialiste en s’appuyant sur l’URSS, vocabulaire socialiste mais régime dictatorial).
- Dans la deuxième période, une bonne partie de la bourgeoisie rabougrie accepte les dictats du FMI (y compris les privatisations) et mise sur l’islamisme pour assoir sa domination dans un bloc réactionnaire avec les autres classes exploiteuses précapitalistes (d’où l’instauration de la charia). La rupture est incarnée par le coup d’État du colonel Omar Al-Bashir qui garde le pouvoir de 1989 à 2019.
https://groupemarxiste.info/2019/05/06/les-luttes-de-classes-au-soudan-de-1956-a-2019/
Génocide du régime islamiste au Darfour
Dans cet État hétérogène, les « noirs », de religion pré-islamiste, chrétienne et même muslmane, sont victimes d’une discrimination de la part les classes dominantes qui se veulent « arabes ». Cela engendre une guerre civile permanente au Sud et au Darfour. En 2003, le régime islamiste mène un génocide au Darfour contre les groupes ethniques Fours, Masalit et Zaghawa qui n’a cessé depuis que par intermittences.
Pour financer la guerre au Darfour et au Soudan du Sud, plus de 2,3 millions d’hectares cultivables sont vendus entre 2006 et 2016 à l’étranger, principalement des pays du Golfe. L’armée organise des réseaux de contrebande d’or vers l’Égypte. Le Soudan du Sud (où se trouve l’essentiel du pétrole et du gaz naturel) fait sécession en 2011. Israël est alors en mesure d’augmenter sa pression contre le gouvernement islamiste qui essayait d’élargir sa base sociale en soutenant officiellement la cause palestinienne.
Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a annoncé le 10 juillet l’établissement de relations diplomatiques avec Juba. Ou plutôt leur officialisation, car les premiers contacts entre Israël et le Soudan du Sud remontent à une quarantaine d’années. En 1967, les rebelles du Sud avaient empêché l’armée soudanaise de prendre part à la guerre des Six-Jours. En guise de remerciement, l’État hébreu leur avait distribué des armes confisquées à ses adversaires arabes. Plus récemment, en 2009, le régime d’Omar el-Béchir a accusé Israël d’avoir offert un appui militaire et logistique aux rebelles du Darfour, notamment au Mouvement pour la justice et l’égalité MJE. (Jeune Afrique, 24 aout 2011)
Une fois perdu le Soudan du Sud, l’État bourgeois reprend la guerre contre les minorités nationales du Darfour.
La pauvreté et la guerre interne poussent à une émigration colossale. Les classes petites bourgeoises formées ou riches s’installent en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans les États du Golfe arabo-persique. Les couches plus démunies alimentent le prolétariat, majoritairement étranger et privé de droits, de ces derniers (personnel domestique, ouvriers des chantiers, etc.).
La révolution de 2019 bloquée par un front populaire
Pourtant, l’espoir nait d’un mouvement de masse qui affronte dans la capitale le gouvernement aux ordres du FMI (la « communauté internationale » des bandits impérialistes) quand il supprime les subventions pour le pain et le carburant. En décembre 2018, des lycéens manifestent contre la hausse du prix du pain dans la ville d’Atbara, dans l’État du Nil. La protestation s’étend et fait tomber le régime en 2019. L’opposition bourgeoise libérale et le parti réformiste issu du stalinisme qui s’y est rallié (l’alliance interclassiste Forces de la liberté et du changement) acceptent de passer un compromis avec l’état-major et de repousser les élections.
https://groupemarxiste.info/2019/05/16/soudan-pour-que-la-revolution-triomphe/
Le Conseil de souveraineté non élu (5 militaires, 5 civils, plus 1 choisi par consensus par les deux groupes) nomme un gouvernement provisoire. Celui-ci fait des concessions démocratiques : la loi sur les châtiments corporels, inspirée par la charia, est abrogée, ainsi que celle imposant un code vestimentaire aux femmes ; l’excision est pénalisée et les non-musulmans sont autorisés à consommer de l’alcool en privé.

Mais l’activité économique décline tandis que l’inflation ne cesse pas. Le gouvernement bourgeois provisoire négocie avec les États impérialistes, leur Fonds monétaire international et Israël. À la demande du FMI, il supprime les subventions sur les denrées de première nécessité, en échange de l’annulation d’une partie de la dette du Soudan.
Les galonnés s’accordent en octobre 2021 pour chasser les civils du gouvernement
Le 25 octobre 2021, les chefs militaires coalisés renversent le gouvernement provisoire. Les putschistes sont, d’un côté, les supplétifs des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo dit Hemetti qui ont sévi au Darfour et, de l’autre, l’armée officielle des Forces armées du Soudan (FAS) aux mains du général Al-Bourhane, l’ancien bras droit d’Al-Bashir, bourreau des minorités et des opposants.
Une coalition militaire menée par Abdel Fattah Al-Bourhane, à la tête de l’armée officielle, s’empare de la capitale. S’ensuit l’arrestation des dirigeants civils, la dissolution du gouvernement de transition et du Conseil souverain (CS), la proclamation de l’état d’urgence, la répression des manifestants… (L’Orient-Le Jour, 25 octobre 2021)
Une délégation soudanaise s’était rendue en Israël peu auparavant.
Le 8 octobre, moins de trois semaines avant le coup de force de Khartoum, une délégation militaire soudanaise se serait ainsi rendue à Tel-Aviv lors d’une visite secrète de deux jours, selon plusieurs sources médiatiques dont al-Arabiya. Parmi les représentants : Mirghani Idris Solimane, directeur de la Military Industry Corporation, l’entreprise d’armement nationale, ainsi que le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Mohammad Hamdan Daglo (Hemetti), ayant pris part au coup militaire aux côtés de l’armée. (L’Orient-Le Jour, 25 octobre 2021)
Une délégation israélienne est envoyée à Khartoum moins d’une semaine après le coup d’État. Mais l’accord des deux mafias (chacune avec 100 000 à 120 000 criminels armés) ne dure pas longtemps.
Deux cliques se prennent à la gorge en avril 2023 pour s’emparer du butin
Des inondations frappent le pays en 2022. L’inflation dépasse 100 % cette année-là. Début 2023, Kartoum devient le centre d’un ballet diplomatique particulièrement intense : en moins d’une semaine, se succèdent le nouveau chef de la diplomatie israélienne, des émissaires américains, français, britanniques, norvégiens et allemands, ainsi que le chef de la diplomatie russe. Cette rivalité d’influence a pour effet d’aggraver les dissensions au sein de la junte au pouvoir, chaque pole cherchant à en profiter pour conclure des alliances afin de se renforcer,
Le 15 avril 2023, la guerre éclate officiellement lorsque les FSR attaquent l’aéroport international de Khartoum, le palais présidentiel et plusieurs casernes militaires à proximité. Très vite, la guerre civile se mue en une guerre contre les civils.
La guerre menée depuis avril 2023 est passée d’un affrontement en milieu urbain de deux forces armées, chacune organisée suivant ses propres règles, à une guerre civile. Pour l’expliquer, il faut considérer la crise économique abyssale de la fin du régime islamiste, qui a mis à mal ce qui restait de tissu social national et a incité les uns et les autres à se replier sur leur communauté d’origine. Il faut aussi pointer le rôle, déjà essentiel dans les années 2000, des renseignements militaires, de la fraction la plus militariste des islamistes et des Forces de soutien rapide dans l’exacerbation des tensions intercommunautaires, l’émergence des milices payées par la prédation, et la destruction des infrastructures encore existantes… (Roland Marchal, Le Monde, 6 novembre 2025)
Sont en jeu des minéraux (dont l’or), des terres fertiles, l’eau (le Nil en particulier).

Le rôle trouble de plusieurs États étrangers
Des ponts aériens clandestins des Émirats arabes unis aux drones turcs, en passant par l’or soudanais transitant par les réseaux obscurs du Golfe, les gouvernements étrangers et les courtiers en armes alimentent le conflit. (Jeune Afrique, 6 décembre 2025)
Le conflit attire des acteurs étrangers aux ambitions économiques, militaires et politiques contradictoires, alimentant la foire d’empoigne.
La Russie, l’Iran, le Qatar, la Turquie, l’Égypte se rangent du côté des FAS. Les Émirats arabes unis arment les FSR en échange de livraisons d’or et d’accès aux terres arables.
Hemedti présente deux atouts essentiels. D’une part, sa capacité à pratiquer la violence : il représente une force prête à réprimer la contestation, à mener des guerres et à éliminer les concurrents. D’autre part, l’accès économique, en particulier au lucratif commerce de l’or, que les FSR contrôlent de plus en plus. Entre 2013 et 2023, les FSR resserrent leur emprise sur l’extraction de l’or au Soudan, en particulier au Darfour et dans les autres régions périphériques du pays. Une grande partie de cet or est acheminée par contrebande aux Émirats, qui deviennent la principale destination de l’or du conflit soudanais. Cet or sape le pouvoir civil, finance des milices et renforce les seigneurs de la guerre. (Husam Mahjoub, Les Émirats et le Soudan, CADTM, 10 novembre 2025)
Les FSR s’appuient aussi sur le Tchad, la Libye, le Soudan du sud, l’Ouganda, la République centrafricaine.
Les services secrets ukrainiens y affrontent l’Africa Corps russe (ex-groupe Wagner) qui exploite des mines d’or. La Chine vend des drones aux deux parties.
L’économie agricole dépend à près de 80 % du Nil. Le contrôle et l’exploitation du fleuve sont donc des enjeux majeurs, particulièrement exacerbés par la construction du Grand barrage de la Renaissance (GERD) en Éthiopie, qui peut réduire les flux d’eau vers le nord. Historiquement allié à l’Égypte, le Soudan partageait jusqu’à présent une position commune pour négocier avec l’Éthiopie un cadre règlementaire contraignant autour du barrage. Toutefois, le conflit interne affaiblit considérablement la position soudanaise. L’Égypte, dépendante à 95 % des eaux du Nil pour ses besoins en eau douce, soutient discrètement les Forces armées soudanaises afin de préserver un partenaire stable dans la gestion du fleuve.
La population civile subit la barbarie
Si tel ou tel État bourgeois étranger mise sur l’une des deux factions, il n’y a rien à en attendre du point de vue des masses soudanaises.

Les rapines, les massacres et les viols systématiques se poursuivent, dans l’indifférence mondiale.
Les infrastructures du pays, notamment les universités, les hôpitaux et les institutions culturelles, ont été systématiquement détruites, dans ce qui s’apparente à une guerre délibérée menée contre la société soudanaise. Des témoignages indiquent l’ampleur des violences sexuelles qui sont commises, et montrent qu’une des méthodes de guerre des FSR est de cibler les femmes et les jeunes filles. (Husam Mahjoub, Les Émirats et le Soudan, CADTM, 10 novembre 2025)
Entre 150 000 et 500 000 personnes ont perdu la vie depuis le début de la guerre entre les deux cliques. Environ 13 millions ont été déplacés, dont presque 9 millions à l’intérieur du pays et plus de 4 millions se sont réfugiés à l’étranger, très majoritairement dans les pays voisins : Tchad, Égypte, Kenya, Ouganda…
Ces déplacements s’expliquent par l’ampleur de la violence et des hostilités, qui ont touché la capitale mais aussi d’autres régions, accoutumées à la violence, comme le Darfour, ou le Kordofan, à l’ouest et au centre du pays. Au Soudan, presque toutes les régions sont touchées par les violences, même celles que l’on pensait être les plus sures, comme la capitale par exemple. Cela a mené à un déplacement très rapide mais aussi très large des populations. Des gens qui n’avaient jamais été confrontés aux déplacements, notamment ceux issus des classes moyennes, se sont retrouvés du jour au lendemain à fuir. Il y a aussi des régions, comme le Darfour, où des gens se retrouvent sur les routes pour la troisième, quatrième, cinquième fois et des camps de déplacés qui ont été, de nouveau, changés de lieu. (Sarra Majdoub, InfoMigrants, 14 novembre 2025)
Certains réfugiés, à cause des barrages juridiques et policiers des pays impérialistes, meurent sur le trajet, dont celui de la Libye à la Grèce..
Plus d’une centaine de réfugiés soudanais ont péri ou sont portés disparus après deux naufrages samedi 13 et dimanche 14 septembre au large de Tobrouk dans l’est de la Libye… La Libye compte des centaines de milliers de réfugiés soudanais qui entrent pour l’essentiel par la frontière terrestre dans la zone de Koufra, dans le sud-est du pays contrôlé par le clan Haftar. (Le Monde, 17 septembre 2025)
Les deux cliques militaires sont réactionnaires de part en part.
En finir avec les deux bandes de gangsters

La barbarie n’est pas due, comme osent le prétendre les racistes, à l’arriération de lointains peuples africains, mais au pourrissement accéléré du capitalisme mondial. Le prouvent :
- l’inégalité croissante entre la petite minorité capitaliste de quelques puissances impérialistes et les masses paupérisées de pays dominés comme le Soudan (dont les dirigeants placent leur fortune dans les États impérialistes) ;
- la poursuite aveugle d’émission de gaz à effet de serre par les plus grands pays capitalistes (qui sont aussi des vendeurs d’armes) et des États producteurs d’énergie fossile (dont les monarchies absolues et salafistes), au détriment du climat des pays dominés ;
- l’espionnage croissant de la population, la persécution généralisée des immigrés et la montée du militarisme dans les pays qui s’affichaient démocratiques (Grande-Bretagne, France, Etats-Unis…) qui s’ajoute à la persécution de toute opposition chez leurs rivaux impérialistes (Russie, Chine) ;
- dans les États-Unis, le pays le plus avancé économiquement et scientifiquement du monde, les attaques du gouvernement contre les libertés démocratiques, le mépris affiché pour la vérité, le tournant obscurantiste contre les vaccins et les climatologues, la persécution des trans et la restriction du droit à l’avortement, les déportations d’innocents vers le Salvador vers une prison ignoble, les frappes américaines contre des bateaux à l’est du Pacifique, l’encouragement ouvert aux partis racistes d’Europe ;
- les épurations ethniques en cours à Gaza et en Cisjordanie ;
- sur le sol de l’Europe, les bombardements de civils, les viols de masse, les tortures de soldats et de résistants, les enlèvements d’enfants dont sont coupables les troupes russes en Ukraine (non comme des bavures mais comme une politique délibérée de l’État capitaliste russe).
Toutes les revendications élémentaires des ouvriers et des employés, mais aussi des femmes, des étudiants, des paysans travailleurs, des artisans, des petits commerçants, des professions libérales (survivre, préserver son intégrité physique, se nourrir, rester sur place ou se déplacer librement, se soigner, s’instruire, s’exprimer…) s’opposent radicalement aux deux morceaux de l’État bourgeois. Avec l’aide des travailleurs de la région, il faut mettre hors d’état de nuire les bourreaux des peuples du Soudan et chasser les complices et profiteurs étrangers.
Ouverture des frontières aux réfugiés ! Autodéfense populaire contre les deux cliques militaires ! Dehors, tous les mercenaires et affairistes étrangers ! Expropriation des propriétaires fonciers et miniers, étrangers ou locaux ! La terre à ceux qui la travaillent, les ressources naturelles à toute la population ! Abolition de tout esclavage et de tout servage ! Assemblée constituante, libertés démocratiques sans aucune restriction ! Liberté pour toutes les convictions, séparation de l’État et de la religion ! Égalité totale pour les femmes ! Droit de séparation du Darfour ! Rupture de toutes les organisations des travailleurs (syndicales comme politiques) avec tous les capitalistes, assassins et pilleurs !

