Front unique ouvrier pour interdire les expulsions et reconstruire Mayotte

Un cyclone dévaste la colonie française des Comores

Le 14 décembre, le cyclone Chido ravage l’ile comorienne de Mayotte où 70 % de la population est gravement touchée. De catégorie 4 (rafales de vent à plus de 220 km/h), il témoigne de la détérioration climatique associée au capitalisme en déclin, comme l’incendie de Los Angeles de janvier. Le réchauffement des eaux marines rend les ouragans de plus en plus puissants.

La préfecture dénombre au 8 janvier 39 morts, une quarantaine de disparus, 5 200 blessés dont 172 dans un état grave. Le bilan risque d’être plus important car la misère de l’ile cache vraisemblablement d’autres disparus. Au moins 40 % des bâtiments sont détruits dont 80 % des bidonvilles. Ces « bangas » où s’entassent dans une grande majorité des immigrés comoriens comportent aussi des résidents avec papiers (27 % selon l’Insee). Ils sont occupés par 40 % de la population. En fait, l’ile compterait plus de 400 000 habitants dont 48 % d’étrangers (avec ou sans papiers). Ce sont eux les disparus, ceux ayant refusé de rejoindre les centres d’hébergement. Craignant d’être arrêtés et expulsés comme la gendarmerie le fait pour 23 000 d’entre eux chaque année, des morts anonymes sont vraisemblablement sous les décombres.

Des dizaines de milliers de sinistrés se retrouvent sans toit ni eau ni électricité. Les infrastructures, fragiles et mal entretenues comme le prouvent les pénuries d’eau récurrentes, sont totalement disloquées. Les usines électriques, de traitement et dessalement de l’eau sont à l’arrêt comme les réseaux téléphoniques. L’aéroport et les ports sont hors service. Les hôpitaux et les écoles ne peuvent plus s’occuper des patients et des élèves. Un hôpital d’urgence ouvre ses portes seulement le 24 décembre. Depuis, ses équipes donnent une immense satisfaction à toute la population (Le Monde, 29 décembre). L’accueil y est gratuit et sans contrôle d’identité, avec toutes les spécialités. Mais une épidémie de choléra risque de reprendre.

Un laboratoire pour la xénophobie d’État et pour le RN

Mayotte est officiellement le 101e département depuis 2009. En 1974, l’État français fractionne son ancienne colonie des Comores qui a voté pour l’indépendance. Il conserve Mayotte dont la population a voté « non ». À cause des avantages sociaux français qui subsistent, de la misère du micro-État des Comores (900 000 habitants dont 60 % sous le seuil de pauvreté) et dans une moindre mesure de celle des États africains voisins, le département français le plus pauvre attire une immigration massive.

Même un État impérialiste comme la France se révèle incapable d’assurer le développement de Mayotte. Le chômage de masse, la déscolarisation, les bidonvilles, la délinquance et la criminalité en sont des conséquences. La réponse officielle est le visa « Balladur » de 1995 qui interdit à un étranger avec titre de séjour de rejoindre un autre département. Depuis plus de 10 000 personnes sont mortes avec la militarisation des frontières – navires armés, radars, hélicoptères, etc.

La classe ouvrière avait esquissé une autre voie en 2011 et en 2016.

Mais ses directions sont pour l’instant liées à la bourgeoisie et à l’État français. Quand le front populaire Gauche plurielle accède au gouvernement (Jospin de 1997 à 2002 avec Voynet, Buffet, Mélenchon ; Hollande et Ayrault ou Hamon de 2012 à 2017, avec Valls, Le Drian, Montebourg, Taubira, Duflot, Macron), il refuse d’abroger le visa Balladur

Macron, élu au second tour en 2017 avec l’aide des partis sociaux-impérialistes (PS, PCF, LFI) décide en 2018, de restreindre le droit du sol. Pour être français, un enfant né à Mayotte doit avoir au moins un parent en situation régulière depuis au moins 3 mois.

Faute d’une alternative progressiste et radicale, Le Pen est arrivée largement en tête au 1er tour de l’élection présidentielle de 2022 (presque 43 % des suffrages exprimés mais seulement 16 % des inscrits car il y a eu 58 % d’abstentions). Le capitalisme français étant incapable de fournir à la population de Mayotte des conditions décentes d’existence, ses partis politiques (le RN mais aussi « l’arc républicain » pour qui LFI, le PS et le PCF ont appelé à voter au second tour des législatives de 2024) font des Comoriens les responsables de la situation catastrophique.

D’où la mise sur pied par les fascistes de « collectifs » anti-immigrés et la réponse policière à la misère du gouvernement Macron-Borne-Darmanin (opération Wuambushu).

Cela fait des années déjà que plusieurs collectifs de citoyens cultivent un discours radical contre les migrants, provoquant crises, émeutes et barrages à travers le territoire. Entre autres actions, un collectif bloque totalement le service des étrangers à la préfecture depuis octobre 2024. (Le Monde, 5 janvier)

Macron, Retailleau, Bayrou et Le Pen ciblent les migrants

Le 5 janvier, le président français dénonce une « internationale réactionnaire » qui serait pilotée par Musk. Mais ce qu’on voit à l’œuvre à Mayotte n’est-il pas un bloc national réactionnaire qui inclut Macron lui-même ?

Cinq jours après le passage dévastateur du cyclone, le président de la République française rappelle aux habitants en colère leur condition de colonisés : « Si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ! ». Si une aide d’urgence minimale l’accompagne, il veut « reconduire de manière plus efficace les gens vers leur pays d’origine » et « reprendre le programme de destruction de ces bidonvilles » (Emmanuel Macron, 20 décembre).

Pour la population laborieuse mahoraise, le pont aérien entre la métropole, La Réunion et Mayotte est la priorité absolue afin de sauver des vies. Pour l’État impérialiste, c’est avant tout l’ordre qui doit régner. Le gouvernement prétend « sécuriser » l’ile contre la délinquance. S’il organise quelques secours depuis la Réunion, le ministre de l’intérieur Retailleau (LR) déploie immédiatement 400 gendarmes rejoignant les 1 600 déjà sur place. Il voit même la main de l’étranger : les Comores mèneraient « une guerre hybride » en poussant « des populations vers Mayotte pour susciter une sorte doccupation clandestine » (18 décembre).

Bayrou visite Mayotte le 30 décembre avec les ministres Valls (outre-mer) et Borne (éducation). Apportant du matériel et quelques unités de sauvetage, il annonce un plan Mayotte debout pour reconstruire l’ile en deux ans. Il promet le rétablissement de l’électricité fin janvier avec un simple renfort de « 200 agents et 200 groupes électrogènes » alors que des centaines de pylônes et de câbles doivent être raccordés. Il assure que la production d’eau potable sera rétablie rapidement. Or le traitement des eaux est hors-service ; des maladies (dont le choléra) sont certaines pour ceux qui boivent au robinet. Dans les centres d’accueil d’urgence (des établissements scolaires notamment), la plupart des victimes sont parties car Bayrou leur promet « une reconduite à la frontière pour les situations irrégulières ». (Le Monde, 31 décembre). Quand Borne se montre, deux enseignants tentent d’alerter.

Ce que chacun doit savoir, c’est que là, depuis quinze jours, dans tous les bidonvilles ici, Petite-Terre, Grande-Terre, Kawéni, Cavani, personne n’est venu, personne. (Yann Pagan, bfmtv.com, 30 décembre)

La ministre répond que l’aide est disponible au point relais. L’autre professeur lui apprend que c’est « 10 kilomètres à pied sans eau ni nourriture » (Antoine Piacenza, bfmtv.com, 30 décembre). Borne tourne les talons. Le premier ministre toléré par le RN et le PS annonce que la rentrée se fera le 13 janvier avec « des tentes-écoles ». Les 7 000 professeurs (dont 60 % de contrats précaires) et leurs 117 000 élèves inscrits dans 220 écoles, 20 collèges et 10 lycées ne pourront pas faire une rentrée digne et sécurisée sans eau, sans toit, sans nourriture.

En visite sur l’ile, Le Pen parle d’une « guerre démographique » menée par le président comorien. Elle veut « supprimer le droit du sol » et « arrêter les régularisations » (Les Échos, 8 janvier). 

Il faut rompre avec « son » État impérialiste

Pour Bayrou, restreindre le droit du sol est « une question qu’il faut poser » (30 décembre). Valls, Retailleau et Lecornu donnent déjà le contenu du projet de loi Mayotte debout prévu pour février : « allonger la durée de résidence régulière des parents (requise pour) l’accès des enfants à la nationalité française », renforcer la gendarmerie et la police, multiplier les « drones, radars, avions de surveillance civile et militaire ». (Le Figaro, 5 janvier). En présentant le projet de loi d’urgence pour Mayotte, Valls confirme que les bâtiments en dur sont destinés uniquement aux fonctionnaires, « pas pour les situations d’urgence et encore moins pour l’habitat illégal et encore moins pour l’immigration clandestine ». Il veut amener le nombre d’expulsions annuelles à « 35 000, 40, 45 000 c’est ce niveau-là que nous voulons atteindre » (Compte-rendu du conseil des ministres, 8 janvier). L’État capitaliste français refuse l’égalité des droits avec la métropole et va laisser les pauvres soumis à tous les risques.

Le secrétaire national du PCF trouve que « le gouvernement prend du retard » (Fabien Roussel, TF1, 7 janvier). Pour fournir de l’eau ou pour expulser les pauvres ?

Le premier secrétaire du PS demande « un retour de l’État dans ce département français » (Olivier Faure, 27 décembre). Plus d’État, c’est plus de flics ou plus de soignants qualifiés ?

Mélenchon propose à sa base de faire des collectes mais les sommets de LFI font confiance à l’armée bourgeoise.

L’Armée française, forte de son expertise logistique et de ses capacités opérationnelles, est sans conteste l’institution la mieux placée pour coordonner une opération. (Lettre de députés LFI au ministre des armées, 26 décembre)

Les directions confédérales sont alignées sur les partis sociaux impérialistes. Pour la direction de la CGT, « la France doit maintenant apporter toute l’aide nécessaire aux Mahorais » (cgt.fr, 16 décembre). Rien sur l’envoi de forces de répression et les menaces d’expulsion ! La direction de la CFDT mise sur la cagnotte humanitaire de la Fondation de France. Celle-ci est dirigée par Sellal qui préside aussi le Siècle, un cercle occulte qui organise mensuellement un repas à l’hôtel de Crillon avec une sélection de hauts fonctionnaires, de politiciens bourgeois et réformistes, de grands capitalistes, de rédacteurs en chef et de chefs syndicaux (comme Le Duigou, de la CGT, et Notat, de la CFDT).

Solidarité ouvrière contre toute expulsion et pour une reconstruction durable

Aucune solidarité ouvrière ne peut reposer sur l’État colonial et impérialiste. Il faut commencer par rompre avec sa bourgeoisie, ses partis et ses représentants. Concrètement, l’aide doit passer par les organisations de travailleurs et l’autodéfense doit s’organiser sur place face aux forces de répression et aux « collectifs » anti-migrants.

La responsabilité des organisations ouvrières de France (partis et syndicats) est d’organiser une campagne de solidarité avec les travailleurs de Mayotte. Cela passe par collecter et distribuer en masse la nourriture, l’eau, les moyens médicaux par pont aérien, cargos et depuis les pays de la région. Pour cela, le front unique ouvrier doit s’appuyer sur les syndicats des secteurs concernés par le sauvetage des vies (soignants et urgentistes, électriciens et travailleurs de l’assainissement de l’eau, architectes et travailleurs du BTP). Les travailleurs mahorais, avec leurs syndicats, auront à planifier la reconstruction des bâtiments en dur et aux normes antisismiques et environnementales pour remplacer les bidonvilles. Ce plan ouvrier doit aussi moderniser les infrastructures notamment les réseaux de transport, d’égout, d’électricité et d’eau potable.

Face aux conditions dangereuses de travail, un « préavis de grève reconductible » est déposé pour le 13 janvier par une intersyndicale mahoraise Les revendications doivent s’élargir à l’égalité pour tous les habitants et à une reconstruction digne et durable :

  • retrait du projet de loi d’urgence pour Mayotte,
  • arrêt de toute expulsion du territoire et rétablissement du droit du sol,
  • plan de reconstruction en dur et aux normes environnementales et antisismiques pour tous,
  • libre circulation vers France métropolitaine, régularisation de tous les sans-papiers,
  • services d’ordre ouvrier d’autodéfense contre les menaces de vols et pillages,
  • autodéfense ouvrière et populaire contre les bandes racistes, les gendarmes et les pilleurs,
  • mêmes droits sociaux et politiques qu’en métropole.

Seule la mobilisation de la classe ouvrière, à Mayotte, en métropole, à La Réunion, dans l’État comorien peut arrêter la honteuse chasse aux pauvres et aux étrangers, ouvrir la perspective d’un gouvernement ouvrier et paysan dans les Comores unifiées, des États-Unis socialistes d’Afrique.

11 janvier 2025