Le ministre américain des affaires étrangères, George Marshall, partageait également cet avis. On sait cependant bien que le sort des peuples persécutés n’est généralement pas au centre des préoccupations du ministre américain des affaires étrangères. Sa réaction pourrait donc susciter l’appréhension de ceux qui croyaient aux bonnes intentions du comité de l’ONU.
Que donne la proposition de l’ONU aux Juifs ? À première vue, tout : un quota d’immigration de 150 000 personnes et plus ; l’indépendance politique ; environ deux tiers de la Palestine ; trois grands ports et la quasi-totalité du littoral. C’est plus que ce que les optimistes parmi les membres de l’Agence juive osaient demander.
Cette « compréhension » et cette « amabilité » ne sont-elles pas un peu suspectes ? Pourquoi les représentants du Canada, des Pays-Bas et de la Suède, qui ont des liens étroits avec les puissances anglo-saxonnes, ont-ils voté en faveur de cette proposition ? Et pourquoi les représentants du Guatemala, du Pérou et de l’Uruguay, dont les politiques sont dictées par Washington, ont-ils voté en sa faveur ? Tous les périodiques sionistes, ainsi que les semi-sionistes (les organes du Parti communiste palestinien) ont refusé de poser cette question. Et bien sûr, ils n’y ont pas répondu.
Mais c’est précisément la question déterminante. Plus que le contenu de la proposition, ce sont les motivations de ceux qui l’ont présentée qui sont importantes. Ne nous y trompons pas ! Derrière les pays « neutres », selon l’expression de Marshall, se trouvent les puissances les plus intéressées par cette question. Les calculs qui ont abouti à la proposition de partition sont précisément les mêmes que ceux qui ont abouti à la partition de l’Inde.
Quels sont ces calculs ? Dans notre période, celle des révolutions sociales et des révoltes des peuples asservis, l’impérialisme règne par le biais de deux méthodes principales : la répression impitoyable et brutale (comme en Indonésie, en Indochine et en Grèce) ou la rupture de la guerre de classe par le biais de conflits nationaux. La seconde voie est moins couteuse et plus sure, et permet à l’impérialisme de se cacher derrière les rideaux.
Jusqu’à présent, l’impérialisme a utilisé avec succès les méthodes divide et impera dans ce pays, en utilisant l’immigration sioniste comme facteur de division. C’est ainsi qu’est née une tension nationale qui, dans une large mesure, a dirigé contre les Juifs la colère provoquée par l’impérialisme au sein des masses arabes de Palestine et du Proche-Orient. Mais depuis peu, cette méthode ne donne plus les résultats escomptés. Malgré les tensions nationales, une classe ouvrière arabe forte et combattive s’est développée dans le pays. Un nouveau chapitre de l’histoire de la Palestine s’est ouvert lorsque les travailleurs arabes et juifs ont coopéré dans des grèves à grande échelle, afin de forcer les exploiteurs impérialistes à faire des concessions. Et l’échec de la dernière tentative de pousser les habitants de la Palestine dans un nouveau tourbillon d’effusions de sang mutuelles par le biais de provocations, a donné une nouvelle leçon aux impérialistes. Ils en ont alors tiré les conclusions : si vous refusez de vous battre les uns contre les autres, nous vous mettrons dans une position économique et politique telle que vous serez contraints de le faire ! Tel est le contenu réel de la proposition de partition.
Peut-être la proposition de partition concrétisera-t-elle le rêve d’indépendance politique du peuple juif ? L’« indépendance » de l’État juif se résumera à choisir, de manière « libre » et « indépendante », entre deux options : mourir de faim ou se vendre à l’impérialisme. Le commerce extérieur — tant les importations que les exportations — reste comme auparavant sous le contrôle de l’impérialisme. Les secteurs clés de l’économie — le pétrole, l’électricité et les minerais — restent aux mains des monopoles étrangers. Et les bénéfices continueront d’aller dans les poches des capitalistes étrangers.
Un petit État juif au cœur du Proche-Orient peut être un excellent instrument entre les mains des États impérialistes. Isolé des masses arabes, cet État sera sans défense et complètement à la merci des impérialistes. Ils s’en serviront pour renforcer leurs positions, tout en faisant la leçon aux États arabes sur le « danger juif », c’est-à-dire la menace que représentent les inévitables tendances expansionnistes du minuscule État juif. Et un jour, lorsque la tension sera à son comble, les « amis » impérialistes abandonneront l’État juif à son sort.
Les Arabes recevront également l’« indépendance politique ». La partition entrainera la création d’un État arabe féodal arriéré, une sorte de Transjordanie à l’ouest du Jourdain. Ils espèrent ainsi isoler et paralyser le prolétariat arabe dans la région de Haïfa, un centre stratégique important avec des raffineries de pétrole, ainsi que diviser et paralyser la guerre de classe de tous les travailleurs de Palestine.
Qu’en est-il du « salut des réfugiés des camps de concentration » ? L’impérialisme a créé le problème des réfugiés des camps de concentration nazis en leur fermant les portes de tous les pays. Le sort des réfugiés relève de sa responsabilité. L’impérialisme n’est pas philanthropique. S’il envoie en « cadeau » les réfugiés en Palestine, il le fera pour une seule raison : les utiliser à ses propres fins.
La proposition de partage, apparemment si « favorable » aux Juifs, contient plusieurs aspects hautement souhaitables du point de vue de l’impérialisme : 1) Les concessions au sionisme serviront d’appât pour obtenir l’approbation de la majorité juive ; 2) Il comporte plusieurs provocations, comme l’incorporation de Jaffa à l’État juif et le refus de tout port à l’État arabe, qui exaspèrent les Arabes ; 3) Ces provocations permettent à la Grande-Bretagne d’apparaitre comme un « ami des Arabes », qui « luttera » pour un second partage plus juste. Cela les aidera à avaler la pilule amère. En d’autres termes, nous sommes en présence d’une division du travail préétablie.
En résumé : la proposition de la commission de l’ONU n’est une solution ni pour les Juifs ni pour les Arabes ; c’est une solution purement et exclusivement pour les pays impérialistes. Les décideurs politiques sionistes ont avidement saisi l’os que l’impérialisme leur a jeté. Et les critiques sionistes « de gauche », au nom du démasquage du jeu des impérialistes, attaquent à demi-mot la proposition de partage, et réclament… un État juif dans toute la Palestine ! Un État binational selon la proposition de Hashomer Hatzaïr (Jeune Garde) n’est qu’une feuille de vigne pour le droit des Juifs d’imposer aux Arabes, sans leur consentement et contre leur volonté, l’immigration juive et les politiques sionistes.
Qu’en est-il du Parti communiste palestinien ? Il attend apparemment la « juste » solution de l’ONU. De toute manière, il continue à semer des illusions sur l’ONU et, en ce sens, contribue à dissimuler et à mettre en œuvre les programmes impérialistes.
Contre tout cela, nous disons : ne tombons pas dans le piège ! La solution du problème juif, comme la solution des problèmes du pays, ne viendra pas « d’en haut », de l’ONU ou de toute autre institution impérialiste. Aucune « lutte », « terreur » ou « pression » morale ne fera renoncer l’impérialisme à ses intérêts vitaux dans la région (les actions pétrolières ont rapporté 60 % de dividendes cette année !)
Pour résoudre le problème juif, pour nous libérer du fardeau de l’impérialisme, il n’y a qu’un seul moyen : la guerre de classe commune avec nos frères arabes ; une guerre qui est un lien inséparable de la guerre antiimpérialiste des masses opprimées dans tout l’Orient arabe et dans le monde entier.
La force de l’impérialisme réside dans la partition, notre force dans l’unité de classe internationale.