La classe dominante ne pratique ni la fraternité, ni l’égalité
La dégradation de l’enseignement public, en lien avec la ghettoïsation en cours des quartiers populaires, affecte les enseignants (ce qui se traduit par des difficultés de recrutement) et l’ensemble de la classe ouvrière (employés, ouvriers, techniciens, chômeurs…) ainsi que les couches inférieures des classes intermédiaires (la majorité des fonctionnaires et des travailleurs indépendants).
La France se démarque par un écart particulièrement élevé entre les résultats des élèves les plus favorisés, qui se rapprochent de ceux des pays européens les plus performants, et les élèves les plus défavorisés, dont les scores sont plus bas que dans les autres pays de l’OCDE. (Le Monde, 7 décembre)
La bourgeoisie (la minorité oisive de la population qui vit de revenus financiers, les manageurs des entreprises, les hauts fonctionnaires, l’état-major…) n’en subit pas les conséquences car elle vit délibérément à l’écart de la masse de la population, celle qui travaille pour les enrichir. Quand elles en ont les moyens, les couches supérieures de la petite bourgeoisie (cadres, professions libérales) les imitent. Par exemple, le jeune Macron fréquentait un établissement de l’ordre des jésuites (La Providence d’Amiens, minimum entre 500 et 1 100 euros par an au collège). Le premier ministre Attal sort aussi de l’enseignement privé élitiste (École alsacienne de Paris, minimum 3 288 euros par an). Comme les trois précédents ministres de l’éducation, Oudéa-Castéra (dont le mari est PDG de Sanofi) met ses enfants dans « le privé » (Stanislas, Paris 6e, minimum 2 027 euros par an au collège).
Alors que les effectifs apparaissent globalement stables, la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves de familles favorisées et très favorisées, qui constituaient 41,5 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 55,5 % en 2021. (Cour des comptes, L’Enseignement privé sous contrat, synthèse, 1er juin 2023, p. 10).
Dans la république française, il n’y a pas de véritable laïcité
En France, se font concurrence trois systèmes : l’enseignement public, l’enseignement privé sous contrat (qui reçoit officiellement l’argent public à flots), l’enseignement privé hors contrat qui échappe à tout contrôle (ce qui ne veut pas dire qu’il ne bénéficie jamais d’argent public).
La république bourgeoise paye de notre poche les prêtres chrétiens et juifs dans plusieurs départements de l’Est. Non content de tolérer que l’instruction soit confiée à des entreprises visant le profit (dont certaines sont de véritables escrocs qui figurent pourtant dans Parcoursup) ou à des institutions obscurantistes (où s’affichent des symboles religieux, où on sabote l’enseignement de la sexualité…), la République les finance grassement au moyen de :
- la taxe d’apprentissage,
- la défiscalisation des dons aux fondations,
- la loi Debré de 1959 qui assure le financement de l’enseignement privé « sous contrat », à condition qu’il enseigne les programmes fixés par l’État et autorise le contrôle des inspecteurs de l’éducation nationale.
Au titre de cette loi anti-laïque, en 2021, l’État central lui versait directement 8,8 milliards d’euros, les collectivités territoriales 2,9 milliards, d’autres administrations 0,9 milliard, soit 12,6 milliards au total d’argent public (DEPP, Repères et références statistiques, aout 2023, p. 366). Le budget de l’État 2024 prévoit plus de 9 milliards. L’augmentation prévue par rapport à 2023 est plus élevée que pour l’enseignement public. En outre, les collectivités territoriales donnent plus que les obligations légales. Par exemple, en 2023, la région Ile de France dirigée par LR a versé à Stanislas (l’établissement des enfants de la ministre), outre 1,3 millions d’euros de « forfait d’externat », 500 000 euros pour des travaux.
Cette manne bénéficie pour l’essentiel à l’Église catholique (96 % de l’effectif du « privé »). La laïcité, dans la république française, ne s’applique que contre les adeptes d’une religion, l’islam, qui sert de consolation à une partie significative des exploités et des opprimés.
Les gouvernements de Macron contre le droit au savoir et à la qualification des enfants des travailleurs
La méthode est toujours la même : en prétextant des difficultés causées en réalité par le déclin du capitalisme et aggravées par les politiques des gouvernements antérieurs, les représentants politiques de la classe dominante tirent des arguments… pour diminuer à nouveau les droits des travailleurs et de leurs enfants. Par exemple, pour atteindre le « plein emploi », il faut diminuer les droits des chômeurs ; pour réduire la délinquance, il faut fermer les frontières ; pour préserver le modèle social français, il faut dérembourser les soins ou repousser l’âge de la retraite…
Ainsi, dans l’enseignement, sous Macron, l’État a supprimé 8 000 postes (il en a créé plus dans la police, l’armée et les prisons), il a encouragé l’apprentissage, augmenté la sélection au sortir du bac avec Parcoursup, diminué les horaires de cours au lycée d’enseignement générale ou technologique et au lycée professionnel, augmenté symétriquement le temps de stage dans l’enseignement professionnel [voir Révolution communiste n° 53], appauvri les travailleurs de l’éducation nationale en bloquant leurs salaires, augmenté les droits d’inscription des étudiants étrangers, caporalisé la pédagogie, transformé les directeurs et directrices d’école en petits chefs…
Faute de recrutement au concours, les remplaçants titulaires sont affectés à la rentrée sur des postes vacants, ce qui diminue la possibilité de remplacer les malades, et la part des précaires, non protégés par le statut de fonctionnaire, augmente (en 2023, 4,5 % de l’effectif des enseignants en mathématiques, 6,4 % en langues, 17,9 % pour la production et les services…).
Attal a poursuivi dans la voie de Vidal, Blanquer et Ndiaye :
- interdiction de l’abaya,
- préconisation de l’uniforme,
- division et soumission des enseignants au moyen d’une augmentation de salaire conditionnée à leur adhésion à un « pacte » avec la hiérarchie,
- imposition de manuels scolaires dans l’enseignement élémentaire,
- transformation du brevet,
- retour du redoublement,
- groupes de niveau,
- embrigadement militariste des élèves…
Attal associe les syndicats à ses manigances
Le 5 octobre 2023, le gouvernement lance une « mission exigence des savoirs » de deux mois.
S’appuyant sur des constats partagés, le ministre Gabriel Attal a réaffirmé l’urgence d’un « choc des savoirs », afin d’élever le niveau… (Site du ministère de l’éducation, 5 octobre)
Il cautionne la manoeuvre en misant sur la complicité des directions des syndicats de l’enseignement, au nom du « dialogue social » et des « constats partagés », comme pour l’offensive contre les retraites et celle contre les lycées professionnels.
Le ministre ne veut pas prendre les syndicats de front. Les enseignants seront consultés et les syndicats seront les premiers à être auditionnés. (Les Échos, 5 octobre)
Sur le terrain, l’écrasante majorité des professeurs savait qu’il n’en sortirait rien de bon et que les mesures étaient déjà préparées par les hauts fonctionnaires du ministère sur décision du gouvernement… qui s’en cachait à peine.
Le ministre entend arbitrer un certain nombre de débats qui durent… Faut-il conserver, notamment au collège, le principe de classes très hétérogènes ou prolonger une réflexion par niveau… ? (Les Échos, 5 octobre)
Malgré la politique antérieure de Macron et les premières mesures d’Attal, toutes les directions syndicales du privé et du public participent à la mise au point du projet gouvernemental, comme l’ensemble des confédérations l’avait fait contre les retraites.
L’appareil des syndicats SUD, dont la création a ajouté encore à l’incroyable éparpillement syndical après la scission de l’ex-FEN de 1992, ne fait pas autrement que ses modèles, les bureaucraties de la CGT et de la FSU.
SUD éducation a participé à la mission Exigence des savoirs au sujet du collège afin de porter les revendications des personnels. (SUD, 23 novembre)
Le 5 novembre, sous le titre pompeux de « choc des savoirs », Attal dévoile son plan de sélection, de régression et de réaction en le justifiant par les mauvais résultats de la dernière évaluation PISA. L’offensive vise particulièrement le collège, alors qu’un des principaux problèmes du collège réside dans les classes surchargées, empêchant les enseignants de consacrer assez de temps aux élèves en difficulté.
La transformation du brevet des collèges en outil de sélection
Le brevet des collèges est un examen final qui ne conditionne pas le passage en classe de 2de. En 2025, son obtention conditionnerait la poursuite des études.
Il faut donc redonner au diplôme du brevet la valeur d’un véritable examen national… Le taux de réussite au brevet diminuera probablement dans les années à venir, mais c’est le prix à payer pour élever le niveau. Je veux faire du brevet un véritable examen d’entrée au lycée. (Gabriel Attal, Choc des savoirs, 5 décembre)
Les élèves qui échoueraient au brevet n’auraient pas le droit d’entrer au lycée. Soit ils redoubleraient dans une classe spéciale (une seule « classe prépa lycée » par département), soit ils sortiraient du système pour devenir apprentis (on devine le taux parmi les enfants des ministres).
Le retour des redoublements forcés
Suivant l’avis des chercheurs et cherchant à économiser son cout pour l’État, le gouvernement Hollande-Vallaud Belkacem avait rendu le redoublement exceptionnel. Celui de Macron-Attal veut y revenir.
Le choix a été fait en 2014 de rendre le redoublement exceptionnel… Pourtant, durant la même période, le niveau global des élèves ne s’est pas amélioré… Le redoublement peut être efficace… (Gabriel Attal, Choc des savoirs, 5 décembre)
Or, le redoublement n’a pas l’efficacité que lui prête Attal.
Le redoublement seul ne montre pas d’effets significatifs sur les apprentissages, même à court terme, tandis que certaines études mettent en évidence des effets négatifs sur les comportements des élèves. Mais ce sont surtout les effets à long terme qui sont inquiétants. Dans les cas les plus favorables, où le redoublement s’accompagne de dispositifs de remédiation intensive, les effets sur l’obtention d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou l’accès à l’enseignement supérieur sont nuls. Le redoublement sans remédiation augmente quant à lui fortement le risque de décrochage scolaire. (Le Monde, 6 décembre)
Attal invoque le dernier rapport Pisa pour légitimer ses attaques rétrogrades mais l’a-t-il vraiment lu ?
Dans les systèmes d’éducation très équitables et très performants, la préscolarisation est généralisée ; le redoublement est rare… (OCDE, Pisa 2022, 15 décembre 2023, t. 2, p. 23)
Les vrais remèdes aux problèmes d’apprentissage sont connus : analyse et identification des difficultés scolaires par les professeurs et les soignants du système scolaire, emploi stable des parents, logement salubre et suffisamment spacieux, sécurité affective, appui orthophoniste ou psychologique, baisse des effectifs, formation continue des professeurs, tutorat…
L’instauration de groupes de niveau au collège
À la rentrée de septembre 2024, il s’agirait de répartir les élèves de 6e et de 5e en groupes de niveau pour les deux disciplines principales.
Pour permettre à tous les élèves de progresser dans des classes et des collèges hétérogènes, une organisation en groupes de niveaux sera mise en place à compter de la rentrée 2024 en mathématiques et en français ; c’est-à-dire pour environ un tiers des heures de cours des élèves. Pour les autres enseignements, le groupe classe demeurera, permettant de combiner les apports de la mixité scolaire et des pédagogies différenciées pour les élèves. (Gabriel Attal, Choc des savoirs, 5 décembre)
Les groupes de niveau seraient étendus l’année suivante en 4e et en 3e. Il est bien établi que les inégalités en français et en mathématiques à cet âge sont fortement corrélées aux classes sociales.
Déjà, les difficultés scolaires se concentrent de plus en plus, en lien avec la ghettoïsation urbaine qui s’accélère, dans certains établissements, toujours publics. La mesure du gouvernement aggraverait le problème.
Les classes de niveau peuvent être légèrement bénéfiques aux meilleurs, mais le système y perd, car c’est sans commune mesure avec les effets catastrophiques qu’elles ont pour les plus faibles. (Le Monde, 29 novembre)
Regrouper les élèves selon leur niveau a tendance à creuser les écarts entre eux sans élever le niveau général. Pour les plus faibles, qui sont aussi souvent les plus dévalorisés socialement, le fonctionnement par niveau mine l’estime de soi et la motivation. (Le Monde, 7 décembre)
La solution est plutôt de constituer des groupes éphémères de besoin.
Selon les chercheurs, les groupes de besoin – et non de niveau – peuvent être pertinents s’ils sont temporaires, centrés sur des compétences précises et surtout flexibles. On parle alors de groupes de besoin pour travailler des points précis quelques heures au sein de groupes fréquemment revus. (Le Monde, 7 décembre)
Quand les chefs syndicaux réclament à Macron une ministre à plein temps
À l’exception du SNALC, une organisation très minoritaire où se retrouvent les réactionnaires (LR, DlF, RN, Reconquête…), tous les syndicats de travailleurs de l’enseignement s’opposent à ces mesures. Le 6 janvier, une intersyndicale se réunit pour convoquer une « journée d’action » le 1er février.
Les chefs de la FSU, de FO, de la CGT et de SUD réclament bien le retrait du plan en cours contre les lycées professionnels. Mais c’est pour mendier des « concertations au sein du ministère ». C’est tenter de faire croire aux travailleurs de l’enseignement que le gouvernement est un partenaire qu’on pourrait convaincre en lui soumettant « des propositions »… Et il n’est jamais question dans l’appel du retrait de l’attaque fomentée contre les collèges. Les bureaucrates se plaignent seulement du rythme : « contre la mise en place des réformes à marche forcée ». Ah bon, si les contreréformes étaient appliquées plus lentement, elles deviendraient bénéfiques ?
En sortant d’une première rencontre avec la nouvelle ministre, ce que tous les dirigeants fédéraux ont accepté, le secrétaire national de la plus grosse fédération, la FSU, se plaint qu’elle ait « trop d’attributions » avec la charge des jeux olympiques et que le gouvernement se contente, avec le prétendu choc des savoirs, « d’éléments de langage » au lieu de s’occuper des « vrais problèmes » (Benoît Teste, France Info, 15 janvier). L’attaque contre les collèges, ce ne sont que des mots ? Et si la ministre de Macron ne « s’occupe » que de l’éducation, les élèves et les travailleurs de l’enseignement vont y gagner ?
Pour le retrait immédiat des contreréformes
Le gouvernement est notre ennemi et il faut le faire reculer, le battre. Dans les syndicats, dans les assemblées générales, dans les fédérations de parents d’élèves, les organisations de jeunesse, il faut se rassembler et se coordonner pour imposer :
- Retrait immédiat et total de toutes les mesures contre l’enseignement professionnel et les collèges ! Rétablissement du bac comme examen national !
- Aucune concertation sur les plans du gouvernement ! Boycott du Conseil supérieur de l’éducation !
- Boycott des conseils d’administration chargés de les appliquer dans les collèges et les lycées professionnels !
- Pas un euro public à « l’école privée », aux établissements de la ségrégation sociale et de l’Église catholique !
Ainsi sera ouverte la voie aux revendications :
- Diminution des effectifs.
- Augmentation des salaires et indexation sur les prix.
- Recrutement de tous les personnels nécessaires.
- Titularisation des travailleurs précaires.
- Création d’un statut de la fonction publique d’éducateur scolaire spécialisé pour les élèves handicapés.
- Liberté pédagogique.
Les travailleurs de l’enseignement, en se défendant , peuvent jouer un grand rôle dans la lutte entre les classes et dans le renversement de la bourgeoisie.
Tant que la France et l’Europe resteront capitalistes, il n’y aura pas d’école émancipée et émancipatrice.
Seule la classe ouvrière peut émanciper de la tyrannie des prêtres, faire de la science non plus un instrument de domination de classe, mais une force populaire, faire des savants eux-mêmes, non plus des proxénètes des préjugés de classe, des parasites d’État à l’affut de bonnes places et des alliés du capital, mais de libres agents de la pensée ! La science ne peut jouer son rôle authentique que dans la république du travail. (Karl Marx, « Première ébauche d’adresse de l’Association internationale des travailleurs sur la Commune de Paris », 1871, La Guerre civile en France, ES, 1972, p. 222)