Analyse du premier tour de l’élection présidentielle (OR/Argentine)

(Espagnol / Español)

Ce dimanche, votons contre l’ajustement !

Après le premier tour du 22 octobre, les deux candidats qui s’affrontent pour la présidence sont désormais coonus, et les grandes coalitions nationales ont connu des ruptures et des regroupements. Aucune options ne représente la défense des intérêts des travailleurs ; au contraire, nous sommes face à deux programmes qui ont des nuances, mais qui sont clairement deux expressions d’une offensive d’envergure contre la classe ouvrière, qui doit susciter notre opposition.

Le premier tour a montré une récupération des voix par Sergio Massa, « Unión por la Patria » [UP, l’Union pour la Patrie : Parti justicialiste, Front rénovateur…], tandis que, comme prévu, Javier Milei, « La Libertad Avanza » [LLA, La Liberté en marche : Parti démocrate, Parti libertarien…] a stagné avec un nombre de voix à peine supérieur à celui des PASO [élections primaires]. Patricia Bullrich, « Juntos por el Cambio » [JxC, Ensemble pour le changement : PRO, UCR…] n’a pas pu accéder au ballotage. Il était également prévisible que Bullrich eût un score électoral bas, à cause de la défection de l’électorat de l’UCR [Union civique radicale, un vieux parti bourgeois] et de l’aile liée à Horacio Rodríguez Larreta [maire de Buenos-Aires, rival de Bullrich lors des élections primaires, prônant ouvertement l’austérité] du PRO [Proposition républicaine, fondé par Macri, président de 2015 à 2019].

Ce résultat est en partie due à certaines initiatives prises par Massa, ministre de l’économie et président par intérim, telles que le versement d’un grand nombre de subventions aux chômeurs, aux travailleurs du secteur informel et aux chômeurs, par le biais d’une impression massive de pesos. Et aussi pour les négociations menées afin de construire un gouvernement d’union nationale, qui inclurait des radicaux [UCR…], des péronistes [PJ, FR…] et d’anciens macristes [PRO].

Le score pour le péronisme a également exprimé en partie le rejet de Milei, considéré comme le plus grand mal, compte tenu de ses propositions ouvertement agressives à l’égard des travailleurs, qu’il a tenté d’adoucir ces dernières semaines, ainsi que des « excentricités » qu’il a mises en avant dans les médias : dollarisation, massacre à la tronçonneuse dans l’État (licenciements massifs), liberté de vente d’organes, justification de la dictature militaire, libre port d’armes, référence à Margaret Thatcher avec ce que cela implique pour la guerre des Malouines [récupération en 1982 des iles Malouines décidée par la junte militaire pour jouer la carte patriotique et qui échoue face à la supériorité de l’armée britannique envoyée par le gouvernement du Parti conservateur de Thatcher, soutenu par le Parti travailliste, Thatcher était adepte, comme Milei, de l’aile la plus réactionnaire de l’économie néo-classique incarnée par Hayek].

Votes valides 26 791 634 96,86
Votes nuls 451 486 1,63
Votes blancs 415 737 1,50
Total 27 658 857 100
Abstention 8 195 265 22,86
Inscrits / participation 35 854 122 77,14
Candidat
et colistiers
Coalition Premier tour
Voix %
Sergio Massa
Agustín Rossi
UP 9 853 492 36,78
Javier Milei
Victoria Villarruel
LLA 8 034 990 29,99
Patricia Bullrich
Luis Petri
JxC 6 379 023 23,81
Juan Schiaretti
Florencio Randazzo
HNP 1 802 068 6,73
Myriam Bregman
Nicolás del Caño
FIT 722 061 2,70

Parmi les réalignements opérés depuis, l’explosion de JxC (Ensemble pour le changement) se distingue. Macri et Bullrich ont annoncé qu’ils soutenaient Milei, tandis que les radicaux et le secteur de PRO qui suit Larreta sont en négociation avec Massa (certains ont ouvertement appelé à voter pour UP, d’autres simplement à ne pas voter pour Milei). Le candidat qui s’affiche libertarien, au lendemain du premier tour, dans un climat de défaite, a parcouru les médias à la recherche désespérée d’alliances. Ainsi, la pathétique accolade avec Patricia Bullrich, qu’il avait accusée tout au long de la campagne d’être une meurtrière et de poser des bombes dans des jardins d’enfants en raison de son passé de cadre des Montoneros [organisation péroniste fondée en 1970, menant la lutte armée en collaboration avec le PRT affilié à la « 4e Internationale » pabliste ; les Montoneros furent dénoncés et réprimés par le colonel Perón dès lors qu’il récupéra le pouvoir en 1974], ruinant ainsi son discours « anti-caste ». De son côté, Massa a reçu le soutien de son ami, le gouverneur radical Gerardo Morales, idéologue de la féroce répression à Jujuy.

Nous devons dire clairement à la classe ouvrière : camarades, les recettes des deux fronts électoraux ont en commun de nous attaquer férocement.

Javier Milei

Prenons le cas de Milei. Il a fait de nombreuses propositions sur lesquelles il a fait marche arrière ou s’est même tu, se contredisant lui-même. Il demande du temps,, soit parce qu’elle sont irréalistes (économiquement, la dollarisation est impossible à mettre en œuvre sans générer une méga-dévaluation catastrophique), soit parce que, au parlement, il ne dispose pas d’une majorité propre. Son plan et ses principales réformes, telles que les bons dans l’éducation et la privatisation de la santé, ainsi que sa vision de la réforme du travail doivent être approuvés par d’autres forces bourgeoises et par la bureaucratie syndicale, qui ne partagent pas sa vision de l’ajustement. Par conséquent, il devrait attendre un résultat favorable aux élections législatives de 2025, et entretemps, il assumerait le programme de Macri et Bullrich. Dans ce contexte, il essaierait de gouverner par décret, ce qui susciterait la réaction des travailleurs s’il voulait imposer ses réformes les plus drastiques.

Le renforcement annoncé de l’appareil répressif dément l’objectif proclamé de réduire le déficit budgétaire ; ce qui est recherché, c’est de faire supporter le fardeau de la crise aux travailleurs et aux pauvres, et de maintenir l’ordre par la répression des luttes. Le rôle de leur candidate à la vice-présidence, Victoria Villaruel, fille d’un officier qui a participé au génocide pendant la dictature, en donnant rétrospectivement raison aux généraux et en essayant d’en montrer l’actualité, pour générer un consensus réactionnaire contre les luttes ouvrières et populaires, en défense de l’ordre bourgeois. Cela a enhardi des bandes de déclassés et de petits bourgeois touchés par la crise, qui, en marge de sa campagne, ont menacé et agressé des militants et des organisations de travailleurs (syndicats et partis). Il s’agit d’actes d’une extrême gravité envers des camarades, qu’il faut affronter résolument. Pour autant, l’accent mis sur la répression par un candidat fascisant n’implique pas qu’il puisse instaurer un un régime fasciste par le biais d’élections, ce qui retire toute justification à un vote utile pour la démocratie.

La candidature de Milei suscite la sympathie d’une partie de la classe ouvrière, non à cause de ses sottises sur la vente d’organes, ni de ses gesticulations grotesques, mais parce qu’il y a un ras-le-bol de l’inflation et de la débauche obscène de luxe de la part des gouvernants. Ce faux prophète a promis de bannir les privilèges d’apparatchiks du gouvernement. Il se trouve que dans sa définition de « la caste », Milei exclut délibérément la grande majorité des entrepreneurs (il ne critique que ceux du bâtiment et des travaux publics, avec lesquels il négociera s’il gagne), les banques, le puissant capital industriel, financier et agro-exportateur. Il a bâti un discours dans lequel il réduit la crise capitaliste aux « politiciens voleurs » et ainsi capte les suffrages d’une partie de la population.

La répression est un élément constant des démocraties bourgeoises et encore plus en période de tension sociale (rappelez-vous l’assassinat de Santiago Maldonado pendant le gouvernement Macri et de Facundo Molares sous l’actuel gouvernement), ce qui se passe, c’est que le péronisme et le réformisme falsifient la nature répressive de l’État capitaliste et le réduisent à un « mauvais gouvernement ». En tant que révolutionnaires, nous dénonçons toujours la répression, quel que soit le gouvernement, et nous sommes favorables à l’organisation des travailleurs pour y faire face.

Le fascisme est un type particulier de régime dictatorial qui annule les libertés démocratiques les plus élémentaires, en tant que moyen bourgeois de détruire la montée et la radicalisation des luttes des masses prolétariennes. Il est l’instrument du capital pour écraser l’ensemble du mouvement ouvrier par des moyens militaires face à la menace insurrectionnelle du prolétariat, en s’appuyant principalement sur la petite bourgeoisie, le lumpenprolétariat et la partie la plus arriérée de la classe ouvrière. Il se distingue en cela d’autres formes de gouvernements d’exception. Cela ne signifie en aucun cas que nous sous-estimons un éventuel gouvernement Milei, mais que nous établissons correctement la caractérisation et définissons les tâches nécessaires pour confronter ses politiques avec une indépendance de classe, sans tomber dans le piège du camp populiste. Pour rester au gouvernement, Javier Milei, qui nie le réchauffement climatique, a l’intention de recourir à davantage de dette, à des millions de suppressions de postes de fonctionnaires, à la suppression des subventions aux services (ce qui se traduira par une augmentation des tarifs douaniers), à une baisse générale des salaires et de l’épargne, et à une politique de commerce extérieur qui anéantirait ce qu’il reste de la bourgeoisie nationale (qui subsiste grâce aux largesses de l’État et serait incapable de rivaliser avec le capital impérialiste). Entre les incohérences de son plan économique et sa médiocre performance en tant que dirigeant politique, il a suscité la méfiance de la bourgeoisie nationale et internationale.

En d’autres termes, si Milei était assez stupide pour vouloir mettre en œuvre un ajustement sauvage et totalement frontal contre les travailleurs (par le biais d’un accord avec d’autres partis patronaux ou par la force), le pays s’embraserait avec une méga-dévaluation, et les confrontations seraient féroces. Le péronisme, qui a généreusement offert à Macri la possibilité de gouverner, tentera de se présenter comme l’alternative au désastre qu’il a contribué à créer. C’est pourquoi nous insistons également sur la nécessité d’une organisation indépendante et d’une autodéfense, que le pacifisme des courants majoritaires du mouvement ouvrier refuse d’avancer. Nous devons souligner que le germe du fascisme ne peut se répandre que dans la mesure où la classe ouvrière reste passive, conciliante et dirigée par les soi-disant fanatiques de la démocratie bourgeoise tels que la bureaucratie péroniste, les vieux réformistes et les pseudo-communistes de toutes tendances (staliniens, trotskystes, maoïstes). Face aux attaques contre le mouvement ouvrier et les militants, nous devons répondre par nos propres méthodes, par l’autodéfense, et non pas en allant pleurnicher auprès des juges et des policiers. Nous n’allons pas demander à l’État bourgeois, qui est lui-même l’exécuteur et le garant de la répression, de nous protéger ; une telle perspective désarme les travailleurs, les affaiblit, les laisse sans défense et en proie au doute et à la peur. Nous avons besoin d’une direction révolutionnaire, déterminée et décidée à construire des détachements pour faire face à la répression et à toutes sortes d’attaques.

Sergio Massa

En ce qui concerne l’Union pour la patrie, nous devons souligner l’offensive prolongée contre les salaires que cette mouvance a menée avec sa politique inflationniste (le taux annuel est de 143 %), avec la soumission au paiement de la dette au FMI, avec davantage d’endettement auprès de la Chine et de fonds privés. L’impression incessante de pesos est due à la nécessité de maintenir artificiellement une survie précaire pour les chômeurs et les secteurs les plus défavorisés de la classe ouvrière. Presque toutes les négociations salariales portent sur des montant scandaleusement inférieurs à l’augmentation du coût de la vie, les pensions paupérisent les retraités. La moitié du pays travaille dans le secteur informel, où 60 % sont au-dessous du seuil de la pauvreté. La misère croissante pousse les gens à travailler plus longtemps, à avoir deux emplois ou plus pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans les quartiers, les expressions les plus atroces de la crise se répandent dans toute leur crudité : la gâchette facile de la police ; les églises réactionnaires de voleurs et d’escrocs qui cherchent à transmettre le poison idéologique des superstitions aux masses appauvries ; la prostitution, qui touche de plus en plus de jeunes que la démocratie bourgeoise ne peut ni éduquer, ni soigner, ni doter des droits les plus élémentaires, ni d’une dignité, ni d’un avenir ; la croissance des bidonvilles face au problème du logement des familles ; les familles qui cherchent de la nourriture dans les rues, en fouillant dans les ordures, dans un pays qui produit des tonnes d’aliments de toutes sortes ; les « trapitos » qui proposent de manière plus ou moins meaçante de garder les voitures en stationnement ; les jeunes qui essaient de gagner un peu d’argent en nettoyant les vitres des voitures ; l’afflux de drogues de toutes sortes qui infectent les quartiers pauvres et les écoles, plongeant de larges couches de la population dans des addictions et des consommations qui nuisent à leur santé et les plongent de plus en plus profondément dans la crise de la décomposition sociale. Mais tout ne se porte pas si mal : les budgets qui continuent d’augmenter sont ceux destinés à la « sécurité », afin que la force de répression se charge d’éliminer les effets que le système lui-même génère. Même dans le débat présidentiel, Massa a annoncé qu’il était prêt à créer un « FBI argentin ». C’est ce paradis bourgeois que les populistes veulent nous appeler à défendre. C’est ainsi qu’ils disent qu’ils nous défendront contre Milei.

Si Sergio Massa est élu président, nous pourrons dire que le gouvernement d’unité nationale depuis un moment, depuis :

  • l’accord entre radicaux et péronistes pour approuver l’exploitation du lithium et la réforme constitutionnelle de Jujuy, promue par le gouverneur Gerardo Morales, qui ont été imposées dans le sang et le feu par le biais d’une répression sauvage contre les travailleurs et les peuples indigènes ;
  • l’assassinat de Facundo Molares à la veille des PASO, aux mains de la police de la communauté autonome de Buenos Aires, sous le commandement d’Horacio Rodríguez Larreta, du PRO, qui a bénéficié du soutien scandaleux du kirchnerisme, qui a gardé le silence comme si rien ne s’était passé. On sait que le progressiste Axel Kicillof et le fascisant Sergio Berni (autoproclamé « soldat de Cristina ») ont une prédilection pour envoyer la police et la gendarmerie pour incendier les campements des bidonvilles, réprimer les manifestations et emprisonner les militants. De même, personne ne devrait s’étonner que Cristina Kirchner Fernandez [PJ, présidente de 2007 à 2015, vice-présidente de 2019 à 2023] ait gardé un silence complice et scélérate c’est la même dirigeante anti-ouvrière, qui a fièrement pris sur elle, bourgeoisement, de criminaliser les travailleurs du pétrole de Las Heras et de mettre en cause les camarades de Gestamp [équipementier automobile espagnol dont l’usine de Buenos Aires fut touchée par un grève contre les licenciements en 2014], la même qui a choisi Scioli comme candidat à la présidence en 2015, en remerciement d’avoir réprimé les travailleurs de l’usine Kraft à la demande de l’ambassade des États-Unis.

En 2006, sous le gouvernement de Nestor Kirchner, il y a eu une série de luttes à Las Heras (Santa Cruz). La ville a été occupée et placée sous l’autorité militaire de la gendarmerie, c’est-à-dire du gouvernement national. Les travailleurs du pétrole protestaient contre la précarité de l’emploi. Au cours d’une répression sauvage, un policier est mort, et la justice bourgeoise a accusé des travailleurs. Cristina Kirchner s’est montrée solidaire de la famille du policier. En 2014, les travailleurs ont été condamnés à la prison à vie ; en 2019, ils ont été acquittés par la lutte ouvrière et populaire.

Lors de la grève Gestamp, la présidente a déclaré :

Nous avons cinq entreprises automobiles qui emploient des milliers de travailleurs et qui génèrent du travail pour des milliers d’autres travailleurs d’autres entreprises de pièces automobiles, qui sont toutes à l’arrêt parce qu’une seule est paralysée par neuf personnes. Je demande aux autorités de prendre en charge le problème et de le résoudre… Je demande aux ouvriers de sauver l’emploi. Personne ne peut dire qu’il défend l’emploi si, par son comportement, il met en danger l’emploi de milliers de travailleurs. (Christina Kirchner, site présidentiel Casa Rosada, 31 mai 2014)

Il est curieux de constater à quel point la peur et l’indignation sont sélectives chez ceux qui appellent à voter pour le gouvernement d’unité nationale afin d’arrêter Milei et Bullrich, et qui célèbrent Massa, Morales, Cristina et Larreta comme un moindre mal. Ils ont répudié l’assassinat de Santiago Maldonado, mais ils ont accompagné l’assassinat de Facundo Molares par leur silence complice et en appelant à voter pour ses bourreaux. Ils oublient même ce que ce même gouvernement d’Alberto Fernandez a fait : la demande de « tourner la page » de la dictature militaire, la défense des forces armées « formées en démocratie », en bref une tentative de recomposition de l’autorité militaire pour justifier son rôle croissant avec de plus en plus de responsabilités pour les utiliser, si nécessaire, pour rétablir l’ordre social et les avoir de son côté, avant qu’un aventurier ne profite de l’occasion et les actions des forces de police et de sécurité intérieure, qui ont tué, emprisonné et torturé plusieurs personnes avec l’impunité garantie par la militarisation de la santé et du travail pendant la pandémie.

Le gouvernement d’unité nationale qui, selon les propos de Massa, prévoit une meilleure année 2024, basée sur le fait qu’il y aurait un calendrier de paiement plus léger avec le FMI, que les exportations de céréales augmenteraient et que ce serait l’année où le lithium décollerait, cache la crise profonde dans laquelle se trouve l’économie argentine, qui peut rebondir selon certains indicateurs, mais cette amélioration est également conditionnée par le fait de rendre l’ajustement contre la classe ouvrière plus agressif et plus efficace. Il y a déjà eu plusieurs déclarations du péronisme faisant référence au contrôle et à la suppression des plans sociaux, ce qui a généré un malaise au sein de la bureaucratie des organisations de chômeurs.

Au niveau international, les politiques économiques libérales ou étatistes ne peuvent empêcher le retour périodique des crises capitalistes, qui deviennent de plus en plus violentes et poussent au militarisme. Les bourgeoisies des pays dominés ont de moins en moins de marge de manœuvre avec la montée du protectionnisme dans les pays impérialistes et la menace d’une récession mondiale. Le capitalisme national est en crise profonde, et pour les classes dirigeantes, il n’y a pas d’issue sans austérité et répression contre les travailleurs. Le bellicisme croissant qui se traduit par des guerres et des invasions rend encore plus complexe toute spéculation sur la croissance supposée en termes « nationaux ». Le spectre de la récession s’est installé dans plusieurs pays et en hante beaucoup d’autres, malgré l’émission monétaire, l’augmentation du crédit, l’utilisation discrétionnaire des taux d’intérêt et toutes les vieilles ficelles qui continuent à se heurter à la réalité.

Dans un tel contexte, renoncer à l’indépendance de classe est une trahison.

Le rôle des organisations politiques du mouvement ouvrier

Pendant des décennies, les petits partis réformistes traditionnels ont subordonné la classe ouvrière à telle ou telle aile de la bourgeoisie. Le PS a appelé à voter pour la coalition Hacemos por nuestro país [Faisons-le pour notre pays : Parti démocrate-chrétien, Parti autonomiste…] ; le PCA et le PCR ont appelé à voter pour l’UP [PJ, FR…].

Malheureusement, en Argentine, le Frente de Izquierda y los Trabajadores-Unidad (FIT, Front uni de la gauche et des travailleurs-Unité), composé du Parti socialiste des travailleurs (PTS), du Parti ouvrier (PO), de Gauche socialiste (IS) et du Mouvement socialiste des travailleurs (MST) poursuit sa descente dans le crétinisme parlementaire le plus abject, comme il était logique pour un front simplement électoral, sans principes et avec une plateforme de base qui est même pas réformiste.

Cristian Castillo (PTS) et Jorge Altamira (PO) ont créé le FIT sans aucun principe en 2011, face à ce qu’ils dénonçaient comme une politique de censure qui a commencé à prendre effet avec la réforme du système électoral établi par le kirchnerisme, qu’ils ont essayé de ne pas fâcher. Par la suite, ils ont ajouté des partis à coloration nettement réformiste comme le MST et l’IS, démontrant qu’ils ne sont pas intéressés à lutter pour l’indépendance de classe de l’avant-garde du prolétariat, mais à l’adapter à la marge gauche du régime bourgeois.

Dans la lutte des classes, les membres du FIT tombent en permanence dans toutes sortes de manœuvres et de déviations qui sont censées être combattues par les révolutionnaires. D’une part, pour attirer les travailleurs et les étudiants, ils parlent de Marx, Engels, Lénine et Trotsky ; d’autre part, dans la pratique, ils sont légalistes et pacifistes, ils appellent à s’en remettre aux conciliations obligatoires, sachant qu’il s’agit d’un instrument de la bourgeoisie pour démobiliser les grévistes et sauver les patrons. Ils n’ont aucun scrupule à recourir à la justice bourgeoise ou à la police pour résoudre leurs conflits internes. Ce qui devrait être une discussion programmatique ouverte et profonde face aux masses, ils le résolvent en présentant des candidats lors des élections primaires.

D’une manière ou d’une autre, tous les partis de ce front ont franchi plus d’une fois la frontière de classe. Quelques exemples :

  • le MST et l’IS ont soutenu les patrons agrariens en 2008 ;
  • le député du PO Gabriel Solano a voté au parlement de Buenos Aires pour une déclaration d’unité nationale des députés péronistes en 2022 ;
  • Solano a soumis à la justice bourgeoise son différend avec la fraction du caudillo Jorge Altamira (qui a ensuite scissionné pour fonder Política Obrera [Politique ouvrière]) ;
  • le PTS recherche en permanence l’approbation du kirchnerisme et, à plusieurs reprises, a conclu des pactes avec la bureaucratie syndicale.

Bien qu’il reste éloigné du FIT, le Nouveau MAS a participé à la manifestation péroniste pour l’unité nationale du 3 septembre 2022, aux côtés du Frente de Todos [la coalition péroniste gouvernementale, renommée UP pour la campagne de 2023].

C’est la même chose de voter blanc ou de voter pour Massa en mode défensif. Il est clair qu’aucune composante du FIT-U n’a défendu l’indépendance de classe, qu’il entend conduire les travailleurs à un désarmement stratégique, qu’il ne propose jamais la construction de détachements d’autodéfense. Il n’i n’utilise pas les élections pour diffuser un programme révolutionnaire qui démasquerait le caractère illusoire de la démocratie bourgeoise ; au contraire, il tente de semer des illusions dans le parlementarisme et la légalité, en prétendant que les transformations viendront en « combattant ». L’adaptation de ces dirigeants est telle que l’on peut se demander s’il s’agit de courants centristes ou purement réformistes.

Tous les partis du FIT-U se sont consolidés comme des appareils, des petites bureaucraties qui vivent des miettes de la démocratie bourgeoise et craignent plus que tout une interdiction. Ils ont un grand nombre de dirigeants rémunérés, ils ne présentent aucun bilan financier à leurs militants, et pour maintenir leurs privilèges, sous prétexte d’étendre leurs organisations au niveau national, ils distribuent plus de postes et d’argent à leurs directions. C’est ce qui s’est passé, par exemple, lorsque la lutte interne au PO a éclaté entre Altamira et Ramal d’un côté et la fraction de Solano, Pitrola et del Plá de l’autre.

Pendant ce temps, Altamira, chassé de sa propre création, tout en essayant de renier toutes les positions défendues par le FIT-U, qu’il avait lui-même soutenues pendant la majeure partie de sa vie, continue à agiter contre vents et marées, comme Castillo et le PTS, la nécessité de l’assemblée constituante, essayant de devenir peut-être la dernière bouée de sauvetage de la bourgeoisie si ses anciens alliés venaient à échouer.

Le PTS poursuit sa route vers le post-modernisme, adoptant l’idéologie petite-bourgeoise des mouvements sociaux, reniant la conception léniniste du parti et les éléments centraux d’un programme révolutionnaire. Il a dénaturé les slogans du programme de transition au point de les intégrer dans une liste de souhaits de la démocratie bourgeoise, typique de tout politicien bourgeois qui veut qu’on s’assoie pour l’écouter.

Il y a beaucoup de camarades honnêtes qui militent au FIT-U, ou qui sont sympathisants. Nous devons leur dire que leurs directions sont complètement inféodées à la démocratie bourgeoise et qu’elles ne luttent aucunement pour la révolution socialiste. Nous les appelons à construire un détachement révolutionnaire, internationaliste et indépendant, de la classe, à organiser l’avant-garde ouvrière en un parti marxiste qui vise à la direction du prolétariat pour la prise du pouvoir et le pouvoir ouvrier.

Notre position

Les grèves qui ont lieu dans tout le pays mettent la bureaucratie syndicale dans l’embarras, mais pour l’instant elle sort indemne de ces affrontements, malgré la pression de la base. Le vote blanc et l’abstention traduisent un mécontentement à l’égard des candidats et des élections, mais ne peuvent pas encore être interprétés de manière optimiste comme l’expression d’une rupture avec le système. Pour l’instant, la méfiance et le rejet des institutions s’accroissent. La révolution ne se fera pas spontanément par décantation de la crise. Il est de notre devoir de forger dans la lutte, avec un programme révolutionnaire, des détachements sur les lieux de travail, dans les lieux d’étude et dans les quartiers, d’organiser les meilleurs éléments de notre classe et d’affronter la bourgeoisie avec des méthodes et une orientation révolutionnaires, en faisant en sorte que la majorité laborieuse rompe avec les directions des bureaucraties syndicales et cessent de faire confiance aux dirigeants bourgeois. Nous avons besoin d’un nouveau type d’État, composé de conseils d’ouvriers et de paysans, pour prendre en main le pouvoir économique et politique, pour réorganiser la société en détruisant le capitalisme, sur la base de la construction internationale du socialisme avec nos frères et sœurs prolétaires du monde entier.

Nous appelons à voter contre Massa et contre Milei, nous appelons à voter pour un plan de lutte, pour l’indépendance de classe, contre l’ajustement, contre le FMI, pour la défense des salaires et des libertés démocratiques, pour la solidarité avec le peuple palestinien, pour l’autodéfense, pour un gouvernement ouvrier, pour la Fédération Socialiste d’Amérique Latine.

Nous pensons que tôt ou tard, l’Argentine rejoindra les autres rébellions latino-américaines de ces dernières années (Chili, Pérou, Colombie, Équateur). Nous avons besoin de construire un parti révolutionnaire pour faire progresser notre classe, sinon le régime bourgeois se recyclera et continuera à exercer sa domination. Les éventuelles victoires peuvent être absorbées par la bourgeoisie. Toute concession politique et économique peut être annulée. C’est pourquoi nous appelons à la formation d’un parti ouvrier révolutionnaire qui représente les intérêts historiques du prolétariat : la fin de toutes les formes d’exploitation et d’oppression.

En avant pour le communisme, en avant pour la révolution mondiale !

16 octobre 2023

Octobre rouge (noyau du Collectif révolution permanente en Argentine)