Après l’insurrection du 17 juin,
Le secrétaire de l’Union des écrivains
Fit distribuer des tracts dans la Stalinallée.
Le peuple, y lisait-on, a par sa faute
Perdu la confiance du gouvernement
Et ce n’est qu’en redoublant d’efforts
Qu’il peut la regagner.
Ne serait-il pas
Plus simple alors pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d’en élire un autre ?
(Bertolt Brecht, « La Solution », 1953)
De la défaite de l’impérialisme allemand à la « guerre froide »
Lors des négociations de Téhéran, Yalta et Postdam, Staline, Roosevelt et Churchill sont d’accord sur une chose : il faut empêcher que la guerre mondiale débouche, comme la précédente, sur des crises révolutionnaires, comme le préfigure la révolution italienne de 1943. En particulier, même après 12 années de fascisme et 6 années de guerre, la classe ouvrière allemande constitue une menace pour le capital comme pour la bureaucratie.
La Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS possèderont l’autorité suprême en ce qui concerne l’Allemagne. Ils pourront décider le désarmement complet, la démilitarisation et le démembrement de l’Allemagne. (Protocole de Yalta, art. 3, février 1945)
Ce n’est nullement pour des raisons militaires, alors que le Reich était déjà à genoux que les villes de Dresde et Essen sont rasées par l’aviation américaine, mais parce qu’elles représentent des bastions ouvriers. Pour la même raison, les troupes de l’État « soviétique » ont carte blanche pour violer et liquider qui leur plait dans la population allemande.
Les dignitaires nazis, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes fuient à l’approche de l’Armée rouge et vont à la rencontre de l’US Army. La Sainte Alliance contrerévolutionnaire entre Washington et le Kremlin divise sciemment l’Allemagne pour paralyser le prolétariat, la classe révolutionnaire de l’époque du capitalisme en déclin. Après la capitulation du régime nazi, en mai 1945, les armées des États-Unis, de la Grande Bretagne, de l’URSS, de la France remise en selle occupent l’Allemagne dont la population est souvent affamée et déplacée. La Conférence de Postdam d’aout redessine la frontière de l’est, au profit de la Pologne et de l’URSS. Le reste est partagé en 4 zones d’occupation (américaine, anglaise, française et russe). Berlin, enclavée dans la dernière, est aussi découpée en 4 secteurs.
En Allemagne, l’effondrement des nazis et la destruction de l’armée amenaient la destruction de l’État bourgeois. Spontanément, dans toute l’Allemagne, les masses ouvrières ont commencé, au niveau des usines, des localités, à réorganiser la vie, à s’organiser. Elles ont constitué des organes embryonnaires de pouvoir. Plus brutalement encore que dans les zones que les troupes américaines, anglaises, françaises occupèrent, l’armée de l’URSS a exercé directement le pouvoir et réprimé dans sa zone d’occupation, détruisant toute organisation, toute forme politique prolétarienne. (Stéphane Just, « À propos d’une possibilité théorique et de la lutte pour la dictature du prolétariat », La Vérité n° 588, septembre 1979)
Les rapports économiques, sociaux et politiques de l’URSS sont incompatibles avec ceux du « glacis » dès 1944. Dans un premier temps, la bureaucratie de l’URSS pille l’est de l’Allemagne, tout en maintenant le capitalisme et en tolérant le multipartisme. Néanmoins, la seule force armée sur place est « l’armée soviétique » (le nom d’Armée rouge est abandonné en 1946). Staline crée en avril 1946 un instrument politique à sa botte confié à Walter Ulbricht, le Parti socialiste unifié (SED), résultant de la fusion forcée des restes du Parti social-démocrate (SPD) et du Parti communiste (KPD). La centrale syndicale FDGB passe sous la mainmise du SED.
RDA contre RFA, la division du prolétariat est consacrée
Aussitôt après la capitulation de l’Allemagne et du Japon, l’État américain (qui vient d’utiliser l’arme atomique contre la population civile au Japon) et son valet britannique tentent d’étouffer tout risque de révolution en Europe (Grèce…) et en Asie (Chine…) et de rétablir le capitalisme en URSS. Mais les travailleurs américains et britanniques sous l’uniforme, mobilisés au nom de la lutte contre le fascisme, sont réticents (la section britannique de la 4e Internationale, le RCP, intervient vigoureusement chez les conscrits). L’armée chinoise officielle équipée par les Etats-Unis s’effondre face à celle du Parti communiste chinois. Les travailleurs déclenchent à l’ouest de l’Allemagne en 1948 une grève générale contre l’inflation et le chômage.
Pour se ménager un point d’appui en Asie contre la révolution, le gouvernement des États-Unis accepte la reconstitution des grands groupes capitalistes au Japon en 1948, tout en installant plusieurs bases militaires. En Europe, l’impérialisme hégémonique répudie en 1947 le plan Morgenthau de colonisation de l’Allemagne. Il lance le plan Marshall de reconstruction du capitalisme en Europe et proclame en mai 1949 une « République fédérale allemande » (BRD/RFA, capitale : Bonn). En mai 1952, les accords de Bonn abolissent le statut d’occupation (même si les bases militaires américaines sont maintenues) et admettent le réarmement de la RFA. Le gouvernement américain lance une alliance militaire (OTAN) contre l’URSS en 1949.
L’offensive de la puissance impérialiste hégémonique en Europe exacerbe les conflits entre les restes de la bourgeoisie nationale, son personnel politique d’un côté, les services secrets russes, l’armée de l’URSS et les partis staliniens reconfigurés. La bureaucratie de l’URSS riposte en expropriant à partir de 1947 le capital dans les pays d’Europe centrale, en les transformant en « démocraties populaires » (sic), en interdisant les autres partis et en proclamant en octobre 1949 une « République démocratique allemande » (DDR/RDA, capitale : Berlin, chef du gouvernement : Otto Grotewohl).
Les États d’Europe centrale sont désormais calqués sur l’URSS
La « guerre froide » consacre la division de l’Allemagne et de sa classe ouvrière. Sur la plus grande partie, un État capitaliste est restauré, dont la bourgeoisie est impérialiste mais rendue prudente par son échec historique. Sur le reste de l’Allemagne et dans tout le glacis, Staline, en s’appuyant sur l’armée de l’URSS et sur une mobilisation limitée des travailleurs, exproprie le capital. Ainsi naissent des petits États modelés sur l’État ouvrier dégénéré de l’URSS, dépendant de l’URSS et des autres « démocraties populaires » d’Europe centrale pour leurs échanges économiques.
Les entreprises industrielles capitalistes et les grandes propriétés foncières de Junkers sont nationalisées, mais aussi les petites fermes, les boutiques et les ateliers. Les opposants politiques sont arrêtés, les libertés démocratiques supprimées, une police politique stalinienne est mise en place en 1950 (Ministère de la Sécurité d’État, Stasi).
Cette éventualité avait été envisagée par la 4e Internationale dans le programme de transition adopté à sa conférence de 1938.
Il est impossible de nier catégoriquement par avance la possibilité théorique de ce que, sous l’influence d’une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances (guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire des masses, etc.), des partis petits-bourgeois, y compris les staliniens, puissent aller plus loin qu’ils ne le veulent eux-mêmes dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 3 septembre 1938, GMI, p. 29)
Le manifeste adopté par la 4e Internationale à sa conférence de 1940 avait constaté que c’était le cas dans une partie de l’ancien État polonais, passée sous le contrôle de l’URSS en 1939.
La mainmise sur la Pologne orientale ‑gage de l’alliance avec Hitler, et garantie contre Hitler‑ a été accompagnée de la nationalisation de la propriété semi‑féodale et capitaliste en Ukraine et en Biélorussie occidentales. Sans cela, l’URSS n’aurait pas pu incorporer les territoires occupés. (La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 26 mai 1940, GMI, p. 16)
En 1949, dans l’est de l’Allemagne, le moteur de l’économie n’est plus le profit. Pour autant, la classe ouvrière ne contrôle pas l’économie étatisée puisque la planification est aux mains d’une bureaucratie qui usurpe le pouvoir. La différence est que, comme la transformation est décidée de l’étranger et qu’elle est opérée grâce à la présence d’une armée étrangère, à la différence de la Yougoslavie et de l’Albanie en 1945, le règne bureaucratique prend aussi une dimension d’oppression nationale, qui augmente avec la répression russe des mouvements de masse d’Allemagne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Pologne… avec le soutien de Tito, Mao et Castro.
Dès lors, l’analyse par la 4e Internationale de l’URSS (« État ouvrier dégénéré ») peut être étendue à la RDA et aux autres « démocraties populaires ».
La propriété étatique n’est pas encore la propriété sociale car cette dernière a ses prémices dans le dépérissement de l’État, la réduction des inégalités et la dissolution graduelle de la notion même de propriété dans la morale et les coutumes de la société. Le développement réel de l’Union soviétique a suivi une marche opposée. L’inégalité s’accentue et, avec elle, la contrainte de l’État. Dans des conditions favorables, à la fois sur le plan intérieur et international, la transition de la propriété d’État au socialisme est possible. Cependant, dans des conditions défavorables, un retour au capitalisme est tout aussi possible. (« La 4e Internationale et l’URSS », 31 juillet 1936, thèse 2, Quatrième Internationale n° 1, octobre 1936, p. 7)
On peut qualifier l’URSS d’État ouvrier de la même façon qu’on qualifie d’organisation ouvrière un syndicat que dirigent et trahissent des opportunistes, c’est-à-dire en fait des agents du capital. (thèse 18, p. 10)
L’URSS continue à rester un État ouvrier dégénéré. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 3 septembre 1938, GMI, p. 36)
Il faut donc y renverser la bureaucratie usurpatrice
Le programme de la 4e Internationale vis-à-vis de l’URSS vaut aussi pour la Yougoslavie, la Chine, la RDA… La stratégie communiste comporte deux volets.
Il faut défendre la propriété étatisée et la planification contre la restauration du capitalisme.
Assurément, la nationalisation des moyens de production dans un pays, surtout dans un pays arriéré, n’assure pas encore la construction du socialisme. Mais elle est susceptible de renforcer les conditions favorables au socialisme, à savoir le développement planifié des forces productives. Tourner le dos à la nationalisation des moyens de production sous prétexte qu’elle n’assure pas en elle-même le bienêtre des masses équivaut à condamner à la destruction une fondation de granit sous prétexte qu’il est impossible de vivre sans murs ni toits. L’ouvrier qui a une conscience de classe sait qu’une lutte victorieuse pour une émancipation totale est impensable sans la défense d’une conquête aussi colossale que l’économie planifiée contre la restauration des rapports capitalistes. Ceux qui ne peuvent pas défendre les anciennes positions n’en prendront jamais de nouvelles. (La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 26 mai 1940, GMI, p. 17)
Cela implique de défendre tout État ouvrier contre tout État bourgeois. La 4e internationale n’est pas neutre en cas d’affrontement.
L’avant-garde mondiale du prolétariat soutiendra l’URSS en cas de guerre, en dépit de la bureaucratie parasitaire… La défaite de l’URSS balaierait la bureaucratie soviétique, mais substituerait aussi le chaos capitaliste à la propriété étatique et collective. (« La 4e Internationale et l’URSS », thèse 15, 31 juillet 1936, Quatrième Internationale n° 1, octobre 1936, p. 9)
Cela implique de lutter pour débarrasser l’État ouvrier de la bureaucratie qui le mine. Vu que la bureaucratie ne tolère pas le débat, et encore moins l’existence d’une organisation communiste (bolchevik-léniniste), il faudra une révolution, même si l’économie est déjà étatisée, pour établir réellement le pouvoir des travailleurs.
La classe ouvrière s’est vu spoliée de la dernière possibilité de restructurer légalement l’État. La lutte contre la bureaucratie devient nécessairement une lutte révolutionnaire… Le développement du socialisme nécessite inévitablement une révolution politique, c’est-à-dire l’élimination violente du despotisme politique de la bureaucratie. (« La 4e Internationale et l’URSS », thèse 15, 31 juillet 1936, Quatrième Internationale n° 1, octobre 1936, p. 9)
Seul le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses opprimées peut régénérer le régime soviétique et assurer sa marche en avant vers le socialisme. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 3 septembre 1938, GMI, p. 40)
Contre l’ennemi impérialiste, nous défendrons l’URSS de toutes nos forces. Cependant, les conquêtes de la révolution d’octobre ne serviront le peuple que s’il se montre capable d’agir envers la bureaucratie stalinienne comme il le fit jadis envers la bureaucratie tsariste et la bourgeoisie. (Lev Trotsky, « Lettre aux travailleurs d’URSS », 26 avril 1940, La Lutte antibureaucratique en URSS, 1923-1940, 10-18, t. 2, p. 302)
La préparation du renversement révolutionnaire de la caste dirigeante de Moscou est l’une des tâches principales de la 4e Internationale. (La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 26 mai 1940, GMI, p. 19)
La mort de Staline fragilise la bureaucratie desserre la chape de plomb
À Saalfeld (Thuringe), le 16 aout 1951, l’arrestation de mineurs d’uranium pour un délit banal entraine une grève. Une foule de 3 000 travailleurs attaque le commissariat de police. Ils ne reprennent le travail qu’après la libération de leurs camarades.
En 1952, la consommation chute, d’autant que la RDA se réarme à son tour : sous la pression du Kremlin, elle consacre 10 % de son budget aux forces armées (KVB). Les récoltes sont médiocres. Une partie de la population rejoint la RFA : 166 000 en 1951, 182 000 en 1952, 226 000 rien que pour le premier semestre de 1953.
Le 5 mars 1953, Staline, le chef suprême de la bureaucratie de l’URSS et de l’appareil stalinien international, meurt. En URSS, aussitôt, le sommet de l’appareil politique qui coiffe la caste privilégiée se déchire entre Malenkov, Khrouchtchev et Beria, l’ancien chef de la police politique NKVD. Le 27 mars, celui-ci décrète l’amnistie politique pour un million de prisonniers du Goulag.
En Tchécoslovaquie, Gotwald, mis en place par Staline à la tête du PCT et de l’État, meurt quelques jours après son maitre. Le 30 mai, face à l’inflation, le gouvernement change la monnaie et l’amarre au rouble russe (1 couronne nouvelle = 50 couronnes anciennes). Le 1er juin, des ouvriers des usines automobiles Skoda de Pilsen, des aciéries et mines d’Ostrava, de l’usine de moteurs électriques CKD-Vysocany de Prague, etc., qui ne veulent pas recevoir leur paye en ancienne monnaie, se mettent grève et manifestent. La « milice » (la police locale) fraternise.
À Pilsen, une foule de 5 000 ouvriers venant des usines avait pris d’assaut l’hôtel de ville. Les ouvriers réclamèrent des élections libres. Les manifestants foulèrent aux pieds les portraits de Staline et de Gotwald… Ce n’est qu’au cours de l’après-midi que l’arrivée d’une importante unité motorisée de l’armée réussit à disperser la manifestation… C’est de la même manière que le gouvernement réprima les grèves et manifestations de mécontentement dans les autres centres industriels. (François Fejtö, Histoire des démocraties populaires, 1969, Seuil, t. 2, p. 28)
Le 9 juin, en RDA, le SED, après une convocation d’Ulbricht et Grotewohl à Moscou, proclame un « cours nouveau ». La privatisation des petites et moyennes entreprises industrielles est annoncée. Le gouvernement permet aux paysans de quitter les coopératives et diminue fortement leurs livraisons obligatoires à l’État. Les trafiquants sont libérés. Les pasteurs peuvent de nouveau prêcher. Des augmentations de salaires sont consenties aux travailleurs qualifiés pour qu’ils ne quittent pas la RDA. Mais aucune concession n’est faite aux ouvriers et aux employés. Au contraire, le gouvernement exige d’augmenter le rendement dans les entreprises, ce qui fait baisser les salaires.
Une révolution ouvrière s’amorce en RDA
À Berlin-Est, le 12 juin, la tension monte dans le secteur du bâtiment concentré dans la Stalinallee (l’histoire fait parfois des pieds de nez) où des grèves éclatent contre les cadences infernales et l’inflation. Le 15, les maçons de deux chantiers se rassemblent contre les nouvelles normes. Les dirigeants syndicaux officiels proposent, comme d’habitude, de transmettre les doléances aux autorités. Mais l’assemblée générale se rebiffe, les ouvriers élisent leurs propres délégués pour agir en leur nom.
Le 16 juin, Tribüne, l’organe de la confédération FDGB justifie l’augmentation des normes de travail. Le même jour, les ouvriers du BTP de Berlin cessent le travail pour accompagner leurs délégués au local de la confédération syndicale, avec une banderole : « nous exigeons une réduction des normes ! ». Auparavant, le cortège fait le tour des chantiers voisins. Au fur et à mesure que la manifestation enfle, les ouvriers crient : « Travailleurs, rejoignez-nous ! », « L’union fait la force ! », « Nous voulons des élections libres ! », « Nous voulons être libres, pas des esclaves ! ».
Un cortège de dix mille personnes arrive au local syndical qu’elles trouvent fermé. Il part au siège du gouvernement (la Maison des ministères) et exige la présence d’Ulbricht et Grotewohl, chefs respectifs du SED et du gouvernement. Elle reprend le vieil hymne socialiste et scande : « Grève générale pour demain ! ». Alors qu’Ulbricht reste invisible, des bureaucrates subalternes annoncent le renoncement aux nouvelles normes de production.
Il est trop tard. Des délégués du bâtiment parcourent toute la capitale pour appeler à la grève générale. Des cheminots et des routiers répandent les nouvelles dans tout le pays malgré la censure.
Le 17, toute l’Allemagne de l’est est en effervescence. À Magdebourg, les ouvriers libèrent les prisonniers politiques et manifestent en exigeant la légalisation du SPD. À Halle et Erfurt, la grève est générale, l’assaut est donné aux prisons. À Leipzig, des usines sont pour la plupart en grève et la manifestation de rue est très violente. De grandes entreprises comme le chantier naval Neptun (Rostock), les usines Zeiss (Iéna), Lowa (Gorlits), Olympia (Erfurt), Buna (Halle), les usines de locomotives de Babelsberg, les aciéries de Fürstenwalde et de Brandebourg, sont en grève illimitée.
Des comités de grève sont élus. Celui de la ville de Bitterfeld adopte la résolution suivante :
1 – Démission du gouvernement.
2 – Constitution d’un gouvernement provisoire composé de travailleurs progressistes,
3 – Libre existence de tous les grands partis démocratiques d’Allemagne occidentale.
4 – Élections libres, secrètes, directes, avant 4 mois.
5 – Libération de tous les détenus politiques : politiques proprement dits, « criminels économiques » et tous les gens poursuivis pour croyance religieuse.
6 — Effacement des frontières de zone et retrait de la police frontalière.
7 – Retour à un niveau de vie normal.
8 – Dissolution de l’armée dite « nationale ».
9 – Pas de représailles contre les grévistes.
D’autres revendiquent un salaire égal pour les femmes, la fin du travail aux pièces… La plus grande partie de l’intelligentsia ne s’associe pas : par exemple, l’enseignement n’est pas touché. L’exception est la couche de techniciens et d’ingénieurs en contact avec les ouvriers. La force déterminante est le prolétariat manuel des villes, ce qui explique qu’il n’y ait pas de demande de privatisation de l’économie ou d’incorporation à la RFA capitaliste.
La plupart des membres du SED venus du KPD d’avant-guerre participent activement aux grèves et aux manifestations. Par contre, les hiérarchies catholique et évangélique réprouvent.
Au moins 1 million de travailleurs participe à des grèves ou des manifestations de rue. 700 localités et 1 000 sites de travail sont concernés. La FGDB estime après coup que les ¾ de l’effectif de l’industrie métallurgique de Berlin ont fait grève. La lutte n’est pas qu’économique : dans tout le pays, les organes officiels, les locaux de la Stasi, les commissariats et les prisons sont attaqués, avec une forte participation de femmes.
Le gouvernement Ulbricht-Grotewohl, débordé et impuissant, est sur le point de s’effondrer. Tout le système bureaucratique à l’est de l’Europe et même en URSS risque de se disloquer. Les consignes de Moscou sont de réprimer.
Le 17 juin, l’armée « soviétique » occupe les grandes entreprises et les gares. Le soulèvement est qualifié par les médias de « contrerévolutionnaire », de « complot fasciste », « commandité par les Occidentaux »… En fait, les responsables américains interdisent à la radio américaine en langue allemande RIAS, très écoutée en RDA, de parler de la grève générale. Le chancelier ouest-allemand et son patron de Washington redoutent tout autant la révolution sociale qui exproprierait le capital que Ulbricht et ses maitres du Kremlin craignent la révolution politique qui les chasserait du pouvoir et leur ferait perdre leurs privilèges.
J’invite les hommes et les femmes qui aujourd’hui à Berlin demandent à être affranchis de l’oppression et de la misère… à ne pas se laisser entrainer par des provocateurs à des actes qui pourraient mettre en danger leur vie et leur liberté. Un véritable changement dans la vie des Allemands de la zone soviétique ne peut résulter que du rétablissement de l’unité allemande dans la liberté. (Konrad Adenauer, 17 juin 1953)
Le commandement russe proclame l’état de siège. La police est-allemande, l’armée allemande en formation et l’armée russe intimident. À Berlin, 50 000 travailleurs se rassemblent place Marx-Engels. Les chars russes foncent sans avertissement dans la foule. Au total, entre 60 et 100 manifestants sont tués. Le mouvement se poursuit dans d’autres villes le 18 avant d’être réprimé de la même manière. Au total, 16 000 personnes sont arrêtées (70 % sont des ouvriers, d’après les documents gouvernementaux). Les tribunaux ordinaires condamnent 1 524 personnes à 1 an de prison ou plus et 3 à mort. Plusieurs centaines de personnes sont déportées en Sibérie. 3 policiers allemands et 42 soldats soviétiques qui refusent de tirer sur les travailleurs sont fusillés.
Début juillet, des sidérurgistes de Thale (Saxe) font grève pour demander la libération de grévistes arrêtés en juin. Mi-juillet, plusieurs milliers de travailleurs de la chimie de Schkopau (Saxe) et de matériel optique de Iéna (Thuringe) font grève pour la libération des prisonniers politiques, la démocratisation de la FDGB, la réduction de l’armée. La répression de ces grèves est sévère et met fin au mouvement.
Le mouvement ouvrier mondial se divise : les chefs sociaux-démocrates et travaillistes s’alignent sur l’anticommunisme de la bourgeoisie américaine et allemande ; les chefs staliniens salissent les travailleurs allemands comme la bureaucratie de RDA et d’URSS.
Un agent américain révèle comment l’émeute fasciste a été fomentée… Le 17 juin a été choisi comme jour J d’une tentative pour rallumer, en partant de Berlin pour le déployer en République démocratique allemande, un foyer de guerre. (L’Humanité, 22 juin 1953)
3 millions de personnes, sur une population de 19, fuient à l’ouest. La RDA construit un mur en 1961 pour empêcher cet exode, ce qui va servir la propagande bourgeoise en RFA et dans le monde entier. Le régime bureaucratique gonfle l’effectif de la Stasi (qui dépasse en proportion celui de la Gestapo) mais augmente les salaires plus vite que la productivité pour éviter une nouvelle crise sociale. En RFA, le parti stalinien KPD, déjà persécuté par l’État bourgeois, est discrédité. Cela l’obligera à se renommer en DKP peu avant d’essuyer des scissions mao-staliniennes à répétition.
Les révisionnistes du trotskysme à l’épreuve
Déjà, en 1953, alors que les grèves de Tchécoslovaquie et la crise révolutionnaire d’Allemagne de l’est confirment le programme de la 4e Internationale (1933-1940), il n’y a plus de « mouvement trotskyste ». La 4e Internationale, fondée pour prendre la relève de l’Internationale communiste dégénérée n’est pas au rendez-vous de l’histoire.
Un dirigeant de la section britannique, Ygael Gluckstein (Cliff), découvre en pleine guerre froide que l’URSS est capitaliste et refuse, en 1950, de soutenir la Chine durant la guerre de Corée. Depuis, les cliffistes ont soutenu les ayatollahs contrerévolutionnaires en Iran, mis sur pied un front populaire avec les islamistes en Grande-Bretagne, applaudi à la défaite de l’URSS face aux djihadistes en Afghanistan, ont rampé devant les Frères musulmans puis les généraux en Égypte, se sont ralliés à l’aile sociale-démocrate du Parti démocrate aux États-Unis, etc.
Robert Barcia (Hardy), le fondateur du groupe français VO qui débute en 1950, n’a jamais été membre de la 4e Internationale. Pourtant, VO prétend bizarrement vouloir la « reconstruire ». Pour Hardy comme pour Cliff, aucun changement significatif n’a eu lieu en Europe centrale dans la seconde moitié du 20e siècle, pas plus qu’en Chine, au Vietnam, à Cuba…
De même que, dans son propre pays, Hardy considère que mai 1968 n’est qu’une grève économique. Pour les hardystes, le stalinisme ne trahit pas, il n’est pas contrerévolutionnaire. Il s’arrête à mi-chemin, il est insuffisant. Au nom de l’implantation dans les entreprises, VO-LO fournit des centaines d’adjoints disciplinés à la direction de la CGT. LO n’a toujours pas vu que la Russie est redevenue capitaliste en 1991-1992.
Les dirigeants de la 4e Internationale d’après-guerre, Michalis Raptis (Pablo), Ernest Mandel (Germain), Pierre Frank, etc., s’adaptent à Tito et Mao, des chefs de partis staliniens qui prennent le pouvoir en Yougoslavie en 1945 et en Chine en 1949. Puis le secrétariat international (SI) modifie le programme en 1951 pour transformer l’internationale en groupe de pression :
- sur les castes privilégiées au pouvoir en Yougoslavie, en Chine, en URSS (la ligne de la réforme de la bureaucratie),
- sur les appareils corrompus du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes (la pratique de l’intégration aux bureaucraties syndicales et de l’entrisme prolongé dans les partis réformistes),
- sur les mouvements nationalistes petits-bourgeois et bourgeois dans les pays dominés (la ligne du front uni antiimpérialiste), Pablo lui-même devient conseiller de Ben Bella, le chef du gouvernement nationaliste bourgeois à l’indépendance de l’Algérie, jusqu’au coup d’État militaire de 1965.
Inévitablement, il y a résistance au sein de la 4e Internationale, si bien que le SI pabliste expulse en 1952 la majorité de la section française (Parti communiste internationaliste) animée par Marcel Bleibtreu (Favre) et le scissionne (la minorité pabliste qui usurpe le nom PCI est la matrice des fondateurs du NPA français).
La pratique prouve rapidement qu’il ne s’agit pas d’un malentendu politique ou d’une question de personnes. Face à l’insurrection ouvrière de 1953, le PCI défend une orientation correcte (voir annexe ci-dessous), contrairement au SI révisionniste.
Écarté par Pablo en 1951 au profit de celui du groupe argentin de Posadas, le POR mené par Hugo Bressano (Moreno) entre dans le mouvement nationaliste bourgeois péroniste en 1954 puis célèbre Mao. Les morénistes sont une variante du pablisme dont ils retrouvent la branche principale lors de la « réunification » de 1963, sur la base d’une commune adaptation à la bureaucratie cubaine.
Un groupe issu de la section britannique, la RSL dirigée par Isaac Blank (Grant), rejoint le SI révisionniste en 1957. Les grantistes quittent la « 4e Internationale » pabliste en 1964, mais gardent l’illusion que les partis ouvriers bourgeois et les mouvements nationalistes bourgeois peuvent être mis au service des travailleurs. Un chef grantiste, Alan Woods, donne des conseils au colonel Chavez, le dirigeant nationaliste bourgeois du Venezuela, jusqu’à la mort de celui-ci en 2013.
Devant l’amorce de révolution politique en 1953 en Tchécoslovaquie et en Allemagne de l’est, le SI pabliste de la « 4e Internationale » refuse de demander le retrait des troupes russes de l’est de l’Europe et s’en remet de fait à une aile de la bureaucratie parasitaire. Au milieu de phrases orthodoxes, le pablisme révèle sa véritable orientation : le stalinisme serait capable de se réformer et d’avancer vers le socialisme sous la pression des masses.
Les dirigeants soviétiques et ceux des différentes « démocraties populaires » et des partis communistes ne pourront plus falsifier ou ignorer la signification profonde de ces évènements. Ils sont obligés de persévérer dans la voie de concessions encore plus amples et plus réelles pour ne pas risquer de s’aliéner à jamais le soutien des masses et de provoquer des explosions encore plus fortes. Ils ne pourront plus désormais s’arrêter à mi-chemin. Ils s’efforceront de doser les concessions pour éviter des explosions encore plus graves dans l’immédiat et faire si possible une transition « à froid » de la situation actuelle à une situation plus supportable pour les masses. (SI de la 4e Internationale, « Déclaration sur l’Allemagne orientale », 25 juin 1953)
Le SI (Pablo, Mandel, Grant, Posadas…) récidive en 1956 quand une crise survient en Pologne et une véritable révolution ouvrière éclate en Hongrie. Quand la révolution prolétarienne est bloquée en 1961 à Cuba et en Amérique latine par la coalition du M26J castriste et du PSP stalinien ; quand ceux-ci se transformeront en bureaucratie privilégiée sur le modèle de l’URSS et alignée sur celle-ci, les dirigeants du SU de la « 4e Internationale » (Mandel, Moreno, Hansen, Maitan…) se découvriront tous castristes. Telle est l’origine partagée du NPA français et du PTS argentin.
Les seuls qui analysent correctement la révolution cubaine sont marginaux dans le « mouvement trotskyste » : une fraction du POR bolivien (autour de Guillermo Lora) et un noyau de jeunes opposants du SWP américain (Tim Wohlforth, James Robertson). Hélas, ultérieurement, les robertsonistes confient aussi la défense des États ouvriers à la bureaucratie stalinienne. Aujourd’hui, toutes les branches du robertsonisme pensent que la Chine reste un État ouvrier, presque toutes que la Russie n’est pas capitaliste et la principale est alignée sur le nationalisme québécois au Canada.
Pour le reste du « trotskysme », il ne se passe grand-chose à Cuba de 1958 à 1961. Selon Cliff, Hardy, Healy, Lambert, etc. Cuba est tout aussi capitaliste en 1961 qu’avant la grève générale et le renversement de Batista par la guérilla, l’affrontement avec les États-Unis, l’armement de la population, l’expropriation du capital, l’alignement sur l’URSS, les scissions procastristes des partis staliniens d’Amérique latine… Ce qui n’est l’opinion ni du Pentagone et de la CIA, ni des anciens capitalistes réfugiés à Miami. C’est de ce type de cécité politique que sont issues des organisations comme LO française, le SWP britannique, le POID français, le SEP américain…
Malgré la répression en 1953 du prolétariat est-allemand et la confirmation ultérieure de l’impossibilité de réformer les bureaucraties staliniennes, jamais le SI (renommé SU en 1963) ne se corrigera pour revenir au bolchevisme-léninisme, jamais il ne construira des partis ouvriers révolutionnaires afin de renverser les bureaucraties de Yougoslavie, de Chine, d’Allemagne de l’est, de Hongrie, de Pologne, d’URSS…
La crise de direction du prolétariat et le sursis procuré au capitalisme mondial
Faute d’internationale ouvrière, de parti révolutionnaire, le prolétariat ne peut y prendre le pouvoir et ouvrir la voie du socialisme mondial. Dans les pays d’Europe de l’est, la direction des soulèvements populaires contre la bureaucratie, qui ne cessent jamais, passe à des classes intermédiaires et pro bourgeoises. En 1989, le régime de RDA s’effondre face à un exode massif de sa population à l’ouest et à des manifestations de masse dirigées par les Églises chrétiennes.
À la fin du 20e siècle, après avoir écrasé toutes les poussées des masses, la bureaucratie ne voit elle-même d’issue que dans la restauration du capitalisme et le pillage de la propriété étatique. La bureaucratie cède l’Allemagne de l’est à la bourgeoisie allemande en 1989 et elle restaure le capitalisme en Russie et en Chine en 1992. Ainsi, l’histoire confirme la nature fondamentalement contrerévolutionnaire du stalinisme.
Ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l’organe de la bourgeoisie mondiale dans l’État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme ; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 3 septembre 1938, GMI, p. 36)
Aujourd’hui, pour que le prolétariat renverse la bourgeoisie de l’Allemagne capitaliste réunifiée, des États-Unis impérialistes, de l’Argentine étranglée par le FMI, d’Israël colonisatrice, de la Russie redevenue impérialiste, de la France impérialiste… il faut un parti révolutionnaire, une nouvelle internationale ouvrière qui parte du programme de l’Internationale communiste du temps de Lénine et de la 4e Internationale du temps de Trotsky.
Déclaration du Parti communiste internationaliste, 22 juin 1953
Salut aux travailleurs de Berlin-Est et de toute l’Allemagne orientale, qui viennent d’écrire une nouvelle page glorieuse dans l’histoire du prolétariat international !
Silence aux chiens sanglants de la bourgeoisie, aux impérialistes français, américains, anglais. L’histoire de leur régime n’est que boue, sang et misère, de la Commune de Paris à l’assassinat des Rosenberg.
Qu’ils se taisent, ceux qui par deux fois en vingt-cinq ans ont déchainé la guerre impérialiste pour défendre leurs profits. Qu’ils se taisent, ceux qui depuis huit ans font la guerre au Vietnam, ceux qui en un jour assassinèrent 45 000 Algériens [massacre de la population algérienne du 8 au 22 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata], ceux qui en trois jours assassinèrent 100 000 Malgaches [insurrection de la réprimée de 1947 à 1949], les bourreaux de Ferhat Hached [syndicaliste tunisien assassiné en décembre 1952], les râtisseurs du Cap Bon [début 1952, intervention de l’armée française contre les émeutes populaires en Tunisie], les hommes de la guerre atomique, les incendiaires de Corée, les chevaliers du napalm et de la chaise électrique. Les travailleurs de Berlin se sont dressés contre l’oppression et la misère, c’est-à-dire contre vous et votre régime. Vos larmes de crocodile sur le sort de l’Allemagne orientale ne tromperont personne.
Quant aux valets de plume de L’Humanité et de Libération [un quotidien crypto-stalinien disparu en 1964] en assimilant tout un prolétariat dressé pour le pain et la liberté à des « provocateurs fascistes », ils ont montré, au grand jour, leur plate subordination aux bureaucrates du Kremlin et leur mépris de la classe ouvrière.
TRAVAILLEURS FRANÇAIS, VOICI COMMENT ET POURQUOI LES TRAVAILLEURS D’ALLEMAGNE ORIENTALE COMBATTENT
Le 16 juin, les gars du bâtiment de Berlin débrayaient en masse pour protester contre l’augmentation des normes de travail de 10 %, sans augmentation de salaire. Les cheminots, les métallurgistes se joignirent au mouvement : bientôt la grève fut générale. Les grévistes se répandirent dans les rues de la ville, aux cris de : « Nous en avons assez ! Nous ne pouvons plus vivre ainsi ! Nous voulons du pain et la liberté ! Vive la grève générale ! ». Par centaines de milliers, affluant de 30 et 40 kilomètres à la ronde, ils marchèrent sur le siège du gouvernement Grotewohl pour exiger sa démission.
Le 17 et le 18 juin, les manifestations ouvrières s’étendaient à toute l’Allemagne. En maints endroits, la police populaire fraternisa avec les travailleurs.
Le gouvernement stalinien de Grotewohl-Ulbricht –ce même gouvernement qui, pour satisfaire les exigences de la politique internationale du Kremlin, venait de tendre la main à l’évêque Dibelius, de préconiser le développement de la petite et de la moyenne industrie capitaliste et la liberté du commerce, de prôner les vertus de la libre concurrence, de promettre des avantages aux paysans riches ; ce même gouvernement venait d’amnistier en masse les mercantis et les trafiquants– ce gouvernement aux abois, tout prêt d’être emporté par les travailleurs insurgés, s’abrita derrière les troupes d’occupation russes. Celles-ci intervinrent avec leurs tanks et leurs mitrailleuses contre les manifestants qui scandaient : « Qui sommes-nous ? Nous sommes les travailleurs de Berlin ! Ils ne nous feront rien, nous sommes des ouvriers ! ».
Plusieurs dizaines furent tués, plusieurs centaines blessés. À Magdebourg, où 10 000 métallurgistes des usines Thälmann s’étaient emparés de la préfecture et de la prison et avaient libéré les détenus politiques, vingt d’entre eux furent tués. Des évènements semblables se déroulèrent à Weimar, Chemnitz, Hall, Dresde, Leipzig, Erfurt et dans les mines d’uranium de Saxe. À Berlin, l’ouvrier électricien en chômage Willy Göttling fut fusillé pour l’exemple. Le vice-président du gouvernement, Nuschke, déclara : « Les Russes ont raison d’employer les tanks, car c’est leur devoir en tant que puissance d’occupation de rétablir l’ordre ».
Travailleurs ! Vous ne vous laisserez pas duper par les faussaires qui prétendent vous faire croire que les travailleurs allemands, lorsqu’ils luttent pour leurs conditions d’existence, pour leurs libertés, pour l’unité de leur pays, sont des provocateurs fascistes ! Certes, l’impérialisme américain, qui vient de défier l’opinion publique mondiale en assassinant les Rosenberg [Ethel et Julius Rosenberg, membres du Parti communiste américain, arrêtés en 1950, accusés d’espionnage pour l’URSS, exécutés en juin 1953] cherche, dans sa rage contrerévolutionnaire, à exploiter la situation.
Mais qui donc fait le jeu de l’impérialisme –qui donc compromet la défense de l’Union soviétique– sinon les bureaucrates du Kremlin qui ont consacré à Potsdam, la division de l’Allemagne entre les quatre Grands ? Qui, de concert avec les impérialistes occidentaux, a imposé au peuple allemand, les démantèlements d’usines et d’écrasantes réparations ? Qui fait le jeu de l’impérialisme, sinon ceux qui instaurent en Europe orientale d’étouffants régimes policiers, qui provoquent l’indignation des masses ouvrières ?
Ne les reconnaissez-vous pas, ces dirigeants staliniens qui osent écrire aujourd’hui : « Il y a lieu de rougir que des travailleurs allemands soient tombés dans le piège des machinations des provocateurs de Berlin-Ouest, que les ouvriers de Berlin n’aient pas réussi à empêcher que fût souillée leur ville » (Neues Deutschland, 18 juin). Ne les reconnaissez-vous pas ? N’est-ce pas les mêmes qui vous disaient, il n’y a pas si longtemps : « La grève est l’arme des trusts », ou encore : « Seuls les fascistes veulent la grève générale » [mots d’ordre du PCF et des bureaucrates de la CGT en 1946-1947]. N’est-ce pas eux qui prêchent aujourd’hui le « Front national uni », avec les bourgeois « patriotes » ? Ne sont-ils pas toujours prêts, aujourd’hui comme hier, en Allemagne comme en France, à sacrifier les travailleurs aux combinaisons diplomatiques du Kremlin ?
Moscou et Washington sont aujourd’hui d’accord pour présenter les travailleurs manifestants de l’Allemagne orientale comme des partisans de la « démocratie » à la mode américaine. Ils entonnent, chacun pour ses raisons, le chœur de cette hideuse calomnie contre les prolétaires allemands. Pas une voix ne s’est élevée contre les falsificateurs, pour la défense des aspirations socialistes du prolétariat d’Allemagne. Personne ne s’est trouvé non plus à la tête des manifestants, inorganisés et livrés à leur seul sens de classe, pour donner un programme à la lutte qu’ils voulaient mener.
Des témoins oculaires ont rapporté comment, au matin du 17 juin, de nombreux travailleurs manifestant dans les rues de Berlin, disaient entre eux : « Malheureusement, nous n’avons pas de direction ». Malheureusement, en effet, les travailleurs allemands n’ont pas encore à leur tête un parti révolutionnaire authentique, indépendant de Wall Street et du Kremlin. Ce parti aurait proclamé devant les prolétaires du monde entier que les travailleurs d’Allemagne orientale, comme quelques jours auparavant ceux de Pilsen et de Morava-Ostrava, en Tchécoslovaquie, ne luttent pas pour le rétablissement du capitalisme ; ils luttent pour que les fruits de l’économie nationalisée et planifiée profitent à l’ensemble des travailleurs et non seulement à une minorité de bureaucrates privilégiés.
Ce parti aurait appelé les travailleurs de toute l’Allemagne à ne pas attendre l’unité allemande d’une conférence des grandes puissances, ces mêmes puissances qui à Yalta et à Potsdam consacrèrent la division de l’Allemagne. L’unité allemande doit être conquise par l’action des travailleurs allemands. C’est dans cette voie que sont engagés les travailleurs de Berlin. Aussi la presse bourgeoise dissimule-t-elle mal son inquiétude sous ses ricanements. La bourgeoisie redoute que les travailleurs de toute l’Allemagne s’unissent dans un même combat. N’a-t-elle pas vu, le 20 juin précisément, des milliers de manifestants se heurter à la police à Munich, en zone américaine, au cours de violentes bagarres ? On comprend dès lors que Kayser, ministre d’Adenauer, ait adressé aux travailleurs insurgés de la zone orientale un appel au calme.
Travailleurs français ! Nous pouvons et devons aider la classe ouvrière allemande dans sa lutte pour l’unité de son pays, pour le départ des troupes d’occupation étrangères, pour la démocratie ouvrière, pour le socialisme.
Unissons-nous pour imposer le retrait de toutes les troupes d’occupation ! Exigeons le retrait des troupes d’occupation de notre propre bourgeoisie en Allemagne de la même façon que nous exigeons le retrait du corps expéditionnaire en Indochine et des troupes d’occupation françaises en Afrique du Nord !
VIVENT LES TRAVAILLEURS D’ALLEMAGNE ORIENTALE !
VIVE L’ACTION RÉVOLUTIONNAIRE DES TRAVAILLEURS DE TOUTE L’ALLEMAGNE POUR L’UNITÉ ALLEMANDE, CONTRE ADENAUER ET GROTEWOHL !
VIVE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE DU PROLÉTARIAT !