Après le coup d’État militaire au Niger

Au Sahel, l’influence de l’impérialisme français s’effondre

Le coup d’État de juillet au Niger vient après une série d’autres, au Mali en aout 2020 et mai 2021, en Guinée en septembre 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022. Il précède celui du Gabon d’aout 2023. Ce que l’impérialisme français considérait comme son « pré carré » s’effondre comme un château de cartes, ce qui affaiblit son État en France comme dans le reste du monde.


Au Niger, le 26 juillet 2023, au petit matin, la garde présidentielle commandée par le général Abdourahamane Tiani, séquestre le président Mohamed Bazoum, élu en 2021, à l’intérieur de la résidence présidentielle, à Niamey. Elle arrête également le ministre de l’intérieur. Des troupes prennent position à des endroits stratégiques de la capitale.

Les mois précédents, Bazoum avait procédé à des changements au sein du commandement des « forces de défense et de sécurité » qui ont mécontenté des hauts gradés. Il a remplacé le haut commandant de la gendarmerie et le chef d’état-major général des armées en mars 2023 et a plus récemment signé un décret mettant à la retraite six généraux. Un décret limogeant le général Tiani du commandement de la garde présidentielle était en cours de préparation, ce qui aurait été l’élément déclencheur du coup d’État.

Le général Tiani, formé aux Etats-Unis, s’est enrichi ces dernières années comme tous les proches du président Bazoum. Celui-ci avait été réélu avec plus de 90 % des voix au second tour en février 2021, mais son principal rival, Hama Amadou, ancien premier ministre et président du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN) avait été exclu du scrutin avant le premier tour de décembre 2020.

Dans l’après-midi, quelques centaines de partisans de Bazoum se rassemblent devant l’Assemblée nationale pour protester contre le coup d’État, et parmi eux, quelques dizaines se dirigent vers le palais présidentiel. La garde présidentielle effectue des tirs de sommation pour les disperser, blessant plusieurs personnes.

Une junte militaire s’empare du pouvoir

26 juillet, Niamey, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie apparait sur Télé Sahel

Tiani ne fait pas l’unanimité chez les galonnés. Peu après le putsch, l’état-major se réunit le 26 juillet dans une caserne pour examiner l’opportunité d’une confrontation avec la garde présidentielle qui est la force armée la mieux équipée de la capitale. À l’issue de plusieurs heures de discussions, les officiers supérieurs ratifient le coup et créent, avec la garde présidentielle, le « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie » (sic) qui assume le gouvernement du pays.

Le soir, dix hauts gradés de tous les corps d’armée, de la garde nationale, de la police et des pompiers l’annoncent à la population par le biais de la télévision nationale.

Nous, Forces de défense et de sécurité réunies au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), avons décidé de mettre fin au régime que vous connaissez. Cela fait suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale. (CNSP, Communiqué, 26 juillet 2023)

Le scénario rappelle les coups d’État de 1999 et 2010, quand une unité militaire avait pris le pouvoir pour ensuite rallier le reste de l’armée. Dans leur déclaration, les putschistes justifient leur coup de force en mettant en avant leur opposition aux choix sécuritaires du président. Ils dénoncent en particulier sa décision de libérer des prisonniers proches des groupes jihadistes, une mesure que le gouvernement a prise dans le but de faciliter le dialogue avec les insurgés. Ils critiquent également le choix d’intégrer des membres des milices communautaires au sein des forces de défense et de sécurité. Cette concession est mal vécue par les militaires de carrière qui y voient souvent une remise en cause de leur rôle. Ils sont également irrités par la présence prolongée de l’armée française. En fait, la junte n’a aucun programme.

Le 27 juillet, le chef d’état-major des armées confirme son soutien à cette déclaration. Le 28 juillet, le général Tiani confirme que le CNSP remplace la 6e république. L’ancien chef d’état-major général des armées, le général Salifou Modi, devient son adjoint.

Il n’y a pas de mobilisation significative pour défendre le président ou même le système démocratique qu’il représente, en dehors de quelques rassemblements modestes à l’appel du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) à Niamey, le soir du coup, ainsi que dans quelques villes de l’intérieur. Le 31 juillet, d’autres ministres et des dirigeants du PNDS, dont son président Foumakoye Gado, sont arrêtés.

Le 3 aout, la junte militaire censure les émissions de radio ou télé françaises, comme auparavant celles du Mali et du Burkina Faso. France 24 était suivie chaque semaine par un quart de la population nigérienne et RFI était la chaine internationale la plus suivie du pays.

Le 4 aout, la junte lève le couvre-feu qu’elle imposait depuis le 26 juillet. Le 10 aout, elle nomme un nouveau gouvernement avec à sa tête l’économiste Ali Lamine Zeine. Parmi les 21 ministres, on compte 3 généraux, en charge des ministères de l’intérieur, de la défense et des sports.

Le 19 aout, le général Tiani annonce que le CNSP va ouvrir un « dialogue national » qui pourrait durer 3 ans.

Le 25 aout, des professionnels africains de l’information publient un appel adressé au CNSP pour le respect de la liberté de la presse.

Un front uni anti-impérialiste au service des généraux

La junte a besoin de soutiens dans la « société civile ». L’opposition, qui était tolérée avant le putsch, l’acclame sans réserve : le CUAFVC autour de la fraction islamiste de la bourgeoisie, le M62 petit-bourgeois « souverainiste », les bureaucraties syndicales.

L’Union sacrée pour la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple (M62), nait en aout 2022 d’un bloc d’une « quinzaine d’organisations de la société civile » qui imite le M30 Naaba Wobgo du Burkina Fasso.

Les organisations de la société civile nigérienne appellent tous les syndicats, les organisations de la société civile, les universitaires, les hommes des médias, les transporteurs, les agriculteurs, les éleveurs et les leaders religieux à se joindre à elles pour la défense et la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple dangereusement menacées. (M62, 2 aout 2022)

Les chefs du M62 recherchent une alliance avec les « chefs religieux ». Ils ménagent l’impérialisme américain et sèment des illusions envers l’impérialisme russe.

En septembre 2022, le M62 organise à Niamey une marche de quelques centaines de personnes dont plusieurs agitent des drapeaux russes. Le gouvernement arrête en octobre son coordinateur Seydou Abdoulaye qui est condamné en avril par la justice à 9 mois de prison.

Un an plus tard, le M62 se rallie immédiatement au coup d’État.

Le M62 nourrit l’espoir que ce coup de force sera l’ultime opportunité de réparer les dérives du régime déchu et de restaurer la dignité du peuple nigérien. (Mahaman Sanoussi, secrétaire général du M62, 27 juillet 2023)


30 juillet, Niamey, manifestation convoquée par le M62 à l’ambassade de France / photo Balima Boureima

L’état-major et le M62 travaillent, pour l’instant, la main dans la main. Relayé sur les ondes de la RTNC, la télévision nationale, celui-ci appelle à une marche de soutien aux putschistes le 30 juillet à Niamey au cours de laquelle des centaines de jeunes scandent des slogans antifrançais et convergent vers l’ambassade de France.

De leur côté, les directions des syndicats de travailleurs salariés se prosternent devant la junte.

L’Union des Syndicats des Travailleurs du Niger félicite et apporte son soutien indéfectible au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) pour la dénonciation des accords de défense militaire avec l’État français. L’USTN encourage le CNSP à persévérer dans son combat patriotique de lutte contre l’insécurité et la sauvegarde de l’intégrité territoriale. (USTN, 13 aout 2023)

Certaines le font en compagnie d’une organisation de petits et grands patrons.

L’unité d’actions syndicales du Niger (UAS) composée de l’Alliance des Travailleurs du Niger (ATN), de la Convergence des Travailleurs du Niger (CTN), des Syndicats des Commerçants, Importateurs, Exportateurs et Grossistes du Niger (SCIEDN), de l’Intersyndicale des Travailleurs du Niger (ITN) a rappelé que l’ensemble du peuple Nigérien est debout derrière son armée et tient à saluer la décision digne, courageuse, fraternelle et panafricaniste des pays frères du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée-Conakry. (UAS, 2 aout 2023)

Le 11 aout, à l’appel du M62, plusieurs milliers de manifestants défilent devant la base militaire française avec des drapeaux nationaux et russes. Le 14 aout, la justice décide de libérer le coordonnateur du M62 du Niger, Abdoulaye Seydou.

Le 26 aout, le stade Seyni Kountche de Niamey (30 000 places) est rempli aux deux-tiers pour soutenir et écouter les généraux. Les drapeaux sont nigériens, russes et algériens.

Les islamistes du CUAFVC entrent en scène

Les populistes du M62 expriment leur désir de s’entendre avec les islamistes du CUAFVC.

Notre mouvement en synergie d’actions avec certaines structures religieuses et de la société civile, a décidé d’un sit-in permanent de trois jours à compter de ce vendredi 1er septembre 2023. (Abdoulaye Seydou, 1 septembre 2023)

1 septembre, Niamey, manifestation appelée par le CUAFVC


Mais les islamistes, peu actifs dans la rue jusqu’alors, tentent de rivaliser avec le M62. Leur Cadre unique d’action des forces vives du changement (CUAFVC) dont le chef est le Cheikh Djibril Soumaila Karanta, président de l’Association islamique du Niger (qui a reçu officiellement l’ambassadeur américain à son siège le 21 juillet 2021) convoque des manifestations dans le pays le 1er septembre.

La foule regroupée à l’Escadrille [la place à proximité de la base française] a exécuté une prière collective, certains sur leurs tapis et d’autres à même le sol. La finalité est d’implorer le Tout-Puissant en ce jour saint de l’Islam, pour protéger le Niger et son peuple des méfaits et des complots qui le visent. Ainsi, après cette prière, des oulémas se sont succédé sur le podium pour faire des prêches et éclairer la lanterne des manifestants sur le noble combat qui se fait depuis le 26 juillet par les Nigériennes et les Nigériens. (Office national d’édition et de presse, 3 septembre 2023)

Le porte-parole des bourgeois cléricaux enjoint à la population d’obéir à la junte militaire.

L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois qu’un peuple et ses dirigeants font bloc autour de la défense des intérêts stratégiques, ils sortent victorieux face aux ennemis. C’est pourquoi le CUAFVC a invité toutes les forces vives de la nation à faire bloc derrière nos militaires regroupés au sein du CNSP. (Boulamine Moustapha, 1 septembre 2023)

L’histoire a surtout confirmé l’avertissement d’un dirigeant de l’Internationale communiste (1919-1923).

Quant aux États et nations arriérés, il faut tout particulièrement avoir présent à l’esprit… la nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments réactionnaires et moyenâgeux… ; contre le panislamisme et autres courants analogues…, contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés. (Vladimir Lénine, Première ébauche de thèses sur la question nationale et coloniale, 5 juin 1920)

Le lendemain 2 septembre, la manifestation du M62, plus massive, plus bruyante et plus jeune, encercle la base de l’armée française.

Le 2 septembre, aucun orateur ne se soucie de la présence militaire américaine. Parmi eux, figure le ministre du commerce et de l’industrie nommé par la junte, accompagné de plusieurs « opérateurs économiques » (des patrons ?).

Présent à ce mémorable évènement révolutionnaire, le ministre du Commerce et de l’Industrie du Niger, M. Seydou Asman accompagné des opérateurs économiques, est venu, apporter son soutien… Et aucun nigérien ne doit rester à la traine dans cette marche vers la souveraineté. Pour le ministre cette mobilisation est le point de départ de la plus grande révolution de notre pays, parce que dit-il, beaucoup de choses vont être revues pour que ça puisse uniquement profiter au peuple. (Office national d’édition et de presse, 3 septembre 2023)

Dans son discours, la trésorière du M62 avalise la fable complotiste selon laquelle les djihadistes sont une création de l’État français.

Nous nous sommes réunis ici, hommes, femmes, civils et militaires pour un seul objectif qui est le Niger… Ce ne sont pas ces terroristes qui nous combattent parce qu’ils ne peuvent pas faire ce massacre de centaines de morts civils et militaires… Ce terrorisme ne vient pas du ciel, ça ne pousse pas de la terre, ça a été créé par la France, autrement, nous ne pouvons pas comprendre quelqu’un qui n’a jamais été à l’école faire des armements, des munitions, faire des embuscades. (Souleymane Falmata Taya, 2 septembre 2023)

Certes, l’inégalité structurelle entre États du système impérialiste mondial est en grande partie responsables de l’émergence du djihadisme, un panislamisme qui combine l’antiimpérialisme et le fascisme. Les gouvernements impérialistes et leurs services secrets ont plus d’une fois joué aux apprentis sorciers : pari sur l’ayatollah Khomeiny contre la révolution en Iran, pari sur Ben Laden et aide aux moudjahidines contre l’URSS en Afghanistan, deux invasions de l’Irak, bombardements de la Libye, etc.

Mais cela ne veut pas dire que les attentats islamistes qui ont frappé leurs populations ont été fomentés par les services secrets occidentaux ! En outre, les grandes puissances ne sont pas les seules à avoir joué avec le feu : l’État indonésien l’a fait avec le Nahdlatul Ulama, l’État israélien avec le Hamas, l’État pakistanais avec les Talibans…

En 1993, les autorités de Niamey qui ne parvenaient pas à venir à bout des Touaregs insurgés confèrent la répression aux Arabes de la région de Tassara… Parmi ces miliciens arabes, se distingua particulièrement Abous Zeid, le futur responsable d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. (Bernard Lugan, Atlas historique de l’Afrique, Rocher, 2018, p. 346)

Bien que des dizaines de milliers de manifestants répondent, dans la capitale (2 millions d’habitants) et dans les autres villes, aux appels de la junte militaire, du mouvement nationaliste petit-bourgeois et du cartel islamiste, la grande majorité du peuple, tout en étant hostile à l’impérialisme français, reste passive. La nécessité de travailler pour survivre ne suffit pas à l’expliquer, il faut y ajouter une saine méfiance vis-à-vis des nantis galonnés.

Une bourgeoisie dominée, un État instable

Ce n’est pas une crise économique conjoncturelle qui a causé le renversement du gouvernement puisque la croissance était une des plus vives du monde. La croissance a été de 9 % en 2022 en termes réels (inflation déduite) et devrait atteindre 6,9 % en 2023, selon les prévisions de la Banque mondiale.

Le Niger, la République démocratique du Congo et le Sénégal font partie des pays de la région dont la croissance est la plus élevée ; en effet, l’exploitation de nouveaux gisements pétroliers et gaziers cette année devrait faire nettement augmenter la croissance du PIB de ces pays. (FMI, Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne, avril 2023, p. 5)

Par contre, structurellement, le pays est économiquement arriéré. L’indépendance de 1960 n’est pas arrachée par une lutte révolutionnaire. La bourgeoisie naissante, tout en tenant volontiers un discours panafricaniste, accepte les frontières héritées de la colonisation et s’incorpore immédiatement, de manière subordonnée, au système impérialiste mondial.

Le Niger n’est pas féodal, comme le voudraient les staliniens attardés, mais capitaliste.

L’économie est maintenant mondiale et c’est ce qui décide du sort du capitalisme sur tous les continents. (Lev Trotsky, L’Europe et l’Amérique, 15 février 1926)

Cependant, comme pays dominé, une large part de sa production, de sa répartition et de sa consommation relève toujours de rapports précapitalistes. Globalement, la croissance des forces productives est lente et le développement est très inégal. Le surproduit social accaparé par les exploiteurs locaux sert peu à « l’investissement productif », c’est-à-dire à la reproduction élargie du capital.

INS, Émergence d’une classe moyenne, 5 janvier 2021, p. 13


Par conséquent, la classe ouvrière reste minoritaire comme en témoigne la prévalence du « secteur informel » qui compte plus de 90 % des actifs occupés. Si parmi eux, il y a beaucoup de prolétaires précaires, ils comportent aussi bon nombre de petits commerçants et d’artisans échappant au fisc.

À cause de l’hétérogénéité ethnique et linguistique, la langue officielle choisie par la bourgeoisie nigérienne à l’indépendance est le français. La monnaie reste le franc CFA qui présente l’avantage d’être partagé avec plusieurs États voisins : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Faute d’accumulation du capital suffisante, la bourgeoisie est majoritairement compradore et parasitaire. Le budget de l’État le reflète.

Ministère des finances du Niger, Rapport provisoire d’exécution du budget de l’État, avril 2023, p. 4


En 2023, moins de la moitié (environ 45 %) des ressources de l’État viennent d’impôts et taxes. Plus de la moitié (55 %) dépend de l’aide, directe ou mutualisée, d’États étrangers et d’emprunts sur les marchés financiers.

Les contradictions de la phase impérialiste se manifestent très nettement dans les contradictions du système des emprunts internationaux. Ces emprunts sont indispensables à l’émancipation des jeunes États capitalistes ascendants et en même temps ils constituent le moyen le plus sûr pour les vieux pays capitalistes de tenir les jeunes pays en tutelle, de contrôler leurs finances et d’exercer une pression sur leur politique étrangère, douanière et commerciale. Ils sont le moyen le plus efficace d’ouvrir de nouvelles sphères d’investissement au capital accumulé des vieux pays. (Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, 1913, ch. 30)

Voici un siècle, il n’y avait pas de Fonds monétaire international ni de Banque mondiale qui, depuis 1944, ont partiellement socialisé l’aide financière aux États en difficulté, tout en confortant la prééminence américaine. Vu sa faiblesse, l’État bourgeois nigérien a dû concéder beaucoup à ces sangsues, comme il avait sous-traité en partie la « lutte contre le terrorisme ».

Au Niger, le premier ministre nommé par le CNSP, le 7 aout, M. Ali Lamine Zeine, est un économiste représentant de son pays à la Banque africaine de développement et artisan du dialogue avec les institutions financières internationales dans les années 2000. À ce titre, il a défendu les politiques qui ont asphyxié les jeunes États africains. (Le Monde diplomatique, septembre 2023)

Depuis 2022, la politique monétaire restrictive de la plupart des grandes banques centrales (États-Unis, Union européenne, Grande-Bretagne…) pénalise, involontairement, les gouvernements des pays dominés quand ils veulent emprunter. Au même moment, le ralentissement spectaculaire de la croissance économique limite les possibilités de prêt de l’État impérialiste chinois.

Les options de financement des pays de la région se sont considérablement réduites au cours de l’année écoulée. Le durcissement accéléré des politiques monétaires au niveau mondial, provoqué par la hausse rapide de l’inflation au lendemain du déclenchement de la guerre menée par la Russie en Ukraine, a entrainé une hausse des taux d’intérêt dans le monde entier et une augmentation des couts d’emprunt pour les pays d’Afrique subsaharienne, aussi bien sur les marchés intérieurs que sur les marchés internationaux. (FMI, Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne, avril 2023, p. 3)

La gestion du budget de l’État nigérien est marquée par la corruption et l’affairisme qui ont rapidement discrédité le président Bazoum et son parti PNDS (membre de l’Internationale « socialiste »).

L’État bourgeois, comme dans beaucoup de pays dominés, remplit difficilement son rôle de légitimation des rapports sociaux et dépend fortement de ses alliances avec une puissance impérialiste, jusqu’à présent la France. Les partis politiques de la bourgeoisie sont eux-mêmes fragiles. Pour l’appareil militaire formé en France ou aux Etats-Unis, la tentation est récurrente de prendre directement entre ses mains le pouvoir. Depuis 1960, le Niger a connu cinq coups d’État (1974, 1996, 1999, 2010, 2021) et 6 des 10 présidents furent des gradés.

Transparency International, Niger, 2020


En matière de corruption et de prosternation devant les puissances impérialistes, la caste militaire ne vaut pas mieux que les partis politiques officiels. Ce sont deux faces de la même bourgeoisie rabougrie et dominée.

Nous ne renonçons pas au droit d’opposer un impérialisme contre un autre et d’utiliser leurs antagonismes, mais seul un gouvernement révolutionnaire du peuple est capable de le faire sans devenir l’instrument d’un impérialisme contre un autre. (Lev Trotsky, « Discussion sur la question chinoise », 11 aout 1937, Oeuvres t. 14, ILT, p. 271)

Un des pays les plus pauvres du monde

Le Niger est enclavé au centre ouest du continent africain.

Pluviométrie, Isabelle Jeanne, CERMES Niger


Le territoire est désertique au nord ; la bande du Sahel est aride ; le sud reçoit normalement des précipitions abondantes l’été. Bien que la contribution du Niger aux émissions de gaz à effet de serre soit négligeable, le pays subit de plein fouet les conséquences du changement climatique sous la forme de sècheresses ou d’inondations ainsi que d’invasions de criquets qui aboutissent souvent à des crises alimentaires. Ces vingt dernières années, le pays a connu neuf épisodes de grave sècheresse et cinq grosses inondations.

L’agriculture représente encore 40 % du PIB. Comme les moyens de subsistance dépendent dans une large mesure de la production agricole locale, les aléas du changement climatique entravent le développement et affectent la population des zones rurales.

L’industrie extractive contribue pour environ 10 % au PIB.

L’extraction et le raffinage de pétrole d’Agadem (sud-est nigérien) sont confiés à une coentreprise entre l’État et la multinationale chinoise CNPC.

La CNPC construit aussi un oléoduc de 2 000 km, le plus long d’Afrique, jusqu’au port de Sèmè-Kpodji (Bénin) destiné à exporter du pétrole brut.

La principale mine d’or est l’affaire d’une coentreprise entre l’État et la firme canadienne Endeavour.

Surtout, le Niger est le 4e producteur mondial d’uranium, avec 4 gisements dans le nord-ouest :

  • un site à Azelik relève d’une coentreprise entre l’État et les groupes capitalistes chinois CNCC et ZXJOY ;
  • celui d’Akouta est épuisé mais en cours de réhabilitation et de dépollution, celui d’Arlit tourne à plein, celui d’Imourarem est encore à l’étude, tous les trois sont aux mains d’une coentreprise entre l’État et le groupe capitaliste français Orano (ex-Areva, ex-Cogema).
BBC, 12 aout


Le métal nigérien sert à la médecine des pays avancés, à l’armement nucléaire français et à l’industrie électrique en Chine et en France (Orano fournit 50 % des besoins d’uranium d’EDF), alors que 85 % de la population n’a pas accès à l’électricité. Le groupe chinois Gezhouba (CGGC) construit actuellement le barrage de Kandadji qui devrait doubler la production d’électricité, tandis que le groupe chinois CMB a déjà livré une cimenterie à Badaguichiri.

Orano, comme toute firme capitaliste transnationale (46 % du chiffes d’affaires se fait hors de France) se débrouille pour minimiser les taxes qu’elle acquitte. L’État nigérien en pâtit particulièrement (voir Raphaël Granvaud, Areva en Afrique, une face cachée du nucléaire français, Agone, 2012).

Si les matières premières agricoles et minières constituent une grande partie des exportations, aucun pays avancé ne dépend véritablement du Niger.

Le Niger, encore le premier fournisseur d’uranium de l’Europe en 2021, s’est vu en 2022 reléguer à la deuxième place (avec 25,3 % des livraisons) derrière le Kazakhstan (26,8 %). Arrivent ensuite le Canada (22 %) et la Russie (16,8 %), le secteur du nucléaire échappant aux sanctions contre Moscou. (Le Monde, 1 aout 2023)

Les exportations ne couvraient au 2e trimestre 2022 que 11,2 % de la valeur des importations (INS, Note de conjoncture, aout 2022). Grâce à son relatif isolement, l’inflation est faible (1,7 % depuis un an en juin, d’après l’Institut national de la statistique du Niger, INS).


FMI, Rapport sur le Niger, avril 2023


Institut national de la statistique du Niger, Livret sur le genre, juillet 2021



Le taux de malnutrition, 44,4 % en 2021, est le plus élevé des pays du Sahel. Le taux d’alphabétisation n’est que de 29 % (42,8 % pour les hommes et 17,1 % pour les femmes).

Il y a moins de 400 médecins pour une population de 25 millions d’habitants (0,019 médecin pour 1 000 patients). Par contre, l’État bourgeois recrute chaque année 1 000 militaires de métier (et 1 000 gendarmes).

OCDE, Un atlas du Sahara-Sahel, 2014, p. 81


L’Afrique est entrée dans la « transition démographique » : moindre mortalité mais encore forte natalité, avant que celle-ci baisse à son tour. Quoique le taux de fécondité baisse, le Niger détient le record mondial avec 6,7 enfants par femme en moyenne, alors que celui de l’Afrique du Sud, de la Tunisie, du Maroc et de la Libye s’est abaissé à 2,4. Par conséquent, la population continue à croitre rapidement et est majoritairement jeune.

L’oppression des femmes

Les représentants actuels de la bourgeoisie française en déclin, ceux que les réformistes classent dans « l’arc républicain » et qui se rendent régulièrement au Vatican, accréditent tel ou tel mythe raciste, soit l’immobilité de l’Afrique, soit le « grand remplacement » des Européens par les Africains.

La réalité de l’Afrique, c’est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible. (Nicolas Sarkozy, Discours de Dakar, 26 juillet 2007)

Le défi de l’Afrique est civilisationnel. Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. (Emmanuel Macron, Conférence de presse de Hambourg, 8 juillet 2017)

Aujourd’hui, la quasi-totalité de la population du Niger est hostile aux mutilations sexuelles des filles, interdites par la loi, et seulement 2 % des femmes de 15 à 49 ans en sont encore victimes.

Cependant, le patriarcat hérité des modes de production précapitalistes résiste à la modernisation apportée par les échanges migratoires, la scolarisation des filles et la salarisation des femmes. Il est sciemment entretenu et renforcé par les parasites qui vivent de la religion musulmane (dont se réclament 95 % de la population). Le clergé sunnite et ses diverses institutions (lucratives) mènent campagne contre l’usage du préservatif, contre la mise en place d’un Code de la famille, contre la ratification de conventions internationales promouvant les droits des femmes, etc.

La polygamie reste légale. 30 % des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans et 75 % avant 18 ans, si bien que l’âge moyen de mariage des femmes était de 15,8 ans en 2012.

Le mariage interrompt généralement la scolarisation des filles. Les velléités du président renversé de scolariser les filles sont restées lettre morte, puisque la priorité budgétaire restait l’appareil de répression et qu’il ménageait le clergé rétrograde.

À cause des mariages précoces, de la ruralité et de la déscolarisation des filles, la contraception n’est pratiquée que par environ 15 % des femmes. La part des salariées (1,8 % des femmes) est 10 fois inférieure à la moyenne de l’Afrique subsaharienne.

Bref, les élèves du prêtre Malthus (1766-1834) se trompent : dans la relation entre taux de natalité et niveau de vie, ce dernier est déterminant. Une faible natalité est plutôt la conséquence du « développement économique » que l’inverse. Les héritiers historiques de la colonisation du Niger par la république française (1900-1960) trompent sciemment : quelle que soit la responsabilité accablante de leurs valets dans le sous-développement du Niger, l’arriération est avant tout le produit du capitalisme mondial hiérarchisé, dont ils sont des agents privilégiés.

Bien que d’une autre manière, l’islamisme est aussi le fruit du maintien du capitalisme mondial et du recours aux idéologies réactionnaires de la part de fractions croissantes de la classe dominante.

Une esquisse d’intégration régionale, la Cédéao

Carte de la Cédéao / L’évènement Niger, 4 juin 2021


Le Niger participe à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao en français et portugais, ECOWAS en anglais) depuis sa fondation en 1975. La Cedeao compte actuellement 15 États. Elle a libéré en 2021 de la tutelle de la Banque de France la politique monétaire du franc CFA. Elle a même pour projet de remplacer le franc CFA et les autres monnaies nationales de la zone (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Sierra Leone) par une monnaie unique, l’éco. Mais il n’est pas sûr que le Nigeria veuille abandonner le naira. En tout cas, l’eco est différé à 2027.

Inauguration du siège de la Cedeao à Abudja (Nigeria) / Xinhua, 5 décembre 2022


La Cedeao est appuyée par la Chine qui a financé en 2022 à hauteur de 32 millions de dollars la construction de son siège.

Elle est intervenue à plusieurs reprises lors des crises politiques des États-membres : en 1990 au Liberia ; en 1997, en Sierra Leone (pour réinstaller un président élu) ; en 2012, en Guinée-Bissau ; en 2017, en Gambie.

Le Niger a aussi rejoint l’Union africaine créée en 2002 et a adhéré à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) lancée en 2012. Il fait partie de la Banque africaine de développement qui regroupe 54 États africains et est soutenue par 27 d’autres continents.

Le Niger est également membre, depuis l’indépendance, de plusieurs organisations mondiales, dont l’ONU, l’OMC, le FMI et la BM.

Un État complice du dispositif impérialiste contre les migrations

Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 14 janvier 2020


La plus grande partie de l’émigration des États africains reste en Afrique, les migrants ayant surtout pour destination l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, la Côte d’Ivoire…

Des milliers de personnes sont régulièrement refoulés par les autorités algériennes à la frontière désertique, sans eau ni nourriture.

Poste de Birni-N’Konni à la frontière avec le Nigériainauguré le 11 juillet, financé par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne



Et l’État nigérien a passé un accord avec l’Union européenne pour limiter la migration du continent vers l’Europe. Près de 5 000 migrants sont actuellement repartis dans sept centres de transit : quatre dans la région d’Agadez et trois dans la région de Niamey. Il est peu probable que leur sort s’améliorera malgré la rhétorique panafricaniste de la junte.

L’islamisme, un ennemi des travailleurs, des femmes et des étudiants


La crise du pastoralisme, les inégalités sociales, l’hétérogénéité ethnique, le rançonnage et la répression des corps de répression étatiques, l’armement en provenance de la Libye… nourrissent la criminalité et le djihadisme. Après le discrédit des premiers partis bourgeois nationalistes et de la démocratie de façade, une mouvance bourgeoise concurrente mise sur la religion (musulmane), qui avait servi de consolatrice à l’oppression coloniale imprégnée d’une autre religion (chrétienne). La version intégriste des ONG salafistes financées par les monarchies du Golfe, alliées des États-Unis et de la France, s’est répandue dans toute l’Afrique.

Les signes sont nombreux : multiplication du nombre de mosquées, d’écoles coraniques, de séances publiques de prédication ; accroissement de l’importance du Hajj, le grand pèlerinage annuel à la Mecque. On observe la multiplication des émissions de radios ou de télévision consacrées aux prêches mais aussi des conseils sur tous les aspects pratiques de la vie des fidèles (relations de couple, relations sociales, hygiène et parfois politique). Les pratiques vestimentaires (que ce soit le port du hijab, voile islamique ou, à plus petit échelle, du niqab pour les femmes) évoluent aussi fortement. (Sylvain Touati, « L’islam et les ONG islamiques au Niger », IFRI, janvier 2011)

Alors que, jusqu’aux années 1990, le port du hijab dans les villes du Niger était perçu comme un symbole étranger, aujourd’hui avoir les cheveux libres apparait de plus en plus comme une déviance. Les réseaux de charité religieux suppléent le manque de sécurité sociale. Les écoles cléricales sont intégrées au système scolaire officiel.

La remontée de la religion n’est pas qu’une affaire d’idées car elle est entretenue par des couches petites-bourgeoises et bourgeoises qui prospèrent sur le dos des croyants.

L’essor d’une « économie islamique » florissante et diversifiée est un phénomène remarquable. En plus de « l’économie de la prédication » et de « l’économie de la prière », il existe une « économie du Hajj ». L’organisation des pèlerinages est une entreprise lucrative -plus de 100 millions de dollars par an au Niger- captée par les chefs religieux et une source d’emplois pour de nombreux diplômés des universités islamiques. (Ibrahim Yahaya Ibrahim, « Islam et politique au Sahel », Politique étrangère n°4, 2021)

Ces couches fournissent l’ossature de toutes les organisations « pieuses ». La traduction politique de la réaction religieuse, l’islamisme, veut remplacer le droit actuel par la charia. Ses promoteurs tracent trois alternatives, toutes traditionnalistes, misogynes, antioccidentales, anticommunistes :

La majorité des appareils cléricaux qui vivent de la religion se constitue en groupe de pression anti-laïque et patriarcal sur l’État bourgeois (qui, le plus souvent cède). Malgré le légalisme affiché, certains financent en sous-main les réseaux djihadistes.

Certains se lancent parfois dans la compétition électorale, comme Cheikh Boureima Daouda, l’imam de la grande mosquée de l’université Abdou Moumouni de Niamey, candidat à l’élection présidentielle de 2020.

Une minorité d’imans fanatiques, de délinquants, de paysans ruinés, d’étudiants sans débouché professionnel choisit de défier l’État actuel, en rejoignant l’affrontement armé, mené par les franchises des réseaux internationaux EI-Daech, Al-Qaida.

Ainsi, sévissent à l’est, Boko Haram (en haoussa : « l’éducation occidentale est un péché ») et l’État islamique en Afrique de l’ouest (ISWAP) ; à l’ouest, Al-Qaida (GSIM) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS). Il faut y ajouter des bandes criminelles au centre, au sud et au nord du territoire qui vivent de l’orpaillage, de contrebande, d’enlèvements contre rançon, de trafics de migrants, de vols de troupeaux, de trafic de drogue et d’armes, etc. La supériorité des djihadistes sur les mafieux, même si la limite est poreuse entre eux, est la capacité d’imposer un ordre, totalitaire mais justifié par une idéologie ancrée dans la population, éventuellement de défendre des ethnies marginalisées et toujours de fournir des substituts au manque de services publics.

Les forces armées nationales, dont la hiérarchie est corrompue, qui sont relativement mal équipées et souvent peu motivées, sont impuissantes à éradiquer le djihadisme. L’intervention étrangère, militairement efficace, n’en supprime pas les racines sociales et confère même au djihadisme une aura antiimpérialiste. La morgue de l’encadrement français irrite ses homologues nigériens.

Tous les islamistes prétendent que la démocratie et l’égalité juridique sont des inventions occidentales. Mais les libertés démocratiques et l’émancipation des femmes sont, partout dans le monde, le résultat d’aspirations des opprimés et de luttes sociales.

Pour pouvoir se défendre, au Niger comme ailleurs, les travailleurs doivent rester indépendants des partis politiques des exploiteurs, des généraux déguisés en sauveur suprême, des islamistes de tout poil. Si le prolétariat conquiert son indépendance et lutte résolument pour ses propres intérêts, il peut alors mobiliser autour de lui :

les jeunes scolarisés et les femmes travailleuses autour des revendications d’égalité juridique, d’accès à la contraception et à l’avortement ;

les travailleurs du secteur informel et de l’agriculture autour de la nationalisation de la propriété foncière des campagnes et des villes, de l’annulation des dettes privées envers les banques, les usuriers, les ONG du microcrédit, les chefs féodaux ;

les soldats du rang autour des droits démocratiques au sein de l’armée ;

l’intelligentsia et les étudiants autour de la liberté d’expression et du droit au savoir…

La présence militaire impérialiste

Timbuktu Institute, 24 aout


En 1974, le gouvernement nigérien réussit à fermer les bases militaires françaises et à empêcher l’installation de l’armée américaine. L’intervention française, britannique, italienne et américaine en Libye en 2011 stimule les réseaux djihadistes dans le Sahel. La menace sur les États bourgeois instables, à commencer par le Mali, sert à justifier le retour de troupes occidentales.

  • L’armée américaine est en force à Agadez depuis 2014. Le gouvernement a demandé aux États-Unis de déployer des drones armés sur son territoire en 2017.
  • L’armée française stationne à Niamey depuis 2013. Son effectif a gonflé depuis l’évacuation du Mali : 1 500 soldats, des centaines de blindés, des drones et trois avions de chasse.
  • En outre, le Niger héberge des contingents italiens (200), allemands (100) et belges (100). La CIA est présente, discrètement.

La junte nigérienne (CNSP) justifie sa prise du pouvoir par un échec sécuritaire du président. Les travailleuses et les travailleurs ne peuvent pas accorder la moindre confiance aux gradés corrompus.

Jusqu’ici, le Niger arrivait à gérer de manière plus ou moins efficace la zone des trois frontières, après avoir eu des victoires éclatantes sur le front Boko Haram. Mais, on voit que depuis le putsch du 26 juillet, la situation sécuritaire s’aggrave. Durant tout le mois d’août, dans la région de Tillabéri (sud-ouest), où l’État islamique au Sahara, et le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), profitent des troubles récents pour accentuer leurs exactions. On peut dénombrer au moins 48 civils et 37 soldats qui ont été tués. C’est quand même un nombre supérieur à l’ensemble de ce que le Niger a perdu depuis l’arrivée de Bazoum au pouvoir. (Georges Ibrahim Tounkara, Deutsche Welle, 22 aout 2023)

L’escalade entre le CNSP et le gouvernement français

Niamey, 2 septembre


Les partis sociaux-impérialistes veulent, comme le gouvernement, que leur État impérialiste reste présent en Afrique.

Il est urgent de redéfinir notre présence et notre action au Sahel. Nous devons décider sous quelle forme et pour quels objectifs partagés nous devons rester présents… (Mélenchon et les députés LFI, 4 aout 2023)

Ils réclament, comme leur gouvernement, « le rétablissement de toutes les institutions démocratiques du pays » (PS, Communiqué, 31 juillet), « le retour à l’ordre constitutionnel » (PCF, Communiqué, 5 aout). Il est juste de condamner la prise du pouvoir par l’armée, mais exagéré de faire passer le gouvernement antérieur comme démocratique.

Tout en s’opposant à l’intervention armée, les partis « réformistes » français défendent « leur » armée impérialiste.

Le souvenir lamentable du convoi militaire français évacuant le Mali et traversant pour ça trois pays et se faisant mal recevoir partout est encore vif. (Jean Luc Mélenchon, chef suprême de LFI, 19 aout 2023)

Les putschistes misent, comme leurs homologues du Mali et du Burkina, sur le sentiment hostile à la France de la puissante mouvance cléricale et d’une large frange de la jeunesse urbaine nationaliste et parfois complotiste.

La relation entre le CNSP et le gouvernement français Macron-Borne se dégrade dès le coup. Les putschistes accusent la France d’avoir envisagé de bombarder le palais présidentiel pour forcer la libération du président. Il est vrai que le premier ministre par intérim Hassoumi Massaoudou avait appelé l’état-major à la rescousse et demandé à l’État français de l’appuyer.

Une demande d’intervention a été adressée aux Français présents à Niamey. Des éléments français sont arrivés au quartier général de la garde nationale à 4 h du matin le 27 juillet… Toutefois, Mohamed Bazoum lui-même s’y est opposé… Entre le moment où la demande avait été formulée et celui où les Français auraient pu intervenir, une partie des loyalistes étaient passés du côté des putschistes. (Le Monde, 20 aout 2023)

Le 28 juillet, le gouvernement français refuse de reconnaitre les autorités issues du coup d’État et considère toujours Bazoum comme « le seul président de la République du Niger ». Il est souvent arrivé à l’État français d’être moins regardant sur la démocratie et les élections en Afrique. En 1974, Hamani Diori, le chef d’État en place, fut victime d’un coup d’État peu de temps après avoir eu l’outrecuidance de réclamer une augmentation du prix de vente de l’uranium. L’État français reconnut sans difficulté la junte. Macron lui-même s’était accommodé de la dynastie Bongo mise en place en 1967 par le général de Gaulle au Gabon et de la chute de présidents élus au Mali en 2021 et au Burkina Fasso en 2022.

Le 30 juillet, la ministre française des affaires étrangères du gouvernement français Catherine Colonna accuse les putschistes d’avoir organisé des manifestations contre l’ambassade. Le 30 juillet, l’État français suspend son aide financière (qui s’élevait à 120 millions d’euros en 2022). Évidemment, c’est beaucoup moins que les transferts de valeur issus du Niger au bénéfice du grand capital français. D’après son dernier rapport financier (30 juin, p. 2), le bénéfice annuel déclaré du groupe capitaliste Orano est de 575 millions d’euros (ce qui est sans doute inférieur à la réalité). L’aide de l’État français est, quoique à plus grande échelle, de la même nature que la charité des commerçants et gros agriculteurs musulmans du Niger à certains de leurs concitoyens paupérisés, une sorte de ristourne sur le taux d’exploitation.

Bien qu’il n’y ait eu aucun incident touchant des immigrés français, l’État français évacue ses ressortissants les 1 et 2 aout.

Le 4 aout, la junte rompt l’accord militaire avec la France ; le 6, elle donne 30 jours pour retirer les troupes françaises.

Le 9 aout, la junte accuse l’armée française de libérer des djihadistes et de violer son espace aérien.

Le 24 aout, elle retire son accréditation à l’ambassadeur de France et lui demande de quitter le territoire. Quelques jours plus tard, le président français piétine ces décisions.

Notre politique est simple. On ne reconnait pas les putschistes, on soutient un président qui n’a pas démissionné, aux côtés duquel nous restons engagés. Et nous soutenons une solution diplomatique, ou militaire quand elle le décidera, de la Cedeao. (Emmanuel Macron, Discours aux ambassadeurs, 28 aout)

Ayant raté l’occasion d’intervenir militairement au moment où le coup n’était l’œuvre que de la garde présidentielle et où le reste des officiers hésitait, le gouvernement français mise aujourd’hui sur l’effet des sanctions économiques, la dégradation de la situation militaire, la pression de la Cedeao et les divisions de la hiérarchie militaire, sur lesquelles ses services secrets sont bien informés.

Mais le maintien, dans la capitale, de troupes et de l’ambassadeur peut engendrer un évènement imprévu. En tout cas, loin des gestes médiatiques, l’extraction d’uranium par Orano continue.

La prudence des autres puissances impérialistes

En temps ordinaire, tout État impérialiste préfère la stabilité qui garantit les affaires de ses grandes entreprises. Mais si l’occasion se présente qu’elles prennent la place de concurrentes étrangères, les gouvernements sont prêts à remettre en cause le statu quo, avec des résultats imprévisibles, surtout quand les masses s’en mêlent.

Il est peu probable que la Russie soit derrière le coup militaire et les manifestations populaires. Par contre, il est certain que plusieurs juntes africaines ayant chassé l’armée française l’ont remplacé par une armée privée russe pour maintenir leur ordre : Centrafrique en 2018, Mali en 2022. En retour, le groupe capitaliste Wagner pille les ressources naturelles, à son compte et à celui de l’État russe. Le comportement des mercenaires russes est notoirement brutal et colonial. Le 29 juillet, Poutine reçoit le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne. Le 11 aout, la Russie met en garde contre toute tentative de déloger les putschistes.

La Chine est de plus en plus influente en Afrique, où elle dispose d’une base militaire. Elle est le premier fournisseur de biens au Niger et le deuxième investisseur derrière la France. Le gouvernement Xi est pris par surprise par le coup d’État, qu’il ne condamne pas. Le 4 septembre, à l’issue d’un entretien avec le premier ministre du gouvernement nommé par la junte, l’ambassadeur annonce que son pays est prêt à servir de médiateur.

Les États-Unis sont très présents militairement. Leur principale préoccupation est d’empêcher la Russie de supplanter la France. Le gouvernement Biden condamne le renversement du président, mais sans le qualifier de coup. Il poursuit, comme l’ONU, l’aide humanitaire. Le 7 aout, il envoie la vice-ministre des affaires étrangères (« sous-secrétaire d’État ») Nuland s’entretenir avec la junte à Niamey. Le 9 aout, le ministre des affaires étrangères Bliken rappelle à l’ordre le Niger, la Cedeao et la France en demandant une « résolution pacifique » de la crise.

L’Allemagne tente de prendre une place en Afrique. Le chancelier Scholz a ainsi visité, en mai 2022, le Niger, le Sénégal et l’Afrique du Sud, le ministre de l’économie, Habeck, s’est rendu en Namibie et en Afrique du Sud en décembre 2022, en février 2023 le ministre des finances, Lindner, est allé au Mali et au Ghana, etc. Après le coup, l’UE suit la France et décide de sanctions. Au fil du temps, la Suède et l’Allemagne se séparent de la France et se prononcent clairement contre toute intervention militaire, même africaine, une option que la France encourage. L’ambassadeur allemand n’est pas menacé d’expulsion.

La division des États voisins

L’Algérie condamne le coup mais le gouvernement Tebboune met en garde, dès le 1er aout, contre toute intervention militaire. Le 24 aout, il envoie une délégation consulter la junte. Le 29 aout, il propose un plan de transition de 6 mois.

Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et de Guinée, qui ont rompu avec la France pour se rapprocher de la Russie, sont suspendus de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao/ECOWAS), et de l’Union africaine. Ils expriment immédiatement leur solidarité envers les putschistes nigériens.

Par contre, le 30 juillet, la réunion des présidents des États membres de la Cedeao donne aux putschistes un délai d’une semaine pour rendre le pouvoir à Bazoum sous peine de sanctions, voire de recours à la force. Elle ferme ses frontières avec le Niger. Le même jour, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (qui regroupe les pays qui partagent le franc CFA) décide de sanctions économiques et financières drastiques. Contrairement à des visions simplistes, l’impérialisme français ne dirige pas la Cedeao. Si celle-ci comporte des États qui restent liés à la France (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal), c’est plutôt le Nigeria, sous la conduite du président Tinubu, qui en est l’axe. Mais la convergence est grande, à cause de la peur commune de la contagion de coups militaires qui à la fois ébranle l’influence française et menace les régimes élus de la région.

Le 3 aout, la Cedeao envoie une délégation pour engager des pourparlers avec les putschistes. Elle n’est pas reçue. Du 2 au 4 aout, les chefs d’état-major de la Cedeao se réunissent à Abuja pour étudier une intervention militaire. Mais elle comporte de tels risques, sans parler de la pression des États-Unis, de la Chine et de l’Algérie, que le délai d’une semaine s’achève sans opération armée.

Indépendance de classe et solidarité internationale des travailleurs !

Au Niger, la classe ouvrière doit apparaitre comme classe, lutter contre toutes les exploitations et oppressions, s’opposer à la réaction islamiste sous toutes ses formes, arracher la lutte contre l’impérialisme des mains des généraux corrompus et impotents. Pour y parvenir, la classe ouvrière a besoin de créer un parti ouvrier révolutionnaire dont les mots d’ordre immédiats seraient :

  • Fermeture de toutes les bases militaires !
  • Aucune censure de la junte sur les informations ! Liberté d’organisation, de réunion, de manifestation !
  • Annulation de la dette publique envers le FMI, la BM, les grandes puissances !
  • Rupture syndicats de salariés avec la junte !
  • Contrôle ouvrier sur la production d’uranium et de pétrole !
  • Armement du peuple contre les djihadistes et les menaces d’intervention !
  • Gouvernement ouvrier et paysan, basé sur les comités populaires !

Dans les États voisins, les travailleurs doivent se lever pour protéger le peuple nigérien et ouvrir la voie, avec eux, d’une véritable démocratie basée sur les conseils ouvriers et paysans :

  • Aucune menace d’intervention militaire au Niger !
  • Fin immédiate des sanctions !
  • Dehors, toutes les troupes étrangères !
  • Abolition des frontières coloniales par une fédération socialiste d’Afrique du Sahel !

En France, dans un pays où la classe ouvrière comporte des milliers de travailleuses et travailleurs d’origine nigérienne (et où des centaines de jeunes nigériens étudient), les partis ouvriers, les syndicats de salariés et les syndicats étudiants doivent prendre position contre leur bourgeoisie rapace et son gouvernement :

  • Retrait des troupes françaises du Niger ! Fermeture de toutes les bases militaires françaises !
  • Fin des sanctions contre le Niger ! Annulation de la dette envers les banques et l’État français !
  • Liberté de circulation et d’établissement des travailleurs et étudiants nigériens !

5 septembre 2023