ABC du marxisme : autodéfense ouvrière

(Espagnol /Español)

Prenez le copieux Dictionnaire critique du marxisme d’une équipe d’intellectuels issus du PCF (PUF, 1982, 941 pages), vous y trouverez : « Coexistence pacifique », « Compromis historique », « Polycentrisme »… et dans le plus mince volume Les 100 mots du marxisme de Michael Löwy du NPA et de deux autres universitaires (PUF, 2023, 128 pages) : « Autogestion », « Gauche »… Mais ni l’un ni l’autre ne comprend : « Autodéfense », « Milice », « Garde rouge », « Armement du peuple », « Armement du prolétariat »… des mots d’ordre pourtant récurrents chez Marx, Engels et leurs successeurs. D’où provient cet oubli ? À l’université, la pression est grande pour faire du marxisme un couteau sans lame. Dans le mouvement ouvrier, les « réformistes » à la tête des partis sociaux-impérialistes (LFI, PCF, PS) et des syndicats (CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA…) ont abandonné depuis longtemps l’armement du peuple et l’insurrection ou leur ont toujours été hostiles. Les « trotskystes » qui les suivent (LO, NPA, POID, RP…) s’en affirment parfois partisans, mais pour plus tard et d’ailleurs, cela se fera tout seul.

Dans toute société divisée en classes, la classe exploiteuse minoritaire vit du surtravail de la classe exploitée majoritaire. Pour cela, elle dispose de la nécessité économique, du renfort de l’idéologie dominante (religion, nationalisme, parlementarisme…), mais aussi de la menace de l’appareil répressif de l’État. En cas de révolte des exploités et des opprimés, elle recourt à la violence de ses troupes armées.

Quand le capitalisme émerge, la bourgeoisie, qui lutte pour le pouvoir politique ou qui est confrontée à la menace contrerévolutionnaire d’une ou plusieurs monarchies, n’hésite pas à réclamer l’armement du peuple, le seul moyen d’appliquer réellement la démocratie politique. En pratique, elle n’hésite pas à mobiliser à son compte la masse des travailleurs des campagnes et des villes (Florence en 1494, Pays-Bas en 1568, Angleterre en 1642, États-Unis en 1775, France en 1789, Haïti 1791, Canada en 1837, Suisse en 1847, États-Unis en 1861, etc.). Mais, une fois son pouvoir affermi, la bourgeoisie tourne le dos à l’armement du peuple qui menacerait sa domination.

La première organisation communiste internationale, la Ligue des communistes, appuie ce moyen de lutte démocratique radical (Revendications du parti communiste en Allemagne, mars 1848, point 4). L’Association internationale des travailleurs (1864-1873) soutient la Commune de Paris qui surgit en 1871 de l’autodéfense des travailleurs et de la dissolution de la police. L’armement du peuple est désormais retourné par le mouvement ouvrier contre l’État bourgeois, la police et l’armée permanente. Ainsi, l’abolition de l’armée de métier et l’armement du peuple font partie des du programme du Havre du Parti ouvrier (France, 1882), du programme d’Hainfeld du Parti ouvrier social-démocrate (Autriche, 1888), du programme d’Erfurt du Parti social-démocrate (Allemagne, 1891), du Parti travailliste (Grande-Bretagne, 1900), du Parti ouvrier social-démocrate (Russie, 1902) et fait l’objet de résolutions répétées de l’Internationale ouvrière, de son premier congrès (Paris, 1889) à son dernier (Bâle, 1912).

Avec le déclin du capitalisme, la question de la prise du pouvoir par la classe ouvrière et donc de diviser l’armée, d’armer les travailleurs prend une importance centrale, comme le prouvent le Parti bolchevik lors la révolution russe de 1917 et la Ligue Spartacus lors de la révolution allemande de 1918. L’Internationale communiste intègre de 1919 à 1924 à son programme le travail parmi les conscrits, la formation de soviets, le renversement de l’État bourgeois et l’insurrection.

Face au danger de révolution prolétarienne, la bourgeoisie mondiale renforce son appareil répressif. Non seulement leur cout faramineux retombe sur les travailleurs, mais la répression étatique vise et frappe les luttes des exploités et des opprimés. En outre, les bandes fascistes des supplétifs petits bourgeois entretiennent toujours des liens étroits avec la police et la hiérarchie militaire.

L’intégration grandissante de la plupart des appareils du mouvement ouvrier au capitalisme, leur corruption par la bourgeoisie, les transforme en bureaucraties pacifistes qui prêchent aux masses la confiance dans l’État bourgeois et dans une aile « démocratique », « antiimpérialiste » ou « antifasciste » de la classe dominante. Les partis « réformistes » votent au parlement les budgets de la police et de l’armée. Les syndicats bureaucratisés présentent les policiers comme des travailleurs comme les autres et les syndiquent.

Par conséquent, la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire implique indissolublement la reprise de la revendication démocratique de l’armement du peuple et le combat contre les agents de la bourgeoisie qui veulent que la bourgeoisie reste armée et le prolétariat désarmé.

Si l’insurrection ne peut pas être déclenchée à tout moment, elle doit être préparée en permanence par la dénonciation systémique de la violence étatique, par la résistance résolue à la répression policière et aux attaques des bandes fascistes, par l’activité clandestine au sein de l’armée surtout quand elle incorpore à grande échelle les jeunes travailleurs. En ce sens, gloire à l’activité antimilitariste de la CGT d’avant 1914, du Parti communiste d’avant 1934, de la Ligue communiste au début des années 1970 ! Honneur à la Ligue communiste qui menait une activité antifasciste en 1934, honneur à la CGT du Livre qui avait caché en 1980 10 000 fusils lors de la faillite de Manufrance !

La première tâche aujourd’hui en France est de créer des services d’ordre intersyndicaux lors des manifestations de travailleurs et de renforcer les piquets de grève lors des occupations d’entreprise. Ou la capitulation honteuse ou la lutte révolutionnaire pour le pouvoir, telle est l’alternative qui découle de de la crise historique du capitalisme et du caractère contrerévolutionnaire de la bourgeoisie.