Dire la vérité aux travailleurs

La chimère du référendum vient à peine de disparaitre…

Les manifestations du 1er mai ont été convoquées par l’intersyndicale comme une 13e journée d’action contre la réforme des retraites. Elles ont rassemblé de nombreux travailleurs et jeunes, jusque dans les petites villes, malgré les destructions stupides des « black blocs » nihilistes, sans parler des agressions physiques de responsables syndicaux. Cela indique que l’opposition et la colère contre la loi qui est maintenant promulguée restent entières.

Entières, mais impuissantes. Pas plus que la première fois, le Conseil constitutionnel n’a donné suite le 3 mai à la seconde proposition de loi des députés de la NUPES pour l’organisation d’un référendum d’initiative partagé (RIP). Tous ont fait mine alors de n’être pas surpris et dit qu’ils s’y attendaient. Pourtant la saisine du Conseil constitutionnel et le référendum d’initiative partagé avaient bel et bien été présentés un peu plus tôt comme un débouché possible aux travailleurs, autant par les partis réformistes que par les chefs des syndicats.

Mesure injuste et injustifiée, le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans méconnait les principes constitutionnels qui protègent notre modèle de solidarité nationale. En outre, le projet de loi contesté porte atteinte à l’article 1er de notre Constitution aux termes duquel “La France est une République sociale” ainsi qu’au Préambule de la Constitution de 1946 qui consacre le droit à la protection sociale et à la retraite […] Nous demandons ainsi au Conseil constitutionnel de censurer l’ensemble du texte de loi (LFI, 21 mars)

Le Conseil constitutionnel, dont la décision est attendue le 14 avril, est garant du respect des droits et libertés fondamentaux des citoyen.ne.s. Il ne peut à ce titre que censurer cette réforme brutale et injustifiée. La CGT attend aussi qu’il se prononce favorablement pour un Référendum d’Initiative Partagée. (CGT, 12 avril)

Il faut parfois se donner la peine de rentrer dans les détails pour démontrer jusqu’au bout la mystification consistant à en appeler à la constitution réactionnaire de la 5e République pour défendre les travailleurs. Les politiciens bourgeois et les hauts fonctionnaires désignées « sages » gardiens de la Constitution n’ont eu en effet qu’à utiliser la même pirouette que celle avancée pour rejeter la première demande : le premier article de la proposition de loi, qui avait pour objet d’interdire la fixation d’un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans, ne constituait pas une réforme à la date de la saisine. En effet, la saisine ayant eu lieu à la veille de la promulgation de la réforme des retraites du gouvernement, l’âge de départ à la retraite était encore, à ce moment-là, de 62 ans, et non de 64 ans. Et voilà pourquoi votre fille est muette, comme disait Molière… Et si d’aventure, les mêmes députés avaient saisi le Conseil constitutionnel après la promulgation de la loi, celui-ci n’avait qu’à objecter que la mesure attaquée avait moins d’un an d’existence pour retoquer illico la demande… Et si enfin par quelque miracle la demande était validée, alors aurait commencé un parcours d’obstacles au long cours qui condamnait infailliblement le référendum à finir ensablé au milieu des procédures !

Mais les dirigeants des partis réformistes comme les chefs des syndicats ne sont pas plus idiots que la moyenne, ils savent pertinemment tout cela. Alors pourquoi tenter de faire prendre des vessies pour des lanternes ? Les députés requérants donnent l’explication. Pour ceux du PCF, le référendum était « une main tendue [qui] aurait permis d’ouvrir la voie à un temps démocratique fort » et pour les députés du PS, c’était « une des solutions pour que le pays sorte de la crise sociale et démocratique dans laquelle il est plongé par l’exécutif depuis quatre mois ».

Au contraire, vaincre Macron exige le poing levé et non la main tendue. Le poing levé, c’est l’appel à la grève générale, la main tendue, c’est empêcher la grève générale. Ce qu’ont fait avec application les partis réformistes comme les chefs des syndicats depuis quatre mois, donnant ainsi à la bourgeoisie l’occasion de remporter une victoire importante contre la classe ouvrière avec la promulgation de la loi le 15 avril.

… qu’en voici une nouvelle, avec la proposition de loi de LIOT

Exit le RIP, voici venir LIOT et sa proposition de loi visant à abroger la contreréforme des retraites qui sera déposée le 8 juin. C’est le nouvel horizon que l’intersyndicale désigne aux travailleurs.

L’intersyndicale se félicite de la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites qui sera à l’ordre du jour le 8 juin prochain à l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi permettra pour la première fois à la représentation nationale de se prononcer par un vote sur la réforme des retraites. Nous appelons unitairement nos organisations à aller rencontrer les députés partout pour les appeler à voter cette proposition de loi. Dans ce cadre, l’intersyndicale appelle à multiplier les initiatives avec notamment une nouvelle journée d’action commune, de grèves et de manifestations le 6 juin prochain permettant à l’ensemble des salariés de se faire entendre des parlementaires. (Intersyndicale, Communiqué, 2 mai)

À ce jour, le seul espoir d’un retour à la raison démocratique est l’examen d’un projet de loi d’abrogation de la réforme des retraites déposé à l’initiative du groupe Liot et qui doit être examiné à l’Assemblée nationale le 8 juin 2023. (CGT, NVO, 4 mai)

La députée LIOT de Mayotte s’est récemment illustrée par son soutien sans faille à l’opération de police de Darmanin à Mayotte. Ce groupe parlementaire est un assemblage hétéroclite de députés issus de petits partis bourgeois cofondé en 2018 par Charles de Courson. Celui-ci est passé par l’UDF, le Nouveau Centre. Il a supporté tous les gouvernements bourgeois des présidences de Chirac et Sarkozy. Il a aussi roulé pour Juppé en 2016, etc. Un des fonds de commerce de ce regroupement d’intérêts bien compris est de négocier avec Paris plus de moyens et une plus grande décentralisation pour tout ce qui n’est pas dans l’hexagone, la Corse, les départements, régions et territoires d’Outre-mer dont ce groupe comporte plusieurs députés. Ils en tirent avant tout profit pour eux-mêmes, dans le respect bien compris des exigences de l’impérialisme français.

Parce que notre pays ne saurait se résumer à l’hexagone, ils soutiennent le développement des Outre-mer qui contribuent à la puissance maritime et stratégique de la France et de l’Union européenne. (LIOT, Déclaration politique, 28 juin 2022)

Rebelote le 8 juin prochain avec sa proposition de loi visant à « interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans ». À nouveau, le « retour à la raison démocratique » comme le dit la CGT, impliquerait donc l’addition des voix de la LIOT, d’EELV, du RN et d’un maximum de LR avec celles du PCF, du PS et de LFI pour « le seul espoir » des dirigeants de la CGT. Pour espérer quoi, au juste ?

Quand bien même une majorité voterait cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, ce qui reste peu probable, la majorité LR du Sénat a déjà fait savoir qu’elle s’y opposerait. S’ensuivrait alors une navette entre les deux chambres, puis une commission mixte paritaire qui tomberait d’accord ou pas, puis, puis, puis… Sans parler des ressources constitutionnelles dont dispose le gouvernement pour mettre fin à cette affaire.

Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. (Constitution de 1958, article 40)

Et il n’est pas sûr du tout que la demande contenue dans la proposition de loi LIOT que se tienne « une conférence de financement pour garantir la pérennité de notre système de retraite » satisfasse pleinement à cette exigence. Cette nouvelle perspective qu’avancent aussi bien les partis réformistes que les chefs syndicaux ne vaut pas mieux que les précédentes, toutes s’inscrivent dans le moule des institutions réactionnaires de la 5e République, toutes préconisent l’alliance avec les ennemis des travailleurs au nom du pragmatisme. C’est une impasse pour la classe ouvrière, le même crétinisme qui a conduit les partis réformistes et la plupart des appareils syndicaux à appeler par deux fois à voter Macron pour écarter Le Pen. Maintenant, ils sollicitent le groupe parlementaire fascisant RN présidé par Le Pen !

L’intersyndicale en appelle aux députés LR et RN…

Le groupe LIOT était déjà l’auteur de la motion de censure qui a échoué le 20 mars à faire tomber le gouvernement à 9 voix près, malgré l’adjonction des votes des députés du PCF, de LFI et du PS à ceux d’EELV, d’une partie de LR, de la LIOT et de tous ceux du RN, qui sont peut-être des ennemis de Macron, mas pas des amis des travailleurs. Par exemple, le RN et LR trouvent que le gouvernement ne va pas assez loin contre les migrants. Le RN et LR sont, tout autant que Renaissance, favorables aux exemptions de cotisations patronales qui provoquent les déficits de toutes les branches de la sécu, vieillesse incluse. Le RN et LR condamnent les piquets de grève et soutiennent les flics.



Pourtant, le 2 mai, l’intersyndicale décrète une quatorzième journée d’action le 6 juin pour « se faire entendre des députés ». Elle brouille les frontières de classe en s’en remettant de fait aux partis bourgeois RN et LR.

… et répond à la convocation de Borne

De la même manière, elle annonce déjà le 2 mai qu’elle n’est pas hostile au « cycle de concertations » du gouvernement qui a conçu l’attaque contre les retraites et qui annonce clairement qu’il ne la retirera pas. Quelques jours après, la direction confédérale de la CGT confirme qu’elle se rendra à la convocation de la première ministre dans les conditions que celle-ci a décidées.

Nous souhaitons obtenir aussi des avancées pour les salariés et les travailleurs et travailleuses. Si Elisabeth Borne nous dit : « Je ne retire pas la réforme des retraites et je souhaite discuter de mesures qui représentent des régressions sociales pour les salariés », bien évidemment, le rendez-vous tournera vite court. […] Nous espérons que le gouvernement revienne à la raison parce que s’il reste lui sur ses positions initiales, c’est un véritable problème. Ça veut dire qu’il ne prend absolument pas en compte le contexte social actuel. Ce serait une vraie erreur politique de sa part. (Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, Franceinfo, 7 mai)

Contrairement à ce que prétend la nouvelle direction de la CGT qui invente que « le rapport de force est en faveur des syndicats », le gouvernement a parfaitement acté la promulgation de sa loi contre les retraites comme une victoire de la bourgeoisie et a décidé en conséquence de lancer de nouvelles attaques contre la classe ouvrière, comme celle contre les bénéficiaires du RSA ou de confirmer celle contre les lycées professionnels.

Et pour mieux parvenir à ses fins, quoi de plus évident que de reprendre la vieille recette du « dialogue social » et de la concertation tous azimuts avec les chefs syndicaux qui lui a si bien réussie ?

Les chefs syndicaux prétendent qu’ils vont défendre les salariés dans ces réunions et qu’ils peuvent obtenir « des avancées, notamment en matière de revalorisations salariales ». La seule avancée digne de ce nom en matière salariale serait d’obtenir le rattrapage immédiat de tous les salaires et leur indexation automatique sur l’inflation. Mais défendre cette revendication centrale pour la classe ouvrière aujourd’hui impliquerait un combat frontal contre la bourgeoisie et son gouvernement, c’est-à-dire précisément la grève générale qu’ont empêchée les bureaucraties syndicales (et tous leurs adjoints politiques) tout au long de la mobilisation pour défendre les retraites.

Comme, pour les chefs syndicaux, il ne sera pas question de grève générale, les « avancées salariales » seront, dans le meilleur des cas, des accords au rabais en-dessous du niveau de l’inflation ou, au pire, des charges de travail supplémentaires pour quelques euros de plus, même pas en salaires, mais sous forme de primes ou d’indemnités (qui n’entrent pas dans le calcul des pensions de retraite) branche par branche, voire entreprise par entreprise. Ce qui était déjà discuté avec le patronat pendant les précédentes journées d’actions et les grèves reconductibles.

Après des mois de négociations compliquées, les organisations patronales (Medef, CPME et U2P) et syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) ont présenté un texte visant notamment à largement généraliser des dispositifs tel que l’intéressement, la participation et les primes de partage de la valeur à toutes les entreprises de plus de 11 employés. (La Tribune, 19 février)

Seule la vérité est révolutionnaire

La classe ouvrière vient de subir une défaite, mais elle n’est pas écrasée. Pendant que le gouvernement au service de la bourgeoisie s’appuie sur sa victoire contre nos retraites pour réprimer les manifestations et préparer de nouvelles attaques contre les travailleurs étrangers, contre l’enseignement professionnel, contre les chômeurs, contre les professeurs…, la mascarade continue du côté des partis réformistes et des chefs syndicaux pour mentir aux travailleurs, les occuper avec des casserolades et les mener à l’impasse des espoirs placés dans LR et le RN.

Il faut au plus vite que l’avant-garde de la classe ouvrière se tourne vers la construction d’une organisation révolutionnaire décidée à en finir avec la société capitaliste, avec l’État bourgeois, qui combatte pour balayer les obstacles mis par les appareils contrerévolutionnaires en travers du mouvement des masses, pour la grève générale, pour les comités de grève élus, pour l’auto organisation et l’autodéfense des manifestations et des piquets de grève, pour le comité central de la grève générale, pour le gouvernement ouvrier. Voilà ce qui est nécessaire. En ce sens, le combat continue !