53e congrès de la CGT : trois clans mais une même ligne

L’absence totale de démocratie ouvrière

Comme les précédents, le congrès tenu à Clermont-Ferrand du 27 au 31 mars n’est pas la représentation des syndiqué(e)s qui tirent le bilan de l’activité et décident de l’orientation, qui élisent ensuite une direction pour la mettre en oeuvre. Les délégué(e)s n’ont pas été élu(e)s par la base militante mais choisi(e)s dans les diverses instances au gré des rapports de forces existant dans les fédérations, les syndicats, les Unions départementales et locales ce qui explique les altercations pour détournements de mandats, les délégations contestées à l’entrée du congrès. Pour que la dynastie perdure, le secrétaire national sortant désigne à l’avance son successeur qui ne sera même pas élu directement par les congressistes. Les textes soumis par la direction sortante ne peuvent, selon les statuts, se voir opposer de textes alternatifs. Le rapport d’activité (35 pages) et le document d’orientation (76 pages) échappent largement à la critique des syndiqué(e)s ; d’abord parce qu’ils sont indigestes, pleins de vide :

Partir des réalités quotidiennes des travailleur·ses en prenant en compte la pression du capital sur l’organisation des territoires au regard de leurs compétences en matière de santé, de transports, de formation, de logement… doit être notre axe de travail. (Rapport d’activité, p. 8)

Le syndicalisme de rupture est l’ADN de la CGT qui porte, depuis cent vingt-huit ans, l’ambition de transformer la société. Afin d’atteindre cet objectif, il nous faut aujourd’hui le réinterroger au regard de notre réalité contemporaine, des enjeux sociaux, économiques comme environnementaux, des situations de guerre et de notre aspiration à un monde de paix. (Document d’orientation, point 48)

Ensuite parce que les structures syndicales n’organisent pas leur mise en discussion et que la plupart des amendements émanant de la base n’atteignent jamais le bureau des votes du congrès. Le rapport d’activité sert à seriner que la direction sortante a tout bien fait comme il faut.

La pandémie a été un révélateur de la justesse de nos analyses et priorités définies au 52e Congrès. (p. 4)

Les actions syndicales ont permis la mise en avant des questions sociales (salaires, emploi, relocalisation industrielle, santé et services publics…) dans une campagne électorale présidentielle et législative marquée par une surenchère sécuritaire, la stigmatisation, la division entre citoyen-nes. (p. 5)

De la Confédération aux syndicats, dans le secteur privé comme public, et cela malgré les longues périodes de confinement et les vagues de réapparition des virus, les travailleur·ses ont pu compter sur une CGT présente, de proximité, experte et efficace, toujours très revendicative, notamment pour faire respecter le droit du travail et les libertés individuelles et collectives. (p. 7)

Alors que les travailleur(euse)s font tout de travers. Martinez et sa clique les accusent même d’être responsables de la montée du RN.

Malgré un important travail militant pour informer régulièrement les travailleurs, tant localement qu’au plan national, des contenus régressifs des projets gouvernementaux et des politiques d’entreprise, les mobilisations interprofessionnelles de ces dernières années n’ont pas recueilli le niveau attendu au-delà de nos forces et de notre corps militant. (p. 17)

Si les préoccupations sociales (salaires, emploi et conditions de travail) et les mobilisations sont bien présentes au sein du monde du travail, la campagne électorale et les élections ont été fortement impactées par l’inquiétude de la population face à la pandémie et à la guerre en Europe. Cela s’est notamment traduit par la constitution pour la première fois d’un groupe de quatre-vingt-neuf député-es du Rassemblement national à l’Assemblée nationale, mettant en danger notre modèle démocratique et social. (p. 5)

Le document d’orientation amalgame véritables revendications ouvrières et adaptations honteuses aux besoins du patronat (ainsi du « nouveau statut du travailleur salarié ») ; quand il avance un mot d’ordre juste comme l’exigence de l’échelle mobile des salaires, il ne dit pas un mot de comment l’arracher. La direction de la CGT déverse des flots de banalités ou d’analyses pseudo-sociologiques qui habillent la volonté de se mettre au service d’un capitalisme français plus productif, relocalisé et plus écologique…

… avec comme objectif la transformation sociale pour une autre répartition des richesses, pour une société plus juste, respectueuse de son environnement et un monde de paix. (Préambule)

C’est le langage de tous les réformistes qui refusent le combat pour l’expropriation du capital, l’organisation sous contrôle ouvrier de la production afin de satisfaire les besoins sociaux et non la soif de profit des parasites détenteurs des moyens de production et d’échange. C’est la rêverie de ceux qui laissant en place l’État bourgeois, son armée, sa police, en défendant la nation, permettent les boucheries. C’est le discours et la pratique de ceux qui ne peuvent aller de l’avant parce qu’ils ne veulent pas aller au socialisme.

La lutte de clans

Au grand jour depuis mai 2022 et l’annonce de l’adoubement de Marie Buisson pour succéder à Philippe Martinez, les cliques qui existent au sein de l’appareil de la CGT tentent de pousser en avant leur propre champion(ne). Autant dire tout de suite qu’il n’y a aucun désaccord de principe entre eux, aucune distance irréductible ce que démontre l’adoption du texte d’orientation (72,79 % pour) ou de la motion finale Actualité (91 % pour). Tous sont adeptes de la géométrie variable.

Ainsi Martinez a été élu en 2015 en s’affichant les moustaches dressées contre « le syndicalisme rassemblé », synonyme d’eaux syndicales tièdes. Il était alors très copain avec l’UD des Bouches du Rhône, maniant le « dialogue social » avec des gants de caoutchouc et une pince sur le nez. La CGT, entre 2018 et 2023, a signé 87 385 accords d’entreprises qui ne sont sans doute pas tous pourris mais s’ils avaient révolutionné la vie des travailleur(euse)s, ça se saurait. Ses représentants appointés siègent toujours au Conseil économique social et environnemental, au Conseil d’orientation des retraites, gèrent la retraite à point pour les complémentaires des salarié(e)s du privé… En 2016, le syndicalisme est rassemblé pour organiser la défaite contre la loi Travail à coup de journées d’action impuissantes, en 2018, il isole la résistance des cheminots défendant leur statut.

Les Clés du social, 14 janvier 2023


En 2019, la CFDT devient majoritaire dans le secteur privé (26 % contre 23 % pour la CGT). Depuis cette date, la CGT a perdu 45 000 adhérents et 8 000 syndicats professionnels.

Au 52e congrès, les alliances se renversent. Martinez est réélu mais finie la lune de miel avec Olivier Mateu des Bouches du Rhône qui structure « Unité CGT » avec Emmanuel Lépine (fédération de la Chimie), adeptes en particulier du retour au sein de la FSM (Fédération syndicale mondiale qui fut étroitement liée à la bureaucratie stalinienne jusqu’à l’effondrement de l’URSS). Au même moment, Laurent Berger prend la tête de la CES (Confédération européenne des syndicats que la CGT a rejointe en 1999).

L’équipe Martinez, comme tout sommet d’appareil bureaucratique, n’apprécie pas les voix discordantes, elle décide de resserrer la direction confédérale, réduisant le nombre de membres de la Commission exécutive confédérale et surtout du Bureau confédéral, les oppositions sont tenues à l’écart des instances de décision. Elle centralise le pouvoir dans les mains du secrétaire général. La participation au regroupement « Plus jamais ça ! » (Les Amis de la Terre, ATTAC, Confédération paysanne, FSU, Greenpeace, Oxfam, Solidaires) ou le rapprochement avec la FSU ne font l’objet d’aucun débat dans la confédération, les décisions sont prises en petit comité.

La dénonciation de l’absence de démocratie interne s’étend. Un troisième clan se forme avec la fédération des cheminots, des mines et de l’énergie, l’union fédérale des syndicats de l’État. Il opère un rapprochement de toutes les oppositions dans la perspective du 53e congrès.

En décembre 2022, l’Union départementale des Bouches du Rhône annonce « qu’elle met son secrétaire Olivier Mateu à la disposition de la confédération » pour succéder à Martinez. La direction rejette cette candidature en invoquant la nécessité qu’un syndicat ou une instance présentent un homme et une femme pour se conformer à la règle adoptée en 1999 pour le Bureau confédéral. Règle qui ne figure pas dans les statuts…

Le bloc autour de la fédération des cheminots pousse alors en avant Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral depuis 2015. Elle fait campagne publiquement quelques semaines avant le congrès, déclarant dans les médias « sa disponibilité » pour remplacer Martinez. Et de trois ! La direction de la CGT ne décolère pas : pas de ça chez nous ! on ne présente pas sa candidature, il y a une candidate investie par le vote de la Commission exécutive confédérale, Marie Buisson !

La FSM sans voile

Portée par le souffle du mouvement de révolte en Iran, Sara Selami, syndicaliste iranienne en exil, a asséné un coup décisif aux staliniens nostalgiques tenants de la Fédération syndicale mondiale (l’UD des Bouches du Rhône y adhère, comme la Fédération de la chimie, du commerce et des services…). Leur amendement au texte d’orientation pour un rapprochement avec la FSM a été repoussé à 77 % alors qu’il aurait pu passer sans cette intervention internationaliste justifiée. En effet, en 2019, un amendement de ce type avait obtenu à contrario 80 % des voix.

Sara Selami a expliqué aux congressistes que la Maison des travailleurs de la République islamique d’Iran, organisation comparable aux regroupements corporatistes de Salazar ou Pétain, était affiliée à la FSM. Son dirigeant, représentant de l’État bourgeois iranien, est même le vice-président de cette FSM qui collectionne les tortionnaires syriens, bélarusses et autres partisans de dictatures. La FSM ne vaut donc pas plus cher que la Confédération européenne des syndicats, soudée à l’Union européenne, au Conseil de l’Europe et à l’Association européenne de libre-échange.

Le rejet du rapport d’activité

Lundi 27 mars, le congrès a voté la suspension de ses travaux le lendemain pour participer à la 10e journée d’action convoquée par l’intersyndicale nationale. Pas de divergence sur le soutien à l’organisation du sur-place, au lieu du face à face avec Macron et son gouvernement pour le vaincre. Les voix qui se targuent d’opposition radicale ne combattent pas pour la grève générale, seule méthode de la lutte prolétarienne capable de menacer Macron, de le contraindre à retirer la contreréforme des retraites. Contre la grève tous ensemble, ils veulent des grèves éparpillées, par site, par corporation, par jour… La même inefficacité, la même tactique d’épuisement, la même aide apportée au pouvoir bourgeois.

Face à un gouvernement qui est finalement très radical… il faut qu’on ait des modes d’action qui soient durs, notamment par des grèves reconductibles, des blocages (Céline Verzeletti, Ouest France, 28 mars) 

Le vent se lève : À la veille d’une nouvelle journée de grève et de manifestations, quelle suite attendez–vous pour ce mouvement ? Que lui manque-t-il pour faire définitivement battre Macron en retraite ?

Olivier Mateu : Très concrètement, je pense que nous n’avons jamais été aussi prêts de remporter une victoire interprofessionnelle et intergénérationnelle qu’aujourd’hui. Il faut organiser et réussir ces journées d’action, même si elles peuvent sembler trop espacées, et en même temps travailler partout à installer la grève reconductible, qui selon nous ne doit pas être « 24h ou rien ». Quiconque peut mettre une heure, deux, quatre, huit heures par jour, une, deux ou trois fois par semaine participe à gagner cette bataille. L’accumulation de toutes les modalités de grève reconductible fera qu’à un moment donné, l’économie fonctionnera tellement mal et sera tant affectée que ce sera le MEDEF lui-même qui demandera au président de retirer sa réforme. (LVSL, 22 mars)

Le 28 mars Martinez manifeste son soutien à la proposition de l’intersyndicale faite à Macron de « nommer une médiation ». Autrement dit, trouvez-nous une porte de sortie, mettez sur pause.

Camarade Philippe Martinez, qui t’a donné mandat pour parler de médiation quand les travailleurs sont dans la rue ? (Murielle Morand, fédération Chimie)

Dans la foulée, par 50,32 % des voix, le rapport d’activité, autrement dit le bilan (très édulcoré…) de la direction sortante est rejeté, ce qui constitue une première.

Martinez et son équipe se trouvent contraints de lâcher du lest dans les discussions du document d’orientation qui est largement amendé. Évidemment, les amendements ne changent pas sa nature réformiste, il reste l’antithèse d’une orientation lutte de classe.

La bataille pour le fauteuil de Martinez

Après la mise en minorité de la direction sortante, l’élection de Buisson parait moins assurée. Les appétits s’aiguisent dans la coalition anti-Martinez qui avait ratissé large et les tensions s’affichent. Mateu qui a réussi en début de congrès à arracher le droit de se présenter réalise soudain que Verzeletti est très liée à la direction dont elle est membre depuis 8 ans…

Dans la nuit du 29 mars, par 254 voix pour, 215 contre et 15 abstentions, le Comité confédéral national (réunissant les fédérations et les unions départementales) valide la liste des 66 candidats qui intégreront la Commission exécutive, la direction élargie ; elle ne comporte ni Mateu, ni Lépine. Martinez respire… Le jeudi 30, le congrès avalise à près de 90 % des voix mais 57 % des votants rayent le nom de Buisson, 77 % celui de Verzeletti, tandis que Maheu et Lépine rajoutés par des délégués ne passent pas la barre des 50% nécessaires pour être élus. Martinez respire mal…

Après des heures de blocage, puisque ni Buisson, ni Verzeletti ne peuvent réunir une majorité, dans un final digne d’une élection papale et après l’intervention d’un huissier commandé par les oppositionnels, un accord est trouvé pour introniser la secrétaire générale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens, Sophie Binet. Elle n’est pas connue comme un pilier de l’un ou l’autre clan ; elle dirige un secteur dans lequel la CGT cherche à gagner de l’audience ; passée par la JOC, l’UNEF, le PS, chroniqueuse à L’Humanité magazine, elle donne tout espoir à l’appareil bureaucratique de bons et loyaux services. L’élection du bureau et de Binet est validée par le CCN avec 60 % des voix. Sophie Binet a promis de reprendre à son compte l’orientation de Marie Buisson et de Philippe Martinez.

Quel syndicalisme pour gagner ?

Dans ces conditions très bureaucratiques, le combat pour imposer l’appel à la grève générale pour vaincre Macron dans la lutte en défense des retraites n’a pas eu lieu. D’autant plus que les courants centristes (LO, NPA-B, CR, RP, POID…) n’ont pas mené ce combat car leur objectif n’est pas la bataille intransigeante contre toutes les tendances de la bureaucratie corrompue et chauvine mais de s’intégrer dans cette bureaucratie, de gagner leur place, en soutenant telle ou telle fraction. C’est pourquoi ils ne remettent jamais en cause la participation des directions syndicales aux négociations des plans anti-ouvriers comme les mois passés à négocier avec le gouvernement la contreréforme des retraites. C’est pourquoi ils soutiennent les journées d’action, grèves reconductibles et autres « temps forts » que décrètent les chefs syndicaux pour empêcher le surgissement de la grève générale, qui ne sont jamais pour eux des obstacles, mais des points de départ, des points d’appui…

En dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’État impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n’a rien perdu de son importance, mais reste aussi nécessaire qu’auparavant et devient, dans un certain sens, révolutionnaire. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, aout 1940)

Le prolétariat a besoin d’une seule CGT, réunifiant tous les syndicats ouvriers en une seule confédération, indépendante de l’État bourgeois, organisant l’ensemble du salariat, les chômeurs et les travailleurs émigrés, fonctionnant démocratiquement avec un droit de tendance, menant la lutte de classe pour les revendications, pour l’expropriation du capital et pour le socialisme, pour l’internationalisme prolétarien.

En d’autres termes, à l’époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l’époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c’est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. Ils ne peuvent pas être plus longtemps anarchistes, c’est-à-dire ignorer l’influence décisive de l’État sur la vie des peuples et des classes. Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, aout 1940)

C’est sur cette orientation que milite le Groupe marxiste internationaliste ; elle est inséparable du combat pour construire l’internationale et le parti ouvrier révolutionnaire qui font tant défaut.

28 avril 2023