Une victoire pour Macron
Inutile de raconter des histoires : la promulgation immédiate par Macron de la loi portant la contreréforme sur les retraites après sa validation par le Conseil constitutionnel signe une victoire pour la bourgeoisie et une défaite pour la classe ouvrière. Sans doute Macron y a-t-il laissé quelques plumes, son crédit auprès de la petite-bourgeoisie qui vantait et vendait son modernisme et avec lui le mythe du dépassement de la lutte des classes s’est-il en partie érodé, et ses adorateurs se font un peu moins enthousiastes dans les médias. Mais c’est sans importance. Macron, chef de l’État bourgeois, de surcroit non rééligible, n’est pas là pour plaire, mais pour servir les intérêts de la bourgeoisie. Et de ce point de vue, le capital fondé sur l’extorsion de la plus-value, peut se frotter les mains. Avec le report de l’âge légal de départ à 64 ans et l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein, non seulement les capitalistes ne paieront pas un centime de plus pour les retraités, mais l’exploitation pourra se prolonger dans des conditions où travailleuses et travailleurs vieillissants seront plus vulnérables. Et au-delà, la bourgeoisie espère sans doute que la classe ouvrière renonce pour un temps à lutter en considérant que cela ne mène à rien. Pourtant la colère est toujours là. Mais la colère ne suffit pas. Tout l’enjeu du moment est que la classe ouvrière tire le plus vite et le plus loin possible le bilan de ce combat.
Ni rire ni pleurer, mais comprendre
Cette victoire de la bourgeoisie doit être une leçon pour toute la classe ouvrière qui peut, en tirant le bilan, en ressortir beaucoup plus forte. Quel bilan ? Tous ceux qui hier encore ont appelé à voter Macron au prétexte de barrer la route à Le Pen, non seulement ont pavé la voie à un serviteur particulièrement zélé de la bourgeoisie, mais de plus obtiennent comme résultat aujourd’hui que les chances de Le Pen sont encore plus grandes que précédemment ! Tous ceux qui, sur tous les tons, ont demandé à Macron d’écouter « le peuple » n’ont fait que semer des illusions. Macron n’a jamais été là pour « écouter » ou « entendre » les revendications, mais pour mener la guerre de classe de la bourgeoisie contre le prolétariat. Et chez ces gens-là, c’est le rapport de force qui vaut et qui prévaut et pas les bons sentiments. La leçon essentielle qu’il faut tirer, c’est que, dans la guerre de classe, la classe ouvrière ne peut se défendre que si elle s’organise sur une orientation résolument révolutionnaire. Aucune revendication un tant soit peu sérieuse comme la défense des retraites ou bien l’indexation automatique des salaires sur l’inflation ne peut être obtenue tant que toute l’économie des capitalistes n’est pas bloquée par les travailleurs en grève, tant que les travailleurs ne sont pas organisés en contrôlant leur mouvement au moyen des comités élus, en les centralisant jusqu’à un comité central national de grève face au gouvernement, tant que le gouvernement de la bourgeoisie n’est pas menacé d’être emporté s’il ne cède pas.
La grève générale, c’est la voie de la révolution, la seule qui soit efficace, parce qu’elle pose la question de qui dirige la société et pour quoi faire, parce qu’elle ouvre la possibilité à la classe ouvrière rassemblée et organisée de prendre le pouvoir. C’est la grève générale qu’il fallait pour gagner ! Mais comme elle ouvre la voie à la révolution, tous les contrerévolutionnaires qui dirigent et encombrent le mouvement ouvrier se sont ligués pour lui barrer la route.
En effet, cette victoire de la bourgeoisie n’était pas écrite d’avance. Elle résulte du fait que la force gigantesque de la classe ouvrière a été volontairement dispersée, atomisée, envoyée dans des impasses. Impasses et mensonges des partis réformistes PS, PCF et LFI qui ont de bout en bout défendu une gesticulation parlementaire parfaitement vaine, laissé croire que l’issue pouvait se trouver dans les amendements d’un texte inamendable, dans la motion de censure « transpartisane » c’est-à-dire en clair votée avec le RN et une partie de LR, dans la saisine du Conseil constitutionnel, et maintenant dans un référendum d’initiative partagé ! En toile de fond, le respect de la constitution gaulliste, le respect de la démocratie parlementaire, le respect des institutions de la république, bref le respect de tout ce qui constitue l’ordinaire de la domination de classe de la bourgeoisie que tous ces partis veulent bien servir à leur tour si l’occasion électorale se présente, mais certainement pas renverser ! Impasses et mensonges des chefs syndicaux qui, après avoir accepté de discuter pendant des mois avec le gouvernement du projet contre les retraites, se sont unis pour convoquer pas moins de douze journées d’action dont ils savent parfaitement qu’elles ne menacent en rien le gouvernement, qu’elles ne perturbent qu’à peine le fonctionnement du capitalisme, assuré que les affaires reprennent dès le lendemain.
Ah mais, c’est que, prétendent-ils, les travailleurs ne seraient pas prêts à la grève générale, au moment où la vie est si difficile avec les salaires trop bas et l’inflation qui galope… Mais décréter douze jours de grève saute-moutons totalement inefficaces, lancer dans les secteurs les plus combattifs des grèves reconductibles isolées, épuisantes, encore plus coûteuses et sans résultats, voilà qui ne pose aucun problème aux chefs syndicaux ! Tout, ils ont tout fait, sauf appeler la classe ouvrière à la grève générale pour vaincre Macron ou sinon le renverser. Voilà ce qui a mené à la défaite. Mais en aucun cas, les travailleurs n’en sont responsables. Ce n’est ni leur combattivité ni leur détermination qui ont manqué, c’est leurs directions qui les ont trahis, envoyés dans le mur et protégé Macron.
Macron et son gouvernement à l’offensive
C’est pourquoi Macron et son gouvernement non seulement en ont rééchappé, mais veulent aujourd’hui accélérer. Et ce ne sont pas quelques casserolades qui vont les arrêter. Mais comme il faut camoufler aux yeux des travailleurs que la désastreuse stratégie de l’intersyndicale comme celle de la NUPES ont conduit à la défaite, tous s’entendent pour prétendre maintenant que Macron serait désormais impuissant à gouverner, condamné pendant quatre ans à inaugurer les chrysanthèmes, à cause de son impopularité, des difficultés à trouver une majorité parlementaire, etc. Rien n’est plus faux : même impopulaire, tant qu’il ne trouvera pas la force gigantesque de la classe ouvrière rassemblée en face de lui, Macron va poursuivre ses attaques contre la classe ouvrière, contre la jeunesse, contre les chômeurs, contre les étrangers, il tentera de s’appuyer sur les députés de LR pour faire passer des textes réactionnaires, voire les construira avec eux, il utilisera encore si besoin le 49.3 (Macron a démenti illico les engagements hâtifs de Borne à en limiter l’emploi) et il gouvernera même par décrets si nécessaire. Parce que c’est ce qui convient au capital. Et Macron compte bien continuer à s’appuyer aussi sur le « dialogue social » avec les directions syndicales pour avancer sur un « nouveau pacte de la vie au travail », comme il l’a annoncé le 17 avril. Certes le rendez-vous qu’il leur avait fixé le 18 avril a été boudé par les chefs syndicaux. Mais cela ne durera pas. Berger, pour la CFDT, avait parlé d’un « délai de décence » que l’intersyndicale semble avoir fixé après les manifestations du 1er mai.
En ligne de mire de l’offensive de Macron, à nouveau les étrangers, migrants et réfugiés contre qui Darmanin a ressorti son projet de loi, un temps mis en suspens pendant que l’issue de la bataille sur les retraites était encore incertaine, encore durci pour complaire à la réaction parlementaire des députés LR, voire RN.
Nous devons être plus exigeants en matière d’intégration, défendre une laïcité à la française. Côté immigration, nos procédures sont beaucoup trop longues. Les délais explosent, les gens finissent par trouver un travail, s’établissent et sont protégés par d’autres règles. Donc ça ne marche plus. (Macron, Le Parisien, 23 avril)
Cependant, constatant le 26 avril qu’elle n’était pas assurée du soutien de LR à cette étape, Borne vient d’annoncer le report de la présentation du texte à l’automne. Mais elle ajoute préférer ne pas lancer dès maintenant « un débat sur un sujet qui pourrait diviser le pays ». Cela signifie en filigrane que le gouvernement craint encore une possible mobilisation contre ce projet. Mais il ne renonce pas, et pour bien le montrer, Borne envoie 150 policiers et gendarmes supplémentaires dans les Alpes-Maritimes pour « faire face à une pression migratoire accrue à la frontière italienne ».
Le gouvernement vise aussi les titulaires du RSA qui vont devoir effectuer 15 à 20 heures de travail hebdomadaires pour justifier leur allocation, ce qui en fait une main-d’oeuvre captive et gratuite, en lien avec la transformation de Pôle emploi en France travail. « Nous redoublerons d’efforts pour ramener au travail les bénéficiaires du RSA en les accompagnant mieux », a donc déclaré le président le 17 avril.
Cette offensive pour livrer au patronat une main-d’oeuvre plus corvéable et peu couteuse se déploie également avec une attaque contre les lycées professionnels que Macron souhaite, en augmentant le temps de stage en entreprises des lycéens, au détriment des enseignements. Et comme il n’y a pas de petites économies, le patronat sera dispensé de payer ces élèves stagiaires, ce qu’il ne faisait que très modestement jusqu’à présent, à hauteur de 4,05 euros de l’heure si le stage durait au moins 44 jours. Désormais c’est l’État qui paiera…
Enfin, dès la rentrée de septembre, les enseignants de primaire, de collège et de lycée vont voir s’appliquer le « pacte » les invitant à en faire plus, comme s’engager à remplacer au pied levé un collègue absent, s’ils veulent obtenir, non pas une augmentation de salaire, mais une indemnité, laquelle ne comptera donc pour rien ou presque dans le calcul de la retraite. C’est d’ailleurs la même chanson qui s’appliquera sur la partie dite « socle » prévoyant une augmentation de la rémunération de base des enseignants indépendamment de l’acceptation de nouvelles missions. Il ne s’agira nullement d’une augmentation du salaire, mais de l’augmentation des indemnités de suivi des élèves et de la prime d’attractivité, au demeurant bien loin de compenser la perte du niveau des salaires des enseignants enregistrée depuis des années.
Il reste cependant un objectif de Macron pour lequel il prend quelques précautions. C’est la mise en place du service national universel (SNU), sorte d’embrigadement idéologique de la jeunesse pour la formater aux couleurs du patriotisme cocardier que le chef des armées avait un temps songé rendre obligatoire. Sans renoncer, Macron juge désormais qu’il convient d’avancer plus prudemment pour ne pas risquer d’enflammer la jeunesse.
Je souhaite une montée en charge progressive du SNU, avec plus de territoires qui vont l’adopter, mais sans le rendre obligatoire dans tout le pays du jour au lendemain. Il faut passer par la loi pour le rendre obligatoire, mais avant il faut finaliser la concertation. Je suis favorable à ce qu’on puisse avancer. (Macron, Le Parisien, 23 avril)
Que faire ?
Rien de tout cela n’est acceptable. La classe ouvrière vient de subir une défaite, mais elle n’est pas écrasée, loin de là. Le gouvernement est à la fois bien décidé à porter de nouveaux coups mais il craint un possible retour de flamme. Il faut au plus vite que l’avant-garde de la classe ouvrière se tourne vers la construction d’une organisation révolutionnaire décidée à en finir avec la société capitaliste, avec l’État bourgeois, qui combatte pour balayer les obstacles et les leurres mis par les appareils contrerévolutionnaires en travers du mouvement des masses. Une organisation qui combat pour la grève générale, pour les comités de grève élus, pour l’auto-organisation et l’autodéfense des manifestations et des piquets de grève, pour le comité central de la grève générale. Voilà ce qui est nécessaire. En ce sens, le combat continue !