Retraites : pour le capital, les travailleurs vivent trop vieux

Dans le mode de production capitaliste, le salaire (le prix de la force de travail) doit permettre la reconstitution de la capacité productive des exploités. Les travailleurs incapables de se faire employer (chômage, maladie grave, handicap, vieillesse, maternité…) n’ont en soi pas de raison d’être payés puisqu’ils ne vendent plus leur force de travail. Leur survie relève de la solidarité familiale ou de la charité. Sous la pression des travailleurs, l’État a accepté de les prendre partiellement en charge, soit directement (logique d’assistance, financement par l’impôt), soit par l’intermédiaire d’institutions spécialisées (logique d’assurance, financement par cotisations obligatoires).

La fable du « modèle français »

La protection sociale instaurée en 1945 en France n’a rien d’original, elle est calquée sur le système inventé à la fin du 19e siècle en Allemagne. Cela ne pouvait être avoué pour cause de patriotisme qui cimentait alors l’alliance de la CFTC, de la CGT, du PS-SFIO et du PCF avec le MRP sous la direction du général de Gaulle. La Sécu française est de nature « bismarckienne » : assurance obligatoire, cotisations proportionnelles au salaire brut, prestations souvent proportionnelles au salaire (pensions, arrêt maladie, indemnités chômage…).

Le « modèle français » est basé sur la collaboration de classes. Les « partenaires sociaux » (3 organisations patronales et 5 confédérations syndicales) cogèrent les trois branches de la Sécu ainsi que les régimes de retraite complémentaire et d’assurance-chômage. En fait, c’est l’État bourgeois qui tranche en dernier lieu, comme le prouve la loi du 17 novembre 2022 qui restreint les droits des chômeurs. On doit à Jospin, en 2000, la création du Conseil d’orientation des retraites, où siègent les chefs syndicaux (2 CGT, 2 CFDT, 2 FO, 1 CTFC, 1 CFE-CGC, 1 UNSA, 1 FSU) contre rétribution.

La protection offerte par la Sécu était insuffisante dès sa fondation. Globalement, le système conserve l’inégalité de revenu car seuls le remboursement des soins et les allocations familiales, les mêmes en principe pour tous, réduisent les inégalités. Rien n’était prévu en 1945 pour les travailleurs privés d’emploi. La santé n’était pas gratuite malgré les promesses creuses en 1943 du Conseil national de la résistance (gaullistes, autres partis bourgeois, partis sociaux-chauvins PS-SFIO et PCF).

En ce qui concerne la branche « vieillesse » de la Sécu, certains travailleurs préférèrent garder des « régimes spéciaux » plus avantageux, en particulier pour leur retraite. Mais les nombreux précaires de ces entreprises publiques (les « chibanis » marocains de la SNCF, par exemple) ne bénéficiaient pas des mêmes avantages, ni les travailleurs des entreprises sous-traitantes d’EDF… La pension des salariés est alors si faible que cela justifie l’adjonction ultérieure de deux régimes de retraite complémentaire dont les recettes sont aux mains de sociétés financières privées et non de la Sécu (URSSAF).

Le « modèle français » est injuste : il pompe une partie des salaires bruts au lieu d’être intégralement payé par les employeurs. Les cadres versent une partie moindre de leur salaire brut grâce à un système de plafond alors qu’ils touchent plus longtemps car ils vivent plus longtemps. Une suspension de carrière pour élever des enfants ou les périodes de chômage diminuent systématiquement la pension. Les prolétaires n’ont en général pas de revenu du patrimoine quand ils partent en retraite, alors que les petits-bourgeois et les bourgeois additionnent à leur pension les loyers, les intérêts, les dividendes qu’ils touchent.

Les attaques sans fin contre le droit à la retraite

Avec le retour des crises capitalistes mondiales en 1973-1974, pour préserver le taux de profit, les États, dans le monde entier, ont entrepris de diminuer les prestations sociales et, parallèlement, de limiter les impôts acquittés par le capital. Il en a résulté la montée des inégalités sociales.


En France, depuis 1993, le droit à la retraite des salariés a été fortement dégradé par les gouvernements successifs : Balladur en 1993, Chirac-Juppé en 1995, Chirac-Fillon en 2003, Sarkozy-Fillon en 2010 et Hollande-Ayrault en 2014. D’abord en allongeant la durée du travail avec un recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans, une augmentation de la durée de cotisation de 37,5 à 43 ans. Puis en diminuant les pensions en prenant en compte les 25 meilleures années au lieu de 10 dans le privé et en les désindexant des salaires des actifs. Enfin, en faisant peser davantage le financement sur le travail avec l’instauration de la CSG en 1993 par le gouvernement Mitterrand-Rocard. Les impôts de type CSG-CRDS amputaient les pensions brutes de 1,1 % en 1998, aujourd’hui, c’est 9,1 %.

L’argument du vieillissement de la population pour remettre en cause le droit à la retraite est douteux. La taille de la population active et la productivité du travail n’ont cessé de croitre depuis 1945. Pour la France, de 1980 à 2020, la productivité du travail a augmenté de 66,7 %, ce qui permettrait de financer sans problème les soins des travailleurs, l’enseignement de leurs enfants et la vie de ceux qui sont retraités.

Le déficit est avant tout causé par le chômage qui est le résultat inévitable du capitalisme et par l’État qui allège les cotisations et les impôts des patrons pour leur permettre d’augmenter leur taux de profit.

Comptes de la Sécurité sociale, septembre 2022, p. 55

En outre, les salariés paient pour les retraites des travailleurs indépendants. En 2022, cette « compensation démographique vieillesse » représente 2,632 milliards d’euros.

Le jeu de Macron-Borne : pile, les travailleurs perdent ; face, ils perdent aussi

Sans même la nouvelle loi, l’âge de la retraite augmente déjà, par l’effet des lois précédentes contre les retraites. Avec la nouvelle loi, soit elle ou il partira plus tard (et donc touchera moins de pension au total), soit, faute d’emploi, elle ou il partira en étant pénalisé (et donc touchera moins de pension au total aussi). Actuellement, en moyenne, un retraité touche une pension brute de 1 613 euros par mois, ce qui représente 50 % du revenu d’activité. Il était déjà prévu, sans la nouvelle attaque, de baisser ce taux de remplacement d’au moins 10 % en 40 ans.

Les attaques contre le droit à la retraite des salariés sont une manière d’augmenter le degré d’exploitation du prolétariat. Seul le travail est créateur de valeur. Si on met à part les indépendants, qui sont minoritaires, la richesse produite se partage fondamentalement entre le travail et le capital, entre salaire direct, pensions, indemnités chômage d’une part et profit, intérêts, loyers d’autre part. La diminution de la part des richesses revenant à la partie du prolétariat qui ne travaille plus permet, de manière structurelle, d’augmenter le taux de profit, le rapport entre les revenus du capital et la valeur du capital avancé.

  • Retrait du projet de loi Macron-Borne-Dussopt ! Grève générale pour faire reculer l’État !
  • Boycott de toute concertation ! Dirigeants syndicaux, sortez du Conseil d’orientation des retraites !
  • Augmentation des cotisations patronales ! Suppression des cotisations des salariés !
  • Abrogation des lois antérieures contre les retraites ! Retour aux 37,5 années de cotisation et à 60 ans d’âge de la retraite ! Indexation des pensions sur l’inflation!
  • Calcul du montant de la pension sur les 6 meilleurs mois pour tous ! Maintien des compensations pour les femmes et les travaux pénibles ! Taux de remplacement à 75 % (sauf pour les PDG qui touchent déjà des « retraites chapeau ») ! Pas de pension au-dessous du Smic !

Sur cette base et sur cette base seulement, intégration des régimes de retraite complémentaires au régime général ! Une seule caisse pour les salariés et uniquement les salariés, gérée par leurs seuls représentants !

15 janvier 2023