Pedro Castillo est un ancien bureaucrate syndical qui a des racines politiques dans le nationalisme populiste. Il a partagé le même parti qu’Ollanta Humala et s’en est séparé il y a six ans pour former Peru Libre, une version jumelle du parti de Humala, plus adaptée à sa personnalité. C’est une nouvelle expérience avec un parti nationaliste petit-bourgeois de « gauche », si à la mode dans toute l’Amérique latine. Pedro Castillo, comme Humala, n’a pu accéder à la présidence que parce qu’il a obtenu le soutien de la bureaucratie de la plus importante centrale syndicale du pays, la CGTP, dirigée principalement par le Parti communiste – Patrie rouge, d’origine maoïste. À mon avis, Peru Libre, le parti de Pedro Castillo, n’est pas un parti de nature social-démocrate, il n’a pas ses racines dans la classe ouvrière ou à la rigueur dans la paysannerie (comme Evo Morales). Son succès et sa capacité à semer des illusions dans le processus électoral ont dépendu directement du soutien de la direction de la CGTP, qui s’est pleinement engagée à tout faire pour stabiliser politiquement le pays. Le jour où il perdra ce soutien, il disparaitra.
Le gouvernement Castillo, sans majorité parlementaire, a été brutalement harcelé par les partis bourgeois et les patrons. Ces individus ne peuvent pas accepter qu’un arriviste gère l’appareil d’État et que les masses pauvres croient que quelque chose peut changer. Et ils l’ont harcelé jusqu’à son renvoi.
Mais la politique du gouvernement Castillo n’a pas du tout été différente de celle des gouvernements précédents. Il a dirigé un pays que la Banque mondiale considère comme un modèle pour son ouverture aux capitaux étrangers (notamment chinois), sa bonne croissance économique au cours des 15 dernières années (jusqu’à la pandémie) et son bon contrôle budgétaire. Dans le monde le capital financier est satisfait du Pérou. Que la pauvreté des masses laborieuses soit extrême et que 70 % des travailleurs soient dans le « secteur informel » semblent avoir peu d’importance pour leurs économistes.
Si, pendant la campagne électorale, Castillo promettait des nationalisations ou des réformes politiques, tout a disparu le jour même de la formation du gouvernement. La politique économique est restée la même, entre les mains des mêmes « techniciens » que tous les gouvernements précédents. Les entreprises du capital national et international étaient farouchement protégées. Même le salaire minimum n’a pas été augmenté. Et lorsque les mobilisations ouvrières et paysannes se sont développées avec force en avril de cette année, Castillo a réprimé, déclaré l’état d’urgence, militarisé des régions et assassiné autant de manifestants que sa vice-présidente et collègue de parti, Boluarte, le fait maintenant.
La crise actuelle au Pérou est un nouveau chapitre de la crise politique de la domination bourgeoise au Pérou. D’une part, la bourgeoisie est incapable de mettre de l’ordre dans ses rangs et de former un quelconque gouvernement stable. Elle est encore moins capable de supporter qu’un autre parti (« de gauche ») gouverne, même s’il le fait loyalement à l’égard du capital et trompe les masses. De leur côté, les masses laborieuses des villes et des campagnes voient leurs conditions de vie précaires encore aggravées par la nouvelle inflation et le ralentissement de l’économie. Ils ont une longue tradition de luttes et les mobilisations échappent souvent au contrôle immédiat des appareils. Ils ont même pour tradition de constituer des « assemblées populaires » plus ou moins représentatives pour coordonner territorialement leurs luttes.
En fait, selon certaines sources, certaines de ces assemblées ont déjà été formées pour coordonner la réponse à la destitution du président par un parlement largement haï par les classes populaires. Mais, en l’absence d’un parti révolutionnaire, ces « assemblées populaires » finissent toujours par inclure toutes sortes de fractions de la bourgeoisie locale et perdre leurs racines dans les masses combattantes jusqu’à les épuiser et quasiment toujours les trahir.
Face aux importantes mobilisations actuelles, une orientation vers l’auto-organisation en conseils d’ouvriers et de paysans, indépendants de la bourgeoisie, démocratiquement élus et coordonnés pour lutter pour leurs propres objectifs, est absolument nécessaire, afin de se porter candidat au pouvoir, de mettre fin à toute la misère et de détruire le pouvoir bourgeois et de ses institutions politiques.
Mais ce n’est pas l’orientation que nous voyons dans les partis qui se disent « révolutionnaires » au Pérou : pratiquement tous, de la Corriente Socialista de las Trabajadores [Courant ouvrier socialiste] de la FT-QI au Partido de los Trabajadores Uníos [Parti des travailleurs unis], section de l’UIT-QI, concentrent leur politique sur la revendication d’une « Assemblée constituante », la même recette qu’au Chili, en Bolivie, en Colombie… La même recette qui, à chaque fois, dévoie la force des mobilisations vers des illusions dans la réforme des institutions de la démocratie bourgeoise.
La lutte des classes est très vivante au Pérou et le résultat n’est pas écrit à l’avance. Comme toujours dans ces cas, nous devons essayer de trouver et de contacter toute organisation ou groupe ayant une orientation véritablement révolutionnaire, pour la renforcer et jeter les bases de la construction du parti de la révolution.