La coalition réactionnaire Meloni-Salvini-Tajani au pouvoir en Italie

Fratelli d’Italia remporte les législatives


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Avec 26 % des voix (4 % en 2018), Fratelli d’Italia (FdI) devance largement les deux autres partis réactionnaires avec lesquels il a fait alliance pour les élections anticipées du 25 septembre : la Lega (L) de Salvini obtient 8,7 % et Forza Italia (FI) de Berlusconi, 8,1 %. Ce bloc pesait 37 % en 2018, ce qui montre donc une progression mais pas un raz-de marée. La traduction en sièges lui assure une majorité absolue dans les deux chambres, 237 députés sur 400 et 115 sénateurs sur 206. Le taux de participation, à 64 %, accuse une baisse de 9 points par rapport au précédent scrutin et les quartiers populaires ont été les plus abstentionnistes.

Frères d’Italie, parti ultra-réactionnaire, a été constitué en 2012 ; comme son nom l’indique, c’est une organisation nationaliste, xénophobe, suant l’arriération catholique. Tous ses dirigeants ont fait leurs classes chez les fascistes et le coup de peinture que réclame toute campagne électorale ne peut masquer la pourriture des fondations. À commencer par Meloni, la nouvelle première ministre. Elle a dirigé le Front de la jeunesse du MSI (Mouvement social italien, fondé en 1946, héritier direct du PNF de Mussolini) puis de l’Alliance nationale (AN) qui lui a succédé, a été députée sous cette étiquette et ministre de Berlusconi. À la chute de ce dernier, entrainant l’effondrement de l’AN qui avait joué la dédiabolisation en fusionnant avec FI, elle décide de regrouper les orphelins du MSI ancienne formule et crée FdI. Teinte en blond comme son amie Marine Le Pen, elle réinstalle la flamme mussolinienne sur le logo de son parti, « un symbole dont nous sommes fiers », martèle le slogan « Famille, patrie, Dieu » qui se passe de commentaires, crache sa haine des étrangers s’ils sont pauvres, des homosexuel(le)s, dénonce l’avortement, conspue les mesures anti-covid : la réaction sur toute la ligne.

Oui à la famille naturelle, non au lobby LGBT ! Oui à l’identité sexuelle, non à l’idéologie du genre ! Oui à la culture de la vie, non à l’abime de la mort ! Oui aux valeurs universelles de la Croix, non à la violence islamiste ! Oui aux frontières sures, non à l’immigration de masse ! Oui au travail de nos citoyens, non à la grande finance internationale ! Oui à la souveraineté du peuple, non à la bureaucratie de Bruxelles ! Oui à notre civilisation, non à ceux qui veulent la détruire ! (Giorgia Meloni « Discours au rassemblement de Vox /Espagne », 13 juin 2022)

Le cofondateur de FdI s’appelle Ignazio (Benito de son deuxième prénom…) La Russa. Élu le 13 octobre président du sénat, ce qui en fait le second personnage de l’État italien après le président de la république, il collectionne les obscénités fascistes, statues et médailles de Mussolini, photos et livres sur les Chemises noires, sur l’Italie coloniale… En février 2020, il se moque des mesures de distanciation physique face à la pandémie de coronavirus : « Fais le salut romain, il est antiviral et antimicrobien » (Le Parisien, 13 octobre 2022).

Tirant les leçons de la domestication du MSI-AN, Meloni se garde bien d’entrer dans les différentes coalitions gouvernementales entre 2012 et 2022. Quand le Mouvement 5 étoiles (M5S), Salvini et sa Lega intègrent le gouvernement d’union nationale de Draghi en février 2021, FdI peaufine son image de seul parti d’opposition. Au moment où le M5S puis les Salvini, Berlusconi et compagnie lâchent Draghi, en juillet 2022, FdI claironne qu’il a eu raison avant tous les autres. Voilà qui explique pourquoi FdI a siphonné largement les votes qui se portaient auparavant sur L et FI et une partie des voix du M5S qui passe de 32 à 15,6 %.

L’installation du gouvernement Meloni

Meloni a donc été désignée pour former le 65e gouvernement que l’Italie a connu depuis la proclamation de la république. Elle a déclaré ne pas vouloir être appelée « présidente du conseil », mais « président » : imaginez qu’on la prenne pour une féministe… Une circulaire officielle a donc été publiée, indiquant que « Monsieur le président du Conseil des ministres » est « la formulation exacte pour se référer à la titulaire de la fonction ». Le ridicule a finalement tué la circulaire dès le lendemain…

Sans doute dans le respect des « lois naturelles » chères aux réactionnaires, 5 des 6 ministres femmes (sur 24) du gouvernement Meloni se voient confier la famille et la natalité, le handicap, les politiques sociales, le tourisme, l’enseignement supérieur.

Galeazzo Bignami, avocat, 2005 ; ministre aux Infrastructures, 2022
Rome, 25 octobre, Matteo Salvini, Giorgia Meloni, Antonio Tajani devant les députésphoto Andreas Solaro

Le 25 octobre, Meloni a déclamé son discours de politique générale devant les députés, soucieuse de donner des gages de bonne conduite des affaires du capital italien, d’affirmer son engagement à respecter les règles budgétaires de l’UE. À la clé, les quelque 200 milliards d’euros d’aides et de prêts votés à Bruxelles pour financer le plan de relance italien post-covid, plan que FdI n’avait pas voté dans l’opposition et dont il ne peut se passer en gouvernant. Lisser les aspérités, tel était le mot d’ordre, d’où la dénonciation de « tous les totalitarismes », l’engagement à ne pas revenir sur les droits civils arrachés par les homosexuel(le)s ou sur le droit d’avorter, la promesse de défendre le pouvoir d’achat en même temps que le soutien aux « entreprises », l’attachement à l’Alliance atlantique et « la nation » à chaque phrase… autrement dit, le discours que tiennent la plupart des chefs des gouvernements bourgeois en Europe. Pour la touche locale, beaucoup de « famille », des références religieuses, la volonté de « voir l’Italie passer à un système semi-présidentiel sur le modèle français ».

Les premiers actes

Ayant choisi Bruxelles pour son premier déplacement à l’étranger le 3 novembre, Meloni a caché ses crocs jusqu’au moment où les représentants du gouvernement allemand lui ont demandé « d’apporter rapidement son aide » aux personnes recueillies en Méditerranée, sur trois navires, deux sous pavillon norvégien et l’autre sous pavillon allemand. La veille, son ministre de l’intérieur, Piantedosi (FdI), avait annoncé dans la presse italienne le refus d’ouvrir les ports aux rescapés bloqués en mer, dans les eaux sous contrôle de l’Italie. La crise s’est nouée en un face à face avec le gouvernement Macron qui a fini par accepter qu’un des bateaux, l’Ocean Viking accoste à Toulon, après trois semaines d’attente en Méditerranée centrale, où au moins 1 340 personnes sont mortes noyées cette année.

Le 31 octobre, le gouvernement Meloni a adopté un décret-loi pour interdire les fêtes techno clandestines : de trois à six ans de prison pour les organisateurs, la possibilité de leur mise sur écoute policière, de 1 000 à 10 000 euros d’amende, des sanctions pour tous les participants… Comme la jeunesse italienne ne passe pas son temps à s’éclater, que la rave-party qui s’est déroulée quelques jours avant à Modène n’avait pas nécessité de décret-loi pour être interrompue, que les sanctions encourues sont totalement disproportionnées, il est clair que ce texte liberticide vise non seulement la jeunesse qui ne s’amuse pas au son du clairon mais tous ceux que les Meloni-Salvini appellent « agitateurs » ou « contestataires ». En effet, relève de ces sanctions « l’invasion de terrains et d’édifices en présence de plus de 50 personnes », susceptible de provoquer « des dangers pour la sécurité publique, l’ordre public ». La mesure peut s’appliquer aux manifestations et rassemblements de protestation spontanés, aux occupations du lieu de travail par les grévistes, d’universités par des étudiants, de logements vides par des sans-abris, des mal-logés…

Également évoqué, « le danger pour la santé publique » montre tout son sérieux quand on sait que le gouvernement Meloni vient d’autoriser les personnels de santé non-vaccinés à reprendre le travail.

Au service d’un capitalisme affaibli et agressif

Indice des prix, Istat, 30 novembre

La dette publique dépasse 150 % du produit intérieur brut, ce qui fait de l’Italie le pays le plus endetté de la zone euro après la Grèce. Les taux d’emprunt public à 10 ans sont supérieurs à 4 %, contre 1,3 % en début d’année. S’ils restent à ce niveau, ils renchériront le cout de la dette de l’Etat. La balance commerciale accuse un déficit de 13,7 milliards d’euros sur les sept derniers mois alors qu’elle était excédentaire de 37,5 milliards sur la même période de 2021. L’inflation atteint 12 % sur un an (13 % pour les produits alimentaires), le taux de chômage est à 8 % et le FMI table sur une récession en 2023.

Les premières mesures économiques programmées par le gouvernement Meloni servent à consolider sa base électorale de petits capitalistes, commerçants, indépendants : baisse générale des impôts de 5 %, extension du plafonnement à 15 % des impôts à ceux qui déclarent jusqu’à 100 000 euros par an, « trêve fiscale » pour les PME mises en difficulté par la hausse du prix de l’énergie, pas d’impôt pendant trois ans pour les « jeunes créateurs d’entreprise », allègement de la fiscalité sur l’emploi… Même pas peur de creuser le déficit quand il s’agit d’arroser les copains.

Le slogan de mon gouvernement sera : nous ne dérangerons pas ceux qui veulent faire. (Giorgia Meloni, Les Échos, 25 octobre 2022)

Par contre, il est urgent d’abolir le « revenu de citoyenneté », moins de 500 euros mensuels, que touchent 1,2 million de foyers.

C’est de la méthadone d’État… La mentalité de l’assistanat qui ne résout pas le problème de la pauvreté. (Giorgia Meloni, Les Échos, 25 octobre 2022)

Le gouvernement Meloni entend faire « respecter son intérêt national comme savent le faire la France et l’Allemagne », d’où le ministère du Made in Italy, l’extension du dispositif de protection des entreprises « stratégiques » (toute acquisition de plus de 5 % du capital d’une société italienne par un investisseur étranger sera soumise à une autorisation préalable), la demande de plafonnement du prix du gaz à l’échelle européenne et la création d’un fonds de solidarité qui, bien ordonné, commencerait par servir l’Italie…

S’organiser pour se défendre

Les partis FdI, L et FI ont essayé pendant la campagne électorale de cacher leur nature foncièrement bourgeoise, leur soutien indéfectible au capital, sous les slogans habituels des populistes et des fascistes, brouillant les frontières de classe, soufflant la haine patriote.

Au gouvernement, les mini-masques vont vite tomber. Retraites, indemnités chômage, libertés démocratiques : le prolétariat devra affronter le gouvernement et ses agents pour défendre ses intérêts propres. De tous les syndicats et partis qui disent parler en son nom, il exigera qu’ils s’unissent dans la lutte contre les attaques du gouvernement. En s’organisant dans les assemblées générales, les comités d’action et de grève, il réunira les conditions de la défaite du gouvernement Meloni-Salvini-Tajani.

26 novembre 2022