Brésil : victoire présidentielle de Lula, résistance du bolsonarisme

Au Brésil, le pays le plus vaste, le plus peuplé et à la production la plus importante d’Amérique latine, les élections générales (présidentielle, parlementaires et provinciales) se sont déroulées simultanément les 2 et 30 octobre.

La victoire de justesse de Lula

Le deuxième tour a vu la victoire électorale du ticket composé de Luiz Inacio Lula da Silva (77 ans, PT) et de Geraldo José Rodrigues Alckmin Filho (PSB) avec 50,9 % (59 millions de voix), contre 49,1 % (57 millions de voix) à celui du président sortant Jair Messias Bolsonaro (67 ans, PL) et du général et ancien ministre de la Défense Walter Braga Netto (PL). Le président et le vice-président élus entreront en fonction le 1er janvier.




Ceux qui, en France, disent aux travailleurs se faire confiance à la démocratie bourgeoisie et de s’en contenter se réjouissent.

Après ses victoires en Colombie et au Chili, le renouveau de la gauche en Amérique latine est la réponse aux ravages de la réaction conservatrice et du néolibéralisme. (PS, 28 octobre 2022)

La victoire de Lula, c’est la victoire du peuple. (Jean-Luc Mélenchon, 30 octobre 2022)

L’élection de Lula à la présidence de la République du Brésil est une grande et importante victoire pour le peuple brésilien et les démocrates du monde entier. (PCF, Communiqué, 2 novembre 2022)

Ce résultat est en demi-teinte pour Lula & Alckmin. Par rapport au premier tour où le duo avait réuni 48,4 % des suffrages, il ne gagne que 2,5 points. Bolsonaro & Braga, quant à eux, augmentent de 5,9 points leur résultat qui était de 43,2 %. Pour finir, l’écart entre les deux candidats est très faible et il s’est même fortement resserré puisqu’il n’est que de 2 millions de voix sur un total de 124 millions de votants (156 millions d’inscrits). La participation s’élève à 79,4 %, avec tout de même 20,6 % d’abstentions et 4 % de blancs et de nuls. Il faut savoir qu’au Brésil le vote est obligatoire pour les citoyens de 18 à 70 ans.

En outre, dans le cadre de ces élections, Lula & Alckmin obtiennent, tant au premier qu’au second tour, leurs meilleurs scores dans treize États tandis que Bolsonaro & Braga l’emportent dans treize autres.

Deux candidats usés au service de la bourgeoisie brésilienne

Malgré sa médiocrité, le capitaine et fascisant Bolsonaro, qui change de parti comme de chemise (il était officiellement présenté cette fois-ci par le Parti libéral, PL), restait le candidat préféré de larges secteurs de la bourgeoisie et de la majorité de l’appareil d’État. Comme tout démagogue bourgeois, il a su réunir derrière lui les voix non seulement des capitalistes, mais de nombreux petits bourgeois (travailleurs indépendants et cadres), voire de travailleurs et de déclassés intoxiqués par les réseaux complotistes et les églises évangéliques. Il a bénéficié d’une phase d’expansion du capitalisme national (sur un an le PIB a augmenté de 3,2 %), portée par les exportations de produits agricoles et de matières premières.

La gestion désastreuse de la pandémie de covid avec plus de 700 000 morts, ce qui est un record mondial, la montée des prix (+7,2 % sur un an), la stigmatisation des minorités sexuelles, la destruction accélérée de l’environnement sous Bolsonaro n’ont pas joué autant qu’attendu pour le PT.

Lula, ancien dirigeant syndical de l’automobile durant la dictature militaire (1964-1985), fut l’un des fondateurs en 1980, du Parti des travailleurs (PT), un parti d’emblée réformiste. Le PT a été façonné par une aile de l’Église catholique, dite « théologie de la libération » (admirée par le PCF, LFI et le NPA)..

Pendant treize années (2003-2016), le PT a formé des gouvernements fronts populistes avec des partis bourgeois et forcément sur un terrain acceptable par eux. Lula et Rousseff ont augmenté les budgets de la police et de l’armée. Les renoncements et les trahisons successifs, la corruption de nombreux dirigeants et élus ont sapé sa base électorale, en particulier dans les agglomérations industrielles comme São Paulo.

Son colistier Alckmin est un vieux politicien bourgeois du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, un parti bourgeois malgré son nom), un catholique ultraconservateur proche de l’Opus Dei, entré pour l’occasion au Parti socialiste brésilien (PSB, un parti bourgeois malgré son nom) en mars 2022. C’est un proche des capitalistes financiers et industriels, un anti-syndicaliste notoire. Il prône les privatisations. En 2018, il a proposé de transformer l’Amazonie en « chantier de construction ». En 2016, il avait soutenu avec vigueur le processus de destitution de la présidente élue Dilma Rousseff (PT).

Si Lula & Alckmin sont élus en 2022, c’est grâce au vote massif des États pauvres, ruraux et catholiques du Nordeste, auquel s’ajoute un vote anti-Bolsonaro de nombreux travailleurs sans grandes illusions sur Lula ou le PT.

Lula converge sur l’essentiel avec Bolsonaro

Cette année, Lula avait centré sa campagne sur l’économie, le chômage, la défense de l’environnement et la croissance. Mais sur ces thèmes, presque rien ne le distinguait d’autres candidats de partis bourgeois. Son programme électoral n’avait même pas un vague soupçon de socialisme pour faire illusion. La capitulation devant le capitalisme était déjà inscrite dans son alliance politique avec le parti bourgeois PSB. Il n’a en aucune façon remis en question les principales mesures de Bolsonaro.

On est très loin des fantasmes de l’émergence du communisme véhiculés par Bolsonaro et ses acolytes. Lula & Alckmin ont aussi repris à leur compte, sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la position de neutralité de Bolsonaro, qui correspond à la position majoritaire de leur bourgeoisie.

Je vois le président ukrainien être applaudi par tous les parlementaires européens. Ce type est aussi responsable de la guerre que Poutine. Une guerre n’a jamais un seul coupable. (Lula, 1er mai 2022)

Comme en Argentine, au Mexique, en Inde, en Afrique du Sud, en Indonésie, la classe dominante estime que la guerre nuit à leur économie et qu’il serait imprudent de fâcher inutilement la Russie et la Chine.

Ce qui différenciait Lula & Alckmin était leur rejet du bolsonarisme, au nom de la « défense de la démocratie » contre « le fascisme », alors que ce ne sont pas des bulletins de vote qui font obstacle au fascisme et que seule une orientation de lutte de classe, une rupture révolutionnaire avec le passé gouvernemental du PT, aurait affaibli le bolsonarisme.

Ce n’est pas encore l’heure du coup d’État

La Police fédérale et la Police fédérale autoroutière ont multiplié les opérations et les provocations, allant jusqu’à des violences graves dans le Nordeste, pour intimider l’électorat de Lula, empêcher des centaines de milliers d’électeurs de se rendre aux bureaux de vote souvent éloignés de leurs domiciles, en créant des bouchons, en supprimant ou en perturbant gravement la mise en oeuvre de la gratuité des transports en commun qui est coutumière les jours d’élections dans les régions pauvres et les grandes banlieues. Même s’il n’y a pas encore de parti fasciste de masse, la campagne a été émaillée d’agressions et d’assassinats de militants ouvriers par les nervis bolsonaristes aidés par les flics.




Après l’annonce des résultats, les patrons du transport routier aidés d’hommes de main et de policiers, ont bloqué plusieurs jours des centaines d’axes routiers dans tout le pays, suppliant l’armée d’intervenir. Bolsonaro n’a fait aucune déclaration pendant 48 heures pour finalement dire qu’il « autorise la transition », sans reconnaitre explicitement sa défaite électorale. De fait, l’état-major n’a pas décidé d’un coup d’État. Cela ne signifie pas qu’au sein de l’armée, aucun officier n’était tenté. Mais la majorité de la bourgeoisie et son appareil d’État ont jugé qu’il n’y avait pour l’instant aucun danger pour la propriété privée.

Pour les mêmes raisons, entre les deux tours, Lula & Alckmin ont bénéficié des désistements de Simone Tebet du Mouvement démocratique brésilien (MDB) et de Ciro Gomes du Parti démocratique travailliste (PDT, un autre parti bourgeois).

Les bolsonaristes emportent les autres élections

Par ailleurs, les élections régionales qui avaient lieu en même temps, ont offert un plus grand nombre de gouverneurs au PL qu’au PT. De même, les élections parlementaires ont donné 187 sièges à Bolsonaro et ses amis, contre seulement 108 à Lula et ses alliés douteux.

Cela confirme que le courant politique réactionnaire à caractère fascisant qui a émergé en 2018 avec la figure de Bolsonaro n’était pas qu’un feu de paille. Il traverse la bourgeoisie, rallie une grande partie de l’encadrement, des indépendants et des déclassés, est très majoritaire dans les corps de répression.

Lula n’accordera même pas aux masses les miettes de son premier mandat. Ses engagements pour la préservation de l’Amazonie vont se heurter de front aux intérêts du capitalisme agraire. Le premier discours du nouveau président ne s’adresse pas à la classe ouvrière des villes, aux travailleurs du secteur informel, aux domestiques, aux ouvriers agricoles, aux paysans pauvres, mais supplie la bourgeoisie et l’armée de le laisser, lui et ses comparses, occuper les postes pour garantir la paix sociale.

Je veux débuter cette petite prise de parole avec mes remerciements à Dieu… Ce n’est pas une victoire pour moi, ni pour le PT, ni pour les partis qui m’ont soutenu dans cette campagne. C’est la victoire d’un immense mouvement démocratique qui s’est constitué, au-delà des partis politiques, des intérêts personnels et des idéologies, pour que la démocratie en sorte victorieuse… Le peuple brésilien veut retrouver l’espoir. C’est ainsi que je comprends la démocratie. Pas seulement comme un beau mot écrit dans la loi, mais comme quelque chose de tangible, que nous sentons dans notre peau, et que nous pouvons construire au quotidien. (Lula, 30 octobre 2022)

Fernando Henrique Cardoso (PSDB) qui a présidé le Brésil de 1995 à 2002 a conclu que « la démocratie avait gagné, le Brésil avait gagné ». En guise de démocratie, de fortes tensions traversent la future coalition gouvernementale. Entre les quatorze formations politiques intéressées, la bataille pour les postes a déjà commencé.

Il faut construire un parti révolutionnaire

Aucune illusion ne doit être entretenue sur le gouvernement front populiste, de coalition avec la bourgeoisie « démocratique » qui gèrera loyalement le capitalisme brésilien à partir de janvier 2023. Les intérêts du prolétariat et de la bourgeoisie étant inconciliables, il devra nécessairement décevoir et affronter les masses.

La seule force sociale réellement capable de défendre les libertés démocratiques est la classe ouvrière. Un parti ouvrier révolutionnaire aurait combattu pour que le PT rompe immédiatement avec la bourgeoisie et ses partis. Autour de ses candidats à toutes les élections, un parti ouvrier révolutionnaire aurait organisé une campagne résolue pour les revendications transitoires indispensables à la classe ouvrière, à la paysannerie pauvre, aux Amérindiens, qui devraient constituer l’ossature d’un gouvernement ouvrier. Un parti ouvrier révolutionnaire appellerait toutes les organisations ouvrières et populaires (partis, syndicats de salariés, mouvements paysans, syndicats étudiants…) à s’unir pour se défendre contre les nervis des grands propriétaires, contre la police, contre les groupes fascistes…

En constituant des comités d’action dans les villes, les quartiers populaires, les usines, les administrations, les transports publics, les universités, il serait possible d’entrainer de larges couches de travailleurs des villes et des campagnes afin d’écraser la menace réactionnaire et d’ouvrir une perspective révolutionnaire.

Vu l’opposition entre la politique du futur gouvernement de front populaire et les besoins des masses, il faut que le prolétariat ouvre la voie de la lutte contre le capitalisme, du pouvoir des travailleurs, du socialisme. La classe ouvrière n’a pas besoin d’un autre PT, mais d’un Parti bolchevik.

Il est plus que nécessaire que les militants communistes révolutionnaires dispersés sur le territoire entre fractions et groupes de taille réduite constituent une organisation prolétarienne d’envergure nationale.

19 novembre 2022