Ni abstention, ni confusion, mais clarification. Dimanche aucune voix ne doit manquer à la République… Dimanche, je compte sur vous pour doter le pays d’une majorité solide afin d’affronter tous les défis de l’époque et de bâtir l’espoir. (Macron, Allocution sur le tarmac d’Orly, 14 juin)
Mais les résultats du 2e tour des législatives sont à l’opposé. L’abstention atteint 53,77 %, à laquelle on peut éventuellement rajouter 2,54 % de votes blancs. Elle culmine dans les milieux populaires, presque 75 % en Seine-Saint-Denis, 72,39 % à Vaulx-en-Velin… Ainsi, d’une élection à l’autre se confirme qu’une majorité de jeunes, d’ouvriers ou d’employés pauvres, de chômeurs, etc., ont cessé de croire que les élections pouvaient constituer un débouché et une solution à leurs problèmes. La légitimité du parlementarisme bourgeois s’érode et avec elle sa capacité à gérer en douceur, dans le respect de l’État bourgeois, les multiples contradictions entre les classes, entre les différentes couches de la société, entre les fractions de la bourgeoisie française, entre celle-ci et ses rivales.
Cette abstention massive relativise tous les résultats. Par conséquent, 479 députés, soit 83 % des élus, ne représentent qu’entre 20 % et 30 % du corps électoral. Aucun parti n’échappe à cette désaffection, quand bien même il totalise un nombre de députés beaucoup plus important qu’en 2017, comme c’est le cas pour LFI ou le RN.
C’est une défaite nette pour Macron élu au second tour de la présidentielle avec 38 % des inscrits. Il perd la majorité absolue qu’il détenait à l’Assemblée nationale en 2017 avec 308 députés pour la seule LREM et qui lui laissait les mains libres. Il n’obtient que 244 députés au total de la formation Ensemble, dont 48 pour le MODEM, 28 pour Horizons 160 pour Renaissance (ex-LREM) qui perd donc 148 députés. Quelques tristes figures emblématiques du macronisme ont mordu la poussière : Blanquer, Ferrand, Castaner, de Montchalin…
Le total des voix de l’union de la gauche version Nupes, 6 556 198, est plus du double que celui obtenu en 2017 par les différents partis qui la composent. Cependant, le slogan de campagne de Mélenchon « Élisez-moi premier ministre », qui promettait de régler les problèmes des travailleurs bien plus efficacement comme premier ministre de Macron que par les grèves et les manifestations, a fait long feu. La Nupes totalise 142 députés dont 16 EELV (1 en 2017). En son sein, les partis ouvriers-bourgeois progressent avec 75 députés pour LFI (17 en 2017), 27 pour le PS (30 en 2017), 12 pour le PCF (10 en 2017). Mais ils sont loin de 1981 quand le PS avait 266 députés et le PCF 44.
Le RN obtient 89 députés, il en avait 8 en 2017 sous le nom du FN, et fait lui aussi plus que doubler ses voix, passant de 1 590 869 à 3 589 465 en 2022. Après ses résultats à l’élection présidentielle, le parti fascisant RN confirme donc sa progression, récupérant sans doute une partie de l’électorat de LR. En effet, LR perd près de 65 % de ses voix et presque de moitié de ses députés, 64 députés contre 112 en 2017, son allié l’UDI passant de 17 à 3 députés.
Sans majorité à l’Assemblée nationale, privé de quelques lieutenants de poids, Macron est affaibli. Il a reçu tous les dirigeants des partis des députes élus les 21 et 22 juin. Tous ont accepté son invitation, indiquant par là-même qu’aucun d’entre eux n’avait l’intention de paralyser l’État bourgeois. Toutefois, le profond rejet de Macron exprimé dans ce vote, tout autant que la sourde opposition qui couve dans l’abstention, interdisent pour l’heure une collaboration ouverte avec le président sous la forme d’un gouvernement d’union nationale ou d’une coalition de gouvernement.
La plupart des dirigeants que j’ai reçus ont exclu l’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale… Il faudra bâtir des compromis, des enrichissements, des amendements en toute transparence et à ciel ouvert… II faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les formations de l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre. Il revient aux groupes politiques de dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller… En ne perdant jamais la cohérence du projet que vous avez choisi en avril dernier. (Macron, Allocution, 22 juin)
Il ne reste de praticable dans ces conditions que d’éventuels accords de circonstances, texte après texte, après d’âpres marchandages, et sans doute assez éloignés de la cohérence du projet initial souhaitée par Macron. En effet, l’usage de l’article 49.3 permettant l’adoption sans vote, sauf motion de censure, est désormais réduit à une fois par session, hormis pour l’adoption du budget et celle sur le financement de la sécurité sociale. Des débauchages individuels sont toujours possibles mais il semble difficile pour le gouvernement de trouver 45 députés pour l’assurer à tous coups d’une majorité.
La bourgeoisie française se trouve donc devant une difficulté, alors qu’elle aurait plutôt besoin d’un gouvernement fort pour affronter les problèmes qui s’accumulent, la baisse de la croissance, comment imposer aux travailleurs la baisse des salaires rognés par l’inflation, comment préserver le taux de profit, comment financer le cout de l’endettement public, comment défendre sa place en Europe et dans le reste du monde…
La classe ouvrière doit se saisir de cette situation. Avec l’inflation et le ralentissement économique, la paupérisation va s’accélérer pour des couches de plus en plus larges de travailleurs, de retraités, dans la jeunesse. Et ce n’est pas le projet de loi « sur le pouvoir d’acha »t, qui ne sera fait que d’expédients, qui changera quelque chose, pour autant d’ailleurs que le gouvernement réussisse à le faire voter. L’hôpital public menace de sombrer, la prochaine rentrée des classes sera plus difficile, les situations de blocage et de déliquescence se multiplient…
L’issue ne viendra pas du Parlement, pas plus aujourd’hui qu’hier. Des grèves pour les salaires touchent chaque semaine des entreprises et le mécontentement s’exprime sous de multiples formes dans les hôpitaux. Soit la bourgeoisie, après une phase d’instabilité et de paralysie relative de son gouvernement, choisira le retour à l’ordre au moment le plus favorable pour elle, en dissolvant l’Assemblée nationale en s’appuyant, outre sur Ensemble, sur un autre parti bourgeois (LR, EELV, voire le RN) ou en dernier recours à un gouvernement de type front populaire (subordonnant LFI, le PCF et le PS au sauvetage du capitalisme français).
Soit la classe ouvrière parvient à déborder le dispositif des appareils syndicaux, des chefs réformistes et centristes, qui vont encore et encore tenter de l’enfermer dans le rituel des journées d’action et de la concertation avec le gouvernement. En contrôlant son propre mouvement par des assemblées générales, des comités de grève élus et une centralisation des comités, elle engage le combat frontal dans la grève générale pour toutes ses revendications, à commencer par l’indexation immédiate des salaires, des retraites et des allocations sur les prix et elle peut ouvrir la voie d’un gouvernement des travailleurs.