L’impérialisme allemand à un tournant

L’impérialisme allemand bousculé par la montée des tensions internationales

Quatrième économie mondiale par la taille de son PIB, l’Allemagne est de loin la première puissance de l’Union européenne. Toutefois cette place ne vaut pas rente de situation. En 2021, pour la 5e année consécutive, l’excédent de la balance commerciale est en baisse, même si le résultat affiché de plus de 173 milliards d’euros fait pâlir d’envie le capitalisme français lourdement déficitaire.


Dès 2018, des signaux de plus en plus nombreux indiquaient que l’impérialisme allemand ne pourrait poursuivre sur sa lancée qu’en opérant des choix stratégiques indispensables. La montée en puissance de l’impérialisme chinois, sa rivalité croissante avec l’impérialisme américain, l’émergence de redoutables concurrents dans le domaine de prédilection de l’industrie allemande, l’automobile, la sécurisation de son approvisionnement énergétique, sont autant de questions qui bousculent la bourgeoisie allemande et l’obligent à sortir de sa zone de confort. En effet, si la doctrine du « Wandel durch Handel » (le changement par le commerce) avait jusque-là plutôt réussi à la bourgeoisie allemande, consistant essentiellement à faire des affaires avec tout le monde sans se fâcher avec personne, force-lui est de constater que les limites sont désormais atteintes. Ainsi, si le patron de Siemens pouvait encore déclarer le 8 septembre 2019 à propos des droits de l’homme en Chine : « L’Allemagne doit veiller à bien faire la balance entre ses valeurs morales et ses intérêts », il s’inquiétera soudain le 10 septembre 2020 du sort des Ouigours du Xinjiang. Que l’on se rassure, pour ce patron emblématique de la bourgeoisie allemande, la défense de ses intérêts prime bien toujours sur celle de ses valeurs morales, mais voilà que la Chine est désormais qualifiée par le patronat allemand, non plus de partenaire, mais de « rival systémique ».

Mais que faire ? La Chine est le premier fournisseur de l’Allemagne depuis plusieurs années, et son deuxième client pour ses exportations. Et cette tendance ne fait que se renforcer, alors que l’impérialisme américain presse la bourgeoisie allemande pour la rallier à sa croisade contre l’impérialisme chinois. Le secteur automobile emploie en Allemagne quelques 12 % de la main-d’œuvre industrielle et témoigne de la profonde imbrication de l’économie allemande dans l’économie mondiale, puisque 75 % des voitures produites en Allemagne sont exportées en même temps que 70 % des voitures allemandes sont construites à l’étranger. La part des constructeurs allemands sur le marché des Etats-Unis est de 8 %, elle atteint 24 % en Chine. L’industrie automobile allemande doit réussir à marche forcée le passage aux véhicules électriques, ce qui signifie non seulement de lourds investissements, mais aussi de se débarrasser de centaines de milliers de travailleurs désormais inutiles. Mais aujourd’hui, l’Allemagne redoute tout à la fois la concurrence de Tesla, constructeur américain installé y compris en Allemagne, redoutable pour ses modèles haut de gamme, précisément ceux qui rapportent le plus, qui prévoit de produire 20 millions de véhicules en 2030, et la montée en puissance de la concurrence chinoise, qui pourrait bien remettre en cause l’implantation allemande sur le marché chinois. Plus généralement, l’importance des exportations allemandes vers la Chine, qui représentent quasiment la moitié des exportations européennes, peut devenir une faiblesse si les relations économiques devaient se tendre, dans la foulée des rivalités entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois.

Quant à l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne, fragilisé par l’abandon du nucléaire et l’impossibilité pour les énergies renouvelables de pourvoir en continu aux besoins nécessaires, la bourgeoisie avait cru pouvoir le sécuriser en finalisant le doublement du gazoduc Nord Stream avec la Russie, malgré l’opposition de l’impérialisme américain, levée du bout des lèvres par Biden au début de son mandat. Enfin l’impérialisme français, en perte de vitesse et de loin dominé économiquement par l’impérialisme allemand, lui dispute pourtant sa place en Europe sur le seul terrain où il garde un avantage, celui des capacités militaires, et ne cesse de pousser les feux d’une chimérique défense européenne qui serait à son avantage. Ainsi, au moment du départ de Merkel, les problèmes non résolus ou mal résolus s’accumulent. L’agression militaire de l’impérialisme russe contre l’Ukraine entamée le 24 février aggrave les contradictions précédentes et en précipite de nouvelles pour la bourgeoisie allemande. Le nouveau gouvernement de coalition, issu des élections du 21 septembre 2021, constitué autour du SPD avec le FPD et le parti écologiste Die Grünen avait déjà affiché son ambition de redonner à l’Allemagne la place politique correspondant à son poids économique, en Europe, pour contrer notamment les velléités incessantes de l’impérialisme français, mais aussi de durcir les conditions des échanges avec la Chine, renvoyant la ratification du traité sur les investissements conclu précipitamment fin 2020 entre l’UE et la Chine aux calendes. L’aggravation des tensions internationales nées de la guerre en Ukraine va le contraindre à avancer beaucoup plus vite et beaucoup plus loin que prévu initialement pour sauvegarder les intérêts de l’impérialisme allemand.

La redistribution des cartes après les élections au Bundestag

Les élections du 26 septembre 2021 au Bundestag ont mis fin à 16 années de gouvernements dominés par l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti principal de la bourgeoisie allemande depuis 1945, flanqué de son alter ego bavarois, la CSU, et dirigés par la chancelière Merkel. Avec un taux de participation de 76,6 %, à peine supérieur à celui des élections de 2017, les scores des différents partis marquent d’importantes variations.

Note : Les élections au Bundestag ont ceci de particulier que les électeurs disposent de 2 voix, la première pour désigner directement leur représentant, la deuxième pour un vote à la proportionnelle.

La CDU/CSU obtient même le pire résultat de son histoire. Jusqu’alors, la CDU/CSU n’était jamais passée sous la barre des 30 %. Créditée de 41,5 % des voix en 2013, elle avait déjà dégringolé à 32,9 % en 2017. La voilà à 24,1 % ! Son candidat désigné pour succéder à Merkel à la chancellerie résume à lui-seul l’indécision de la principale force politique de la bourgeoisie allemande pour faire face aux échéances qui l’attendent. Personnage falot, se classant lui-même comme un « modéré », Laschet avait été imposé par l’appareil du parti plutôt qu’élu à la direction de la CDU en avril 2021, contre l’avis des fédérations locales, apparaissant comme le plus petit dénominateur commun entre les différentes orientations traversant la CDU, dont notamment une aile plus droitière qui voyait dans la désignation du bavarois de la CSU Söder un meilleur choix. Le terne Laschet, homme d’appareil formé aux manœuvres par temps calme, avait fait du mot d’ordre « Pour que l’Allemagne reste stable » son slogan de campagne. Or, autant du point de vue de la bourgeoisie que de celui de la classe ouvrière ou de la petite bourgeoisie, mais naturellement pour des raisons différentes, la continuité de la politique de compromis permanent, à l’intérieur comme à l’extérieur, de Merkel ne correspondait plus aux attentes. L’immobilisme tranquille prôné par Laschet n’a donc convaincu ni les uns ni les autres.

Profitant partiellement de ce recul, le Parti libéral-démocrate (FDP), parti bourgeois traditionnellement très proche des positions du patronat allemand, augmente son score sur le dos de la CDU.

Le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) a été présenté comme le grand vainqueur de cette élection. Gagnant en effet plus de 2 400 000 voix, soit environ 5 % de plus, le SPD arrive en tête. Mais il ne fait que retrouver avec 25,7 % des voix son score de 2013, bien inférieur à celui des années fastes où le SPD caracolait jusqu’à 45 % des voix. Son candidat, Scholz, est un vieux briscard, membre de l’aile gauche dans sa jeunesse folle aux seins des Jusos, les jeunesses du SPD, mais rapidement devenu bureaucrate, promu secrétaire général du SPD sous la présidence de Schröder qu’il soutient dans la mise en place des lois Hartz qui ont durement attaqué les droits des travailleurs, ministre des finances dans le dernier gouvernement Merkel.

Mais le SPD espère que tout cela est oublié après 16 ans dans l’opposition. Ainsi, ce Scholz, hier encore partisan des sacrifices pour la classe ouvrière, a promis soudain aux travailleurs dans sa campagne trois choses : le relèvement du salaire minimum à 12 euros brut dès 2022, soit 25 % d’augmentation, qui concernera environ 10 millions de salariés, la construction de 400 000 logements par an et l’engagement de ne pas relever à nouveau l’âge de départ à la retraite. Voilà des concessions électoralistes, certes bien timides au regard des véritables besoins des masses, mais qui tranchent avec la soupe à la grimace à laquelle le SPD, dont le sieur Scholz, avait habitué les travailleurs. Encore faut-il de suite préciser qu’un salaire minimum à 12 euros brut de l’heure permet juste de survivre aujourd’hui en Allemagne, a fortiori avec une inflation de 5,5 % depuis un an, que la construction de logements, certes indispensable, ne suffira pas à mettre fin à la spéculation immobilière qui ravage les grandes villes, à commencer par Berlin, alors que le cout du logement rapporté revenu disponible est parmi les plus élevés en Europe. Enfin l’âge de départ à la retraite pour bénéficier d’une pension complète a déjà été porté de 65 à 67 ans d’ici à 2029, mais le patronat allemand exige qu’il soit repoussé à 70 ans, avec le soutien enthousiaste du FDP, ce qui indique que l’affaire sera sans aucun doute remise sur le tapis prochainement.

Le SPD retrouvant quelques accents réformistes, Die Linke (La Gauche, DL, qui fut un modèle pour Mélenchon) s’est vue couper l’herbe sous le pied par effet de vases communicants. En effet, ce parti « populiste de gauche » qui trouve son origine en 2005 dans une scission du SPD aux pires moments de l’ère Schröder et dans la fusion avec les successeurs du parti stalinien officiel de l’ex-RDA, occupait en partie la place du réformisme bon teint, laissée vacante par la gestion capitaliste loyale du SPD.

Die Linke a besoin d’une double stratégie de restructuration socio-écologique et d’un populisme de gauche. Le populisme de gauche signifie cibler ceux qui sont marginalisés dans notre société d’une manière ciblée et pointue. (Katja Kipping, coprésidente de DL de 2012 à 2021, Der Tagesspiegel, 18 avril 2011)

Patatras ! Le changement de pied, pourtant très mesuré, du SPD, et la percée du parti écologiste Bundnis90/Die Grünen (Les Verts, DG) qui chasse sur les mêmes terres que DL, a précipité sa chute en divisant ses voix par deux et en la faisant passer sous la barre des 5 %.

DG augmente de près 2 700 000 son nombre de voix, le portant à la 3e place avec 14,8 % des suffrages. Il prend des voix aussi bien dans l’électorat traditionnel du SPD que dans celui de la CDU, mais aussi dans celui de DL, dans les villes universitaires, parmi la population la plus éduquée et bénéficiant d’un bon niveau de vie, alors que ses résultats sont bien moindres dans la partie Est de l’Allemagne, plus pauvre, souvent moins diplômée et avec un taux de chômage plus important. C’est un parti rompu dans les Länder aux jeux des coalitions à géométrie variable avec toutes les forces politiques, à l’exception de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), du moment qu’il obtient des places. Il profite de l’inquiétude croissante, notamment dans la jeunesse, générée par les destructions environnementales et le réchauffement climatique, en se gardant bien de remettre en cause le capitalisme qui les provoque. C’est au contraire la pointe avancée de la défense du capitalisme vert en Allemagne, au mépris de toute cohérence.

Quant au parti fascisant AfD, qui en 2017 avait raflé la 3e place avec 12,6 % des voix, il recule en perdant 1 million de voix, sans s’effondrer. Il se maintient notamment à l’Est en mordant sur l’électorat de Die Linke. Avec 10,3 % des suffrages, il conserve 83 députés au Bundestag.


L’énergie, le talon d’Achille du capitalisme allemand

Le 24 novembre, Scholz a présenté le contrat de coalition entre le parti socialiste, le parti libéral et les Verts, entériné après presque 2 mois de négociations sur le programme à mettre en œuvre comme sur les places réservées aux uns et aux autres. DG obtiennent des places importantes, avec un grand ministère de l’économie, de l’énergie et du climat, les affaires étrangères, la famille et la culture, le FDP occupe le ministère des transports, et surtout celui des finances, d’où il compte bien imposer le retour à l’équilibre des comptes dès 2023. À peine un mois plus tard, la mise en service du gazoduc Nord Steam 2 oppose le SPD aux ministres DG et FDP.

En l’état actuel des choses, ce gazoduc ne peut pas être approuvé, parce qu’il ne respecte pas les exigences de la législation européenne sur l’énergie et parce que les questions de sécurité restent ouvertes. (Annalena Baerbock, ministre des affaires étrangères, ZDF, 12 décembre)

D’un point de vue géopolitique, Nord Stream 2 est une erreur. D’ailleurs, tous les pays ont toujours été contre, sauf l’Allemagne et l’Autriche. (Robert Habeck, ministre de l’économie, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 19 décembre)

Antérieurement à leur entrée dans le gouvernement Scholz et bien avant le rassemblement des forces militaires de l’impérialisme russe autour de l’Ukraine, le FDP était déjà partisan d’un alignement sur la demande de l’impérialisme américain que l’Allemagne choisisse son gaz de schiste plutôt que le gaz sibérien. Quant aux DG, le refus du deuxième gazoduc russe tenait alors plutôt d’un mélange entre la croyance, car il n’y a guère d’autre mot, que le développement accéléré des énergies renouvelables allait permettre de couvrir les besoins à la place du gaz russe et la volonté de redonner à l’Ukraine une place centrale dans le transit du gaz russe vers l’Europe, que Nord Stream 2 permettait à l’impérialisme russe de contourner en partie. Cette question de l’approvisionnement énergétique reste le talon d’Achille de l’impérialisme allemand. Merkel a décidé de renoncer au nucléaire après l’accident de Fukushima de 2011. Les centrales à charbon ont donc tourné à plein régime. Or, malgré un développement très volontariste des énergies renouvelables en Allemagne, il est évident, sauf pour le parti écologiste, que la stabilité et la continuité de la fourniture d’électricité ne peut être assuré par ce type d’énergie, tant que ne sont pas résolus de manière économiquement viable pour le capitalisme les problèmes de stockage ou de conversion de ces énergies intermittentes en énergie pérenne au moyen par exemple de la production d’hydrogène à grande échelle.

L’apport du gaz russe, déjà assuré par Nord Stream 1, devait donc nécessairement augmenter grâce à Nord Stream 2 pour permettre à l’Allemagne d’une part de cesser d’utiliser ses centrales à charbon, ce qui est bien le moins qui pouvait être fait au regard des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’autre part de moins dépendre de ses achats d’électricité sur un marché européen de plus en plus tendu. Mais brûler du gaz dans une centrale émet du CO2, de l’ordre de 440 grammes par KWh produit. Habeck, le ministre DG de l’économie, de l’énergie et du climat constate le 11 janvier dernier que les objectifs de baisse des émissions carbone ne sont pas tenus et que celles-ci repartent au contraire à la hausse. Dans une sorte de fuite en avant, il avertit que le gouvernement va imposer que 2 % du territoire soit réservé à l’implantation d’éoliennes terrestres, avec l’objectif que les énergies renouvelables couvrent 80 % des besoins d’ici huit ans, avec la construction de 1 000 à 1 500 éoliennes par an. Or les besoins en électricité vont croissant, qu’il s’agisse de l’automobile, du numérique, de l’industrie, et devraient passer dans le même temps de 560 térawattheures par an à 750. Cela ressemble déjà à la quadrature du cercle.

De plus, la guerre en Ukraine oblige l’impérialisme allemand, sous la pression de l’impérialisme américain, mais aussi français, à renvoyer sine die l’ouverture de Nord Stream 2. Les pays les moins dépendants de la fourniture du gaz russe, parmi lesquels la France (19 % de son gaz proviennent de la Russie contre 65 % pour l’Allemagne), mènent la danse dans l’UE pour diminuer des deux tiers l’approvisionnement européen en gaz russe d’ici fin 2022. Plus vite dit que fait !

L’approvisionnement de l’Europe en énergie pour la production de chaleur, la mobilité, l’électricité et l’industrie ne peut pas être assuré autrement pour le moment. (Olaf Scholz, Communiqué, 11 mars)

L’impérialisme allemand n’entend pas se voir imposer un calendrier qui le laisserait particulièrement vulnérable : A l’issue du sommet européen des 10 et 11 mars à Versailles, on ne parle plus que de faire des plans en tenant compte de la situation particulière de chaque pays. Quant aux ministres Verts, pourtant jusque-là farouches partisans de renoncer au gaz russe, un virage sur l’aile s’impose :

Ça ne sert à rien si dans trois semaines on découvre que nous n’avons plus que quelques jours d’électricité en Allemagne et qu’il faut donc revenir sur ces sanctions. (Annalena Baerbock, ministre des affaires étrangères, ARD, 13 mars)

Et voilà que, tout en lançant la construction de terminaux pour réceptionner et traiter le gaz liquéfié américain, le ministre « écologiste » de l’économie, de l’énergie et du climat, après avoir constaté qu’il était impossible techniquement de relancer en catastrophe les derniers réacteurs nucléaires en phase d’arrêt définitif, envisage qu’à « court terme, il se peut que, par précaution et afin de se préparer au pire, nous devions garder les centrales à charbon en veille et peut-être même les laisser fonctionner » et même de retarder leur fermeture complète prévue pour 2030.

Le pas décisif du militarisme

Dans le domaine militaire, l’État impérialiste allemand opère un tournant majeur. Le 26 février, deux jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, le gouvernement allemand décide de livrer des armes létales à l’Ukraine.

En Allemagne, la récente coalition des sociaux-démocrates, des verts et des libéraux jette aux orties ses oripeaux pacifistes ; se contentant jusqu’alors d’offrir des casques, il se dépêche désormais d’envoyer des armes antichars et antiaériennes. (The Economist, 5 mars 2022)

Le 27 février, Scholz déclare «il est clair que nous devons investir beaucoup plus dans la sécurité de notre pays, afin de protéger notre liberté et notre démocratie », annonce une enveloppe d’urgence de 100 milliards d’euros pour l’armée (en sus des 50 milliards d’euros déjà dépensés annuellement) et indique qu’il augmentera le budget de la défense d’année en année pour atteindre plus de 2 % du PIB. Pour DG, Berlin vaut bien une messe et leur pacifisme est prestement rangé au rayon des accessoires.

Quand le monde change, la politique doit changer, l’Allemagne est en train de rompre avec une forme de retenue particulière et solitaire en matière de politique étrangère et de sécurité (Annalena Boerblock, Discours au Bundestag, 27 février)

Il est vrai que Die Grünen présentait de solides références avec Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères de Schröder, qui fut un des principaux artisans des bombardements de la Serbie par les armées de l’OTAN, dont l’Allemagne, en 1999.

L’impérialisme français se réjouit : n’y-a-t-il pas là enfin l’opportunité d’avancer ses pions pour une défense européenne autonome, dont ses industries d’armement, notamment dans l’aviation, pourraient profiter, et qui lui redonnerait une marge de manœuvre ? La décision de l’État allemand annoncée le 14 mars d’acquérir 35 avions de combat américains F35 pour remplacer les appareils vieillissants de la Bundeswehr vient singulièrement doucher cette attente et confirme le rôle prioritaire donné à l’OTAN par l’Allemagne.

Pourtant, Scholz ne ferme pas la porte au développement de projets d’armements européens. L’industrie allemande en effet se classe à la quatrième place des pays exportateurs d’armement dans le monde, derrière la France, la Russie et les Etats-Unis. Mais qu’il s’agisse de futurs avions de combat ou de chars conçus et produits par plusieurs pays européens, l’impérialisme allemand défendra sa place face à l’impérialismes français. Les démêlés incessants entre capitalistes français, allemands et dans une moindre mesure espagnols, dans la conception du futur avion de chasse européen SCAF, allant jusqu’à hypothéquer son avenir, montrent les limites de l’exercice.

Cette décision est historique car elle vise à mettre fin à la limitation de la puissance militaire de l’impérialisme allemand, issue de la seconde guerre mondiale et jusqu’ici volontairement intégrée par la bourgeoisie allemande comme une condition du développement de ses relations internationales. Souvent qualifiée, avec une certaine exagération, de géant économique, mais de nain politique, la bourgeoisie allemande, non pas suite à la mise en œuvre d’un plan longuement mûri, mais plutôt en réaction à la pression des tensions inter-impérialistes, franchit un pas lourd de conséquences en affirmant sa volonté de retrouver tous les attributs d’une puissance impérialiste.

Pour un parti révolutionnaire en Allemagne

C’est au Parti social-démocrate, parti charnière du nouveau gouvernement allemand, qu’échoit la responsabilité de conduire au mieux des intérêts de la bourgeoisie allemande ce tournant décisif sur le dos des travailleurs (sur qui retombera le financement du militarisme, sans parler du risque d’une confrontation armée entre puissances impérialistes). Le prolétariat allemand ne peut être que profondément désorienté politiquement, laissé sans perspective, tant par le rôle joué par le SPD que par l’impasse de son flanc gauche, le social-réformisme à la sauce de Die Linke Les organisations se réclamant du trotskysme, en réalité profondément centristes, se comportant en opposition de sa majesté dans DL, aucune avant-garde, pour le moment, ne peut dans ces conditions se dégager sur un programme ouvrier révolutionnaire.

Pourtant, le prolétariat allemand est puissant par sa taille, avec des partis qui remportent plus de 30 % des suffrages et avec un taux de syndicalisation encore autour de 20 %, mais des appareils syndicaux très profondément intégrées à la bourgeoisie par le biais du système de cogestion des entreprises. Le durcissement des tensions internationales va nécessairement entrainer des répercussions défavorables à la classe ouvrière allemande, à la jeunesse, à toute une partie de la petite-bourgeoisie qui poseront avec plus encore d’acuité la nécessité d’une organisation révolutionnaire, pour un gouvernement ouvrier, pour un programme ouvrier, pour l’internationalisme, pour les États-Unis socialistes d’Europe.