La Poste et l’État français, les nouveaux esclavagistes

Depuis le 15 novembre, 70 travailleurs sans-papiers de DPD, une filiale du groupe la Poste ont entamé une grève à Coudray-Montceaux dans l’Essonne.

Sur les 400 personnes travaillant sur le site, 180 sont sans-papiers. La situation précaire de ces derniers permet à l’employeur d’imposer des conditions de travail pourtant illégales, les chargements et déchargements des camions sont chronométrés, les journées font parfois 13 heures, les heures supplémentaires ne sont pas toujours payées, les fins de journées tardives et l’isolement du site forcent les travailleurs à rentrer chez eux parfois en marchant pendant des heures. Tout cela sous la surveillance des 495 caméras de surveillance du site.

Certains sont obligés de marcher pendant une heure pour rallier Corbeil-Essonnes, puis prendre deux bus de nuit. (Christian Schweyer, membre du collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry, AFP, 15 novembre 2021)

Les travailleurs sans-papiers sont fournis par le groupe Derichebourg qui les recrute lui-même à sa propre agence d’intérim. La direction de DPD met sciemment les salariés de l’entreprise et les sans-papiers intérimaires en concurrence, les colis lourds sont réservés aux seconds. Afin d’éviter tout rapprochement, le patron va jusqu’à séparer physiquement des employés de DPD des intérimaires de Derichebourg.

Une main d’œuvre corvéable

Les intérimaires sont renouvelés à la semaine, voire à la journée, ce qui rend impossible toute résistance individuelle, l’employeur n’ayant qu’un texto à envoyer pour signifier la fin de la mission. La seule solution s’offrant à eux est la lutte collective et, là encore, non sans risque car une défaite signifie la perte de son emploi. À cela, s’ajoutent des difficultés conjoncturelles car depuis le début de la crise sanitaire, la situation des sans-papiers s’est dégradée, ceux-ci n’ayant pas eu droit au chômage partiel.

La Poste et les boites d’intérim sous-traitent […] une main-d’œuvre qu’elles trouvent facilement et qu’elles peuvent exploiter. (Catherine Fayet, secrétaire du syndicat Solidaires 91, AFP, 15 novembre 2021)

Malgré cela, forts de leur importance dans la chaine de livraison et de leur poids numérique dans l’entreprise, une partie d’entre eux entame une grève afin de mettre un terme aux conditions de travail qu’ils dénoncent et d’obtenir leur régularisation. Le mois de novembre correspond à une hausse de l’activité liée aux fêtes de fin d’année, ce qui a décidé ces travailleurs à faire grève à cette période. Les 70 grévistes ont d’abord tenu 2 piquets de grève, à l’intérieur et à l’extérieur du site, mais la justice bourgeoise saisie par l’entreprise les a obligés le 30 novembre à abandonner le piquet intérieur. Depuis, les grévistes se relaient sur le piquet extérieur, passant la nuit dans des tentes malgré le froid. Le Comité de travailleurs sans-papiers de Vitry (CTSPV) leur apporte son soutien logistique de même que les sections Solidaires 91 et SUD Poste 91.

Le groupe La Poste récuse son implication, arguant qu’aucun des grévistes n’a été employé par DPD. Ce dernier de son côté reconnait que certains ont pu travailler sur le site en « présentant de faux papiers » lors de leurs embauches par Derichebourg C’est vrai mais arrange bien l’employeur qui le sait pertinemment au moment de l’embauche et nie ainsi toute responsabilité, en expliquant avoir été dupé.

Le système de sous-traitance à étages mis en place par La Poste pour embaucher une main-d’œuvre surexploitée, permet également à l’entreprise de se dédouaner de toute responsabilité et de déclarer que « DPD France condamne le recours au travail illégal et les sociétés partenaires avec lesquelles elle travaille régulièrement lui garantissent le respect de l’ensemble de leurs obligations vis-à-vis de la législation ».

Une mobilisation qui fait des émules

De juin 2019 à janvier 2020 une grève de sans-papier avait déjà touché une filiale de la Poste, Chronopost à Alfortville dans le Val-de-Marne et c’était déjà Derichebourg Intérim qui fournissait la main d’œuvre sans-papier corvéable, les grévistes qui dénonçaient un nouvel esclavage, avaient obtenu la régularisation de 27 d’entre eux [voir Révolution communiste n° 38, février 2020]. Le 6 décembre, ils se remettent en grève en dénonçant les mêmes méthodes qu’il y a deux ans et l’enlisement des dossiers de régularisation administrative. Le patron (la Poste), soucieux de ne pas voir s’unifier les fronts face à elle, a fait expulser le piquet de grève par la police deux heures seulement après son installation.

Le 22 octobre 2021, 83 sans-papiers employés par la société d’intérim RSI cessent aussi le travail, tenant un piquet devant l’agence spécialisée dans le BTP basée à Gennevilliers. Belvedia, la société-mère de RSI, a fini par céder et délivrer les documents CERFA ainsi que les attestations de concordance indispensables pour entamer des demandes de régularisation. Mais, forts de l’expérience de la grève de Chronopost, ils décident de maintenir leur piquet pour faire pression sur la préfecture cette fois-ci. Les grévistes de Gennevilliers manifestent en commun le 29 décembre avec leurs camarades d’Essonne et d’Alfortville, tous soutenus par le CTSPV.

Le capitalisme, l’immigration et la classe ouvrière

Dans le système français, c’est à l’employeur de fournir les documents nécessaires à la régularisation de ses salariés sans-papiers. Or, celui-ci n’a aucun intérêt à le faire ; au contraire, cela lui ôte un moyen de pression pour maximiser l’exploitation de ces salariés tout en s’assurant de leur docilité.

La « prise de rendez-vous numérique » mise en place par le gouvernement Hollande-Valls et renforcée par Edouard Philippe accroit encore la difficulté d’obtenir un titre de séjour. Des centaines de personnes s’entassent chaque jour pendant des heures devant les préfectures pour déposer leurs dossiers, l’État profitant de cette occasion pour ajouter leurs empreintes digitales dans ses fichiers.

Le capitalisme des pays impérialistes comme la France profite d’un côté de la main d’œuvre immigrée des économies dominées que les conditions précaires voire illégales fragilisent et de l’autre côté la dénonce aux ouvriers nationaux, via certains médias, certains journalistes, les partis bourgeois « républicains » ou fascisants comme la cause des maux du capitalisme (chômage, perte de pouvoir d’achat, manque de logement, etc.).

Déjà au 19e siècle, les capitalistes anglais, tout en profitant de l’immigration issue de leur colonie irlandaise dans leurs usines, leurs mines, leurs fermes, leurs domiciles, distillaient consciemment le poison du chauvinisme et du racisme pour diviser les rangs ouvriers.

Cet antagonisme est artificiellement maintenu et intensifié par la presse, les orateurs, les caricatures, bref, par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C’est le secret grâce auquel la classe capitaliste maintient son pouvoir. Et cette classe en est parfaitement consciente. (Karl Marx, Lettre à Sigfrid Meyer et August Vogt, 9 avril 1870)

Aujourd’hui, en France, le capitalisme et son personnel politique se comportent exactement de la même manière. Valérie Pècresse, candidate LR à l’élection présidentielle, propose dans son programme une « loi constitutionnelle pour instaurer une immigration choisie avec des quotas par métiers et par pays », le marché aux bestiaux n’est jamais loin. Sans parler de Zemmour qui base toute sa campagne sur le racisme et veut « renvoyer tous les étrangers indésirables », c’est-à-dire indésirable pour la bourgeoisie.

Les ambigüités du « réformisme »

Certaines organisations syndicales tournent de fait le dos aux plus exploités (CFDT, FO, UNSA…). Et même celles qui défendent occasionnellement des travailleurs étrangers (CGT, SUD) isolent souvent ceux-ci du reste des travailleurs de leur entreprise et de l’ensemble de la classe ouvrière. Fin octobre, plus de 200 travailleurs sans-papiers avaient entamé un mouvement de grève coordonné par la CGT, sur au moins onze sites d’Ile-de-France, pour obtenir leur régularisation.

Ils se sont mis en grève avec la CGT pour forcer leurs employeurs à soutenir leur régularisation. (CGT, La Régularisation au bout des grèves coordonnées, 17 novembre 2021)

Nous appelons l’ensemble des sans-papiers à se regrouper, s’organiser et rejoindre une organisation de lutte (Syndicats et collectifs de sans-papiers) et l’ensemble du monde du travail à soutenir la lutte en cours des travailleurs sans papiers. (Solidaires, Communiqué de soutien au mouvement en cours des travailleuses et travailleurs sans papiers, 27 octobre 2021)

N’organisant pas la grève coordonnée des travailleurs avec ou sans papier, les directions syndicales se contentent d’appeler le reste de la classe ouvrière à « soutenir » et à se montrer « solidaire », au risque que l’isolement conduise à la défaite.

Quant à eux, les partis issus de la classe ouvrière qui se proposent de gouverner pour le compte de la bourgeoisie se vautrent dans un chauvinisme des plus puants. Un député de LFI abonde dans le sens de la xénophobie.

Je suis favorable au retour des frontières aussi pour les gens du Nord qui vont voyager partout dans le monde, il faut poser des limites aussi à la circulation tous azimuts des personnes. (François Ruffin, France Inter, 2 décembre 2020)

Le candidat LFI à la présidentielle s’est toujours prononcé pour une immigration sélective.

Je n’ai jamais été pour la liberté d’installation et je ne vais pas commencer aujourd’hui. Mais est-ce que s’il venait 10 000 médecins s’installer en France, ce serait une chance ? Oui. (Jean-Luc Mélenchon, Le Monde, 24 aout 2016)

Le PCF qui avait alors feint de s’offusquer n’est aujourd’hui pas en reste.

Parlons-en de l’immigration ! Je suis pour stopper cette immigration organisée par les traités libéraux de Bruxelles qui met les salariés, les ouvriers en concurrence entre eux. Parlons de ça ! Parlons chiffres ! (Fabien Roussel, France 3 Nord, 23 septembre 2019)

Se camouflant derrière la défense des travailleurs nationaux ou de la misère des pays du Sud, les chefs réformistes font miroiter l’utopie réactionnaire d’un capitalisme prospère dans un seul pays cloitré dans ses frontières nationales, alors qu’il s’agir de se débarrasser du capitalisme et de ses frontières archaïques qui ne protègent de rien, ni des guerres, ni des crises économiques, ni des épidémies, ni du réchauffement climatique…

Nul doute que seule une extrême misère force les gens à quitter leur patrie, que les capitalistes exploitent de la façon la plus éhontée les ouvriers émigrés. Mais seuls les réactionnaires peuvent se boucher les yeux devant la signification progressive de cette moderne migration des peuples. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de délivrance du joug du capital sans développement continu du capitalisme, sans lutte des classes sur son terrain. Or, c’est précisément à cette lutte que le capitalisme amène les masses laborieuses du monde entier, en brisant la routine rancie de l’existence locale, en détruisant les barrières et les préjugés nationaux, en rassemblant des ouvriers de tous les pays dans les plus grandes fabriques et mines d’Amérique, d’Allemagne, etc. (Vladimir Lénine, Le Capitalisme et l’immigration des ouvriers, 29 octobre 1913)

Pour l’internationalisme prolétarien

Toutes les organisations ouvrières, syndicales et politiques, devraient opposer à la surexploitation et à la division un seul front :

  • Des titres de séjour pour tous les réfugiés, travailleurs, lycéens et étudiants étrangers séjournant durablement en France !
  • Mêmes droits pour tous les travailleurs !
  • Fermeture immédiate de tous les centres de rétention !
  • Liberté pour les réfugiés, pour les travailleurs et leurs familles, pour les étudiants de circuler et de s’établir où ils le désirent !

7 janvier 2022