La veille, l’ensemble des mesures nationales avait reçu un nouveau coup d’accélérateur : confinement à partir du 22 novembre, vaccination obligatoire à partir de février 2022.
Lors des précédents attroupements des antivaccins, des négateurs du coronavirus et autres « citoyens inquiets », la prétendue extrême-gauche avait mis en avant ce sentiment d’inquiétude plus que justifié face à ces mesures autoritaires et par extension, au renforcement de « l’État de surveillance ». La population a été trompée, « les gens sont facilement récupérables ». Mais en fait et depuis bien longtemps, ce sont ces mêmes organisations prétendument révolutionnaires qui tentent de récupérer ce « mouvement de masse ».
À leur tête, le RKOB [un groupe « trotskyste » pro-islamiste], proclamé champion de la lutte contre la « corona-dictature » qui avance une argumentation réactionnaire dont la « déclaration de Great Barrington » [publiée le 4 octobre 2020 par l’institut capitaliste AIER, elle s’opposait aux mesures préventives, l’AIER « libertarienne » qui siège à Great Barrington minimise aussi le réchauffement climatique]. Viennent ensuite les Antifaschistiche Action Vienna rassemblés autour de leur Antifaschistisches Infoblatt [Bulletin d’information antifasciste] et qui ont pris le nom de Volkswiderstand [Résistance du peuple] pour manifester aux côtés des fascistes identitaires. L’AFA est un groupe mao-stalinien qui ne doit pas être confondu avec les Autonomen Antifa, d’orientation anarchiste. Des intellectuels « de gauche » comme l’éditeur Hannes Hofbauer, des partisans du revenu universel comme Karl Reitter et Martin Birkner, Andrea Komlosy, professeure d’université et bien d’autres n’ont pas eu peur de rejoindre cette foule.
En fait, la nébuleuse de ceux qui n’ont jamais pris le virus au sérieux (« une méchante grippe tout au plus ») ou qui ont apparenté la lutte contre la pandémie à une attaque frontale contre le confort personnel (« je refuse de porter une muselière ») pratiquent depuis le début la technique du noyautage pour faire valoir leurs propos complotistes et fascistes. Immédiatement après la première marche de protestation, les divers éléments identitaires en ont profité pour prendre le wagon des antipasse et antivaccin au travers de leurs organisations de façade (« Die Österreicher » ou « info direkt »). Un milieu parfaitement adapté à ceux qui fondent leur existence sur des théories pseudo-scientifiques (« ethnopluralisme ») et qui s’y sentent comme des poissons dans l’eau. Les théories du complot sont toujours populaires en temps de crise. Les identitaires ont injecté aux antivaccins une bonne dose de xénophobie (« grand remplacement, au secours ! »), d’antisémitisme déguisé (« les mondialistes préparent la grande réinitialisation ! ») et de patriotisme stupide (ce qui revient à accrocher des drapeaux rouge-blanc-rouge aux lits des soins intensifs).
La politique irresponsable du gouvernement fédéral sortant ÖVP (Parti populaire autrichien, chrétien-démocrate)–Grünen (Les Verts, le principal parti écologiste), les mensonges avérés de l’ex-chancelier Sebastian Kurz, ont alimenté la méfiance de larges couches de la société à l’égard de la politique en général. La scène anti-vaccination est devenue intéressante pour le FPÖ. À la mi-mars 2021 qu’Herbert Kickl a posé son premier jalon lors d’un discours prononcé au Prater devant des milliers de « citoyens concernés ». Parmi les slogans d’une foule à forte résonance identitaire : « Kurz démission ! » et « Fin de la saleté mondialiste ! ». Gottfried Küssel, figure plusieurs fois condamnée par la justice du néonazisme autrichien, se tenait évidemment au premier rang, affichant un large sourire.
Le FPÖ a fourni aux chefs étranges et psychologiquement instables des négateurs du virus (Klauninger, Brejcha, Ehrlich, Ruttner…) plus de cohérence dans leur argumentation : il s’agirait de « liberté », de « protection de la constitution » et de « volonté du peuple ». Des justifications martelées à l’envi par leurs concurrents dans le mouvement antivaccs. Mais ce n’est qu’à travers le parti parlementaire FPÖ, qui s’est ramifié dans tous les domaines de cette toile d’araignée fasciste et fascisante, que ce leitmotiv a pris du poids et devient maintenant l’axe central de cette alliance contre nature.
Kickl use d’une rhétorique fortement inspirée d’un milieu avec lequel il n’est entré en contact que relativement tard, les corporations étudiantes allemandes nationalistes et fascisantes. Il emploie les concepts de « peuple » et de « liberté » d’une manière qui rappelle le mythe des corporations étudiantes au sujet de la révolution bourgeoise de 1848. Il s’agit là d’une liberté purement individuelle qui s’oppose directement à une conception solidaire de la liberté. Le « peuple » est une construction poreuse dont les membres sont sans cesse redéfinis et à laquelle des propriétés sont attribuées arbitrairement, principalement pour distinguer ce « peuple » des autres, de « l’étranger ».
Le zèle avec lequel Kickl s’est lancé dans la bataille du covid contre son ancien partenaire au gouvernement [le FPÖ et l’ÖVP avaient gouverné ensemble de 2017 à 2019] est sans doute aussi lié au fait que la chute du vice-premier ministre Strache [FPÖ] a aussi entrainé celle du « meilleur ministre de l’intérieur » Kickl. L’opposition du FPÖ dirigé par Kikcl à la « gestion de crise » désastreuse du gouvernement ÖVP-Grünen n’en est que plus venimeuse.
Alors que l’ÖVP sous l’égide de Kurz se conformait clairement au système de la « 3e République » mis en exergue par Jörg Haider [ancien chef du FPÖ, mort en 2008] – ici le peuple, là le parlement ; concentration du pouvoir dans une seule main (dixit Kurz) ; mise au rebut des partenaires sociaux et rejet de tout projet soupçonné d’un lien avec le SPÖ [Parti ouvrier socialiste, le principal parti réformiste], le FPÖ s’est soudainement retrouvé dans l’opposition après le scandale d’Ibiza. Si, sous Strache, le parti croyait encore pouvoir entamer le virage vers un régime autoritaire au prix d’une alliance avec l’ÖVP, il a dû se réorganiser à la fin de la coalition, d’autant plus que , après que l’ÖVP s’est emparée des positions occupées par le FPÖ au ministère de l’intérieur.
Depuis le déclenchement de la crise du coronavirus, le FPÖ a de nouveau l’opportunité de se poser en parti d’opposition, en s’attaquant à des mesures gouvernementales inadéquates et partiellement fondées, d’après eux, sur l’avis des experts. Cette caricature publique (les parlementaires FPÖ refusent de porter le masque) est devenue la force motrice du mouvement de déni du virus.
Lors de cette première vague de manifestations relativement forte, le FPÖ ne s’est pas gêné pour observer et analyser le phénomène de près. Kickl voulait sans doute voir comment les subalternes du ministre de l’intérieur Karl Nehammer (ÖVP) réagiraient à la « manifestation du peuple ». Après tout, près de 23 % des policiers ont voté pour le FPÖ aux dernières élections professionnelles.
Alors que la police réprimait fortement les manifestations antifascistes, des jeunes écologistes et antiimpérialistes, n’hésitant pas à user de la matraque et du gaz poivre, renversant ou tuant les gens au passage, les forces de l’ordre ont joué la carte de la désescalade lors des dernières manifestations. Les policiers ont détourné les yeux face aux antifascistes, aux journalistes et parfois les passants agressés publiquement par des voyous fascistes. Rien d’étonnant à ce que des porte-parole du « mouvement » comme Franz Rutter ou Alexander Ehrlich aient à plusieurs reprises remercié la police pour son « comportement exemplaire ».
Au fil des manifestations, il est devenu de plus en plus clair que des « populistes de droite » fascistes comme Martin Sellner (Identitäre Bewegung Österreich) et Gottfried Küssel (Corona-Querfront) ont façonné l’image et la ligne du mouvement. Depuis mars 2021 et le premier rassemblement du FPÖ au Prater, il n’y a aucune excuse à manifester aux côtés des hommes de Kickl, des groupes fascistes et autres voyous.
La quatrième vague de la pandémie, qui avait déjà été annoncée avant l’été, coïncidant avec les « écarts » honteux de Sebastian Kurz, a alimenté le débat sous toutes ses formes dans les médias de masse. L’affirmation selon laquelle il y aurait un manque d’information ne s’applique finalement pas à la majorité des non vaccinés et des antivaccins. En fait, il est clair qu’hormis quelques craintifs, les groupes antivaccins sont bercés par un mélange d’illusions religieuses ou ésotériques, de théories du complot profondément réactionnaires et d’un égoïsme sans limite qui place l’intérêt personnel au-dessus de celui de la collectivité.
Combien parmi eux sont encore capables d’entendre des arguments raisonnables ? Combien pourront mettre des bâtons dans les roues des fascistes avérés ou pas ?
Bien sûr, il y a des gens qui, et pour des raisons compréhensibles, n’ont pas encore été vaccinés, pour raison médicale, par exemple, ou chez les moins de 6 ans qui n’ont pour le moment pas de vaccin adapté. Enfin, il y a les plus défavorisés et il y a certainement un lien entre situation sociale, niveau d’éducation et origine ethnique.
Les quartiers de Vienne avec le plus mauvais taux de vaccination sont Favoriten (avec 59,5 %), Rudolfsheim et Brigittenau (avec chacun 60,7 %). Des arrondissements habités par respectivement 50,5 % de personnes d’origine étrangère pour Favoriten, 51,8 % pour Brigittenau et 53,7 % pour Rudolfsheim. Bien que la ville de Vienne ait fait paraitre assez tôt des informations en plusieurs langues sur la vaccination, il y a toujours aussi peu d’initiatives spécifiques aux étrangers migrants, comme par exemple la généralisation de bus de vaccination qui circuleraient en continu dans ces arrondissements.
C’est précisément sur cet axe que le mouvement ouvrier et surtout les syndicats auraient dû jouer un rôle important en encourageant la population (salariée) à se faire davantage vacciner. Si les syndicats donnent aujourd’hui principalement de bons conseils en droit du travail aux non vaccinés sur leurs pages de service, il n’y a pas eu de vaste campagne pour la vaccination. Il n’y en a pas eu non plus sur le lieu de travail. Les syndicats auraient dû mettre en place leurs propres bus de vaccination, où du personnel compétent aurait pu administrer les vaccins « à la volée » sur les chantiers, par exemple, ou dans les centres commerciaux. Rien n’a été fait. Aucune notice explicative non plus, dans l’éventail des langues fortement représentées chez les travailleurs immigrés. Cela aurait aussi montré ce que doit être un syndicat, une organisation de base pour les salariés. Mais visiblement la bureaucratie syndicale n’a pas voulu s’aventurer sur ce terrain, comme pour beaucoup d’autres questions. Un boulevard pour les charmeurs de serpents réactionnaires.
Tout est devenu très clair les 20 et 21 novembre. Bien entendu, tout le monde ne pouvait pas voir les banderoles identitaires en tête de cortège mais durant toute la manifestation, des chants n’ont cessé de s’élever contre les « antifa », la « saleté mondialiste » et la « grande réinitialisation ». Évidemment, condamner ou manifester en public son désaccord avec la vaccination ne fait pas de vous un nazi mais ce n’est pas une raison pour capituler devant les masses réactionnaires. Les anti-confinement et anti-vaccination qui n’ont rien à voir avec les nazis et les fascistes ont eu tout le loisir de quitter le rassemblement à ce moment-là et pourtant ils ne l’ont pas fait.
Ce que le 20 novembre a montré, c’est que pour la première fois, le FPÖ a réussi à monter une véritable manifestation de masse à Vienne avec l’aide de divers groupes fascistes. Visiblement, la participation n’est même pas loin d’avoir égalé celle des rassemblements organisés par les sociaux-démocrates du SPÖ viennois au mois de mai.
En agissant comme une organisation fédérant les différentes forces « patriotiques » (en réalité, fascistes et fascisantes), le FPÖ a beaucoup gagné en assurance. Bien entendu, ces agitateurs fascistes et fascisants ont gonflé les chiffres de cette mobilisation en allant jusqu’à annoncer quelque 100 000 participants.
Le président du parti FPÖ Herbert Kickl et l’ensemble du FPÖ remercient également les courageux citoyens qui ont participé à la manifestation pour la liberté ce samedi. Merci aux 100 000 personnes ! C’est un signe fort mais sans débordement et complètement pacifique, d’une volonté de liberté et de résistance contre cette corona-dictature vert-turquoise et ses mesures coercitives. Notre combat contre ces mesures de l’ÖVP et des Grünen se poursuivra bien entendu à l’avenir. Nous tenons également à remercier les policiers qui ont encadré cet évènement de manière très professionnelle, méticuleuse, exemplaire et ont ainsi permis de sauvegarder notre droit fondamental à la liberté de réunion. (Herbert Kickl, 20 novembre 2021)
« Notre combat » : des mots qui font évidemment tendre l’oreille. On peut se poser la question : contre quoi ? contre le covid ? contre le système parlementaire ? contre les émigrés ? contre la science ?
Le FPÖ se tournera de plus en plus vers la mobilisation extraparlementaire. Ce n’est qu’un début. Le FPÖ n’a apparemment pas encore totalement réussi à intégrer ce potentiel de radicaux dans son organisation. Cette tâche incombera en partie aux étudiants et autres identitaires. Avec cela, la force fasciste et fascisante de ce pays gravit un nouvel échelon. C’est pourquoi les organisations de travailleuses et travailleurs doivent rester vigilantes et prêtes à se défendre !