Un marché dominé par les multinationales SNCF, RATP et Transdev
Sous l’impulsion de la direction conjointe par l’Etat allemand et l’Etat français de l’Union européenne, la concurrence s’intensifie depuis 2015 dans le transport par rail et par bus. L’Etat français espère que des groupes français, tout en conservant leurs positions sur le marché national, prennent des parts de marché en Europe et dans les autres continents. L’oligopole français est d’ailleurs composé d’entreprises à capitaux publics, même si SNCF, RATP et Transdev se mènent une guerre sans merci.
La société-mère du groupe SNCF est une société anonyme depuis 2020. Elle a pour filiales SNCF réseau, SNCF voyageurs, TFMM-Rail Logistics Europe (frêt par rail), Geodis (transport par camion, avion, bateau) et Keolis (transport urbain de passagers) pour diviser et affaiblir les 260 000 travailleurs. Keolis, détenue par la SNCF à 70 % et par le fonds de pension canadien Caisse de dépôt et placement du Québec, est elle-même un groupe transnational qui exploite 63 000 salariés et a fait 6,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 (6,6 avant la crise) dans 15 pays (bus, métro, tramway, funiculaires, cars, navettes, vélos…).
Le groupe RATP exploite 66 000 salariés et a réalisé 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 (5,7 en 2019). La société-mère est un EPIC à la tête de 9 filiales en France et à l’étranger. Sa filiale RATP Dev est elle-même un groupe transnational présent dans 13 pays. La RATP vient de séparer les bus de la région parisienne dans la filiale CAP Ile-de-France.
RATP CAP Île-de-France va conjuguer le meilleur du savoir-faire historique et intégré de la RATP en Île-de-France avec l’agilité et la maîtrise des enjeux des villes que le groupe RATP a su exporter avec succès en France et partout dans le monde. (RATP Group, News, février)
Le groupe Transdev exploite 83 000 salariés dans 17 pays. Son chiffre d’affaires est de 6,7 milliards d’euros (2020). La société-mère Transdev est une société anonyme détenue à 66 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), un fonds d’investissements de l’État français, et à 34 % par Rethmann, une entreprise de gestion des déchets, d’agroalimentaire et de logistique allemande. Ses filiales sont Transdev Rail, Transdev GmbH, Bayerische Oberlandbahn, Transdev PLC, Supershuttle.
Depuis 2017, les régions ont dans leurs compétences la gestion des ports et des aéroports, des trains régionaux (TER), des transports routiers interurbains et scolaires, des gares publiques routières… Elles les sous-traitent le plus souvent à des groupes capitalistes, par le mécanisme des appels d’offre concernant la délégation d’un service public.
Transdev détient ainsi plusieurs centaines de lignes de bus en région parisienne qui lui sont confiées par Ile de France Mobilités (IDFM) de Pécresse. Keolis-SNCF gère au détriment de la RATP la nouvelle ligne de tramway n°9 en région Ile de France. Transdev prendra en 2025 à la SNCF la ligne la plus rentable de la région Provence-Côte d’Azur dirigée par Muselier.
Que les entreprises soient aux mains de l’Etat bourgeois ne change rien aux effets, voulus, de la concurrence. Ils sont analogues à la privatisation du transport ferroviaire en Grande-Bretagne : détérioration du transport pour nombre de travailleurs en tant qu’usagers, dégradation des conditions de travail et baisse du salaire des travailleurs exploités.
L’offensive contre les travailleurs du transport de voyageurs
Le régime de retraite et le statut sont considérés comme des handicaps par les entreprises publiques (SNCF, RATP). Il en est de même pour tout acquis, aussi minime soit-il : prime repas, amplitude horaire, heures supplémentaires, jours de RTT, congés, repos, 13e mois, ancienneté… Pour sauver ou accroître leurs profits les groupes capitalistes, privés comme publics, multiplient les concertations avec les directions syndicales en leur faisant signer des accords de site ou d’entreprise contre les acquis.
L’entreprise publique SNCF a toujours divisé ses travailleurs, avec souvent la complaisance des organisations syndicales, en embauchant des ouvriers contractuels marocains et des employés précaires par la sous-traitance du nettoyage. Au printemps 2018, Macron et le patron ont gagné une bataille décisive, avec le « Pacte ferroviaire » qui a supprimé le statut pour les nouveaux embauchés et a éclaté l’ancien collectif de travail qui constituait un bastion des luttes sociales en France. La défaite revient entièrement aux chefs syndicaux CGT-CFDT-UNSA-SUD qui avaient décrété une grève perlée, contre la grève générale, tout en négociant le pacte en coulisses.
Pour appliquer la loi d’orientation des mobilités du gouvernement Macron-Philippe, la RATP a adopté un « cadre social territorialisé » négocié par tous les représentants syndicaux de juin à octobre 2020. Il envisage le « transfert » des 19 000 conducteurs de bus RATP.
En région PACA, le statut des 160 cheminots de la SNCF « transférés » à Trandev changera :
Les « transférés » conserveront les avantages du statut de cheminot pendant 15 mois, avant qu’une négociation dans leur nouvelle entreprise n’aboutisse à de nouvelles règles de travail. (La Provence, 8 septembre)
L’IDFM de la région Ile de France exige de Transdev « une nouvelle organisation du travail, issue d’un accord-socle négocié avec les syndicats centraux de Transdev mais qui a fait bondir les salariés sur le terrain » (Le Monde, 12 octobre). Signé en novembre 2020 par la CFDT, l’UNSA, l’UST, la CFE-CGC, au moment où les travailleurs du transport étaient en « seconde ligne » face à l’épidémie de covid-19, l’accord-socle aggrave les conditions de travail. En août dernier, les accords locaux signés par les délégations syndicales des filiales concernées, déclinent l’accord-cadre : amplitudes horaire augmentée (jusqu’à 13 heures par jour), réduction des heures supplémentaires et des primes repas, temps de coupures moins payées, les cadences augmentent. Les conducteurs estiment la perte de 300 à 600 euros par mois, notamment par le changement du paiement des pauses, retards et arrêts qui sont devenus des « temps indemnisés » à 50 % au lieu d’un temps de travail à 100 %
La grève à Transdev : non aux 45 heures payées 35 !
Le 2 septembre, le dépôt de Sénart démarre la grève à l’unanimité. Le 6 septembre, ceux de Melun et Valmy suivent. À la mi-septembre, C’est au tour de Marne-la-vallée. Le mot d’ordre « Non aux 45 heures payées 35 ! » s’impose. La colère à la base des travailleurs est évidente. L’employeur met la pression via ses vigiles et ses demandes d’intervention de la police.
Mais aucun syndicat national de Transdev, aucune organisation de taille significative n’appelle à des assemblées générales pour la grève générale du groupe jusqu’à l’abrogation de l’accord-socle, ni LO et sa scission CR-L’Étincelle, ni le NPA et sa scission CCR-RP, ni le POI et sa scission POID. Si les piquets de grève, déterminés, tiennent les bus au garage, les chefs syndicaux acceptent les discussions dépôt par dépôt.
Comme à chaque conflit bousculant le dispositif de collaboration de classe, les bureaucraties syndicales reçoivent le soutien de leurs adjoints politiques (PS, PCF, LFI, LO, NPA …). Triste défilé, bouchant toute voie pour gagner.
Pour le PS, Faure, député de Seine et Marne, rencontre les grévistes au dépôt de Lieusaint et conclut : « il est temps que le dialogue social reprenne, je m’y emploie. » (olivierfaure.fr, 10 septembre).
Le 13 septembre, Besancenot intervient au nom du NPA en dénonçant la tactique patronale :
Pour eux c’est stratégique, il faut négocier dépôt par dépôt. La simple volonté d’extension, ça les inquiète. (lanticapitaliste.org, 14 septembre)
Mais comment faire puisque les chefs syndicaux n’appellent pas à l’extension ? Le NPA botte en touche, avec le même argument servi en juin 2019 par LO pour protéger l’appareil de la CGT :
En fait, vous avez déjà gagné, parce que vous ne vous regardez déjà plus pareil. Ils essaient qu’on ne fasse rien d’autre que bosser et regarder nos pompes. Mais vous avez relevé la tête.
Le 14 septembre, c’est au tour de Mélenchon. Lors d’un rassemblement au dépôt de Vaux-le-Pénil, le candidat LFI désigne l’étranger comme responsable : « À l’Union européenne, c’est là qu’ils ont voté les paquets ferroviaires pour privatiser le transport public » (linsoumission.fr, 14 septembre). Alors qu’il s’agit d’une décision du capitaliste français Transdev passée au travers d’un accord trouvé grâce à la complicité des chefs syndicaux français.
Fin septembre, Transdev assigne en justice deux conducteurs que le patron accuse de violences, SUD se porte partie civile. La juge demande « une médiation », ce que refuse le patron, finalement débouté sur le fond.
La grève tient encore, le dépôt Transdev de Chelles entre dans la grève début octobre. Le 28 septembre, plusieurs centaines de grévistes tentent de se coordonner à Melun. Mais le tract qui en ressort et que le groupe Révolution permanente-CCR publie fièrement, appelle à une nouvelle journée de grève le 5 octobre. Pas d’élection de délégués, pas de comité central de grève…
Le 5 octobre, se déroule une journée d’action « interprofessionnelle » symbolique décrétée par les directions confédérales avec l’aide du PCF, de LFI, du NPA, du CCR-RP, de LO, du POID… Les grévistes de Transdev se rassemblent devant le siège d’IDFM. La candidate de LO Arthaud y prend la parole « Si vous avez la volonté d’étendre le mouvement, c’est possible de le faire ». Autrement dit, ne vous en prenez qu’à vous-mêmes si la grève échoue.
Une « politique fausse des masses » s’explique par leur « non-maturité » ? Mais qu’est-ce que la « non-maturité » des masses ? De toute évidence, c’est leur prédisposition à suivre une politique fausse. En quoi consistait cette politique fausse ? Qui étaient les initiateurs ? Les masses ou les dirigeants ? (Léon Trotsky, Pourquoi le prolétariat espagnol a-t-il été vaincu ?, 1939)
Le 9 octobre, le dépôt de Sénart reprend avec la signature d’un accord local. Consciente du délitement de la lutte, Pécresse demande le 11 octobre à l’État de « d’intervenir pour assurer un service minimum », un appel clair à la répression policière. Pour donner du lest à la négociation que les directions syndicales acceptent, un médiateur est nommé, Jean-Paul Bailly, ancien PDG de la RATP (1994-2002) et de La Poste (2002-2013). Une provocation qui n’arrête pas le PCF : ses élus en appellent à Pécresse et au sous-traitant Transdev pour que le mouvement « puisse être enfin respecté et entendu » (PCF, 12 octobre, seine-et-marne.pcf.fr).
Le 14 octobre, un nouvel accord est signé à Marne-la-Vallée. Comme à Sénart, les services en pause, sans conduite sont classés « temps indemnisés » mais restent payés à 100 % pour l’instant et pour les anciens. Les nouveaux embauchés subiront, eux, l’accord-socle. Les derniers dépôts reprennent le travail sur des bases identiques fin octobre.
Tirer les leçons des grèves de 2018, 2019 et 2021
La systématisation des attaques patronales contre des salariés sollicités plus que jamais depuis la pandémie de covid déclenche de multiples grèves : le 8 novembre chez Orizo (Avignon) et Setram (Le Mans), le 9 chez RATP Dev (Saint-Malo), le 10 chez Citéline (Thionville), le 12 chez Tam (Montpellier), le 12, le 12 et le 13 chez Semitag (Grenoble), le 15 chez Cars du Rhône Transdev (Lyon), Bibus (Brest) et chez Le Met’(Metz). Ce qui affleure, c’est la grève générale.
Pour l’abrogation de tous les accords pourris, pour interdire toute concertation des plans patronaux et pour préparer la grève générale, les travailleurs doivent s’organiser dans les syndicats au sein de tendances lutte de classe et, par-dessus les multiples syndicats, dans des comités de lutte ou de grève avec des délégués élus et révocables. Que ces comités se centralisent localement et nationalement pour exiger l’abrogation de tous les accords pourris négociés par les bureaucrates syndicaux. Ce sont les leçons des échecs des grèves des cheminots en 2018, des grèves en défense des retraites en 2019 et de celle de Transdev.
Au-delà de la lutte immédiate contre l’offensive de chaque patron des transports, des revendications d’augmentation des salaires et de la baisse du temps de travail, il faut unir les travailleurs de tout le secteur par le maintien et l’alignement de tous les contrats sur les statuts et conditions de travail les meilleurs, vraisemblablement sur ceux de la SNCF et de la RATP, et l’unification des transports publics sous contrôle ouvrier pour assurer des transports décents aux travailleurs et élèves usagers,
Une lutte de cette ampleur posera probablement, la question du pouvoir, la question d’un gouvernement des travailleurs.