« Macron veut faire de la SNCF le symbole de sa volonté réformatrice », explique l’un de ses proches, « s’il veut accrocher un scalp à sa ceinture, il n’y a pas mieux. » (Le Figaro, 2 avril)
Une grave défaite
Les 13 et 14 juin, l’Assemblée nationale et le Sénat votent la loi Macron-Philippe-Borne dite « nouveau pacte ferroviaire » avec les votes des parlementaires LREM, LR, UDI, MoDem. Macron en sort personnellement renforcé, ce que n’annulera pas l’affaire Benalla.
Les capitalistes sont occupés à leurs propres affaires, souvent sur le mode de la concurrence entre eux, mais il faut administrer leurs intérêts généraux et maintenir les rapports d’exploitation. Tel est le rôle de l’État bourgeois, avec à sa tête un pouvoir exécutif qui doit rendre des comptes non pas tant aux « citoyens » qu’à la classe capitaliste. Or, Macron complète l’oeuvre de ses prédécesseurs qui avaient éclaté et privatisé les ex-PTT et l’ex EDF-GDF, il efface le recul de l’État bourgeois devant la grève générale de la SNCF et les menaces de son extension à la fonction publique en 1995, il inflige une grave défaite aux cheminots et à l’ensemble de la classe ouvrière.
Pourtant, certains la minimisent.
Leur combat a été plébiscité, ce qui est malgré tout une victoire. (NPA, SNCF : un conflit défait ou victorieux ? Terminé ou juste entamé ?, 28 juin)
L’inquiétude des commentateurs est ce qui peut faire la fierté des grévistes : ils ont collectivement relevé la tête… Un climat de lutte, de fierté, de solidarité qui donne le ton à la SNCF depuis quatre mois. (LO, La grève des cheminots : premières leçons, juillet)
Pendant trois mois, les travailleurs ont dû baisser la tête devant les décrets des chefs syndicaux et face à leur collaboration obstinée avec Borne, Philippe et Macron. La CGT les convoquait bien à des assemblées générales, mais pour faire appliquer les décisions de « l’intersyndicale », surtout pas pour qu’ils décident.
Il va nous falloir être clairs avec le moins de voix dissonantes possible. Nous ne pouvons pas refaire la stratégie en fonction de l’humeur, des tergiversations environnantes sur les sites. (CGT-Cheminots, Rapport interne aux secrétaires des syndicats, 16 mars)
Au bout du compte, tous les travailleurs de la SNCF baissent la tête : l’État impose la concurrence, éclate l’ancien collectif de travail entre plusieurs employeurs et supprime le statut. Les grévistes sont amers, les non-grévistes sont confortés dans l’individualisme, la résignation. Les autres travailleurs sont découragés de lutter et beaucoup auront à supporter la dégradation du transport des passagers.
LO justifie les bureaucrates CGT de A à Z
Les adjoints des bureaucrates (LFI, PCF, LO, NPA, POID…) n’ont pas combattu leur négociation de la loi, n’ont pas combattu leur calendrier des grèves perlées, ni dans les sections syndicales ni dans les assemblées générales. LO recrute surtout des lycéens, les façonne pour les mettre au service de la bureaucratie de la CGT. Comme les bureaucrates eux-mêmes, les chefs de LO attribuent la responsabilité des défaites aux travailleurs.
Malgré sa ténacité, le mouvement n’a pas eu une dynamique et une ampleur telles qu’il contraigne le gouvernement à reculer… Le mouvement n’a pas eu la puissance de dépasser le cadre fourni par les organisations syndicales… (LO, La grève des cheminots : premières leçons, juillet)
Les centristes parlent à l’occasion de révolution alors qu’ils capitulent devant les directions qui la redoutent, l’empêchent et la trahissent.
Une politique fausse des masses ne peut s’expliquer selon l’auteur que comme la « manifestation d’un certain état des forces sociales », c’est-à-dire la non-maturité de la classe ouvrière »… Si l’on est friand de tautologies, il serait difficile d’en trouver de plus plates. Une « politique fausse des masses » s’explique par leur « non-maturité » ? Mais qu’est-ce que la « non-maturité » des masses ? De toute évidence, c’est leur prédisposition à suivre une politique fausse. En quoi consistait cette politique fausse ? Qui étaient les initiateurs ? Les masses ou les dirigeants ? Notre auteur ne souffle mot là-dessus. Et par cette tautologie, il transfère la responsabilité sur les masses. (Trotsky, Classe, parti et direction, juin-juillet 1939)
Les partis « réformistes » (y compris le PCF et Mélenchon) ont divisé et démoralisé les travailleurs en gouvernant pour le capital ; les bureaucraties syndicales ont conduit à défaite sur défaite avec les « journées d’action » et les réécritures des projets réactionnaires contre la retraite, contre le droit du travail…
Comme aucune force organisée n’a combattu pour la grève générale et n’a mis en cause les « négociations » de tous les bureaucrates avec la ministre des Transports et le Premier ministre, comment les travailleurs auraient pu déborder le bloc de toutes les directions syndicales conforté par tous les partis ouvriers bourgeois et toutes les organisations centristes ?
Le PCF et LFI ont aidé les bureaucrates de la CGT qui avaient décrété les grèves perlées.
Les bureaucrates de SUD ont essayé d’échapper à l’impopularité grandissante des grèves perlées chez les cheminots, alors qu’ils avaient approuvé le calendrier. Avec l’aide du NPA, ils ont tenté de dériver l’aspiration à la grève générale vers des grèves reconductibles site par site. LO avait fait de même, en mars, jusqu’à ce que la direction de la CGT l’interdise.
Contrairement aux directions syndicales qui lanternent pour appeler à la grève reconductible… (LO, Les 15 et 22 mars, redressons la tête !, 15 mars)
Le 13 juin, quand SUD-Rail rassemble 200 cheminots pour faire adopter les grèves reconductibles site par site, l’intersyndicale CGT-CFDT-UNSA appelle la police.
Plusieurs dizaines de cheminots, essentiellement de SUD Rail, ont tenté de perturber l’interfédérale CGT-UNSA-CFDT qui s’est tenue dans le Xe arrondissement de Paris et qui a appelé à poursuivre la grève. La police est intervenue pour bloquer les manifestants à l’extérieur du bâtiment. (Le Parisien, 13 juin)
Dans son bilan, la direction de LO n’a pas un mot sur cette crapulerie des chefs CGT.
Corruption et cogestion
Le gouvernement Macron-Philippe-Borne n’a pu vaincre un bastion historique des luttes sociales que sur la base des nombreux reculs précédents et en tablant sur l’attitude des directions syndicales, avant tout celle de la CGT nettement majoritaire à la SNCF.
Un appareil est nécessaire à toute organisation ouvrière qui a atteint une certaine taille. Mais ceux qui contrôlent actuellement les confédérations et les fédérations du transport ferroviaire ne reflètent pas la base, quelles que soient les forces et les faiblesses de celle-ci. Ils constituent des bureaucraties, c’est-à-dire des couches apprivoisées, intégrées et corrompues par le grand capital, analogues aux appareils des partis « réformistes ». La racine des deux est d’ailleurs la même, le déclin du capitalisme et la découverte par la classe dominante des possibilités de corruption des directions ouvrières.
Les institutions politiques du capitalisme moderne ont créé à l’intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère, au parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de « solides » journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers, voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des « partis ouvriers bourgeois ». (Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, octobre 1916)
Dans tous les pays capitalistes, s’il n’y a pas toujours de parti politique de masse issu de la classe ouvrière, il y a au moins une confédération syndicale.
En France, les différents partis sociaux-impérialistes (LFI, PCF, PS, Générations…) rivalisent pour les postes et les prébendes, de même que les bureaucraties syndicales (CGT, CFDT, FO, Solidaires, FSU, UNSA…) se disputent les miettes que leur jettent les patrons et l’État bourgeois. Les chercheurs Dominique Andolfatto et Dominique Labbé estiment à 30 % seulement la part des cotisations dans les ressources des syndicats français.
Tout capitaliste voit et sait que les syndicats groupent des millions de personnes, que si les capitalistes ne les tiennent pas en mains par l’intermédiaire de chefs qui se disent socialistes alors qu’ils font la politique des capitalistes, alors toute la machine du capitalisme s’écroulerait sans les syndicats. (Lénine, Discours au congrès des ouvriers de la confection, 6 février 1921)
En particulier, des responsables syndicaux sont membres –rétribués– du Conseil économique et social, du Conseil d’orientation des retraites et des conseils d’administration ou conseils de surveillance des grandes entreprises… Ainsi, à la SNCF, Alain Prouvenq, Florence Dumond, Bruno Lacroix cogèrent le groupe capitaliste multinational au titre de la CGT ; Christine Graffiedi, Lionel Chautru pour l’UNSA ; Julien Troccaz pour SUD-Solidaires ; Sébastien Mariani pour la CFDT et François Grasa pour FO. Avec les filiales, il faut compter plusieurs dizaines de bureaucrates qui sont en fait devenus des patrons de la SNCF.
Les dirigeants de LO, du NPA, du POID, du POI… cachent soigneusement cette corruption et ne la combattent pas dans leur presse, lors des réunions et des congrès syndicaux. Et pour cause, ils fournissement depuis les années 1980 des cadres à telle ou telle des bureaucraties en rivalité.
Les grèves perlées contre la grève générale
En mars, comme tous les appareils forment un bloc à la SNCF, tous les partis s’alignent sur « l’intersyndicale » CGT-CFDT-SUD-UNSA.
La température monte aussi, de toute évidence, dans les milieux syndicaux. Jusqu’aux sommets… De la réunion des états-majors syndicaux le 27 février devrait sortir le signal d’une riposte. (NPA, Stratégie du choc ? Un choc en retour se prépare, 27 février)
Toutes les directions syndicales de la SNCF et des confédérations sont alors d’accord :
- refus de la grève générale,
- défense de la SNCF en tant que telle,
- cogestion de la SNCF,
- acceptation de la négociation du projet gouvernemental,
- propositions faites au gouvernement, à l’Assemblée à majorité LREM-MoDem, au Sénat à majorité LR.
D’autres solutions existent, la Fédération CGT des cheminots a transmis son rapport « Ensemble pour le fer » à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Malgré des propositions argumentées, gouvernement et direction restent campés sur leur position dogmatique… Les cheminots, avec la CGT, attendent des engagements forts de la part du gouvernement. (CGT-Cheminots, 23 mars)
Soyons-en conscients, la mobilisation massive des cheminots, de tous collèges, inscrite sur la durée, déterminera le contenu de la loi ! (CGT-Cheminots, 23 avril)
Les propositions CGT… doivent être entendues. La réforme gouvernementale en cours doit changer d’aiguillage pour remettre le service public sur de bons rails. (CGT-Cheminots, 7 mai)
Parce que les chefs syndicaux savent que les travailleurs sont opposés à l’attaque gouvernementale, parce qu’ils connaissent le calendrier parlementaire et parce qu’ils savent que le gouvernement les convoquera jusqu’au dernier moment pour les associer, les chefs syndicaux décrètent en avril des grèves intermittentes pour trois mois. Ce calendrier augmente considérablement les pertes financières de ceux qui n’ont pas d’heures de délégation, sans inquiéter vraiment le gouvernement et multiplie les tensions avec les autres travailleurs ramenés à la condition de passagers.
La grève générale et les grèves perlées ne sont pas deux tactiques pour atteindre le même but. Elles correspondent à deux buts différents. La grève générale est le rassemblement de toutes les forces des travailleurs pour se défendre contre leur ennemi de classe, pour le vaincre.
La grève de masse n’est pas un moyen ingénieux, inventé pour donner plus de force à la lutte prolétarienne : elle est le mode de mouvement de la masse prolétarienne, la force de la lutte prolétarienne… (Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat, 1906)
Par contre, les « grèves perlées », les « journées d’action », les « grèves reconductibles » site par site ou les actions symboliques (blocage de péage, pique-nique, « marée populaire », etc.) découlent du soutien de leurs promoteurs au capitalisme français contre les autres, de leur reconnaissance de la légitimité du gouvernement Macron, du consensus pour la nécessité d’une « réforme », de leur acceptation de discuter le rapport officiel puis le projet de loi.
Les « grèves perlées », les « grèves reconductibles » site par site et les « journées d’action » ne préparent pas la grève générale, comme le prétendent les adjoints « trotskystes » (LO, NPA, POID…) ou « libertaires » (AL…) des Martinez et des Brun. La négociation des attaques et les tactiques de diversion aboutissent, sauf débordement, à ce pour quoi elles sont faites : la défaite des prolétaires.
Les chefs syndicaux persistent
Au moment où la défaite est consommée, la CGT-cheminots et SUD-Rail appellent encore à des grèves pour servir d’exutoire à une minorité de cheminots qui ne veut pas avoir autant fait grève et autant perdu d’argent pour rien.
La fin du calendrier et la sortie de la CFDT de l’interfédérale ne sonne pas la fin du mouvement. Dès à présent, nous proposons aux cheminots d’agir cet été, en ciblant des périodes, rendant plus efficace la grève des cheminot-e-s. (SUD-Rail, 12 juin)
Nous allons poursuivre car toute la loi n’est pas écrite, et nous devons peser sur les textes à venir… La lutte se poursuit tous ensemble dans la grève les 6 et 7 juillet prochains. (CGT-Cheminots, 3 juillet)
Ils ne tirent aucune leçon de la défaite. Avec les autres syndicats, la CGT et Solidaires continuent leur collaboration de classe en se rendant à la convocation de Macron à l’Élysée le 18 juillet. Ils vont se rendre à la convocation de Philippe à Matignon le 29 août.
Il est temps que s’organisent celles et ceux qui ont compris ce que font les bureaucraties syndicales et les partis sociaux-impérialistes, afin de constituer des courants lutte de classe dans les syndicats et de construire à l’échelle du pays une organisation communiste, révolutionnaire et internationaliste.