La situation économique et politique actuelle dans l’État espagnol (IKC/État espagnol)

Cet article est un résumé rédigé en français par l’IKC de son analyse, parue dans le 9e numéro de son journal Kreta Cirklo du 20 octobre 2021, sur la situation économique et politique actuelles dans l’État espagnol.

Le gouvernement de Pedro Sánchez, un gouvernement de coalition entre le PSOE, Izquierda Unida et Podemos, est un gouvernement bourgeois, bien que sans membres de partis bourgeois et avec deux ministres du parti communiste espagnol, pour la première fois depuis la fin de la guerre civile en 1939.

Pour l’instant, le cadre sanitaire est celui d’une pandémie très maîtrisée, avec plus de 70 % de la population vaccinée volontairement, pas de passe COVID obligatoire et pas de tensions majeures autour des mesures de protection, comme les masques dans les lieux fermés, etc.

Après avoir été l’un des pays d’Europe ayant connu la plus forte baisse du PIB en 2020, la dynamique économique de ces derniers mois est celle d’une reprise significative de la croissance, mais plombée par d’importants problèmes de chaînes d’approvisionnement et une inflation galopante des prix du gaz et de l’électricité.

La Banque d’Espagne estime que plus d’un tiers des entreprises ont de graves problèmes d’approvisionnement, non seulement pour les puces, mais aussi pour les composants métalliques et les matières plastiques. Toutes les entreprises de construction automobile connaissent des arrêts intermittents. Ces dernières semaines, le secteur de la construction civile a également connu de graves problèmes d’approvisionnement. De plus, de nombreuses entreprises grandes consommatrices d’électricité, à commencer par les industries des engrais agricoles et de la sidérurgie, ont annoncé des fermetures pour plusieurs semaines, car elles ne peuvent pas faire face à une augmentation du prix de l’électricité de plus de 400 % en quelques mois.

Réformes du travail, salaire minimum, subventions, migrants, emploi, retraites

L’amélioration statistique de l’emploi n’a pas signifié une amélioration de la vie des masses laborieuses :

  • il y a trois millions et demi de chômeurs et seulement deux millions d’entre eux reçoivent des allocations ;
  • les emplois de qualité dans l’industrie et les services, dont des dizaines de milliers dans le secteur bancaire, sont régulièrement détruits. Ces emplois perdus sont remplacés par des contrats de plus en plus précaires ;
  • le pouvoir d’achat des salaires et des pensions diminue de jour en jour, l’inflation moyenne atteignant déjà 4 % en septembre. Mais ce chiffre ne reflète pas le fait que les loyers ont augmenté de 40 % au cours des cinq dernières années. Et que les prix de l’électricité domestique ont augmenté de 45 % en neuf mois et ne cesseront pas d’augmenter dans un avenir proche.
  • la pauvreté et l’insécurité alimentaire n’ont pas diminué. Les logements surpeuplés et les expulsions de familles sont en augmentation.

En deux ans d’existence, le gouvernement de Pedro Sánchez n’a pas abrogé, comme il l’avait promis, les réformes du travail qui ont réduit les droits des travailleurs et instauré une précarité généralisée. L’engagement d’augmenter le salaire minimum est resté à un montant si ridicule pour 2022 (15 euros par mois) que même les bureaucraties syndicales soumises de l’UGT et des CCOO ont honte.

Le « produit vedette » de Podemos, le « revenu minimum vital », s’est avéré être plus faible et plus restrictif que les instruments de protection sociale déjà en place dans de nombreuses communautés autonomes.

Les migrants, y compris les mineurs, continuent d’être traités comme des criminels et renvoyés au Maroc.

En outre, le gouvernement – qui se dit « le plus progressiste de l’histoire » – prépare une nouvelle attaque contre le système public de retraite. Le projet de loi propose d’augmenter encore l’âge de la retraite (il est actuellement de 67 ans et menace de le porter à 70-75 ans). Il prévoit également de réduire les pensions réelles en punissant davantage les retraites anticipées. Mais il va beaucoup plus loin que toutes les réformes précédentes : il se concentre sur l’entrée des fonds de capitalisation dans le système actuel de répartition. Et il organise la promotion des fonds de pension collectifs privés. Il ouvre activement la voie au vieux rêve de la bourgeoisie de démanteler le système public de retraite afin d’ouvrir un immense champ d’activité aux banques privées.

Le conflit avec la Catalogne

Il n’y a pas eu non plus de progrès significatifs vers une solution démocratique au conflit avec la Catalogne : Sánchez maintient la persécution policière du président en exil, Carles Puigdemont, et s’est limité à gracier partiellement et conditionnellement neuf prisonniers les plus connus. Mais plus de 3 000 militants catalans, qui ont été entraînés dans la fausse proclamation de la république catalane, ont été laissés à la merci du système judiciaire espagnol, de ses lois répressives et de ses juges réactionnaires.

La paix institutionnelle actuelle entre les gouvernements espagnol et catalan n’est pas due à l’action du gouvernement de Pedro Sánchez, mais à la capacité du gouvernement catalan à ramper, main dans la main avec les deux partis représentant les différentes fractions de la bourgeoisie catalane.

Prix de l’électricité et oligopole de l’énergie

Chaque jour ou presque, le prix de l’électricité atteint des sommets, s’ajoutant aux effets de la hausse des prix du logement et des denrées alimentaires. Au cours des neuf premiers mois de l’année, la facture d’électricité des ménages a augmenté de 45 % malgré la réduction temporaire de la TVA.

Jusqu’en septembre, alors que les familles de travailleurs étaient les plus touchées, le gouvernement s’est limité à dire qu’il s’agissait d’un problème à très court terme, à demander de « l’empathie » (sic) de la part des entreprises de distribution ou, déjà en juin, à réduire temporairement la TVA sur la facture.

La décision d’intervenir n’a été prise sérieusement que lorsque, en septembre, le prix incontrôlé de l’énergie a touché d’importants secteurs de la bourgeoisie, et que des entreprises ont commencé à fermer en raison de l’impossibilité de faire face aux coûts de l’électricité.

L’explication officielle du triopole Endesa-Iberdrola-Naturgy, officiellement assumée par le gouvernement, est l’augmentation internationale du prix du gaz et avec lui des droits d’émission de CO2 (qui n’est rien d’autre qu’une taxe européenne), en raison de la reprise économique. Il n’y a pas de pire mensonge qu’une demi-vérité. S’il est vrai qu’il s’agit d’un phénomène mondial, l’écheveau des tarifs dits marginaux, conçus par les entreprises elles-mêmes s’est progressivement défait.

Ces tarifs imposent au consommateur le prix du mode de production le plus coûteux, aujourd’hui le gaz. Comme 27 % seulement de l’électricité produite provient du gaz, l’électricité produite par d’autres moyens moins coûteux (73 % du total) génère des bénéfices extraordinaires au même rythme que le gaz devient plus cher. Il importe peu que des millions de ménages soient poussés vers la pauvreté énergétique et que des entreprises soient ruinées.

L’oligopole n’est pas prêt à abandonner l’opportunité d’un seul euro de profit. Au milieu de l’été et pendant la saison sèche, ils vident les retenues d’eau – secrètement et en toute impunité – pour exploiter davantage la différence entre le coût de production hydroélectrique bon marché et le prix de vente élevé. À chaque velléité du gouvernement de contrôler leurs revenus, les compagnies d’électricité répondent avec une telle arrogance qu’elles ont même menacé d’arrêter les centrales nucléaires !

Podemos, flanc-garde du gouvernement

Pendant ce temps, Podemos a joué le rôle de flanc gauche du gouvernement avec sa proposition « star » de création d’une entreprise publique pour concurrencer les entreprises privées. Un simple rideau de fumée petit- bourgeois, qui demanderait du temps et beaucoup d’argent public et qui sert à habituer ses adeptes à respecter la propriété privée du grand capital et son droit sacré au profit. Ce parti et le réformisme indépendantiste basque ou catalan (Bildu, CUP) se sont limités à appeler les masses à éteindre quelques minutes les lumières dans les maisons. Ils ne proposent jamais d’exproprier les entreprises et de les mettre au service des besoins de la société dans son ensemble. Rien de nouveau à attendre d’eux. Les confédérations syndicales, quant à elles, pleurnichent de temps à autre dans les médias, suppliant le gouvernement de « contrôler les prix ». Rien de nouveau, non plus.

Enfin, le « plan choc » négocié avec Podemos pour l’approbation du budget vise à limiter pour quelques mois et partiellement (en laissant 10 % intacts) les milliards de bénéfices extraordinaires générés par les tarifs marginaux grâce au prix international élevé du gaz. Mais il ne s’agit que d’une simple rétention, car le plan approuvé par le gouvernement garantit aux compagnies d’électricité qu’elles récupéreront plus tard ces bénéfices non engrangés aujourd’hui.

L’argent de l’Union européenne

L’Espagne sera l’un des principaux bénéficiaires du fonds d’urgence COVID approuvé par l’UE (Next Generation). Dans les deux ans, elle recevra une subvention non remboursable équivalant à 6,3 % du PIB annuel. C’est un gigantesque gâteau à partager entre les différentes fractions économiques et territoriales de la bourgeoisie. Les combats, l’achat et la vente de votes, la tricherie et les scandales se développent déjà. Les plus forts se taillent la part du lion.

Le contrôle centralisé de ces fonds par le gouvernement lui donne un pouvoir énorme. Mais, par la même raison, cela aggravera encore la violence avec laquelle il sera traqué par le parti évincé, le PP, et son actuel chien de garde, Vox. Ces partis mobiliseront désespérément leurs bases sociales actuelles et potentielles. Et ils peuvent entraîner derrière eux et leurs positions ultra-réactionnaires des fractions importantes de la petite bourgeoisie ruinée et de la classe ouvrière elle-même. Le phénomène du maire de Madrid, Díaz Ayuso, du PP mais indissociable de Vox, n’est qu’un essai dans cette direction.

Bien sûr, rien de ces fonds européens ne sera utilisé pour soulager les problèmes et les besoins de la classe ouvrière et du reste des travailleurs.

La classe ouvrière existe et doit se battre

Après la stupeur et les limites des mois les plus durs de la pandémie, la classe ouvrière commence à reprendre son élan dans ses luttes, presque toujours défensives. Outre les grandes mobilisations récurrentes pour la défense du système de retraite, les grèves se multiplient dans le secteur de la santé, le métro, les chemins de fer, les pompiers forestiers et les métallurgistes.

Parmi elles, il convient de mentionner la grève à Tubacex, au Pays basque, qui a duré 236 jours et obtenu la réintégration des 129 travailleurs licenciés. Il s’agit d’un fait très important et d’une preuve supplémentaire que la lutte, la démocratie des travailleurs et l’unité peuvent gagner.

Les travailleurs ne peuvent attendre aucune solution réelle à leurs problèmes et besoins de la part du gouvernement actuel, qui est réformiste sans véritables réformes.

L’IKC considère qu’afin d’exercer efficacement la lutte, classe contre classe, un front commun de la classe ouvrière et du reste des travailleurs pour les revendications élémentaires suivantes est nécessaire :

  • la défense des emplois de qualité contre la précarisation,
  • la réduction du temps de travail jusqu’à l’élimination du chômage,
  • l’ajustement des salaires et des pensions face à la perte du pouvoir d’achat,
  • le gel des loyers au niveau le plus bas avant les deux bulles immobilières,
  • le gel des prix de l’électricité au niveau d’au moins 2019,
  • la défense des soins de santé, du système public de retraite et de l’enseignement public,
  • la régularisation des travailleurs migrants.

17 octobre 2021