Avec la prise de Kaboul par les talibans, les images des hélicoptères américains évacuant leurs ressortissants américains et collaborateurs locaux de l’ambassade des États-Unis, ne sont pas sans rappeler Saïgon après la défaite des Etats-Unis au Vietnam.
Mais les images sont parfois trompeuses. Au Vietnam, les troupes impérialistes durent faire face à une résistance massive sous la forme d’une interminable guérilla. À sa tête, le Front de libération du Sud-Vietnam, de matrice stalinienne et qui, grâce à ses positions anti-impérialistes contre la bourgeoisie locale et les grands propriétaires terriens, avait réussi à rallier la population rurale à sa cause. Même son de cloche dans les villes où le Parti communiste du Sud-Vietnam, interdit à l’époque, parvenait à convaincre non seulement les travailleurs mais aussi les intellectuels.
Le soutien inconditionnel des gouvernements américains depuis les années 1950, à la violente dictature de Diem au Sud-Vietnam sur fond de guerre froide, puis l’intervention militaire d’août 1964 (icidents du golfe du Tonkin) ont dès lors fait souffler aux Etats-Unis un vent de protestation sans précédent contre la guerre du Vietnam, relayé entre autres à la fin des années 1960, par la jeunesse et la communauté afro-américaine. Un cocktail explosif à gérer pour le gouvernement.
Les conditions-cadres en Afghanistan sont bien différentes et remontent à l’année 1979. Plus précisément les 24 et 25 décembre, date à laquelle les troupes soviétiques font leur en entrée l’Afghanistan.
Six ans plus tôt, en juillet 1973, le général Mohammad Daoud, lui-même membre de la famille royale, avait fait un coup d’État contre la monarchie. Le régime de Zaher Shah n’avait pas réussi à moderniser le pays sur les plans économique et social. En 1973, la population du pays s’évalue à un peu plus de 12 millions d’habitants. Parmi eux, environ 100 000 travaillent dans des entreprises industrielles relativement modernes, 300 000 dans de petites entreprises artisanales et le reste vit tant bien que mal de l’agriculture. Comme dans toutes les sociétés féodales asiatiques, richesse et pouvoir dépendent essentiellement du contrôle de l’irrigation. Si bien que 4 % de la population a la main mise sur 40 % des terres arables.
L’entrée du pays sur le marché mondial conduit à l’implantation des premières usines et fait grimper le niveau d’éducation de la population. À l’apparition d’une petite classe ouvrière bien consciente de sa place dans la société et d’une classe d’intellectuels critiques, la monarchie répond par une forte répression. En 1964, ce courant contestataire va donner lieu à une pseudo-ouverture du régime et à l’introduction d’un nouveau code électoral. Cependant, cela reste sans danger pour les dirigeants tant que les chefs traditionnels des villages manipulent les élections, réduisent l’opposition au silence ou se substituent au village par leur simple et unique voix.
La seule exception reste Kaboul, la capitale, cité bouillonnante par excellence. Le Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA) y est fondé en 1965. Ses deux principaux porte-parole se nomment Nur Mohammad Taraki, ancien journaliste, écrivain et diplomate ainsi que Babrak Karmal, avocat. Tous deux sont issus de milieux pauvres, bien qu’ils appartiennent aux Pachtounes, l’ethnie dominante dans le paysage politique. Dans ses fondements, le PDPA se compose de deux courants principaux opposés – la faction Khalq « le peuple » de Taraki et la faction Parcham « drapeau » de Karmal. Au fil de sa vie, Taraki qui a notamment travaillé pour l’ambassade américaine en Afghanistan, se tourne peu à peu vers le stalinisme et façonne la faction Khalq comme un parti ouvrier. Karmal, lui, qui a découvert le « communisme » de Staline pendant ses études à Kaboul, représente l’aile « modérée » s’en tient à la l’étapisme : les ouvriers doivent attendre sans faire de vagues car le destin du peuple passera par un élan démocratique bienveillant des riches propriétaires terriens et autres capitalistes.
La faction Parcham avance comme argument que Zaher Shah a publiquement reconnu son amitié avec l’Union soviétique et a même accepté une aide économique ainsi que de nombreux cadeaux du Kremlin. Malgré tout, certaines tensions subsistent, ce qui n’est pas sans rappeler les relations qu’entretenaient le roi avec les Etats-Unis…
La création de la PDPA coincide avec une vague de luttes sociales : les mineurs se mettent en grève, suivis par le secteur économique de l’électricité. Puis c’est au tour des étudiants de l’Université de Kaboul qui réclament plus de liberté et de démocratie.
Cet élan contestataire fait entrer le pays dans une phase pré-révolutionnaire. C’est le moment que choisit l’ancien premier ministre, général et membre de la famille royale Mohammad Daoud pour faire son putsch militaire. Daoud est largement soutenu par la faction Parcham du PDPA, soutien qui perdurera après sa prise de fonction. N’est-ce pas le front uni anti-impérialiste tant espéré ? En gage de remerciements, la faction Parcham hérite de plusieurs ministères, dont celui de l’intérieur. La faction Khalq, qui affublait sa rivale du surnom de « Parti communiste du roi » va progressivement gagner du terrain à mesure qu’il devient clair que Daoud ne tiendra pas ses promesses. Pas de réforme agraire ni de modernisation de l’agriculture. De plus, il adopte la même politique de répression que celle du roi déchu. En 1974, les ministres Parcham sont chassés du gouvernement, tandis que Daoud prend clairement ses distances avec l’Union soviétique.
En termes de politique étrangère, il s’attaque ouvertement à l’État voisin du Pakistan en revendiquant des territoires controversés et en permettant aux combattants baloutches de participer à des camps d’entraînement en Afghanistan. En représailles, le gouvernement de Zulfikar Ali Bhutto apporte son soutien aux forces islamistes d’Afghanistan, désormais farouches opposants à la république. Plusieurs dirigeants de mouvements islamistes, dont Gulbuddin Hekmatyar se réfugient au Pakistan et nouent très vite d’étroites relations avec l’ISI, les services secrets pakistanais.
Les clivages de la société afghane vont favoriser la croissance d’un PDPA « unifié ». En juillet 1977, Khalq et Parcham fusionnent. Bien que la faction Khalq soit plus forte que Parcham, ils obtiennent chacun la moitié des sièges au comité central. On n’a jamais connu le nombre exact de membres du parti, le nombre se situant entre 8 000 et 50 000. Cependant, en raison de son ancrage dans la classe ouvrière et dans l’armée, le PDPA est une force importante dans le paysage politique du pays.
Le 17 avril 1978, Mir Akbar Khyber, professeur d’université à Kaboul mais surtout l’un des chefs du Parcham et ancien rédacteur en chef de son organe, est assassiné. Le gouvernement Daoud impute le meurtre au parti islamiste Hizb-i Islāmī et à son premier dirigeant, Gulbuddin Hekmatyar. Malgré ses liens plus étroits avec Parcham, Khyber était également l’un des visages des Khalqistes, ainsi que de l’intelligentsia afghane, souvent contestataire. Des manifestations de masse spontanées mobilisententre 15 000 et 50 000 participants ans la capitale et ses funérailles rassemblent des dizaines de milliers de personnes.
En réponse, Daoud fait arrêter Taraki et Karmal dans la nuit du 25 au 26 avril. Comme il est quasiment acquis que le célèbre ministre de l’intérieur anticommuniste Nuristani se cache derrière le meurtre de Khyber, le parti est en effervescence absolue. Hafizullah Amin, son secrétaire général, appelle le peuple à manifester. Dès lors, des milliers de personnes se rassemblent dans le parc central de la ville de Kaboul, drapeaux rouges et pancartes à la main en signe de protestation contre le gouvernement Daoud.
À Jalalabad, des officiers de l’armée nationale et membres du DPDA font face aux partisans de Daoud ; il y aura même échange de tirs entre différentes unités de l’armée. Lors du rassemblement de protestation à Kaboul, des avions Mig pilotés par des rebelles tirent des roquettes sur le palais présidentiel, appuyés par les unités de chars de l’insurrection.
La « Révolution Saur » (saur pour avril) n’est pas le fruit d’un coup d’État planifié de main de maître, comme aimaient à le relayer les médias pro-impérialistes, mais une simple affaire de circonstances. Celle d’un large mouvement de contestation populaire et de son parti porte-parole, qui n’ont pas eu d’autre choix que de se défendre face à la répression.
Cet ancrage à la fois dans le prolétariat des villes et l’intelligentsia fut la bénédiction autant que la malédiction de cette révolution saurienne. Le PDPA était sous forte influence stalinienne depuis sa création ; une transformation socialiste de l’Afghanistan n’était donc pas son objectif. Avec ses mesures fortes et dignes de confiance, il s’inscrivait dans la lignée de divers autres courants nationalistes bourgeois (« socialisme arabe » en Égypte, « péronisme de gauche »…).
L’égalité hommes-femmes est d’avantage perçue à l’étranger. Comme exemple, les mariages forcés et le commerce des femmes sont interdits, ou encore, lors d’une campagne d’alphabétisation, les étrudiantes comptent désormais pour près de 50 % des effectifs de l’université de Kaboul.
Le gouvernement du PDPA déclare le pays État plurinational : les privilèges des Pachtounes sont abolis et la radio d’État diffuse pour la première fois des programmes dans les langues des minorités.
A elles seules, ces mesures mettent les quelque 300 000 membres du clergé islamique dans une colère noire et ce n’est pas fini, l’État se retire de tous les programmes religieux. La libre pratique de sa religion est accordée, sans subventions d’État ni préférence religieuse. Dans le même temps, une réforme agraire est adoptée, censée éradiquer la misère dans le pays.
Le PDPA n’est que partiellement représenté dans les villages, voire pas du tout. La réforme agraire, si elle a été abordée, est bloquée par le refus des imams et des anciens des villages. Mais ce qui est accueilli dans les villes avec le plus grand enthousiasme est un vrai danger pour le vieil ordre féodal asiatique. Anciens du village, riches propriétaires terriens, chefs de tribus et chefs de guerre locaux se rassemblent autour des clercs sunnites qui ont dessiné les contours idéologiques de la contre-révolution. Leur but : chasser les impies du pays, la femme doit continuer à se soumettre à l’homme. Ils sonnent l’alarme et le djihad (guerre sainte) est proclamé.
Le gouvernement répond à cette contestation grandissante par la violence. Au lieu de prendre les pauvres en considération et de les rallier à leur cause, ils envoient directement leurs troupes, dont les actions ressemblent à s’y méprendre à celles des armées du roi et de Daoud. Ils bombardent les villages réfractaires sans faire de distinction entre vassaux exploités et seigneurs féodaux, paysans et imams. « Personne n’aime les missionnaires armés », avait déclaré Robespierre en 1791. Près de 200 ans plus tard, cet avis n’a rien perdu sa pertinence en Afghanistan.
L’insurrection de plus en plus forte dans le pays et la formation de milices islamiques armées, les moudjahidines (combattants), conduisent à un grand bouleversement au sein du PDPA. Les parchamistes appelant à la réserve et à l’intégration des anciens partisans de Daoud au gouvernement voient leurs dirigeants mis aux arrêts ou chassés du pays. Les Soviétiques font alors pression sur Taraki pour qu’il se débarrasse d’Afizulah Amin, son secrétaire général un peu trop gênant et qu’il prenne la voie de la conciliation, celle-la même que Parcham lui avait demandé de suivre. Pendant ce temps, le 3 juillet 1979, le président américain Carter signe les deux premières directives d’aide aux moudjahidines afghans leur allouant jusqu’à 695 000 dollars pour du matériel de propagande, des radios et des médicaments. C’est le début de « l’Opération Cyclone ». À l’automne, sous la pression du président pakistanais Zia, la CIA augmente encore son soutien aux islamistes.
La tentative de meurtre d’Amin ayant échoué, c’est Taraki qui est assassiné à sa place. Amin, plus fervent partisan d’une alliance forte avec l’Union soviétique ne pouvait pas se douter qu’il serait l’une des premières victimes de sa propre politique. Le 27 décembre, soit deux jours après l’entrée de l’armée soviétique, les forces spéciales lancent l’opération Chtorm-333 : elles prennent d’assaut le palais Tajbeg, résidence officielle d’Amin et l’abattent. Le comité central désigne Babrak Karmal comme chef du gouvernement, rappelle les dirigeants de Parcham de leur exil et renvoient dans leur pays ceux qui avaient trouvé refuge en URRS. L’aile Khalq a perdu de son influence et les fidèles de l’armée à l’ancien gouvernement Taraki sont battus.
Les conséquences de ce coup d’État sanglant vont renforcer encore un peu plus la crise : beaucoup de soldats, y compris des anciens du PDPA, tournent le dos à Karmal et à l’Union soviétique. Ils désertent pour rejoindre les moudjahidines ou s’exiler au Pakistan.
Avec l’invasion soviétique, l’heure de l’impérialisme américain a sonné. Au sein de la CIA, il se dit maintenant que les Russes risquent bien de « rater leur Vietnam ». L’administration Carter se réjouit de cette perspective. Des intermédiaires de la CIA sont mandatés pour approvisionner les moudjahidines en armes et en fonds, ils souhaitent par-là attiser le feu de l’islamisme. En tête de liste de ces financements impérialistes, Hekmatyar et ses sbires. Hekmatyar s’est toujours battu pour un État islamique et n’hésitait pas à mutiler à l’acide le visage des jeunes femmes qui ne portaient pas le voile. Mais ce qui le rend particulièrement intéressant pour les Américains, c’est qu’il travaille depuis des années avec l’ISI, les services secrets pakistanais et ne recule devant rien dans sa quête d’un islam au pouvoir.
En raison de la richesse du pays en ressources naturelles et de l’importance géopolitique de l’Afghanistan, les impérialistes français et britanniques décident d’entrer dans le jeu. Ils appuient un charismatique chef de guerre, le commandant Ahmed Shah Massoud. Fils d’un officier tadjik, Massoud naît en 1953. Peu après avoir commencé ses études à l’université de Kaboul, il intègre l’organisation de la jeunesse musulmane anticommuniste et en 1976, il rejoint le Jamiat-e Islami (Association islamique d’Afghanistan), fondé en 1968 sous l’influence des Frères musulmans égyptiens. Contrairement aux autres partis islamistes, le Jamiat-e Islami s’est clairement délimité des courants wahhabites qui ont tenté de gagner de l’influence en Afghanistan via le Pakistan.
Massoud est le plus fin stratège militaire parmi les chefs moudjahidines et s’est construit un bastion dans sa vallée natale du Panchir, d’où il a infligé de lourdes pertes aux troupes russes. En 1988, le gouvernement Gorbatchev décide de se retirer de l’Afghanistan de peur de voir l’économie soviétique s’effondrer, en raison de cette interminable guerre. La stratégie américaine a fonctionné à merveille. C’est en particulier, la livraison de missiles Stinger aux moudjahidines qui va rendre cette guerre beaucoup plus coûteuse pour l’URSS. En effet, jusqu’en 1986, les hélicoptères soviétiques ont le contrôle du ciel, mais les Stinger, très simples d’utilisation vont tout changer. Ils permettront aux moudjahidines d’abattre des centaines d’hélicoptères d’attaque hors de prix.
Ce conflit en Afghanistan va rayonner sur tous les pays à forte population musulmane. À partir de 1980, des « volontaires » arabes décident de se mêler à cette guerre. Si on ne connaît pas les dates exactes, c’est l’année qu’aurait choisi Oussama ben Laden pour se rendre pour la première fois en Afghanistan, afin d’apporter son soutien aux moudjahidines. Son organisation humanitaire distribue vêtements, nourriture et argent mais son action n’est pas du goût de tous les islamistes d’Afghanistan qui ne se retrouvent pas tous dans sa lecture wahhabite du Coran. Même si Ben Laden commence peu à peu à construire sa réputation de héros, l’influence des volontaires saoudiens est pour l’instant minime. C’est toutefois un tournant décisif : par le biais du gouvernement pakistanais mais aussi de ses agents sur le terrain, l’impérialisme américain va créer un dangereux mouvement islamique dans la région, dangereux car hétéroclite et qui menace à tout moment de s’en prendre aux infidèles.
Le 14 avril 1988, le traité entre l’Union soviétique et le gouvernement afghan de Mohammed Najibullah est signé à Genève, un traité qui prévoit le retrait total des troupes soviétiques avant le 15 février 1989.
À Kaboul, le gouvernement du PDPA parvient à garder le contrôle du pays jusqu’en avril 1992 où le gouvernement de Najibullah est finalement dissous sous la pression militaire des moudjahidines. Ceci est particulièrement remarquable en ce qu’il réfute la propagande impérialiste faisant PDPA un parti fantoche dirigé par l’URSS. En effet, le parti continue à bénéficier d’un soutien considérable dans les villes, notamment parce que le discours islamiste des moudjahidines et de leurs représentants politiques devient de plus en plus radical.
En fin de compte, les villes se soumettent à des villages arriérés. Mais ce n’est que le début de l’effondrement du pays, désormais les combats ont débuté entre les factions rivales de moudjahidines.
Ahmed Shah Massoud, surnommé le « lion du Panchir » avec admiration, y compris par ses opposants, va jouer un rôle déterminant en refusant de prendre le pouvoir. Il craignait que ses origines tadjikes ne conduisent à de nouveaux conflits chez les islamistes. Ses tentatives pour empêcher les chefs de guerre islamistes de piller voire dévaster la capitale vont échouer. Les dirigeants des principaux partis islamistes et des moudjahidines vont finalement à Peshawar, au Pakistan et trouvent un accord de cessez-le-feu immédiat entre les différentes factions. Des élections libres doivent également avoir lieu.
Hekmatyar, resté à l’écart des négociations, va dès lors tenter d’usurper le pouvoir avec le soutien inconditionnel du Pakistan. Il marche sur Kaboul et va bombarder la ville pendant plusieurs années. En 1993, Massoud, son principal adversaire, quitte son poste de ministre de la défense contre la promesse de mettre fin aux bombardements. Mais Hekmatyar maintient ses terribles frappes aériennes et tirs d’artillerie lourde.
Outre le Pakistan, l’Iran et l’Ouzbékistan, états voisins de l’Afghanistan tentent eux aussi de gagner en influence. En réponse, les Etats-Unis augmentent en secret leur aide militaire aux diverses forces islamistes, y compris à Hekmatyar, devenu de plus en plus incontrôlable. La confusion atteint son paroxysme lorsque le groupe armé wahhabite Ittihad al-Islami d’Abdul Rasul Sayyaf, soutenu par l’Arabie saoudite, et les milices chiites Hezb-e Wahdat d’Abdul Ali Mazari, soutenues par l’Iran commencent à se faire la guerre. Hekmatyar ne rate pas l’occasion de s’allier à la milice chiite. Le chef de guerre ouzbek Abdul Rashid Dostum rejoint également cette alliance et participe aux attaques contre Kaboul. Cette longue et épuisante guerre de position fera 25 000 victimes dans la population civile.
En 1994, un nouvel acteur des plus dangereux apparaît sur la scène politique et surtout militaire : les talibans. Au Pakistan, le parti islamiste Jamiat Ulema-e-Islam (JUI) installe des écoles coraniques (madrasas) dans les zones habitées par des réfugiés afghans. Le JUI se compose principalement de Pachtounes et dispense un enseignement extrêmement dogmatique (le deobandi). Les étudiants y sont exclusivement des hommes et sont vite endoctrinés par un islam fondamentaliste, basé sur la charia et prôné par le JUI. Pour éviter que leurs enfants ne meurent de faim, de nombreux parents se plient à ces exigences. Le mouvement taliban s’est nourri de ce vivier de jeunes fanatiques. Le mot « taliban » vient du pachtoune et signifie étudiant, chercheur.
À l’été 1994, Mohammed Omar, né en 1960, le mollah d’un village rural pauvre aurait créé (selon la version officielle de l’historiographie des talibans) un mouvement religieux de 30 hommes pour punir un commandant moudjahidine qui avait violé deux jeunes filles. Selon la légende, ils l’auraient attrapé et pendu à une barre en acier. Bien-sûr, comme beaucoup de récits héroïques de la guerre civile afghane, ceci reste du domaine de la légende.
Avec l’aide des Pakistanais, les talibans s’emparent du sud du pays et de sa capitale Kandahar. Ils rencontrent le soutien des classes rurales les plus pauvres et du clergé. Pour certains villageois, la lutte contre les moudjahidines en guerre et la politique de répression basée sur la charia sont un moindre mal face à l’instabilité causée par les occupants successifs ou les gouverneurs corrompus et extorsionnaires.
En se présentant comme des croyants et insistant sur le côté religieux de leur lutte, les talibans ont un avantage psychologique sur leurs adversaires. En effet, certains moudjahidines refusent de combattre contre des ecclésiastiques et c’est justement l’image qu’ils ont des talibans.
Fin 1994, Shah Massoud organise un sommet entre factions moudjahidines pour ouvrir la voie à la création d’une république islamique et y convie les talibans. Ceux-ci déclinent l’invitation. Les fondamentalistes ne veulent pas non plus entendre parler d’élections libres (si tenté qu’on puisse les qualifier de « libres » à l’époque). À la place, ils décident de déclencher une vague d’attentats à la bombe sur Kaboul en 1995 : des attentats à la voiture piégée sur des places très fréquentées de la ville et qui font d’innombrables victimes, des commandos armés de ceintures d’explosifs qui massacrent des innocents à coup de kalachnikov avant de se faire exploser…
Massoud mène désormais un combat acharné contre les talibans, les acculant pratiquement à la défaite. Mais deux puissants financiers vont inverser cette tendance. En effet, les gouvernements saoudiens et pakistanais décident de financer les talibans, désormais en mesure de s’armer et d’augmenter ainsi leur potentiel militaire. En septembre 1996, les troupes de Massoud battent en retraite et laissent la capitale aux mains des talibans. À peine maîtres de Kaboul, ils marquent tout de suite les esprits en se livrant à une mise en scène macabre. Najibullah, dernier président du PDPA qui s’était réfugié au siège de l’ONU est arrêté, torturé, assassiné puis pendu devant le palais présidentiel.
Une fois de plus, les villages triomphent de la ville avec de terribles conséquences pour les habitants de Kaboul. Les femmes sont assignées à résidence dans leurs propres maisons avec comme seule possibilité de sortie, la présence d’un parent masculin et l’obligation de se couvrir intégralement. Les filles n’ont plus accès à l’éducation si ce n’est une instruction religieuse primitive. Les « insoumises » sont molestées en pleine rue, les femmes adultères lapidées. En guise de mesures dissuasives, les opposants au régime, communistes ou « déviants » religieux sont arrêtés, torturés voire mis à mort lors d’exécutions publiques dans des stades, dignes des jeux du cirque.
Malgré tout, la résistance s’organise : de courageux professeurs proposent en secret des cours pour jeunes filles. Les talibans qui ont semé la terreur et la mort avec leurs attentats sont désormais pris pour cible. Mais avant tout, ce sont d’anciens ennemis qui choisissent de s’allier pour briser le règne des talibans : Massoud et son ancien adversaire Dostom décident de former une coalition avec l’aide des milices des Hazaras, une minorité persécutée par les talibans. Le Front uni islamique et national pour le salut de l’Afghanistan ou Alliance du Nord est né. Bientôt, des unités pachtounes, telles que celles du futur président Karzaï, vont également rejoindre l’alliance.
Cependant, Ahmed Shah Massoud sera le seul commandant armé à tenir ses territoires face aux talibans. Le gouvernement pakistanais qui veut forcer la décision, envoie des dizaines de milliers de ses ressortissants en Afghanistan pour soutenir les talibans. Près de 28 000 citoyens pakistanais et 3 000 volontaires venant des pays du Moyen-Orient et d’Asie combattent le Front uni. Parmi eux, la 55e brigade arabe, formée et financée par l’Al-Qaïda d’Oussama ben Laden, soit entre mille et deux mille djihadistes de différents pays regroupés en une unité de guérilla parfaitement équipée. Ils possèdent entre autres des téléphones par satellite, des appareils de vision nocturne et même leurs propres avions. Des membres de la brigade sont partiellement affectés aux unités des talibans afin de renforcer leur capacité de combat.
En 2001, les talibans ont perdu la majeure partie de leur influence. Plus d’un million d’Afghans ont fui à l’étranger et des centaines de milliers ont migré vers les provinces du nord contrôlées par Massoud et la vallée du Panchir.
Entre-temps, les milices et partis islamistes ont bien compris qu’une poursuite de la guerre civile conduirait à la dévastation totale du pays. Les impérialistes américains et leurs alliés n’auront soutenu les chefs de guerre isolés et autres partis que jusqu’à la défaire de l’ennemi : l’URSS. Après cela, l’intérêt pour l’Afghanistan a sensiblement diminué, ce qui a permis aux États voisins et aux puissances régionales de gagner en influence et surtout, le contrôle sur les ressources minérales du pays, grâce au soutien qu’ils ont apporté à l’un ou l’autre camp. Ainsi, plusieurs conférences au sommet vont être organisées entre les différents groupes politiques afin de clarifier la situation.
Au printemps 2001, Massoud s’envole pour Strasbourg pour s’adresser au Parlement européen. Il se tourne directement vers les puissances impérialistes européennes et implore leur soutien, financier et humanitaire. Il réaffirme son attachement à un État islamique, tout en se démarquant des talibans et d’Al-Qaida et de leur « mauvaise interprétation du Coran ». Il promet le droit de vote aux femmes et de convoquer une Loya Jirga (« grande assemblée » terme d’origine pachto, mélange entre conseil des sages, assemblée constituante et représentation des différentes nationalités). Coup de théâtre, Massoud propose que la présidence de la Loya Jirga revienne au vieux Zaher Shah, roi déchu en 1973.
Lors de son voyage en Europe, Massoud met aussi en garde contre Al-Qaïda et l’imminence d’une attaque majeure.
Le 9 septembre, Ahmed Shah Massoud est victime d’un attentat à l’explosif à son propre quartier général, perpétré par deux terroristes d’Al-Qaïda qui se sont faits passer pour des journalistes. Deux jours plus tard, c’est le 11 septembre et l’attentat contre les Twin Towers de New York.
Il serait tentant de traiter en détail cette « guerre contre le terrorisme » proclamée par le président américain George Bush (après tout, des lois-éclair telles que le Patriot Act ont privé les citoyens américains de libertés fondamentales et élargi les pouvoirs de la police en vertu de la « suspicion de terrorisme »), mais nous nous en tiendrons à l’Afghanistan.
Après les attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement américain a pour la première fois de l’histoire recourt à l’article 5 de la charte de l’OTAN (attaque militaire contre un pays membre). S’en suit l’opération « Enduring Freedom », qui démarre le 7 octobre 2001 avec le bombardement de différentes cibles en Afghanistan. Les impérialistes américains ne sont nullement intéressés par la prétendue traque très limitée d’Oussama Ben Laden et de ses partisans, ce n’est qu’un prétexte pour installer leurs bases militaires dans d’importants pays voisins de l’Afghanistan en Asie centrale. Le 11 septembre est l’occasion idéale de jeter à la face du monde leur puissance militaire et d’asseoir leur domination. Le message de Bush est clair : quiconque ne soutiendra pas les États-Unis dans cette guerre sera considéré comme ennemi.
Le gouvernement allemand est un pilier essentiel de l’impérialisme américain et c’est justement en Allemagne que les accords de Bonn sont discutés entre le 27 novembre et le 5 décembre 2001 à Petersberg. Quatre délégations de divers groupes afghans avec un total de 28 délégués y prennent part. Sous supervision impérialiste, un plan par étapes pour le transfert du pouvoir à un « gouvernement démocratique après la chute des talibans » est annoncé. Une autre Conférence sur l’Afghanistan a lieu à Tokyo en janvier 2002, au cours de laquelle les puissances impérialistes s’accordent sur une « aide à la reconstruction » de 4,5 milliards de dollars. Afin de s’assurer de la pérennité de leurs investissements, quelques États membres de cette Alliance contre le terrorisme sont désignés pour coordonner la mise en place de « structures démocratiques » : l’armée pour les États-Unis, la justice pour l’Italie, la police pour l’impérialisme allemand et la lutte contre le trafic de drogue pour la Grande-Bretagne.
Une fois les talibans chassés de la Loya Jirga, le noble Karzaï, d’origine pachtoune est « élu » président intérimaire. L’ensemble du processus électoral a montrera bien à quoi ressemblaient les notions impérialistes d’indépendance : Karzaï, un chef de guerre comme beaucoup d’autres, était à la solde de la CIA pendant de nombreuses années et consultant pour UNOCAL, la plus importante compagnie pétrolière américaine de la région. Une fonction qui aurait permis à Karzaï de servir de médiateur dans la construction d’un gazoduc à travers l’Afghanistan. En tout cas, le gouvernement Karzaï avait bel et bien signé un contrat avec le Turkménistan et le Pakistan en 2002 pour l’oléoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan, et qui, pure coïncidence, avait un tracé similaire à celui du projet précédent.
Avant la Loya Jirga de l’été 2002, déjà menée sous la protection des forces d’occupation de la coalition internationale dirigée par les États-Unis, des agents américains contactent des chefs de guerre et chefs de tribu et leur offrent jusqu’à 100 000 dollars pour faire élire Karzaï. Mais attention, le pot-de-vin ne sera versé qu’en cas de victoire. Pour garantir son élection, Karzaï fait également exclure 700 adversaires potentiels de la Loya Jirga avec l’aide des États-Unis. Étonnamment, au cours du vote de la Loya Jirga, une opposition à Karzaï soutenant l’ancien roi Zaher Shah a pris de plus en plus d’ampleur. Une fois encore, Karzaï n’hésite pas à user de pressions et de menaces pour le contraindre à l’exil en Italie. C’est donc dans le plus grand embarras que Karzaï annonce sa victoire à l’élection présidentielle avant même que celle-ci n’ait eu lieu.
La majorité des représentants de l’Alliance du Nord, des chefs de guerre locaux et des seigneurs féodaux entrent dans le gouvernement Karzaï. Il faut bien rappeler que les moudjahidines s’étaient rendus coupables de nombreux crimes de guerre et massacres depuis leur création, dans leur lutte contre les soviétiques puis plus tard, dans leur guerre fratricide ou contre le gouvernement du PDPA. Cela était dû, entre autres, à l’importance de la culture du pavot et du trafic de drogue qui en découlait.
L’une des raisons pour lesquelles Karzaï doit faire face à une forte opposition à la Loya Jirga vient du fait qu’une partie de sa famille joue un rôle important dans ce trafic de drogue (ses cousins contrôlent la plus importante entreprise de logistique du pays et ont maintenant un vrai savoir-faire en la matière). L’opposition n’a pourtant rien contre l’exploitation du pavot ou l’opium, certains chefs de milice veulent simplement leur part du gâteau.
Le déploiement de la Force internationale d’occupation (FIAS) soulève une large partie de la population afghane contre les troupes étrangères et leurs commandants, les motifs de leur présence étant trop incertains (traque d’Oussama, défense des « structures démocratiques », etc.). Le véritable contexte se révélera finalement aux yeux de la population et du public mondial : la politique afghane de l’impérialisme américain n’est qu’un élément constitutif du Nouvel ordre mondial proclamé par Bush après l’effondrement de l’Union soviétique. Une tête de pont impérialiste devait absolument être créée dans une région stratégiquement importante de l’Asie centrale, à proximité immédiate de la Russie et de la Chine.
C’est là une occasion en or pour l’impérialisme allemand de retrouver sa place aux côtés des américains comme puissance militaire d’envergure. Fin 2002, Peter Struck, le ministre fédéral social-démocrate de la Défense proclame : « La sécurité de la République fédérale d’Allemagne sera également défendue dans l’Hindu Kush. » C’est donc sous la coalition SPD-Grunen de Gerhard Schröder et Joschka Fischer qu’est décidé l’engagement militaire de la Bundeswehr en Afghanistan.
Les attaques de la FIAS contre des civils, ces raids nocturnes contre des maisons suspectes dans les villes et villages, vont causer beaucoup de « dommages collatéraux » à la population afghane (environ 43 000 civils tués en 2019, le nombre de blessés est inconnu). Une raison suffisante pour Karzaï le corrompu de se révolter. Après le raid aérien de Kundus le 4 septembre 2009, les critiques de Karzaï à l’égard des États-Unis se veulent de plus en plus virulentes. En Allemagne, les défenseurs de la paix multiplient les manifestations et le ministre de la défense de la CDU annonce sa démission. En effet, sur les instructions du commandant allemand Klein, l’OTAN a bombardé un convoi présumé de talibans et tué 142 personnes, dont de nombreux civils, principalement des enfants. Dans le même temps, Karzaï tente d’approcher en secret les talibans mais une fuite rompra tout contact entre les deux parties.
Les ambitions géopolitiques de l’impérialisme américain s’apparentent désormais à un puits sans fond. Selon un rapport du Watson Institute for International and Public Affairs de l’Université Brown, le coût total de l’invasion de l’Afghanistan pour les États-Unis depuis 2001 se monte à 2,26 mille milliards de dollars au total ; le coût de la formation et de l’équipement de l’armée afghane s’élevant à lui seul à 83 milliards. Les 12,5 milliards de dollars dépensés par l’impérialisme allemand sembleraient presqu’une broutille. Les bénéficiaires de la réforme Hartz IV le verront sans doute d’un autre œil.
Après le remplacement de Karzaï par son ministre des Finances Ashraf Ghani en 2014, il est devenu évident que cette interminable guerre en Afghanistan épuise aussi bien les locaux que les impérialistes.
C’est Barack Obama qui initie en premier lieu un retrait échelonné des troupes américaines. Un facteur au niveau national est en train de creuser encore un peu plus la dette de guerre américaine, il s’agit des revenants. Un grand nombre de vétérans ont été particulièrement traumatisés par cette expérience.
En 2021, ils sont au nombre de 750 000 et beaucoup d’entre eux sont au chômage. Et c’est sans compter sur le nombre de suicides et de démobilisés volontaires. Entre 2001 et 2018, leur nombre était de 30 100 contre 7 050 tués au combat. Aujourd’hui, une partie de ces vétérans de guerre s’opposent fermement à la politique belliqueuse de l’impérialisme, une autre, également en Allemagne a préféré se tourner vers le nationalisme.
Lorsque Donald Trump commence à négocier un retrait total de ses troupes avec les talibans, il devient clair qu’un changement de paradigme dans l’impérialisme américain est en train de s’opérer. « America First » signifie non seulement un grand pas vers l’isolationnisme mais aussi le passage à la guerre commerciale plutôt que militaire, beaucoup plus coûteuse. Le plus cynique dans tout ça, c’est que ce même président qui va imposer aux musulmans des conditions d’entrée très strictes dans son pays, n’hésite pas à conclure un pacte avec précisément ceux qu’on a qualifié de « parrains de la terreur » en 2001.
Joe Biden, son successeur à la Maison Blanche, poursuit le retrait des troupes encore plus rapidement que l’agenda de départ. Les talibans ont le champ libre pour intensifier leurs offensives alors que l’armée officielle se démoralise peu à peu. Ne restent certains chefs de guerre et le Front national de résistance afghane (une partie de l’ancienne Alliance du Nord) pour tenter de résister.
En recréant l’Émirat islamique d’Afghanistan, les talibans se heurtent également à des mouvements de protestation civile : manifestations à Asadabad, dans la province de Kunar, à Jalalabad, dans la vallée du Panchir et même à Kaboul. Si les minorités opprimées de longue date persistent à résister, c’est surtout parce qu’elles craignent d’être exterminées par les talibans.
Attention, les leaders bourgeois et petits-bourgeois de l’opposition armée sont, toutes proportions gardées, aussi islamistes que les talibans. Ce serait une erreur de soutenir l’une ou l’autre de ces positions en partant du simple concept du « moindre mal ». Une autre erreur serait de déplorer le retrait des troupes de l’OTAN, véritable frein à « la voie démocratique » en Afghanistan.
Le déracinement de masse causé par la guerre de la couche la plus précaire des Afghans confirme de manière bien cruelle la théorie de la révolution permanente. Dans les pays colonisés ou semi-colonisés, la bourgeoisie de souche (alliée aux grands propriétaires terriens) est incapable de porter les tâches révolutionnaires pour la démocratie : réformes agraires, démantèlement des grands domaines, libertés fondamentales telles que la liberté d’association ou de réunion, liberté de la presse, etc.
Les représentants de ces classes dirigeantes s’allient aux puissances impérialistes dans leurs crimes contre la menace intérieure, au service des intérêts coloniaux.
L’Afghanistan est un parfait exemple de ce qu’il arrive quand la trahison stalinienne n’aboutit à aucun parti ouvrier révolutionnaire : les masses ne sont que le jouet de diverses factions contre-révolutionnaires et impérialistes. L’oppression demeure, l’asservissement des femmes également et la jeunesse perd toute chance d’éducation.
Certains dans la « vraie gauche » ou « gauche dure » voient dans la victoire des talibans une « victoire des masses », une « victoire sur l’impérialisme ». Certes, la fin de cette phase d’intervention militaire marque avant tout, un affaiblissement de l’impérialisme américain. Mais les talibans veulent établir un régime islamo-fasciste et aujourd’hui, leurs dirigeants ont appris de leurs erreurs.
Les années de terreur des talibans, l’exercice corrompu du pouvoir des impérialistes du gouvernement Karzaï puis de son successeur Ghani et le bombardement du pays ont conduit à la destruction des infrastructures les plus importantes et de la plupart des industries.
En plus des métaux précieux tels que le lithium, l’Afghanistan possède d’abondantes réserves d’uranium, de pétrole, de charbon, de gaz et même d’or. Jusqu’à présent, seule une petite partie de ces gisements a été exploitée. La course à l’influence et aux contrats juteux est lancée. Après la première prise de pouvoir des talibans, les économistes de la Banque mondiale avaient dépeint la structure économique du pays comme une « économie agraire de l’opium ». Les destructions de guerre et l’exode massif de travailleurs qualifiés pourraient conduire à une revitalisation de ce modèle économique. Cela pourrait aussi donner quelque-chose de complétement différent car en plus des puissances régionales comme la Turquie et le Pakistan, le jeune impérialisme chinois aux dents longues a sorti les crocs. A peine quelques heures après l’entrée des talibans à Kaboul, un porte-parole du gouvernement chinois a annoncé une « coopération amicale » avec le gouvernement de l’Émirat.
Cependant, en raison de l’instabilité du pays, les relations économiques entre les deux pays n’ont jusqu’à maintenant jamais satisfait les Chinois. La mine de cuivre de Mes Aynak, par exemple : malgré un contrat d’exploitation établi en 2008 entre deux groupes chinois et le gouvernement de Kaboul, tout est resté au point mort en raison de différends sur l’usinage du cuivre. De fait, le projet de liaison ferroviaire entre les ports de Hairatan et Torkham pour le transport du cuivre a également échoué.
Afin d’intégrer l’Afghanistan au « projet de nouvelle route de la soie », la Chine a besoin de stabilité et de sécurité dans la région. Malgré les signaux positifs envoyés par Pékin, il est fort possible qu’une partie du gouvernement ne voie cette coopération d’un très mauvais œil, en raison de l’attractivité que pourraient représenter les talibans pour les islamistes chinois.
Il semble aujourd’hui impératif que les salariés des villes et des campagnes, fortement décimés par la guerre et souvent contraints de fuir s’arment et s’organisent de manière indépendante en syndicats et comités de quartier et de village. Ils devront avant tout se protéger contre les seigneurs de guerre. Les partis islamistes ont bien montré qu’ils servaient exclusivement les intérêts d’une classe très réduite composée de propriétaires terriens et de capitalistes. Le PDPA a aussi montré jusqu’où la politique d’alliance entre classes pouvait mener. Les réformes positives telles que le droit des femmes, l’éducation et l’industrialisation ont été sabordés par des compromis avec l’ancienne classe dirigeante et le soutien des puissances impérialistes.
La petite classe ouvrière pakistanaise est aujourd’hui confrontée à un immense défi. Celui de construire un parti ouvrier révolutionnaire de type bolchevique dans le cadre de la lutte pour la création d’un Etat ouvrier. L’objectif final sera pour les classes paysannes au Pakistan et dans les pays voisins, de créer une Fédération socialiste d’Asie centrale.