Des grèves massives dans le secteur public
Depuis près de deux mois, les travailleurs de la poste, des chemins de fer, de l’éducation, de la protection civile, des impôts, de la santé, enchainent les grèves et les manifestations pour exiger la satisfaction de leurs revendications. Salaires, conditions de travail, libertés de s’organiser et de manifester : c’est la voix du prolétariat qui tonne dans les rues d’Alger, de Kabylie, d’Oran, de dizaines de villes du pays.
Après la flambée épidémique (sans chiffres officiels et sûrs), le confinement, la montée du chômage qui touche 15 % de la population (35 % des jeunes), l’énorme hausse des prix des denrées alimentaires (inflation à 4,5 %), la pénurie de celles qu’on voudrait acheter (farines, pommes de terre), la population laborieuse a engagé le combat pour défendre ses intérêts.
Elle insuffle aux marches du Hirak qui ont repris depuis le 16 février 2021, date anniversaire de son déclenchement, une dynamique que le pouvoir de Tebboune, de l’armée et des patrons craint au plus haut point. Il tremble que la classe ouvrière prenne la tête du mouvement de contestation et lui ouvre une issue révolutionnaire.
Le nouveau dérivatif du pouvoir
L’Algérie a le premier budget militaire d’Afrique avec 1 230 milliards de dinars, environ 7,6 milliards d’euros, (plus 235 milliards de dinars pour les anciens combattants) et l’armée est le premier poste budgétaire de l’État avec plus de 5 % du PIB (voir Journal officiel, 31 décembre 2020, p. 62). Le capitalisme algérien, bâti sur l’étouffement de la révolution sociale en 1961 et sur la rente que sa bourgeoisie accapare depuis n’a pas été capable de développer l’agriculture et l’industrie. Inéluctablement, cette bourgeoisie est de plus en plus dépendante du système impérialiste mondial. L’état-major qui en fait partie et son homme de paille, le président mal élu Abdelmadjid Tebboune, n’ont pour marge de manoeuvre que les rivalités entre la France, les États-Unis, la Chine… Si la règle pour toute extraction pétrolière ou gazière de 51 % de parts pour l’entreprise algérienne Sonatrach a été réaffirmée le 9 février 2021, le reste de la législation a été assoupli.
En décembre 2019, une nouvelle loi pétrolière est adoptée en pleine crise politique. Son ambition est de faire revenir les compagnies internationales souvent échaudées par les pratiques algériennes, des douanes aux impôts en passant par les banques et, bien sûr, la compagnie nationale, la Sonatrach, qui doit approuver chaque décision et prend son temps. (L’Orient XXI, 23 février 2021)
Face à la reprise du Hirak, le gouvernement compte d’une part agiter l’épouvantail des islamistes, qui ont fait leur apparition dans la rue, et d’autre part tenir des élections législatives anticipées le 12 juin. Cette initiative est soutenue par le FLN, le RND, le REA, le MSP, l’AGL… et la bureaucratie syndicale de l’UGTA. S’y opposent d’autres partis bourgeois (RCF, FFS, UCP, Rachad…) et la plupart des formations politiques du mouvement ouvrier (les organisations réformistes PT et MDS, le groupe centriste PST).
Le pouvoir réprime
Alors finis les éloges au « Hirak béni » avec trémolos, place au gant de fer. Les consignes sont données aux directions des services publics de stopper immédiatement les grèves.
L’entreprise informe que « dans le cas où les travailleurs grévistes ne reprendront pas le travail sur le champ, la réglementation en vigueur sera appliquée, ce qui inclut un licenciement sans préavis ni indemnisation », a indiqué la direction d’Algérie Poste. (El Watan, 15 avril 2021)
Le 2 mai, le pouvoir met à pied 230 pompiers qui ont participé à une manifestation aux abords du palais présidentiel. Le 6 mai, Abdelmadjid Tebboune menace les grévistes de tous les secteurs sous prétexte de « l’exploitation de l’activité syndicale par des mouvements subversifs ». Le journal de l’armée (El Djeich) fustige les « grèves suspectes » et « la main de l’étranger », martèle que « l’État sera intransigeant ».
Les manifestants scandent : « État civil et pas militaire ! » Le 9 mai, le ministère de l’intérieur décrète une obligation de déclarer les marches, ce qui entraine aussitôt la mise en place du dispositif policier pour interdire ces manifestations et souvent l’arrestation des déclarants qui doivent alors s’engager par écrit à ne plus participer aux marches sous peine d’incarcération pour récidive… Le 11 mai, la marche étudiante a été prohibée pour la troisième semaine consécutive. Les portraits des détenus, les dénonciations des tortures et viols, les slogans contre la corruption éclairent crûment où se trouvent les responsables des « activités anti-démocratie et illégales » que Tebboune attribue aux grévistes. Le Parti socialiste des travailleurs est menacé d’interdiction.
Le 21 mai, les trams, les trains de banlieue et inter régionaux ont été suspendus toute la journée pour empêcher la population de se rendre dans le centre d’Alger. Les quartiers est et ouest de la ville ont été bouclés. La Brigade de recherche et d’intervention a multiplié les agressions contre les groupes qui tentaient de se constituer. Pour empêcher la diffusion des vidéos montrant les violences policières, internet a été coupé. Les journalistes et photographes non inféodés sont privés d’accréditation. Pour cette seule journée, qui a vu aussi des affrontements entre les manifestants et la police à Bouira, 800 personnes ont été arrêtées dans 18 régions, 250 sont toujours incarcérées.
Dirigeants de l’UGTA et de la CSA, appelez à la grève générale !
Les travailleurs et travailleuses du public, comme des milliers d’autres du privé (automobile, agroalimentaire…) ont engagé le combat pour les salaires, les conditions de travail, contre les licenciements, pour la liberté d’organisation. Tebboune a décrété la « reprise du dialogue avec les partenaires sociaux » le 2 mai, au moment où sa police tabassait et gazait des pompiers venus réclamer la libération d’un des leurs arrêté le matin. Les dirigeants syndicaux à sa solde l’ont accepté.
Mais la Coordination de l’éducation, regroupant 13 syndicats, rappelle les revendications (augmentation des salaires par celle du point d’indice, révision du statut particulier des personnels de l’éducation, rétablissement de la retraite anticipée), déclare « nul et non avenu l’appel du ministère à cesser la grève ». Une de ses porte-parole (conseil des lycées d’Alger) « estime que les réunions organisées en cours de semaine entre les syndicats et le ministre de l’Education nationale, en application du dialogue social impulsé par le président de la République sont loin de répondre aux revendications urgentes des enseignants ». (La Nouvelle République, 26 mai 2021).
Mais les agents de la protection civile ont de nouveau manifesté, en uniforme, dans des dizaines de villes (M’sila, Biskra, Béjaïa, Tizi Ouzou…) en soutien à leurs collègues réprimés, maintenant leurs légitimes revendications et leur lutte pour les obtenir.
Mais la population de Béjaïa a soutenu les travailleurs de Numilog qui luttent depuis des mois contre les licenciements abusifs dans cette filiale de Cevital (agroalimentaire) qui détient le quasi-monopole de denrées indispensables comme le sucre et l’huile et dont le patron a été incarcéré pour corruption.
Les travailleurs en grève, les jeunes mobilisés, les marcheurs du Hirak rejettent le gouvernement Tebboune, ses manoeuvres, sa répression.
Dirigeants des syndicats, rompez avec lui ! Organisez son isolement ! Ne laissez pas les secteurs en lutte isolés les uns des autres ! Appelez à la grève générale jusqu’à satisfaction ! C’est aussi la responsabilité des partis et organisations qui disent parler au nom des travailleurs et s’opposer à Tebboune !
Front unique pour imposer l’échelle mobile des salaires, seule arme ouvrière contre la flambée des prix ! Réintégration de tous les licenciés ! Libération de tous les détenus pour faits de grève ou de manifestation ! Autodéfense contre la police et l’armée !
Pour un gouvernement ouvrier et paysan, pour un parti ouvrier révolutionnaire
Le gouvernement, l’armée et les patrons tablent sur l’usure, le manque d’une direction décidée à les affronter et à les vaincre. Cependant, dans tous les comités, collectifs, coordinations, chez les grévistes et les marcheurs, les éléments qui constituent cette direction existent. Il faut élire les délégués des comités, révocables, et les centraliser pour la formaliser et fournir une alternative au gouvernement actuel et à l’État bourgeois. Ainsi, la classe ouvrière pourra prendre la tête de la lutte de tous les opprimés (femmes, Kabyles…), pour un gouvernement des travailleurs, les États-Unis socialistes du Maghreb, la fédération socialiste de la Méditerranée.
C’est à quoi devraient oeuvrer avec acharnement les groupes et organisations qui parlaient ou parlent de révolution. Au lieu de quoi, le MDS, le PT, le PST, le POSI… en retard de 70 ans, courent après la mise en place d’une « assemblée constituante », enfermant ainsi les militants qu’ils influencent dans le filet qui a aidé à étouffer la révolution en Tunisie, la tromperie des élections et des palabres à l’assemblée bourgeoise et impuissante.
Grève générale ! Et alors, le sort des législatives des militaires sera scellé ! Grève générale ! Pour la représentation et le pouvoir des masses en lutte !