Dissensions au sein de PD et fin du gouvernement Conte
La situation politique en Italie a livré une combinaison gouvernementale inédite.Le gouvernement Conte reposait depuis 18 mois sur un attelage formé par le Partito Democratico (Parti démocrate-PD, un parti bourgeois issu de la fusion entre démocrates-chrétiens et staliniens), le Movimento 5 Stelle (Mouvement cinq étoiles-M5S), un parti populiste fondé par un comique, le parti réformiste Liberi e Uguali (Libres et égaux, LeU) et Italia Viva (Italie vivante-IV), un parti bourgeois type LREM issu d’une scission du PD conduite par Matteo Renzi. Le M5S avait déjà dû ranger aux oubliettes son « dégagisme » en formant un gouvernement avec la Liga fascisante (LN) en 2018, puis il a ravalé ses diatribes contre l’Union européenne à l’été 2019 pour s’allier avec ses anciens « ennemis » du PD.
Après le retrait de deux ministres du parti Italia Viva de la coalition du gouvernement Giuseppe Conte le 13 janvier, ce dernier a perdu sa majorité à la Chambre des députés et au Sénat. Conte étant dans l’incapacité de former un troisième gouvernement, c’est Mario Draghi qui a été désigné le 3 février par le président de la République pour constituer un gouvernement sur la base d’une coalition hétéroclite rassemblant PD, LN, M5S, IV, FI, LeU. Draghi a obtenu l’investiture le 17 février au Sénat (260 contre 40) et le lendemain à la Chambre des députés. Il aura fallu moins de deux ans pour que les partis traditionnels et le principal parti antisystème, autrefois adversaires, s’unissent dans un gouvernement d’union nationale. Seul le parti fasciste Fratelli d’Italia (FdI) reste dans l’opposition avec quelques députés qui ont quitté le M5S.
Le tournant vers l’UE du M5S et de la Liga
Loin des discours « anti-élites » de sa fondation, la pantomime de la consultation des adhérents (59,3 % pour) du M5S pour soutenir un manageur de la multinationale de la finance Goldman Sachs (2002-2005), un gouverneur de la Banca d’Italia (2006-2011) et un président de la BCE (2011-2019) donne des indications sur les besoins de la bourgeoisie italienne.
Les mêmes raisons ont conduit à la reconversion de la LN. Formation régionaliste à ses origines, et favorable à l’UE, la Ligue du Nord pour l’indépendance de la Padanie s’était construite autour du séparatisme et contre les Italiens du Sud et les migrants. Mais pour gagner des voix dans ces régions pauvres, Matteo Salvini a redirigé ses attaques contre « l’Europe » à l’instar du FN-RN français. Or ce virage n’a jamais fait consensus au sein de la LN car il est contraire aux intérêts de nombreux capitalistes du Nord.
La classe dirigeante a décidé de siffler la fin des joutes parlementaires antérieures et de tenter de resserrer son exécutif politique pour sauver une position dégradée dans la compétition internationale.
La personnalité du nouveau président du Conseil (premier ministre) et la composition du gouvernement qu’il a formé en sont la preuve, avec un mélange de « techniciens » (8) et de vieux politiciens (15 : 4 du M5S, 3 de FI, 3 du PD, 3 de la LN, 1 de LeU, 1 de IV) : un ministre de l’économie et des finances, Daniele Franco, ancien numéro 2 de la banque centrale ; un ministre du développement économique, Giancarlo Giorgetti (LN) proche des milieux d’affaires lombards. Un chiffre montre bien qui compte peser : 18 ministres sur 23 sont issus de l’élite du nord.
Une tentative d’union nationale
La ligne directrice de ce gouvernement est de faire repartir l’économie capitaliste, car le PIB a reculé de 8,9 % en 2020 à cause de la crise capitaliste mondiale aggravée par la pandémie. C’est pourquoi il a accéléré la vaccination pour sortir des mesures de confinement qui restreignent l’exploitation des travailleurs italiens. En ce sens, le gouvernement de Draghi s’inscrit dans la continuité de celui de Conte qui porte la responsabilité d’un des pires taux de mortalité due au Covid au monde (146 pour 100 000 habitants). Les autres priorités affichées sont la « transition énergétique », l’investissement dans les infrastructures et le numérique, notamment dans le sud.
Pour légitimer sa politique, le bigot qui dirige désormais l’État italien a repris une phrase du pape Bergoglio (alias « François ») :
Les catastrophes naturelles sont la réponse de la Terre à nos mauvais traitements. Si l’on demandait au Seigneur ce qu’il en pense, je ne crois pas qu’il dirait que c’est une bonne chose : c’est nous qui ruinons l’oeuvre du Seigneur. (Mario Draghi, Discours au Sénat, 17 février 2021)
Le chef de l’Église catholique précisait : « nous avons péché contre la terre et, en définitive, contre le Créateur » (Jorge Mario Bergoglio, Audience générale, 22 avril 2020). Cela en dit long sur l’irrationalité grandissante de la bourgeoisie contemporaine et de son personnel politique. Toutes les hiérarchies religieuses sont ce qui reste du Moyen-Âge et leur critique de la société contemporaine est réactionnaire. Elle se dresse contre le socialisme, contre la maitrise par l’humanité de l’économie.
Le « plan de reprise et de résilience » du gouvernement a été adopté le 27 avril à une très large majorité : 442 oui, 19 non et 51 abstentions à la Chambre des députés ; 224 oui, 16 non et 21 abstentions au Sénat. FdI a choisi de s’abstenir plutôt que rejeter un projet impliquant l’arrivée de centaines de milliards d’euros de l’UE.
Une opération de restructuration du capital italien
Plus concrètement, un super-ministère de la transition écologique a été confié à Roberto Cingolani, ancien responsable de l’innovation technologique chez le géant de l’aéronautique Leonardo. Ce conglomérat figure parmi les dix premières sociétés du secteur et constitue le second groupe industriel du pays. Pour Cingolani, dont le slogan est « relancer l’Italie vers le futur », il s’agit surtout de reconvertir la vieille industrie transalpine, peindre en vert les vieux secteurs énergétiques, faire de l’hydrogène à partir du gaz et du pétrole.
Le ministre de l’innovation technologique et de la transition numérique est Vittorio Colao, un ancien PDG de Vodafone. Son objectif est d’inciter au rapatriement les entreprises italiennes parties à l’étranger et d’attirer les étrangères en offrant une modernisation des infrastructures numériques, passage à la 5G, extension de la couverture au haut débit.
L’enjeu pour Draghi est de mettre au service du grand capital le plan de relance européen, 209 milliards d’euros, l’Italie étant la première bénéficiaire. Même si cette somme cache mal que seuls 81 milliards sont des subventions et que la majorité (128 milliards) sera attribuée sous forme de prêts alors que l’État, à cause de la faiblesse structurelle du capitalisme national, est déjà endetté à 155,8 % du PIB.
Par conséquent, le nouveau gouvernement va devoir faire les « réformes » qui s’imposent : créer des « pôles d’excellence » pour soumettre la recherche publique au profit, contenir la dette publique, réduire l’effectif de la fonction publique sous couvert de moderniser l’administration, améliorer la rentabilité du capital, baisser la fiscalité des entreprises, lutter contre les lenteurs de la justice.
L’ordre du jour est à la restructuration du capitalisme italien, sa modernisation, sa capacité à se hisser au niveau des premières économies mondiales… pour ne pas être définitivement détaché. Le « plan de relance » sera surtout là pour réorienter le capital vers les activités les plus rentables et se débarrasser des canards boiteux.
Cela vaut bien de faire quelques entorses aux règles du commerce mondial. Le président du Conseil a bloqué, le 26 février, l’exportation de 250 000 doses du vaccin du laboratoire suédo-britannique AstraZaneca, qui était produit à 70 kilomètres de Rome. La cargaison à destination de l’Australie a été interceptée par les douanes italiennes.
Les exploités face au capital et au gouvernement Draghi
La lutte acharnée de la bourgeoisie italienne pour sa survie comme puissance impérialiste explique l’union nationale réalisée au parlement autour de Draghi. Mais le plus difficile reste à faire, faire supporter le poids de l’effort aux producteurs.
Les travailleurs, qu’ils soient d’origine italienne ou étrangère, doivent s’organiser pour se défendre. Ainsi, de 75 à 90 % des salariés de la filiale d’Amazon ont fait grève les 22 et 26 mars dans tout le pays, touchant toute la chaine de livraison, y compris les coursiers. Ce secteur est devenu crucial dans le cycle du capital. Il se caractérise par la surexploitation d’une main-d’oeuvre peu qualifiée avec une forte présence de travailleurs immigrés. Aux 9 000 employés d’Amazon Italia Logistica, il faut ajouter environ 9 000 livreurs. En comptant les nombreuses filiales du mastodonte de Jeff Bezos, ce sont 40 000 personnes qui oeuvrent dans ce secteur.
Le débrayage a été déclenché par un arrêt des négociations entre Amazon et les dirigeants syndicaux (CGIL, CISL, UIL) mais ces derniers, fidèles à leur logique de défense de « l’intérêt national » et du « dialogue social », veulent avant tout faire revenir les dirigeants de la multinationale autour de la table des négociations.
Les travailleurs, eux, veulent la satisfaction de leurs revendications : hausse des salaires, allègement de la charge de travail, respect des normes sanitaires, paiement d’une indemnité covid. S’organiser pour qu’elles ne soient pas bradées, pour contrôler la lutte en imposant la grève totale jusqu’à satisfaction, telle est la voie pour gagner. Celle que pourraient emprunter tous les travailleurs.
Il manque un parti ouvrier révolutionnaire capable de guider les luttes spontanées, de mettre en garde les exploités contre tous les partis des exploiteurs, d’unifier le prolétariat, d’ouvrir la perspective d’un gouvernement des travailleurs et des États-Unis socialistes d’Europe.