La juge Vanessa Baraitser rendit son verdict sur la demande d’extradition ; pendant près d’une heure, elle résuma son jugement écrit, un long document (https://bridgesforfreedom.media/wp-content/uploads/2021/01/USA-v-Assange-judgment-040121.pdf) accompagné d’une annexe (https://bridgesforfreedom.media/wp-content/uploads/2021/01/USA-v-Assange-annex-040121.pdf) synthétisant les dépositions des témoins.
Sur tous les points concernant les faits reprochés à Assange, les droits de la presse et la légitimité de l’inculpation, elle récusa les arguments de la défense et donna raison au gouvernement des États-Unis. Selon elle, le traité d’extradition entre le Royaume Uni et les États-Unis n’exclut pas les extraditions pour des crimes de nature politique et cette extradition ne viole pas la Convention européenne des droits humains ; Assange est accusé d’avoir aidé Manning à pirater des ordinateurs et voler des documents, ce qui va plus loin que les pratiques journalistiques usuelles de solliciter des lanceurs d’alerte et de publier des documents secrets, d’ailleurs ces pratiques elles-mêmes peuvent être punies en vertu des législations des États-Unis (Espionage Act) et du Royaume-Uni (Official Secrets Act) ; que d’autres sites aient pu impunément publier avant WikiLeaks les documents secrets contenant les noms d’informateurs n’exonère pas la responsabilité de Wikileaks de les avoir publiés après ; la demande d’extradition ne procède pas de la pression politique vindicative de l’administration Trump, mais bien des efforts de magistrats indépendants et intègres ; Assange aura droit à un procès équitable, avec un jury impartial et tous les droits garantis aux justiciables par la Constitution ; etc. Elle mit même en doute l’implication des États-Unis dans l’espionnage électronique d’Assange à l’intérieur de l’ambassade de l’Équateur, car l’actuel gouvernement équatorien pourrait en être le commanditaire, et s’aventura à contredire la déposition d’un expert informatique sur l’impossibilité technique en 2010 de déjouer le long mot de passe protégeant certains documents.
Quand la juge aborda les futures conditions de détention d’Assange aux États-Unis et son état psychologique, son argumentation se retourna, elle suivit largement les dépositions des témoins cités par la défense. Dans son opinion, il est fort probable qu’Assange sera mis au régime de « Mesures administratives spéciales » (SAM), à l’isolement, « gardé en cage » selon ses propres termes, avec de très fortes limitations des contacts avec sa famille et ses avocats. Par ailleurs, il souffre de dépression et de tendances suicidaires, comme d’autres membres de sa famille, et de troubles autistiques (syndrome d’Asperger). Dans la prison de Belmarsh, il a eu des hallucinations et exprimé des pensées suicidaires, mais il a pu bénéficier d’une aide psychothérapique, de conversations téléphoniques et de visites de sa famille. Dans sa prison aux États-Unis, son régime serait bien plus sévère, donc le risque d’aggravation de sa dépression et de passage à l’acte suicidaire est important. Elle conclut que son extradition serait « oppressive » selon les termes de la section 91 du traité d’extradition entre le Royaume Uni et les États-Unis. Par conséquent, elle rejeta la demande d’extradition.
Une telle attitude binaire de la part de la juge Vanessa Baraitser ne doit pas étonner. Durant le procès, elle avait fréquemment fait preuve d’une attitude négative envers la défense, critiquant ses arguments ou lui faisant des reproches. Elle n’est jamais apparue comme une magistrate jugeant en toute indépendance, mais bien comme une employée de l’État agissant sur mission. Le refus de l’extradition pour raison humanitaire et de santé permet au Royaume-Uni d’éviter le scandale de l’embastillement d’Assange aux États-Unis et de sa possible mort, tout en ne faisant aucune concession à WikiLeaks et à la liberté des journalistes d’enquêter et informer sur les crimes des États. Cela passe par une critique implicite de l’inhumanité du système carcéral états-unien, ce qui ne choquera personne, permettant aussi par contraste de vanter l’humanité des prisons de Sa Majesté.
Les avocats des États-Unis ayant annoncé leur intention de faire appel, une nouvelle audience a eu lieu le 6 janvier au tribunal de la magistrature de Westminster, en vue de décider de la détention provisoire d’Assange en attente du nouveau procès. Claire Dobbins, avocate du gouvernement étatsunien, argua qu’en 2012 Assange avait violé les termes de sa liberté conditionnelle en se réfugiant à l’ambassade de l’Équateur, qu’il avait aidé Edward Snowden à se réfugier à Moscou, et que le gouvernement mexicain lui avait offert l’asile politique, donc il pourrait, avec son réseau et ses ressources, s’échapper pour rejoindre le Mexique. Pour la défense, Edward Fitzgerald fit valoir que l’appel contre un tel verdict donné pour raisons humanitaires a très peu de chance d’aboutir, donc le Royaume Uni est le pays où Assange se trouve le plus en sécurité, bénéficiant de la protection de la loi, et ainsi il n’a pas de raison de vouloir s’échapper. Il ajouta qu’Assange est prêt à se soumettre à une assignation à résidence et à porter un dispositif électronique de géolocalisation. Il rappela qu’à l’issue de sa peine de prison pour non-respect de sa liberté conditionnelle, il a passé 15 mois en détention provisoire en attente du verdict du procès en extradition, il est donc temps de le libérer.
La juge Baraitser donna sans tarder sa décision : comme Assange avait violé en 2012 les termes de sa liberté conditionnelle, il peut le faire à nouveau, et il dispose de ressources et d’un réseau lui permettant de s’échapper, donc sa demande de libération conditionnelle est rejetée. Julian Assange est alors retourné à la prison de Belmarsh.
Le procès en appel se déroulera probablement au printemps 2021.
Libération immédiate de Julian Assange ! Non à l’extradition ! Liberté d’informer pour les journalistes et lanceurs d’alerte !