Comment les États capitalistes ont limité la portée de la crise précédente
Face à la précédente, nombre de gouvernements avaient renié le libéralisme.
L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. (Nicolas Sarkozy, 25 septembre 2008)
En tout cas, les États impérialistes, quel que soit leur régime politique, quelle que soit la composition du gouvernement, ont adopté des politiques « de relance keynésienne » par le recours au déficit budgétaire et la politique monétaire accommodante de leur banque centrale. En fait, en 2008-2009, de la Chine aux États-Unis en passant par le Japon et l’Europe occidentale, ils ont volé au secours de leurs banques et de leurs groupes industriels. Le chômage a frappé alors durement les salariés, permettant de renforcer l’exploitation dans les entreprises. Les gouvernements en ont profité pour poursuivre le démantèlement du droit du travail ainsi que des conquêtes sociales. Leurs politiques migratoires se sont durcies. Malgré la reprise, les États bourgeois ont repris les coupes budgétaires dans les dépenses sociales (éducation, santé…).
Que le capitalisme ne soit plus capable de financer l’État-providence et est conduit à effectuer des coupes dans cette sphère prouve que ce n’est pas les dépenses sociales qui causent la crise et montre que le capitalisme n’est plus à même de réponde aux besoins de base (santé, éducation, services sociaux, etc.) pour les millions de personnes qui, sont, en définitive, l’élément décisif des forces productives. (Geoff Pilling, The Crisis of Keynesian Economics, 1986, ch. 4)
La crise mondiale précédente a donc peu pénalisé le capital et beaucoup le travail. La limitation de la destruction de capital par les États impérialistes a freiné la reprise économique mondiale qui a débuté fin 2009 et qui vient de s’achever. Durant cette phase d’expansion limitée, la concurrence s’est accrue entre puissances impérialistes. L’État américain, pour tenter de maintenir sa domination, a renoncé à sa posture de gérant du système impérialiste mondial, et a riposté à ses rivaux, en particulier la Chine et l’Allemagne. Le mythe propagé par les « antimondialistes » (des fascistes aux pseudo-trotskystes, en passant par les bakouninistes, les défroqués du stalinisme et les écologistes néo-malthusiens) que le monde était dirigé par la finance apatride et par des organismes cosmopolites (OMC, FMI, BM…) a fait long feu.
Il est inconcevable en régime capitaliste que le partage des zones d’influence, des intérêts, des colonies, etc. repose sur autre chose que la force de ceux qui prennent part au partage, la force économique, financière, militaire, etc. (Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916, ch. 9)
La multiplication dans le monde entier de mesures protectionnistes a concouru au ralentissement des échanges et de la production bien avant la crise de 2020. Pour maintenir l’ordre interne et protéger les intérêts de leurs groupes capitalistes, les États bourgeois ont dépensé plus que jamais dans les corps de répression, l’espionnage de masse et les armements. Les budgets militaires, à eux seuls, représentent plus de 2 % du PIB mondial.
Parallèlement, les États impérialistes ont continué, au nom de la compétitivité internationale et de la douteuse théorie du « ruissellement », à exempter les entreprises et les riches de l’effort fiscal. Par conséquent, la dette des États a globalement continué à croître durant la phase d’expansion : au début 2020, 85 % du PIB au Canada, 85 % en Grande-Bretagne, 108 % aux États-Unis, 237 % au Japon. Alors que l’Union européenne fixe un plafond de 60 %, le ratio dette publique/PIB y dépassait 80 %, dont 95 % en Espagne, 97 % en France, 115 % au Portugal, 134 % en Italie…
Une catastrophe financière et économique prévisible
Face au ralentissement mondial, les grandes banques centrales ont tenté, vainement, de stimuler la croissance économique nationale en accentuant leur politique monétaire expansive (taux directeur bas, rachat massif des titres de créance aux banques…) mais l’artifice n’a pas pu empêcher le ralentissement de la croissance économique.
Les capitalistes n’investissent pas en fonction du taux d’intérêt mais en fonction du taux de profit. Or, la rentabilité du capital diminuait au fil du temps. Le crédit facilite la survie d’entreprises peu rentables, créée des difficultés aux compagnies d’assurance et aux fonds de pension (vu que ces sociétés financières qui cherchent des placements sûrs souscrivent surtout aux obligations publiques dont les intérêts étaient devenus peu rémunérateurs) et le regain de la spéculation (immobilier, actions, matières premières…).
Les emprunts des États et les politiques monétaires accommodantes se nourrissent les uns les autres. La masse de titres publics est, encore plus que les actions et les obligations émises par les entreprises, du capital fictif.
L’expansion du capital fictif n’est pas, du point de vue du capital total, un actif réel, mais un droit sur parasitaire sur le capital réel, qui vit sur son dos. Sa croissance, au-delà d’un certain point, conduit à l’intensification de la lutte entre les classes, car les propriétaires du capital total essaient de transférer le fardeau du financement de ce capital fallacieux à la classe ouvrière mais aussi à l’accroissement des rivalités quand une fraction des propriétaires du capital lutte pour le faire porter par d’autres. (Geoff Pilling, The Crisis of Keynesian Economics, 1986, ch. 4)
La pyramide de la dette, facilitée par les politiques monétaires expansives des banques centrales, était aussi colossale que fragile. Le montant total de l’endettement mondial atteignait 253 000 milliards de dollars fin 2019, soit plus de trois fois le PIB mondial, ce qui est un record absolu. Quand la conjoncture devient défavorable, une partie, qu’elle soit privée ou publique, risque de ne jamais être remboursée.
L’Argentine et dans une moindre mesure la Turquie sont entrées en récession dès 2018. Beaucoup d’économies capitalistes connaissaient une croissance faible juste avant l’apparition du virus : 1,8 % au Canada, 1,3 % en France, 1,2 % en Allemagne, 0,5 % au Japon… Même dans les locomotives de la croissance mondiale, l’augmentation du PIB se limitait à moins de 6 % en Chine et à moins de 2 % aux États-Unis. Les échanges internationaux de biens avaient commencé à diminuer fin 2019.
Alors que les représentants politiques et les journalistes de la bourgeoisie font porter la responsabilité de la crise économique sur le virus, il constitue en réalité le détonateur qui a fait exploser les contradictions du capitalisme.
Les sources de la crise de 2008 sont toujours à l’oeuvre. Une somme importante de capital a été détruite et l’exploitation s’est aggravée, assez pour rétablir les conditions de l’accumulation du capital mondial, mais à un rythme plus faible qu’après la seconde guerre mondiale et même avant la crise. Les traits marquants de la situation économique mondiale sont que malgré la poursuite de la hausse du taux d’exploitation, la rentabilité du capital recule ; cela pousse au protectionnisme la puissance dominante qui perd désormais à la « mondialisation » ; en outre, la politique monétaire accommodante de type keynésien grossit le capital fictif, ce qui accroit le risque de crises financières… Un krach boursier suivie d’une récession mondiale, potentiellement plus graves qu’en 2007-2009, est probable. (Révolution communiste n° 37, 14 novembre 2019)
Une crise financière qui ne se réduit pas au krach des marchés d’actions
Lors de chaque crise capitaliste, la plupart des entreprises ont besoin d’argent liquide au même moment pour acquitter leurs dettes alors qu’elles ont du mal à faire payer leurs propres débiteurs.
Tant que tout va bien, la concurrence joue pratiquement le rôle d’une mutuelle de la classe capitaliste : celle-ci se répartit le butin commun proportionnellement à la mise de chacun. Mais dès qu’il ne s’agit plus de partager les bénéfices, mais les pertes, chacun cherche autant que possible à réduire sa part et à la mettre sur le dos du voisin. Pour la classe capitaliste, la perte est inévitable. Mais savoir quelle part chaque individu en supportera, c’est alors une affaire de force et de ruse et la concurrence se mue en combat de frères ennemis. (Karl Marx, Le Capital, III, 1863-1883, ch. 15)
Les marchés financiers, dont le rôle est de faciliter l’accumulation du capital, non seulement menacent la survie d’acteurs spécialisés (banques, sociétés d’investissement…) mais se retournent contre « l’économie réelle » : des obligations titrisées ne valent plus rien, des produits dérivés ne protègent plus, « l’effet de levier » risque de se transformer un « effet de massue », etc.
La pandémie a fait exploser la bulle intenable des actions. Les actions cotées dans les deux bourses de New-York, dans celles de Tokyo, de Londres, de Paris, de Hongkong, de Shanghai, de Toronto… ont perdu en mars 30 % de leur prix, ce qui en fait l’effondrement le plus rapide de l’histoire. Cette forme de capital fictif a fondu de 24 000 milliards de dollars, plus que le PIB des États-Unis. Pour la Bank of America, « le krach des marchés américains est désormais pire que celui de 1929 » (Mediapart, 24 mars). Mais certains capitalistes perçoivent de « formidables opportunités sur les marchés » (L’Écho, 30 mars).
La fièvre acheteuse des patrons s’est brusquement réveillée, à partir du 20 février, avec la chute libre du CAC. Ce n’est pas Bernard Arnault, le patron de LVMH, homme le plus riche de France qui le contredira. Depuis le 1er janvier, la valeur de l’action de son groupe a baissé de près de 30 %. Cette chute ne l’a pas dissuadé d’acheter, via ses sociétés personnelles (Financière Jean Goujon, Financière Agache), quelque 160 000 actions autour de 350 euros – soit environ 25 % moins cher que leur valeur avant la crise… Chez le groupe hôtelier Accor qui en deux mois a perdu plus de 40 % de sa valeur, Sébastien Bazin, le pédégé, a acheté, le 12 mars, via sa holding Bazeo Europe, 50 000 actions à 23 euros l’une – contre 40 euros avant la chute. L’un des principaux administrateurs, Sarmad Zok, en a raflé, quant à lui, plus de 40 000, à environ 35 euros. Quant à Paul Dubrule, cofondateur du groupe – et encore administrateur –, il a acquis 15 000 actions à environ 34 euros. Chez PSA, la famille Peugeot, qui possède 13 % du capital, ne s’est pas oubliée. La chute du cours (-40 % en deux mois) aurait dû la désoler ; elle lui a, au contraire, ouvert l’appétit. Sa holding patrimoniale FFP a annoncé un plan d’achat de quelque 40 millions d’actions, afin de tenter de faire jeu égal avec la famille Agnelli, au terme de la fusion avec Fiat-Chrysler. Une opération prévue de longue date mais qui, grâce à la chute de la Bourse, a commencé à se faire à très bon compte : 14 euros, au lieu de 20 il y a deux mois. Autre famille très active dans la tourmente : la branche française des Rothschild. Alexandre et David – directement ou à travers la holding Concordia – ont racheté en deux jours, les 11 et 12 mars, 570 000 actions de la banque Rothschild & Co, pour un prix inférieur de plus d’un tiers à ce qu’il était un mois plus tôt (16,60 euros, contre 25,50). Et, pour faire bonne mesure, le gérant de la banque, François Pérol, ex-secrétaire général de l’Élysée sous Sarkozy, a aussi cotisé pour 10 000 actions, le 11 mars, mais à 17,40 euros. Dans la finance, toujours, le patron de la BNP, Jean Lemierre, a acheté, les 8 et 13 mars, 5 000 titres de sa boîte à environ 34 euros, alors qu’ils en valaient 50 un mois plus tôt. Le directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, s’est offert, lui aussi, 10 000 actions, mais à un prix légèrement supérieur : 38 euros. Chez Dassault, on spécule en famille: Groupe industriel Marcel Dassault, la holding familiale, a acquis quelque 160 000 actions Dassault Systèmes au prix moyen d’environ 135 euros, soit 15 % de moins que deux semaines auparavant. D’autres membres de la famille – Laurent, le président du groupe, et Catherine et François, administrateurs – se sont partagé un peu plus de 10 000 actions au même prix. De nombreux dirigeants de boîtes dans le luxe (Hermès), la distribution (Fnac, Carrefour), le BTP (Vinci, Eiffage), l’immobilier (Unibail), la communication (Vivendi), l’alimentation (Pernod), les services (Veolia), la banque (Société générale) ou l’industrie (Renault) ont aussi profité de la manne boursière. Connaissant parfaitement leur groupe et étant en quelque sorte des initiés, ils ne font pourtant rien d’illégal. (Le Canard enchaîné, 18 mars)
Il est fort probable que nombre de banques se trouvent en situation de défaut, voire d’illiquidité sur le marché interbancaire (un marché de crédit à court terme où elles se financent entre elles). Le risque de crédit l’accompagne, c’est-à-dire l’incapacité des banques à accorder des prêts de court ou de long terme aux autres entreprises faute de capital suffisant. Selon les règles fixées par la BRI, les banques sont censées ne pas dépasser un certain niveau de crédit par rapport à leurs fonds propres).
Comme en 2009, les écarts de taux se creusent pour les nouveaux prêts aux différents États. Tant sur le « marché monétaire » à court terme (où les États empruntent en émettant des bons du Trésor) que sur le « marché de capitaux » à moyen et long terme (où les États empruntent en émettant des obligations), les banques demandent des taux d’intérêt plus élevés pour prêter aux États qui sont soupçonnés de pouvoir annuler un jour leur dette (l’écart constituant la « prime de risque »).
Sur le marché des changes, c’est la course au dollar étasunien.
Le dollar est de nouveau devenu une source de préoccupation internationale, s’appréciant du 9 au 20 mars, parce que les entreprises, les banques et les États se ruaient sur la devise dominante… (The Economist, 28 mars)
La banque centrale américaine tente de freiner la montée du taux de change, qui pénalise les exportations des États-Unis, en passant des contrats d’échanges de devises pour quelques mois (« swaps ») avec quelques banques centrales choisies, celles que ménage l’État américain et dont la Fed est sûre qu’elles rendront leurs dollars à l’échéance. Le taux de change des monnaies des économies les plus faibles va s’effondrer et les dettes souscrites dans ces pays en monnaie « forte » vont devenir intenables.
La crise pétrolière
Alors que la consommation de pétrole par la Chine, premier consommateur et importateur mondial, avait déjà chuté d’un tiers en février, et en réponse au gouvernement russe qui refusait de diminuer sa production en violation d’un accord de l’OPEP signé en 2015, l’Arabie saoudite changeait radicalement de position en décidant d’augmenter la sienne, de 1,5 million de barils par jours (environ 12 %), suivie par le Nigéria, l’Algérie, Oman et l’Irak.
Avec l’effondrement de la demande associé à la crise sanitaire, cet apparent contresens – puisque cela génère une offre excédentaire de 20 millions de barils et une perte de profits – permet à l’Arabie saoudite de gagner des parts de marché contre ses concurrents immédiats, à commencer la Russie, mais affaiblit également les États-Unis. Dans le bras de fer ainsi engagé entre les principaux producteurs, un des éléments déterminants est le coût de production du baril. Il est beaucoup plus élevé en moyenne aux États-Unis, 50 dollars le baril, qu’en Russie, 20 dollars, et surtout qu’en Arabie Saoudite, 2,8 dollars.
Le cours du pétrole s’effondre, divisé par trois depuis le début de l’année, sur fond de diminution de 80 % du transport aérien et de guerre commerciale entre la Russie et l’Arabie saoudite sur le niveau de production pétrolière. « L’industrie pétrolière affronte sa plus grave crise depuis cent ans » (Financial Times, 24 mars). La baisse du cours du pétrole va nuire à tous les pays producteurs, mais particulièrement au Venezuela, à l’Algérie, à l’Iran…
Un effondrement sans précédent de la production
Commencée en Chine, la deuxième économie mondiale, l’épidémie y a d’abord entrainé la fermeture des usines, qui s’est répercutée sur les chaines de production internationalisées et les échanges de biens internationaux.
En deux mois seulement, l’économie mondiale a basculé. Les cours des bourses ont chuté d’un tiers et, dans de nombreux pays, les usines, les aéroports, les bureaux, les écoles et les magasins sont fermées. Les travailleurs sont inquiets pour leur emploi et les investisseurs redoutent les défauts de paiement des entreprises débitrices. Tout indique une contraction économique parmi les plus aigües des temps modernes. Le PIB de la Chine va probablement diminuer de 10 à 20 % en janvier et février par rapport à l’an dernier. Aussi longtemps que le virus sévit, des chutes analogues sont vraisemblables en Amérique et en Europe, qui pourraient entraîner une embardée supplémentaire en Asie. (The Economist, 21 mars)
D’après l’OCDE, la réduction de la production trimestrielle s’élève déjà à 18 % en Chine et Inde, 25 % aux États-Unis, 26 % en France, 28 % en Allemagne… À la suite du krach de 2008, la réduction était de 6 % pour l’OCDE, de 3,5 % dans le monde entier. Aujourd’hui, le capitalisme chinois semble redémarrer, mais l’Europe de l’ouest, l’Amérique du Nord, etc. sont à leur tour plongées dans la dépression. Pour la France, ce sera au moins -3 % du PIB, pour un seul mois de confinement, sachant qu’il durera plus longtemps.
La perte d’activité est estimée à environ un tiers… Un confinement d’un mois aurait un impact de l’ordre d’une douzaine de points de PIB trimestriel en moins, soit 3 points de PIB annuel. (INSEE, 26 mars)
L’OCDE prévoit que le taux de chômage des pays impérialistes et semi-impérialistes atteigne 10 % courant 2020, alors qu’il n’était que de 5,6 % en 2007. Macron a parlé de guerre. Néanmoins, dans une guerre inter-impérialiste, toute la main-d’œuvre est mobilisée, soit sur le front, soit dans le capitalisme de guerre qui met en sommeil le marché (mais pas la propriété privée ni le profit), alors que, lors d’une crise capitaliste, une partie de la force de travail devient superflue. Avec une pandémie, en outre, une masse de travailleurs ne peut pas travailler, ce qui accentue la baisse de la production.
Plus que jamais, l’État bourgeois à la rescousse
Comme à chaque crise, l’illusion dans la capacité de l’État bourgeois à sortir des crises réapparait.
L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien à l’activité puis de relance. (Emmanuel Macron, 12 mars) ; Ceci signifie bien la fin du capitalisme néo-libéral. (Patrick Artus, économiste de la banque Natixis, 30 mars)
Comme en 2008, le dogme de l’économie dominante (l’école « néo-classique »), laisser faire le marché qui en réalité est un justificatif pour augmenter le taux d’exploitation, est abandonné. Les règles « libérales » qu’elle a inspirées (l’équilibre budgétaire, l’indépendance de la banque centrale…) sont jetées aux orties par les gouvernements. Par conséquent, l’école keynésienne (Thomas Piketty, Joseph Stiglitz, Lawrence Summers…), qui livrait depuis quelques années une contre-offensive au sein de la « science économique » officielle, veut retrouver l’oreille des politiciens bourgeois.
Les solutions trouvées par le célèbre économiste britannique en 1936 sont celles qu’il convient de de mettre en œuvre aujourd’hui. (Alternatives économiques, avril) ; Il faut savoir être keynésien quand la situation l’impose. (Toulouse School of Economics, 21 mars)
Face au problème mondial du manque de rentabilité du capital et de la pandémie, pour chaque bourgeoisie, c’est chacun pour soi, aggravant l’anarchie propre au capitalisme. Comme en 2008, le Fonds monétaire international et l’Union européenne n’ont pas grand-chose à proposer.
Le FMI se dit prêt à mobiliser 1 000 milliards de dollars de prêts à taux zéro pour éviter la dépression aux États dominés qui manqueraient de devises étrangères. Pour le reste, il se contente d’approuver p les différentes mesures étatiques impérialistes prises de manière non coordonnée.
Contrairement à d’autres ralentissements économiques, la baisse de la production pendant la crise actuelle ne tient pas à la demande… Il convient de préserver le réseau de relations entre les travailleurs et les employeurs, les producteurs et les consommateurs, ainsi que les prêteurs et les emprunteurs, afin que l’activité redémarre réellement lorsque l’urgence médicale diminue. Des fermetures d’entreprises signifieraient une perte de savoir-faire organisationnel et des arrêts de projets productifs à long terme. Des perturbations dans le secteur financier amplifieraient aussi les difficultés économiques. Les pouvoirs publics doivent fournir une aide exceptionnelle aux entreprises privées. (FMI, 1er avril)
Le Conseil européen (des chefs de gouvernement) du 10 mars a réussi à dégager 25 milliards d’euros, qui en fait sont déjà dans le budget de l’Union. Chaque État membre se débrouille. L’impérialisme chinois a pu soigner son image en envoyant en Italie, devant les caméras, quelques soignants le 12 mars et un peu de matériel le 23.
Dans le monde entier, les États nationaux tentent de faire face en activant la politique monétaire et la politique budgétaire. Pour la politique monétaire, la marge de manœuvre est limitée par le niveau très bas des taux d’intérêt (entre 0 et 0,25 %), si bien que seules des politiques « non conventionnelles » peuvent être mises en œuvre, c’est-à-dire des injections de liquidités (qui portent le doux nom de détente quantitative), autrement dit la planche à billets de façon illimitée. Les règles prudentielles auxquelles étaient soumises les banques sont relâchées par les banques centrales. Celles-ci rachètent à celles-là les titres de dette de leur État (ou des États membres de la zone euro dans le cas de la BCE) ce qui revient à financer, indirectement, les États eux-mêmes. En annonçant le 18 mars qu’elle rachèterait, jusqu’à 750 milliards d’euros, toutes les obligations privées ou publiques que les banques voudraient lui revendre, celle-ci a réduit les écarts de taux qui pénalisaient en particulier l’État italien.
Le levier budgétaire est également activé. Chaque gouvernement impérialiste déverse des centaines de milliards d’euros pour assurer l’ordre social (subsides aux chômeurs, etc.) et surtout pour assurer la survie de ses capitalistes, préserver leurs chances dans la compétition internationale quand elle reprendra. Les États essaient donc de limiter les faillites en suspendant toutes les créances publiques (impôts sur entreprises, cotisations patronales…), en offrant leur garantie et en déversant eux-mêmes de l’argent, sans crainte des déficits.
Le gouvernement américain envisage un plan de 2 000 milliards de dollars, en faveur du patronat pour les deux tiers, sans formuler d’interdiction claire d’utiliser cet argent pour augmenter les dividendes ou les bonus des cadres, puisque Trump s’oppose à une telle injonction. Le gouvernement britannique a, quant à lui, promis un plan d’aide de 300 milliards de livres pour soutenir son capitalisme. Le gouvernement italien a lancé un plan d’aide aux entreprises de 18 milliards d’euros dès le début de la propagation du virus. Le gouvernement allemand envisage de mettre en œuvre un programme de 500 milliards d’euros, pour soutenir son capital, en revenant sur la Constitution qui impose « zéro déficit ». Le gouvernement français a lui aussi assuré que « quoi qu’il en coûte », il se tiendrait aux côtés des entreprises françaises. Il a déjà annoncé 300 milliards. « Nous ferons tout ce qui est nécessaire et plus que ce qui est nécessaire pour soutenir notre économie et nos entreprises » (Bruno Le Maire, Les Échos, 13 mars).
La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, marque de son empreinte l’ère capitaliste… Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de la doctrine moderne selon laquelle plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. (Karl Marx, Le Capital, I, 1867, ch. 31)
La Commission européenne a ratifié en suspendant le 20 mars les règles budgétaires en vigueur depuis le traité de Maastricht (1992), à savoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 %, durcies par le TSCG (2012) à un déficit inférieur à 0,5 % ou 1 % du PIB ; le Conseil européen du 26 mars a ratifié la décision de la Commission ainsi que les mesures prises par la BCE.
Contre la subordination des producteurs à la classe exploiteuse en faillite
Il n’y avait rien de progressiste dans les idées de Keynes… Dans le champ de la théorie économique, Keynes était un élève du principal initiateur de l’économie politique vulgaire, le réactionnaire Malthus, contre Ricardo dont l’œuvre constitue une des réussites les plus durables de la pensée bourgeoise du début du 19e siècle. En ce qui concerne la politique économique, Keynes se fondait sur un nationalisme économique étroit et réactionnaire qui rejetait la plus grande réussite du capitalisme : la création d’un marché mondial et d’une division internationale du travail. (Geoff Pilling, The Crisis of Keynesian Economics, 1986, ch. 2)
L’histoire a montré que ce n’est ni avec des politiques libérales (à la Friedman, à la Hayek, à la Lucas…), ni avec les politiques interventionnistes (à la Keynes, à la Kalecki, à la Minsky…) que l’État peut empêcher la baisse du taux de profit qui conduit aux crises capitalistes. Le capitalisme ne sort des crises que par la surexploitation du prolétariat et par la dévalorisation à grande échelle du capital suraccumulé.
Pour rétablir l’équilibre, il faudra condamner à l’immobilisation ou même à la destruction une quantité plus ou moins grande de capital. Des moyens de production cesseront de fonctionner et des entreprises feront faillite… Des titres seront dépréciés. De l’argent sera inoccupé… Des marchandises subiront une dépréciation considérable… Le ralentissement de la production condamnera une partie de la classe ouvrière au chômage et contraindra l’autre à accepter une réduction de salaire… (Karl Marx, Le Capital, III, 1863-1883, ch. 15)
Les partis réformistes, là où ils existent, et dans le monde entier, les directions syndicales approuvent le tournant étatiste des gouvernements, alors que leurs mesures sont centrées sur la survie des groupes capitalistes et qu’elles comportent des restrictions aux libertés démocratiques, au droit des travailleurs et un militarisme accru. Il n’y a pas de hasard. L’union nationale appelée par les gouvernements bourgeois sous prétexte de combattre la pandémie trouve son prolongement dans la célébration du rôle de l’État, pour préparer l’étape suivante : tous derrière sa propre bourgeoisie et chacun derrière la sienne dans la lutte féroce qui ne manquera pas entre elles dès les premiers signes d’une possible accalmie sur le terrain de la pandémie.
En France, les partis « réformistes » (PS, PCF, LFI…) et les appareils syndicaux ont répondu favorablement à l’appel de Macron à l’union sacrée. Les directions confédérales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE…) se réunissent régulièrement avec le gouvernement et le patronat pour discuter « des sacrifices » que les travailleurs doivent supporter. Aucune ne met en cause l’aide publique aux entreprises capitalistes.
Vous avez invité les entreprises à faire preuve de civisme et de modération quant aux versements de leurs dividendes. Dans cette crise sans précédent, où tout le monde est contraint à de grands sacrifices, est-ce vraiment juste, et surtout suffisant ?… Nous devons nous assurer que le nouveau modèle et les nouvelles règles permettront une distribution durablement plus juste des richesses, et un système économiquement plus résilient. Cela passera notamment par des règles d’encadrement des versements des dividendes afin d’affecter le reste des moyens à la transition sociale et écologique. C’est une condition sine qua non pour permettre à nos entreprises de résister aux prochaines crise. (Amis de la Terre, ATTAC, CGT, Greenpeace, FSU, Solidaires…, Lettre à Bruno Le Maire, 29 mars)
Les bureaucrates de la CGT, de Solidaires et de la FSU se bornent à supplier le gouvernement que, temporairement, les entreprises capitalistes ne versent pas de bonus aux PDG (mais les « salaires » mirobolants resteraient honorés) et gardent les dividendes de l’exercice antérieur au lieu de les verser aux possesseurs des actions. Autrement dit, les profits seraient remis en totalité aux mains de l’autre fraction des capitalistes, les manageurs (PDG et leur état-major). Ainsi, ceux-ci disposeront d’encore plus d’argent pour se rémunérer, les grands groupes français pourraient plus facilement racheter des entreprises étrangères ou les PME locales en difficulté.
Le moteur du mode de production capitaliste (la recherche du profit) détruit l’environnement et multiplie les risques climatiques et sanitaires ; le développement des forces productives entre régulièrement en conflit avec les rapports de production sous forme de crises économiques. L’anarchie du mode de production capitaliste (la production de marchandises pour un marché, la concurrence entre les entreprises et la rivalité entre les États) empêche de se préparer aux catastrophes sanitaires et de limiter la souffrance des populations.
Dans l’immédiat, il faut réquisitionner sans indemnité les cliniques privées et les groupes pharmaceutiques ou de matériel médical. Pour raréfier l’apparition des agents pathogènes et limiter leur propagation, il faut suspendre la destruction des forêts tropicales et mettre en cause l’élevage industriel, il faut instaurer une coopération internationale scientifique, médicale et technique pour la connaissance des virus, des bactéries, des prions, pour la recherche de vaccins, de médicaments antiviraux et de nouveaux antibiotiques.
Cela implique de rompre avec le gouvernement Macron-Philippe, de socialiser les moyens de production, de planifier démocratiquement la production en fonction des besoins de la population. Il faut pour cela une révolution sociale qui renverse les États bourgeois, exproprie les groupes capitalistes, fait dépérir les frontières.
À mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale, s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. (Karl Marx, Le Capital, I, 1867, ch. 32)