Pourquoi nous avons perdu sur les retraites

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L’épidémie de coronavirus (qui ne s’arrête pas aux frontières) a mis fin à la montée du cours des actions dans les bourses du monde entier, une bulle financière qui était vouée de toute façon à éclater. Elle pourrait aussi précipiter une crise économique car, bien avant, la croissance mondiale ralentissait [voir Révolution communiste n° 37]. Une conséquence de ce ralentissement est une tendance au repli national (dont les mesures protectionnistes américaines et le Brexit) qui accentue les risques de récession pour le capitalisme mondial.

Malgré les illusions des « souverainistes de gauche » (LFI, PCF…) ou « de droite » (DLF, RN…), l’économie française est dépendante du capitalisme mondial et ne peut échapper à ses fluctuations. Le PIB n’a augmenté que de 1,3 % en 2019, après 1,7 % en 2018. Selon l’OCDE, la croissance française devrait tomber à 0,9 % en 2020. Dans ce contexte, le gouvernement Macron-Philippe tente par toute sa politique de renforcer le capital au détriment du travail et le capitalisme français contre ses rivaux. Mais il a dû affronter en 2018 et 2019 des mobilisations plus ou moins massives, d’abord les gilets jaunes mêlant petits patrons, indépendants et salariés puis la résistance contre l’attaque portée aux retraites. Cette lutte fut massive, en particulier dans les transports publics, mais elle est vaincue.

Le gouvernement, malgré une assise sociale limitée, a pu compter sur deux instruments pour empêcher les masses de le faire reculer en réalisant la grève générale et en posant la question du pouvoir : la répression (policière) pour les faire reculer les masses voire les emprisonner et la trahison des directions syndicales, épaulées par les partis d’origine ouvrière, pour leur empêcher de s’approprier leur lutte.

La répression des luttes sociales

Un jeune homme (Steve Maya Caniço) s’est noyé à la suite d’une agression policière, un livreur (Cédric Chouvia) est mort étouffé par la police… Permanente contre les migrants et dans les quartiers pauvres depuis des décennies, la répression policière s’est déchaînée contre les gilets jaunes depuis plus d’un an puis contre la lutte pour la défense des retraites. Les fouilles sont devenues systématiques. D’innombrables arrestations ont été opérées (plus de 10 000 gardes à vue, plus de 3 000 condamnations), des milliers de manifestants ont été blessés (vingt-six personnes ont perdu un œil, cinq ont perdu un bras). Des personnes âgées ont été matraquées, des handicapés en chaise roulante ont été frappés, des adolescents se sont fait tirer dessus au LBD, des élèves ont été mis à genou, des grenades ont été lancées à l’intérieur d’appartements, tuant une vieille dame (Zineb Redouane). La nuit du 7 au 8 mars à Paris, des manifestantes ont été matraquées, jetées à terre, poussées dans les escaliers du métro, arrêtées (4 d’entre elles gardées à vue 24 heures) par la police. Le pouvoir couvre.

Je récuse le terme de violences policières… En France, la police comme la gendarmerie sont au service d’un ordre républicain, elles sont là pour protéger les lois, donc je ne mets pas ces violences au même niveau. (Emmanuel Macron, Libération, 30 janvier 2020)

Pire, il encourage en récompensant pour « services particulièrement honorables », pour « engagement exceptionnel », ou pour « des actions revêtant un éclat particulier » les policiers impliqués dans ces violences notamment le commissaire divisionnaire ayant encadré l’opération qui a conduit à la noyade de Steve Maia Caniço, deux commissaires responsables des violences (traumatisme crânien et fracture des côtes) subies par Geneviève Legay à Nice, deux officiers impliqués dans le décès de Zineb Redouane, un commandant divisionnaire ayant commandé des coups de matraques et coups de pieds à des manifestants retranchés dans un restaurant rapide… Rien d’étonnant à ce que les poursuites de policiers pour violences soient très peu nombreuses.

Évidemment, les forces de répression (police et armée) sont exemptées de l’attaque contre les retraites. Les mercenaires de l’ordre bourgeois partiront toujours tôt avec des pensions avantageuses.

Le dispositif des appareils syndicaux

À chaque attaque de l’État bourgeois, la première façon de trahir, d’aider le gouvernement et de désorienter les travailleurs, est de négocier son projet. Quant aux retraites, les consultations ont duré deux ans. FO puis la CGT ont quitté la « conférence de financement » juste avant la fin de ses travaux, tout en continuant à siéger au Conseil d’orientation des retraites et en poursuivant secteur par secteur, les négociations pour appliquer la loi, tout comme Solidaires, la CFDT, l’UNSA, la CFTC.

Évidemment, les mêmes directions syndicales refusent d’appeler à la grève générale, à l’élection et à la centralisation des comités de grèves, à l’autodéfense des grèves et des manifestations. Au plus, quand la révolte grandit, certaines (CGT, Solidaires, FSU, parfois FO, UNSA, CFE) appellent à des grèves tournantes ou à des grèves reconductibles site par site, entreprise par entreprise. Ainsi, les travailleurs de la SNCF et la RATP ont fait grève tout décembre mais, laissés sciemment isolés, ils n’ont pu gagner.

La stratégie complémentaire des directions syndicales est de multiplier les « journées d’action » ou « temps forts » qui ont pour résultat d’essouffler la résistance des travailleurs. En 2003, il en a fallu neuf pour permettre à Fillon d’imposer un allongement de la durée de cotisation nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein. En 2010, il en a fallu quatorze pour que Sarkozy puisse reculer à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite. En 2016, c’est au bout de seize journées d’action que le gouvernement Hollande-Valls put mettre en œuvre la loi El Khomri disloquant le droit du travail, complétée ultérieurement par les ordonnances Macron. Cette fois-ci il a suffi de dix journées d’action, sans compter la prochaine organisée le 31 mars pour enterrer définitivement la lutte pour préserver les retraites et les améliorer.

Les organisations syndicales appellent à poursuivre les actions sans relâche, sous toutes les formes décidées localement. Elles préparent dans ce cadre une grande journée de grève interprofessionnelle et de manifestation dans tout le pays le mardi 31 mars pour faire échec à ce projet de loi. (CGT, FO, FSU, Solidaires, FIDL, MNL, UNL, UNEF, 20 février)

Les coupables de la défaite, ce sont les bureaucraties syndicales corrompues par l’État bourgeois (les subventions sont plus importantes que les cotisations) qui préfèrent laisser vaincre le gouvernement plutôt que se laisser déborder par leur base, et la responsabilité d’une organisation révolutionnaire est d’expliquer aux masses les réelles raisons de leur défaite.

Le dispositif des partis réformistes

L’intersyndicale a reçu à tout moment et pour tous les aspects de sa politique (négociations de la contre-réforme, journées d’action, grèves reconductibles éclatées, pétitions bidon…) l’appui des partis « réformistes » (PS, LFI, PCF…) et des organisations semi-réformistes (NPA, LO, POID…) qui font d’ailleurs partie des appareils syndicaux. Le PCF, le PS, LFI, le NPA et LO ont, en plus, organisé un meeting le 11 décembre avec les partis bourgeois « de gauche » (EELV, PRG…) qui ne pouvait se tenir que sur leur terrain, obtenir « une autre réforme » de la part de Macron.

L’idée fondamentale de l’opportunisme, c’est l’alliance ou le rapprochement de la bourgeoisie avec son antipode (la classe ouvrière). (Lénine, Sous un pavillon étranger, février 1915)

Dans la même ligne de collaboration de classes, le PS, le PCF et LFI mènent une campagne commune avec EELV et LR pour un référendum sur les aéroports de Paris « dans l’intérêt national ». Le RN n’a pas été associé mais appelle à signer « en masse » la pétition.

Malgré la fin de la grève à la SNCF et à la RATP en janvier, tous les complices des bureaucrates syndicaux persistent à faire croire que la lutte contre le projet du gouvernement se poursuit, voire se renforce.

Il faut se saisir de la journée nationale du 31 mars. (NPA, 25 février)

La journée de mobilisation appelée le 31 mars, et peut-être même d’autres avant celle-ci, seront de nouvelles occasions de faire entendre que la réforme Macron, c’est toujours non ! (LO, 4 mars)

Les députés « insoumis » (LFI) et « communiste » (PCF) ont en outre répandu l’illusion que, à coups d’amendement, ils allaient dénaturer la loi et ils ont prolongé les débats en multipliant les amendements les plus incongrus. Quelle travailleuse quel travailleur pouvait croire qu’ils allaient bousculer les 298 députés LREM avec 17 députés LFI, 13 députés PCF et 3 députés PdG ?

LFI et le PCF ont en fait organisé diverses mises en scène théâtrales pour donner l’illusion qu’ils s’opposaient réellement au gouvernement. Une autre mascarade, prise le 17 février à l’initiative des députés du PCF, rejoints par plusieurs députés LFI et PS, mais aussi LREM et LR, a été de demander un référendum sur les retraites… au gouvernement et au parlement.

Le 14 mars, on marche pour le climat. Le 15, on vote !… Même le Conseil constitutionnel a rendu un avis très sévère… Un référendum sur le retrait du projet gouvernemental doit être organisé. (PCF, 26 février)

Ce simulacre a été approuvé par le RN qui se plaint du « coup de force du gouvernement qui a refusé de soumettre cette réforme des retraites à un référendum » (Marine Le Pen, Le Figaro, 29 février).

Le 29 février, le dispositif se poursuivait sans anicroche puisque le gouvernement annonçait le recours à l’article 49.3 pour tenir son calendrier et en finir avant les élections municipales. L’article 49.3 de la constitution qui permet de faire adopter le projet tel quel, sauf si la « représentation démocratique du peuple » (une majorité de députés) le renverse (« motion de censure »). Le secrétaire général de la CGT, qui a négocié deux ans la contre-réforme, reproche au gouvernement… de refuser de débattre.

Le 49-3, ce n’est quand même pas le meilleur des signes pour un exécutif qui affirme vouloir discuter » (Philippe Martinez, Mediapart, 6 février 2020)

Les députés de LFI et du PCF s’extasient de l’avis du Conseil constitutionnel (une institution de la 5e République qui ne vaut pas mieux que l’article 49.3). Les deux motions de censure de « l’opposition » sont rejetées. Celle de LR, qui préconise « un recul de l’âge légal de départ à la retraite » et « l’extinction indispensable des régimes spéciaux au-delà de 2045 », est votée par les députés LFI !

Un petit parti social-patriote fait signer une pétition contre le recours à l’article 49.3

L’heure est grave. L’interdiction des manifestations, le passage en force pour le 49-3, la loi qui détruit tous nos régimes de retraite…Trop, c’est trop, non à l’arbitraire ! (POID, 29 février)

À qui est destiné l’appel ? Mystère. Le député PCF Chassaigne pleurniche sur un « désastre démocratique » et c’est aussi au nom de la nation que la direction de la CGT s’oppose au 49.3. L’intersyndicale, avec le renfort de LFI, du PCF, du NPA, de LO, du POID… a appelé à des manifestations le 3 mars qui n’ont réuni que quelques centaines de personnes. Tous ces gens accuseront les travailleurs de ne pas avoir assez « lutté ».

La lutte de classe ne cesse pas

Bien sûr, l’impopularité du gouvernement va se traduire par un échec électoral de LREM aux municipales. Mais les défaites successives de la classe ouvrière font le jeu du parti fascisant RN d’autant que les partis réformistes sont partie prenante de la défaite par le refus de la grève générale et la négociation permanente des attaques réactionnaires.

Outre les avocats, de nombreux travailleurs salariés se mobilisent (santé publique, enseignement public, recherche publique, ramassage déchets, Radio-France…). À juste titre, ils s’opposent à la pénurie, à la sélection sociale, à la précarité… Mais les mêmes méthodes de sabotage sont à l’œuvre au sein du « collectif inter-urgences », de la « coordination SNCF-RATP », de la « coordination nationale de l’éducation », de la « coordination des facs et des labos en lutte », etc.

La grève reconductible et de grandes journées nationales de mobilisation nous permettront de construire un rapport de force victorieux. Le 5 mars, l’université et la recherche se sont arrêtées. À partir du lundi 9 mars : poursuite de la grève reconductible. Le mardi 10 mars : les universités de Lyon font leur 5 mars. Du lundi 16 mars au samedi 21 mars : semaine noire (l’université et la recherche à l’arrêt ; le jeudi 19 mars : temps fort national. (2e coordination nationale des facs et labos en lutte, Motion, 8 mars)

Non seulement les adjoints des appareils syndicaux (NPA, LO, LFI, PCF, POID, UCL…) copient leurs « journées d’action » mais ils refusent d’appeler les organisations syndicales à rompre avec le gouvernement et à préparer la grève générale. Autrement dit, ils laissent les mains libres aux bureaucrates.

En occident est apparue une aristocratie ouvrière soudoyée et corrompue par l’impérialisme, solidement incrustée dans les syndicats… La lutte contre elle doit être impitoyable… Il est impossible de conquérir le pouvoir politique aussi longtemps que cette lutte n’a pas été poussée jusqu’à un certain degré. (Lénine, La Maladie infantile du communisme, 1920)

Pour vaincre, il faut regrouper les militants, les groupes, les fractions qui, dans les luttes et dans les syndicats, veulent l’indépendance de classe, l’unification syndicale, l’auto-organisation, l’auto-défense, la grève générale, le contrôle ouvrier, le pouvoir des travailleurs, les États-Unis socialistes d’Europe…